Le Rosaire médité avec Maria Valtorta 19/20
Le Rosaire médité avec Maria Valtorta
Textes extraits de « L'Evangile tel qu'il m'a été révélé »
Quatrième Mystère Glorieux: La Dormition de Marie
Marie, dans sa petite pièce solitaire, élevée sur la terrasse, est toute vêtue de lin blanc, soit pour le vêtement qui la couvre entièrement, soit pour son manteau fermé à la base du cou, et qui descend derrière ses épaules, soit pour le voile très fin qui descend de sa tête. Elle est en train de ranger ses vêtements et ceux de Jésus, qu’elle a toujours conservés. Elle choisit les meilleurs. Il y en a peu. Des siens, elle prend le vêtement et le manteau qu’elle avait sur le Calvaire; de ceux de son Fils, un vêtement de lin qu’il portait habituellement en été, et le manteau retrouvé au Gethsémani, encore taché du sang qui avait coulé et de la sueur sanguinolente de cette heure terrible. Après avoir plié soigneusement ces vêtements, et baisé le manteau taché de sang de son Jésus, elle se dirige vers le coffre où se trouvent, maintenant depuis des années, rassemblées et conservées les reliques de la dernière Cène et de la Passion. Elle rassemble tout dans un seul compartiment, celui de dessus, et place tous les vêtements dans le compartiment inférieur. Elle est occupée à fermer le coffre quand Jean, monté sans bruit sur la terrasse et qui s’est avancé pour regarder ce que faisait Marie, peut-être impressionné par sa longue absence de la cuisine, où elle doit être montée pour passer les heures de la matinée, la fait se retourner en lui demandant : "Que fais-tu, Mère ?" "J’ai rangé tout ce qu’il est bien de conserver. Tous les souvenirs... Tout ce qui témoigne de son amour et de sa douleur infinis." "Pourquoi, ô Mère, rouvrir les blessures de ton cœur en revoyant ces tristes choses ? Tu es pâle, et ta main tremble... Tu souffres donc de les voir" lui dit Jean en s’approchant d’elle, comme s’il craignait, pâle et tremblante comme elle est, qu’elle allait se sentir mal et tomber par terre. “Oh ! non, ce n’est pas pour cela que je suis pâle et que je tremble. Ce n’est pas parce que se rouvrent mes blessures... En vérité, elles ne se sont jamais fermées complètement. Mais j’ai aussi en moi la paix et la joie et jamais elles n’ont été complètes comme maintenant." "Jamais comme maintenant ? Je ne comprends pas... A moi, la vue de ces choses pleines d’atroces souvenirs, réveille l’angoisse de ces heures. Et moi, je ne suis qu’un disciple. Toi, tu es la Mère..." "Et comme telle, je devrais souffrir davantage, veux-tu dire. Humainement tu dis juste, mais il n’en est pas ainsi. Je suis habituée à supporter la douleur des séparations d’avec Lui. C’était toujours de la douleur, car sa présence et son voisinage étaient mon Paradis sur Terre. Mais aussi volontairement et sereinement supportées, car tout ce qu’il faisait était voulu par son Père, était obéissance à la Volonté divine, et je l’acceptais donc car moi aussi j’ai toujours obéi aux volontés et aux desseins de Dieu pour moi. Quand Jésus me quittait, je souffrais, certainement. Je me sentais seule. Ma douleur quand Lui, enfant, me quitta secrètement pour la discussion avec les docteurs du Temple, Dieu seul l’a mesuré dans sa vraie intensité. Mais pourtant, à part la question juste que moi, sa mère, je lui ai faite pour m’avoir quittée ainsi, je ne Lui ai pas dit autre chose. Et de même, je ne l’ai pas retenu quand il me quitta pour devenir le Maître… et j’avais déjà perdu mon époux, j’étais seule dans une ville qui, sauf quelques personnes, ne m’aimait pas. Et je n’ai pas montré d’étonnement pour sa réponse au banquet de Cana. Lui faisait la volonté du Père. Moi, je le laissais libre de la faire. Je pouvais en arriver à un conseil ou à une prière : conseil pour les