Mois de Notre Dame de la Salette
Vingt-huitième jour
La loi d'abstinence
« Et le carême, ils vont à la boucherie comme des chiens! »
Les termes de ce reproche de Notre Dame de la Salette, et de la comparaison qui l'accompagne, paraissent tout d'abord étranges et vulgaires: il faut se souvenir que le langage prophétique admet ces locutions vives et énergiques; on trouve ces sortes d'expressions, et de plus dures encore, dans la bouche des prophètes, des apôtres et de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, voulant flétrir et stigmatiser le vice. Au reste, ces mots abandonnés: « Ils vont à la boucherie comme des chiens », ont ici un sens voulu et de circonstance. Du haut de sa montagne, Marie voit les lois de l'abstinence partout méconnues et méprisées; son cœur si doux, si tendre, si bon, s'indigne en ce moment : Elle compare les lâches chrétiens dont la vie se traîne dans les sens, à ces vils animaux qui se jettent instinctivement sur leur proie; par une expression sévère, Elle flétrit leur conduite, et nous rappelle tous à l'observance plus exacte des lois de l'Eglise. La première et la plus ancienne loi que Dieu ait imposée à l'homme, est celle de l'abstinence. A peine admis au paradis terrestre, Adam reçut la défense de toucher au fruit d'un arbre qui lui fut désigné ; fidèle à l'observation de cette loi, il nous eût transmis son innocence première, et il n'eût pas été besoin, pour la réparer, que l'Eglise nous imposât de nouvelles abstinences: mais, par la chute du premier homme, la chair s'est soulevée contre l'Esprit; et par un juste châtiment de notre révolte, les jeûnes et les abstinences nous sont devenus nécessaires; et tels sont le fondement et l'origine du précepte de l'abstinence. Ils ignorent donc la première page de l'histoire humaine, et la condition de notre nature déchue, les,hommes qui osent affirmer que l'abstinence est bien inutile en elle-même, et surtout arbitraire de la part de l'Eglise. La loi de l'abstinence a pour fondement la loi naturelle, qui demande réparation de la première chute, et pour justification de sa pratique et de son institution parmi nous, la parole de Jésus-Christ disant à l'Eglise: « Qui vous écoute, m'écoute, qui vous méprise, me méprise; et celui qui me méprise, méprise Celui qui m'a envoyé ». L'autorité de l'Eglise n'est donc ici autre que l'autorité même de Dieu. Après ces justes observations, qu'elles sont malheureuses et méprisables ces locutions irréligieuses si répandues dans le monde: « La viande ne damne pas; elle n'est pas plus mauvaise un jour que l'autre!... » Que ces paroles sont injurieuses à Dieu, humiliantes pour l'Eglise , et qu'elles accusent d'ignorance et peu de foi chez les personnes qui les profèrent!... Non, assurément, la viande ne damne pas; ce qui damne, c'est la désobéissance qui fait manger la viande un jour défendu; ce qui est mauvais, c'est la violation d'une loi qui n'existe pas pour les autres jours, c'est la révolte contre l'autorité légitime de l'Eglise. Adam, en mangeant du fruit défendu, ne fut pas souillé par le fruit qu'il mangea, très bon en lui-même, mais par sa désobéissance à la loi de Dieu; de même, ce n'est pas ici la viande qui souille l'homme, c'est l'intention et l'esprit de révolte avec lesquels il agit: en un mot, il ne s'agit, dans ce précepte de l'abstinence, ni de viande, ni de jours, ni de goût; il s'agit du cœur qui pèche en refusant de se soumettre à un commandement obligatoire et facile. Il n'y a qu'un homme superficiel et ignorant qui puisse regarder cette institution comme inutile: respectons-la donc nous-mêmes, du fond de notre cœur; laissons rire ceux à qui plaisent ces sortes de dérisions impies, et accomplissons sans murmurer des commandements si simples, si sages et si utiles à nos âmes.