disciples, prière pour quelque malheureux. Mais plus que cela, non. Je souffrais quand il me quittait pour aller à travers le monde qui Lui était hostile, et pécheur au point que d’y vivre était pour Lui une souffrance. Mais quelle joie quand il revenait à moi ! En vérité elle était si profonde qu’elle compensait pour moi soixante-dix fois sept fois la douleur de la séparation. Déchirante fut la douleur de la séparation qui suivit sa Mort, mais avec quels mots pourrais-je dire la joie que j’ai éprouvée quand il m’est apparu ressuscité ? Immense la peine de la séparation à cause de sa montée vers le Père, et qui ne devrait finir que quand ma vie terrestre serait accomplie. Maintenant je suis dans la joie, une joie immense comme immense fut la peine, car je sens que j’ai accompli ma vie. J’ai fait ce que je devais faire. J’ai fini ma mission terrestre. L’autre, la céleste, n’aura pas de fin. Dieu ma laissée sur la Terre jusqu’à ce que moi aussi, comme mon Jésus, j’ai eu accompli tout ce que je devais accomplir. Et j’ai en moi cette joie secrète, seule goutte de baume dans ses derniers déchirements pleins d’amertume, qu’a eu Jésus quand il a pu dire : “Tout est accompli” "Joie en Jésus ? A cette heure ?" "Oui, Jean. Une joie incompréhensible pour les hommes, mais compréhensible pour les esprits qui vivent déjà dans la lumière de Dieu, et qui voient les choses profondes cachées sous les voiles que l’Éternel tend sur ses secrets de Roi, grâce à cette Lumière. Moi, si angoissée, bouleversée par ces événements, associée à Lui, à mon Fils, dans l’abandon du Père, je n’ai pas compris alors. La Lumière s’était éteinte pour tout le monde à cette heure, pour tout le monde qui n’avait pas voulu l’accueillir. Et aussi pour moi. Non à cause d’une juste punition, mais parce que, devant être Corédemptrice, je devais moi aussi souffrir l’angoisse de l’abandon des réconforts divins, les ténèbres, la désolation, la tentation de Satan de ne plus me faire croire possible ce que Lui avait dit, tout ce que Lui souffrit, dans son esprit, du Jeudi au Vendredi. Mais ensuite j’ai compris. Quand la Lumière, ressuscitée pour toujours, m’est apparue, j’ai compris. Tout. Même la secrète, extrême joie du Christ quand il put dire : "J’ai tout accompli de ce que le Père voulait que j’accomplisse. J’ai comblé la mesure de la charité divine en aimant le Père jusqu’à me sacrifier, en aimant les hommes jusqu’à mourir pour eux. J’ai tout accompli de ce que je devais. Je meurs avec l’esprit content, bien que déchiré dans ma chair innocente". Moi aussi j’ai tout accompli de ce qui, ab æterno, était écrit que je devais accomplir. De la génération du Rédempteur à l’aide que je vous apporte à vous, ses prêtres, pour que vous vous formiez parfaitement. L’Église est désormais formée et forte. L’Esprit-Saint l’éclaire, le sang des premiers martyrs la cimente et la multiplie, mon aide a contribué à faire d’Elle un organisme saint que la charité envers Dieu et les frères alimente et fortifie de plus en plus, et où les haines, les rancœurs, les envies, les médisances, mauvaises plantes de Satan, ne poussent pas. Dieu est content de cela, et Il veut que vous l’appreniez de mes lèvres, comme Il veut que je vous dise de continuer à grandir en charité pour pouvoir grandir en perfection, et de même aussi pour le nombre des chrétiens et la puissance de doctrine. Car la doctrine de Jésus est une doctrine d’amour, parce que la vie de Jésus, et aussi la mienne, ont toujours été conduites et mues par l’amour. Nous n’avons repoussé personne, nous avons pardonné à tous. À un seul nous n’avons pas pu donner le pardon parce que lui, esclave de la haine, n’a pas voulu de notre amour sans limites. Jésus, dans son dernier adieu avant sa mort, vous a commandé de vous aimer entre vous. Et il vous a donné aussi la mesure de l’amour que vous devez avoir entre vous en vous disant : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. C’est à cela que l’on saura que vous êtes mes disciples”. L’Église, pour vivre et grandir, a besoin de la charité. Charité surtout dans ses ministres. Si vous ne vous aimiez pas entre vous avec toutes vos forces, et si de même vous n’aimiez pas vos frères dans le Seigneur, l’Église deviendrait stérile, et difficile et faible serait la nouvelle création et la supercréation des hommes à leur rang de fils du Très-Haut et de cohéritiers du Royaume du Ciel, car Dieu cesserait de vous aider dans votre mission. Dieu est Amour.[1] Tout ce qu’Il a fait a été fait par amour. De la Création à l’Incarnation, de celle-ci à la Rédemption, de celle-ci encore à la fondation de l’Église, et enfin à la Jérusalem céleste qui rassemblera tous les justes pour qu’ils jubilent dans le Seigneur. C’est à toi que je dis ces choses, parce que tu es l’Apôtre de l’amour et que tu peux les comprendre mieux que les autres..." Jean l’interrompt pour dire : "Les autres aussi aiment et s’aiment." "Oui. Mais tu es l’Aimant par excellence. Chacun de vous a toujours eu une caractéristique bien sienne, comme du reste c’est le cas pour toute créature. Toi, dans les douze, tu as toujours été l’amour, le pur, le surnaturel amour. Peut-être, d’ailleurs : certainement c’est parce que tu es si pur que tu es si aimant. Pierre, de son côté, a toujours été l’homme, et l’homme franc et impétueux. Son frère, André, était silencieux et timide autant que l’autre ne l’était pas. Jacques, ton frère, l’impulsif, au point que Jésus l’a appelé le fils du tonnerre. L’autre Jacques, frère de Jésus, le juste et l’héroïque. Jude d’Alphée, son frère, le noble et loyal, toujours. La descendance de David était visible en lui. Philippe et Barthélemy étaient les traditionalistes. Simon le Zélote, le prudent. Thomas, le pacifique. Matthieu, l’humble qui, se souvenant de son passé, cherchait à passer inaperçu. Et Judas de Kériot, hélas !, la brebis noire du troupeau du Christ, le serpent réchauffé par son amour a été le satanique menteur, toujours. Mais toi, tout amour, tu peux mieux comprendre et te faire voix d’amour pour tous les autres, à ceux qui sont éloignés, pour leur dire mon dernier conseil. Tu leur diras qu’ils s’aiment et qu’ils aiment tout le monde, même ceux qui les persécutent, pour être une seule chose avec Dieu, comme moi je l’ai été, au point de mériter d’être choisie comme épouse de l’Amour Éternel pour concevoir le Christ. Je me suis donnée à Dieu sans mesure, tout en comprenant tout de suite combien de douleur m’en serait venue. Les prophètes étaient présents à mon esprit et la lumière divine me rendait très claires leurs paroles. Ainsi, dès mon premier “fiat” à l’Ange, j’ai su que je me consacrais à la plus grande douleur qu’une mère pût supporter. Mais rien n’a mis de limite à mon amour parce que je sais qu’il est, pour quiconque le pratique, force, lumière, aimant qui attire vers en haut, feu qui purifie et embellit ce qu’il embrase, transformant et faisant dépasser l’humain pour ceux qu’il prend dans son embrassement. Oui, l’amour est réellement une flamme. La flamme qui, tout en détruisant ce qui est caduc, qu’il soit une épave, un rebut, une loque d’homme, en fait un esprit purifié et digne du Ciel. Combien d’épaves, d’hommes souillés, rongés, finis, vous trouverez sur votre route d’évangélisateurs ! N’en méprisez aucun, mais au contraire aimez-les pour qu’ils arrivent à l’amour et se sauvent. Versez en eux la charité. Bien souvent l’homme devient mauvais, parce que personne ne l’a jamais aimé, ou l’a mal aimé. Vous, aimez-les, pour que l’Esprit-Saint revienne les