1° Outre le motif général qui détermine son institution, la loi de l'abstinence repose sur de sages et pieuses raisons. Son application, qui revient toutes les semaines, aux Carêmes, Vigiles et Quatre Temps de l'année, est destinée à rappeler incessamment au souvenir des chrétiens, la Passion, les souffrances, la mort de leur Sauveur, et la nécessité toujours pressante de la pénitence; elle est en quelque sorte la pratique publique de la pénitence des premiers chrétiens; aussi, combien cette seule observation du maigre aux jours prescrits, empêche l'âme de sortir des idées religieuses. 2° Les Vies des Pères et les écrits des docteurs renferment des pensées pieuses et des comparaisons touchantes, pour exprimer l'excellence et les avantages spirituels de l'abstinence. Les athlètes du paganisme, disent-ils, se préparaient au combat par une diète sévère, et par l'abstension de certaines nourritures, des semaines entières; pourquoi les athlètes du christianisme n'imiteraient-ils pas cet exemple?... Un général, qui veut faire le siège d'une ville, commence par lui couper l'eau et les vivres: faites de même à l'égard de votre corps, si vous voulez le dompter. Saint Jean Climaque ajoute: « L'abstinence et le jeune sont la circoncision des délectations du palais, des aiguillons de la chair, l'extirpation des mauvaises habitudes, la purification de l'oraison, le gardien de l'esprit, le principe de la componction, le protecteur de l'humilité et de l'obéissance, la santé du corps, la tranquillité de l'âme, la rémission des péchés, la porte du paradis!... » Et enfin, qui ne serait rempli d'un saint désir d'abstinence à cette comparaison de saint Vincent Ferrier: « Avant de s'envoler vers d'autres contrées, lorsqu'est venu l'automne, certains oiseaux sont obligés de s'abstenir presque totalement de nourriture, afin de devenir plus légers au vol... Il en est de même de notre esprit, c'est par l'abstinence qu'il se prépare et s'élève vers les régions célestes; et le jeûne est le char que l'on monte pour arriver jusqu'à Dieu!... »
Pratique : Résolutions généreuses et pratiques: 1° Observer soi-même, et faire accepter dans sa famille, dans la mesure de notre influence, et dans toute sa rigueur loyalement catholique, le précepte de l'abstinence. Que dire de ces tristes familles, pourtant si nombreuses, qui usent d'aliments gras toute l'année, sans distinction de jours?... Quelle éducation pour les enfants, quel exemple pour des serviteurs!... Ah! c'est bien à ces familles que s'appliquent ces paroles humiliantes, mais bien méritées, de Notre Dame de la Salette: « Il vont à la boucherie comme des chiens!... » 2° Différer, autant que possible, les voyages qui nous exposent à la violation prochaine du précepte, par le mauvais vouloir ou les exigences d'un service public dans les hôtelleries: évitons, par de sages précautions, de nous asseoir à la table d'un parent ou d'un ami, un jour d'abstinence. Oh! qu'il est à craindre que cette parole de l'Evangile ne se vérifie pour un grand nombre: « Vous avez rougi de moi devant les hommes; à mon tour, je rougirai de vous au dernier jour, devant mon Père et les élus; et je vous dirai: « Retirez-vous, je ne vous connais pas!... »
Guérison extraordinaire
Le prodige éclatant que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs a servi de fondement à l'établissement du culte de Notre-Dame de la Salette, dans la ville de Muret, un des premiers sanctuaires élevés en l'honneur de la Vierge des Alpes. Gabrielle Dorbes, pauvre orpheline de vingt-six ans, épuisée depuis quatre ans par la souffrance, entra vers la lin de l'hiver 1854, à l'hospice de Muret, sa ville natale. Là, elle demeura deux années courbée, torturée, usée, déformée par l'horrible mal. Elle était couverte de plaies, et ses souffrances étaient inouïes. Tous ses membres étaient retirés, racornis; ses genoux repliés et fixés contre sa poitrine. Dans toute position où on la plaçait, elle restait clouée, immobile. La paralysie était presque générale: elle provenait d'une affection de la moelle épinière; la main gauche seule se mouvait encore. L'estomac ne pouvait plus supporter que quelques gouttes d'eau; par moments sa tête s'égarait; elle perdait le sentiment et délirait. Les médecins de Muret et de Toulouse l'avaient condamnée depuis longtemps. Témoins de si