habiter, après leur purification, ces temples que beaucoup de choses ont vidés et souillés. Dieu, pour créer l’homme, n’a pas pris un ange, ni des matières choisies. Il a pris de la boue, la matière la plus vile. Puis, en lui infusant son souffle, c’est-à-dire encore son amour, Il a élevé la matière vile au rang élevé de fils adoptif de Dieu. Mon Fils, sur son chemin, a trouvé beaucoup d’épaves d’hommes tombés dans la boue. Il ne les a pas foulés aux pieds par mépris, mais, au contraire, il les a recueillis et accueillis et en a fait des élus du Ciel. Rappelez-vous-en toujours, et agissez comme Lui l’a fait. Rappelez-vous tout : les actions et les paroles de mon Fils. Rappelez-vous ses douces paraboles. Vivez-les, c’est-à-dire mettez-les en pratique. Et écrivez-les pour qu’elles restent pour ceux qui viendront jusqu’à la fin des siècles, et soient toujours un guide pour les hommes de bonne volonté pour obtenir la vie et la gloire éternelle. Vous ne pourrez certainement pas répéter toutes les paroles lumineuses de l’Éternelle Parole de Vie et de Vérité. Mais écrivez-en autant que vous pouvez en écrire. L’Esprit de Dieu, descendu sur moi pour que je donne au monde le Sauveur et qui est descendu aussi sur vous une première fois et une seconde, vous aidera à vous souvenir et à parler aux foules de manière à les convertir au Dieu vrai. Vous continuerez ainsi cette maternité spirituelle que j’ai commencée sur le Calvaire pour donner de nombreux enfants au Seigneur. Et le même Esprit, en parlant dans les fils recréés du Seigneur, les fortifiera de manière qu’il leur soit doux de mourir dans les tourments, de souffrir l’exil et les persécutions, afin de confesser leur amour pour le Christ et de le rejoindre dans les Cieux, comme déjà l’ont fait Étienne et Jacques, mon Jacques, et d’autres encore... Quand tu seras resté seul, sauve ce coffre..." Jean pâlit et se trouble plus encore qu’il ne l’a fait quand Marie lui a dit qu’elle sentait sa mission accomplie. Il l’interrompt en s’écriant et en lui demandant : "Mère, pourquoi parles-tu ainsi ? Tu te sens mal ?" "Non." "Tu veux me quitter alors ?" "Non. Je serai avec toi tant que je serai sur la Terre. Mais prépare-toi, mon Jean, à être seul." "Mais alors tu te sens mal, et tu veux me le cacher !..." "Non, crois-le. Je ne me suis jamais sentie en force, en paix, en joie comme maintenant. Mais j’ai en moi une telle jubilation, une telle plénitude de vie surnaturelle que... Oui, que je pense ne pas pouvoir la supporter en continuant à vivre. Je ne suis pas éternelle, du reste. Tu dois le comprendre. Éternel est mon esprit. La chair, non. Elle est sujette comme toute chair humaine à la mort." "Non ! Non ! Ne dis pas cela. Tu ne peux pas, tu ne dois pas mourir ! Ton corps immaculé ne peut mourir comme celui des pécheurs !" "Tu es dans l’erreur, Jean. Mon Fils est mort ! Moi aussi, je mourrai. Je ne connaîtrai pas la maladie, l’agonie, le spasme de la mort. Mais pour ce qui est de mourir, je mourrai. Et du reste sache, mon fils, que si j’ai un désir qui est mien, tout entier et seulement mien, et qui dure depuis que Lui m’a quittée, c’est justement celui-ci. C’est mon premier, puissant désir qui est tout mien. Je puis même dire : ma première volonté. Toute autre chose de ma vie n’a été que consentement de ma volonté au vouloir divin. Vouloir de Dieu, mis dans mon cœur de petite fille par Lui-même, la volonté d’être vierge. Son vouloir, mon mariage avec Joseph. Son vouloir ma Maternité virginale et divine. Tout, dans ma vie, a été vouloir de Dieu, et mon obéissance à sa volonté. Mais vouloir me réunir à Jésus, c’est un vouloir tout mien. Quitter la Terre pour le Ciel, pour être avec Lui éternellement et sans arrêt ! Mon désir de tant d’années ! Et maintenant je le sens près de devenir une réalité. Ne te trouble pas ainsi, Jean ! Écoute plutôt mes dernières volontés. Quand mon corps, désormais privé de l’esprit vital, sera étendu en paix, ne me soumets pas aux embaumements en usage chez les hébreux. Désormais je ne suis plus l’hébraïque, mais la chrétienne, la première chrétienne, si on y réfléchit bien, parce que la première j’ai eu le Christ, Chair et Sang, en moi, parce que j’ai été sa première disciple, parce que j’ai été avec Lui Corédemptrice et sa continuatrice ici, parmi vous, ses disciples. Aucun vivant, excepté mon père et ma mère, et ceux qui ont assisté à ma naissance, n’a vu mon corps. Tu m’appelles souvent : “Arche qui contint la Parole divine”. Maintenant tu sais que l’Arche ne peut être vue que par le Grand Prêtre. Tu es prêtre, et beaucoup plus saint et plus pur que le Pontife du Temple. Mais je veux que seul l’Éternel Pontife puisse voir, au temps voulu, mon corps. Ne me touche donc pas. Du reste, tu vois ? Je me suis déjà purifiée et j’ai mis le vêtement propre, le vêtement des noces éternelles... Mais pourquoi pleures-tu, Jean !" "Parce que la tempête de la douleur se déchaîne en moi. Je comprends que je vais te perdre. Comment ferai-je pour vivre sans toi ? Je sens mon cœur se déchirer à cette pensée ! Je ne résisterai pas à cette douleur !" "Tu résisteras. Dieu t’aidera à vivre, et longuement, comme Il m’a aidée. Car s’Il ne m’avait pas aidé, au Golgotha et sur l’Oliveraie, quand Jésus est mort et quand il est monté, je serais morte, comme est mort Isaac. Il t’aidera à vivre et à te rappeler ce que je t’ai dit auparavant, pour le bien de tous." "Oh ! je me rappellerai. Tout. Et je ferai ce que tu veux, pour ton corps aussi. Je comprends aussi que les rites hébraïques ne servent plus pour toi, chrétienne, et pour toi, toute Pure, qui, j’en suis certain, ne connaîtras pas la corruption de la chair. Ton corps, déifié comme aucun autre corps de mortel, et parce que tu as été exempte de la Faute d’origine, et plus encore parce que, outre la plénitude de la Grâce, tu as contenu en toi la Grâce elle-même, le Verbe, c’est pourquoi tu es la relique la plus véritable de Lui, ne peut pas connaître la décomposition, la putréfaction de toute chair morte. Ce sera le dernier miracle de Dieu sur toi, en toi. Tu seras conservée telle que tu es..." "Et ne pleure pas alors !" s’écrie Marie en regardant le visage bouleversé de l’apôtre, tout baigné de larmes. Et elle ajoute : "Si je me conserve telle que je suis, tu ne me perdras pas. Ne sois donc pas angoissé !" "Je te perdrai pareillement même si la corruption ne t’atteint pas. Je le sens, et je me sens comme pris par un ouragan de douleur. Un ouragan qui me brise et m’abat. Tu étais mon tout, surtout depuis que mes parents sont morts et que sont éloignés les autres frères de sang et de mission, et aussi le bien-aimé Margziam que Pierre a pris avec lui. Maintenant je reste seul et dans la tempête la plus forte !" et Jean tombe à ses pieds, en pleurant encore plus fort. Marie se penche sur lui, lui met la main sur sa tête secouée par les sanglots et lui dit : "Non, pas ainsi. Pourquoi me donnes-tu de la douleur ? Tu as été si fort sous la Croix, et c’était une scène d’horreur sans pareille, et à cause de la puissance son martyre et à cause de la haine satanique du peuple ! Si fort pour son réconfort et le mien, à cette heure ! Et aujourd’hui, au contraire, dans cette soirée de sabbat, si sereine et si calme, et devant moi qui jouis de la joie imminente que je pressens, tu es ainsi bouleversé ? ! Calme-toi. Imite, ou plutôt unis-toi à ce qu’il y a autour de nous et en moi. Tout est paix, sois en paix toi aussi. Seuls les oliviers rompent, par leur léger bruissement, le calme absolu de l’heure. Mais il est si doux ce léger bruit, qu’il semble un vol d’anges autour de la maison. Et peut-être ils y sont. Car toujours les anges m’ont été proches, un ou plusieurs, quand j’étais à un moment spécial de ma vie. Ils y furent à Nazareth, quand l’Esprit de Dieu rendit fécond mon sein vierge. Et ils furent chez Joseph, quand il était troublé et incertain à cause de mon état et de la manière de se comporter avec moi. Et à Bethléem, par deux fois, quand Jésus naquit et quand nous avons dû fuir en Égypte. Et en Égypte quand nous fut donné l’ordre de revenir en Palestine. Et s’ils n’ont pas apparu à moi, parce que le Roi des anges Lui-même était venu à moi dès sa Résurrection, les anges ont apparu aux pieuses femmes à l’aube du lendemain du sabbat et ils ont donné l’ordre de dire à toi et à Pierre ce que vous deviez faire. Les anges et la lumière toujours aux moments décisifs de ma vie et de celle de Jésus. Lumière et ardeur d’amour qui, descendant du Trône de Dieu vers moi, sa servante, et montant de mon cœur vers Dieu, mon Roi et Seigneur, m’unissaient à Dieu et Lui à moi, pour que s’accomplisse ce qui était écrit qu’il devait s’accomplir, et aussi pour créer un voile de lumière étendu sur les secrets de Dieu, afin que Satan et ses serviteurs ne connaissent pas, avant le temps voulu, l’accomplissement du mystère sublime de l’Incarnation. Ce soir aussi je sens, bien que je ne les voie pas, les anges autour de moi. Et je sens grandir en moi, au dedans de moi la Lumière, une lumière insoutenable telle que celle qui m’enveloppa quand je conçus le Christ, quand je l’ai donné au monde. Lumière qui vient d’un élan d’amour plus puissant que celui que j’ai habituellement. C’est par une semblable puissance d’amour que j’ai arraché des Cieux, avant le temps, le Verbe pour qu’il devienne l’Homme et le Rédempteur. C’est par une semblable puissance d’amour, telle qu’est celle qui me pénètre ce soir, que j’espère que le Ciel me ravisse et me transporte là où j’aspire à aller avec mon esprit pour chanter, éternellement, avec le peuple des saints et les chœurs des anges, mon impérissable “Magnificat” à Dieu pour les grandes choses qu’Il a faites pour moi, sa servante." "Pas avec ton seul esprit probablement. Et la Terre te répondra, la Terre qui, avec ses peuples et ses nations, te glorifiera et te donnera honneur et amour, tant que le monde existera. C’est ce qu’a prédit Tobie de toi, bien que d’une manière voilée, parce que c’est toi, et non le Saint des Saints, qui as porté vraiment en toi le Seigneur. Tu as donné à Dieu, toi seule, autant d’amour que tous les Grands Prêtres, et tous les autres du Temple n’en ont donné pendant des siècles et des siècles. Un amour ardent et toute pureté. C’est pour cela que Dieu te rendra toute bienheureuse." "Et Il accomplira mon unique désir, mon unique volonté. Car l’amour, quand il est tellement total qu’il arrive presque à la perfection comme celui de mon Fils et Dieu, obtient tout, même ce qui paraîtrait, en jugeant humainement, impossible à obtenir. Souviens-toi de cela, Jean, et dis-le aussi à tes frères. Vous serez tellement combattus ! Des obstacles de tout genre vous feront craindre une défaite, des massacres de la part des persécuteurs, et des défections de la part des chrétiens, à la morale... iscariotique, vous déprimeront l’esprit. Ne craignez pas. Aimez et ne craignez pas. En proportion de la façon dont vous aimerez, Dieu vous aidera et vous fera triompher de tout et de tous, On obtient tout si on devient séraphins. Alors l’âme, cette chose admirable, éternelle, qui est le souffle de Dieu infusé en nous, s’élance vers le Ciel, tombe comme une flamme au pied du Divin Trône, parle et Dieu l’écoute, et elle obtient du Tout Puissant ce qu’elle veut. Si les hommes savaient aimer comme le commande l’antique Loi, et comme mon Fils a aimé et enseigné à aimer, ils obtiendraient tout. C’est ainsi que j’aime. C’est pour cela que je sens que je vais cesser d’être sur la Terre, moi par excès d’amour, comme Lui est mort par excès de douleur. Voilà ! La mesure de ma capacité d’aimer est comble. Mon âme et ma chair ne peuvent plus la contenir ! L’amour en déborde, me submerge et en même temps me soulève vers le Ciel, vers Dieu, mon Fils. Et sa voix me dit : “Viens ! Sors ! Monte vers notre Trône et notre Trine embrassement !” La Terre, ce qui m’entoure, disparaît dans la grande lumière qui me vient du Ciel ! Ses bruits sont couverts par cette voix céleste ! Elle est arrivée pour moi l’heure de l’embrassement divin, mon Jean !" Jean s’était un peu calmé, tout en restant troublé, en écoutant Marie. Dans la dernière partie de son entretien, il la regardait extasié, et comme ravi lui aussi, le visage très pâle comme celui de Marie. La pâleur de cette dernière se change lentement en une lumière d’une extrême candeur, il accourt près d’elle pour la soutenir et en même temps il s’écrie : "Tu es comme Jésus quand il s’est transfiguré sur le Thabor ! Ta chair resplendit comme la lune, tes vêtements brillent comme une plaque de diamant posée devant une flamme d’une extrême blancheur ! Tu n’es plus humaine, Mère ! La pesanteur et l’opacité de la chair sont disparues ! Tu es lumière ! Mais tu n’es pas Jésus. Lui, étant Dieu en plus que d’être Homme, pouvait se conduire par Lui-même, là-haut sur le Thabor, comme ici sur l’Oliveraie, dans son Ascension. Toi, tu ne le peux pas. Tu ne peux te conduire. Viens. Je vais t’aider à mettre ton corps las et bienheureux sur ton lit, Repose-toi." Et, très affectueusement, il la conduit prés du pauvre lit sur lequel Marie s’étend sans même enlever son manteau. Croisant les bras sur sa poitrine, et abaissant ses paupières sur ses doux yeux brillants d’amour, elle dit à Jean qui est penché sur elle : "Je suis en Dieu. Et Dieu est en moi. Pendant que je le contemple et que je sens son embrassement, dis les psaumes et des pages de l’Écriture qui se rapportent à moi, spécialement à cette heure. L’Esprit de Sagesse te les indiquera. Récite ensuite l’oraison de mon Fils; répète-moi les paroles de l’Archange annonciateur, et celles que m’adressa Élisabeth; et mon hymne de louange... Je te suivrai avec ce que j’ai encore de moi sur la Terre..." Jean lutte contre les pleurs qui lui montent du cœur, s’efforce de dominer l’émotion qui le trouble, de sa très belle voix qui au cours des années est devenue très semblable à celle du Christ, chose que Marie remarque en souriant et qui lui fait dire : "Il me semble avoir mon Jésus à côté de moi !". Jean entonne le psaume 118, qu’il dit presque en entier, puis les trois premiers versets du psaume 41, les huit premiers du psaume 38, le psaume 22 et le premier psaume. Il dit ensuite le Pater, les paroles de Gabriel et d’Élisabeth, le cantique de Tobie, le chapitre 24ème de l’Écclésiastique, des versets 11 à 46. Pour terminer, il entonne le “Magnificat”. Mais, arrivé au 9ème verset, il s’aperçoit que Marie ne respire plus, tout en ayant gardé une pose et une attitude naturelles, souriante, tranquille, comme si elle n’avait pas remarqué l’arrêt de la vie. Jean, avec un cri déchirant, se jette par terre contre le bord du lit et il appelle à plusieurs reprises Marie. Il ne sait pas se persuader qu’elle ne peut plus lui répondre, que désormais le corps n’a plus son âme vitale. Mais il lui faut bien se rendre à l’évidence ! Il se penche sur son visage, resté fixe avec une expression de joie surnaturelle, et des larmes abondantes pleuvent de ses yeux sur ce suave visage, sur ces mains pures, si doucement croisées sur sa poitrine. C’est l’unique bain que reçoive le corps de Marie : les pleurs de l’Apôtre de l’amour et de celui que Jésus lui a donné comme fils adoptif. Après la première violence de la douleur, Jean, se rappelant le désir de Marie, rassemble les pans de son ample manteau de lin, qui pendaient des bords du lit, et aussi ceux du voile, qui pendent aussi des deux côtés de l’oreiller, et étend les premiers sur le corps et les seconds sur la tête. Marie ressemble maintenant à une statue de marbre blanc, étendue sur le dessus d’un sarcophage. Jean la contemple longuement et des larmes tombent encore de ses yeux pendant qu’il la regarde. Ensuite il donne une autre disposition à la pièce en enlevant tout mobilier inutile. Il laisse seulement le lit, la petite table contre le mur, sur laquelle il place le coffre contenant les reliques; un tabouret qu’il place entre la porte qui donne sur la terrasse et le lit où gît Marie; et une console sur laquelle se trouve la lampe que Jean allume, car maintenant le soir va venir. Il se hâte ensuite de descendre au Gethsémani pour y cueillir autant de fleurs qu’il peut en trouver et des branches d’oliviers, dont les olives sont déjà formées. Il remonte dans la petite chambre, et à la clarté de la lampe, il dispose les fleurs et les feuillages autour du corps de Marie comme s’il était au centre d’une grande couronne. Pendant qu’il fait ce travail, il parle à la gisante comme si Marie pouvait l’entendre. Il dit : "Tu as toujours été le lys de la vallée, la suave rose, la belle olive, la vigne féconde, le saint épi. Tu nous as donné tes parfums, et l’Huile de Vie, et le Vin des forts, et le Pain qui préserve de la mort l’esprit de ceux qui s’en nourrissent dignement. Elles font bien autour de toi ces fleurs, simples et pures comme toi, garnies comme toi d’épines, et pacifiques comme toi. Maintenant approchons cette lampe. Ainsi, près de ton lit, pour qu’elle te veille et me tienne compagnie pendant que je te veille, en attendant au moins un des miracles que j’attends et pour l’accomplissement desquels je prie. Le premier est que, selon son désir, Pierre et les autres, que je ferai prévenir par le serviteur de Nicodème, puissent te voir encore une fois. Le second c’est que toi, ayant eu en tout un sort semblable à celui de ton Fils, tu doives comme Lui, avant la fin du troisième jour, te réveiller pour ne pas me rendre orphelin deux fois. Le troisième c’est que Dieu me donne la paix, si ce que j’espère qu’il arrive pour toi, comme c’est arrivé pour Lazare, qui ne t’était pas semblable, ne devait pas s’accomplir. Mais pourquoi cela ne devrait-il pas s’accomplir ? Ils sont redevenus vivants la fille de Jaïre, le jeune homme de Naïm, le fils de Théophile... Il est vrai qu’alors le Maître a agi... Mais Lui est avec toi, même s’il ne l’est pas d’une manière visible. Et tu n’es pas morte de maladie comme ceux que le Christ a ressuscités. Mais es-tu vraiment morte ? Morte comme meurt tout homme ? Non. Je sens que non. Ton esprit n’est plus en toi, dans ton corps, et en ce sens on pourrait parler de mort. Mais, à cause de la manière dont c’est arrivé, je pense que ce n’est qu’une séparation passagère de ton âme sans faute et pleine de grâce d’avec ton corps très pur et virginal. Il doit en être ainsi ! Il en est ainsi ! Comment et quand la réunion arrivera-t-elle avec la vie qui reviendra en toi, je ne sais pas. Mais j’en suis tellement certain que je resterai ici, à côté de toi, jusqu’à ce que Dieu, par sa parole ou par son action, me montre la vérité sur ton sort." Jean, qui a fini de mettre tout en ordre s’assoit sur le tabouret, en mettant la lampe par terre près du lit, et il contemple, en priant, la gisante.
Fruit du Mystère, demandons la grâce d'une bonne mort et de la fidélité à Jésus