cruelles souffrances et ne pouvant la soulager, ils désiraient voir terminer pour elle cette longue et douloureuse agonie. Gabrielle désirait aussi mourir, mais, âme pieuse, elle gardait la résignation dans ses douleurs. La supérieure de l'hospice qui, avait reçu de grandes grâces de Notre Dame Réconciliatrice, était en possession d'un petit flacon d'eau de la Salette, et la destinant à Gabrielle, elle avait prié cette bonne Mère de guérir cette chère malade pour le bien du pays, la gloire et l'extension de son culte, dût-elle rester infirme toute sa vie. La délicatesse de cette demande toute chrétienne ne peut passer inaperçue, puisque la guérison était sollicitée pour l'avantage général et spirituel du prochain. Une neuvaine fut dès lors décidée, et cependant il est évident que du côté de la malade, il n'y eut aucun empressement; elle n'avait aucun désir de conserver la vie. Elle céda seulement à la pensée qui lui fut communiquée, que sa soumission tournerait à la plus grande gloire de Dieu et à l'honneur de la Sainte Vierge. Celait le 23 mai 1855. La neuvaine devait commencer le soir. L'aumônier était venu porter le saint Viatique à la pauvre agonisante. Sur la demande qu'elle lui fit, s'il fallait attendre qu'elle eût communié pour prendre cette eau. « Non, mon enfant, buvez cette eau de la Sainte Vierge quand vous voudrez ». Et le prêtre, en s'en allant, lui mit le flacon dans sa main gauche, le seul membre qui ne fût pas entièrement paralysé. Gabrielle, restée seule, boit l'eau de la Salette, disant: « Pour la gloire de la Sainte Vierge, que la sainte volonté de Dieu soit faite! » Puis avec les dernières gouttes, elle se frotte légèrement le bras droit. Ce bras était insensible, inerte, gonflé, et la main déjà couverte de taches noires gangreneuses. Gabrielle, eu buvant, fut saisie d'une émotion indicible. Son cœur battait violemment dans sa poitrine. Quelques minutes après, elle cesse de se frictionner; tout à coup, elle éprouve comme si on lui remuait le bras sous la couverture ! Elle sent comme quelqu'un qui lui disait: « Tire ton bras ». Je tire brusquement mon bras, dit-elle, et me sentant guérie, mon premier mouvement est de faire le signe de la croix; mais voilà qu'au lieu de dire: « Au nom du Père... » sans le vouloir, j'ai dit: « O Marie conçue sans péché! Dès lors j'ai compris tout de suite que la Sainte Vierge m'avait guérie ». Gabrielle, délivrée de toute angoisse, s'amuse à faire exécuter à ce bras affranchi tous les mouvements et toutes les évolutions, comme pour s'assurer de la réalité du miracle. Mais par un sentiment de timidité singulière, elle garda jusqu'au soir le secret de sa guérison; et quand une des sœurs vint lui dire: « Gabrielle, nous allons à la chapelle commencer la neuvaine », elle répondit: « Après la prière, venez, ma sœur, je vous ferai voir quelque chose ». La religieuse avait soupçonné dès ce moment que le miracle était accompli. À son retour, la malade lui présente son bras, l'agite devant elle. La sœur tombe à genoux, fond en larmes et en prières. Toutes les sœurs accourent à la nouvelle du miracle. La jeune fille demande à se lever et sent ses jambes s'allonger sans peine. Elle se dresse, s'habille elle-même, descend de son lit et marche. Un bien-être inexprimable qu'elle n'avait pas connu depuis six années, a succédé à son état de martyre. Elle se sent appétit, elle se lève, s'habille, déjeune et dîne fort bien; et dès le lendemain, elle reprenait sa couture. Faible d'abord, elle sent ses forces revenir avec une rapidité inouïe. Cependant, exception frappante! une de ses jambes semblait demeurer débile; elle ne peut marcher que sur la pointe du pied ; on se rappelle les termes du vœu de la supérieure... Ceci durait depuis trois semaines, la guérison étant d'ailleurs générale et parfaite, lorsque Gabrielle dit à la supérieure: « Ma mère, il faut bien que la Sainte Vierge finisse sa guérison ». « Mais, nous n'avons plus d'eau, mon enfant ». « Eh bien! la médaille de la Salette, n'est-ce point la même chose? » Et le soir, en se couchant, Gabrielle applique sa médaille sur le genou avec la même foi naïve et profonde qui avait obtenu le premier miracle. Le lendemain (c'était un samedi), elle allait à la messe sans éprouver ni faiblesse ni embarras. Quelques jours après, elle suivait la procession de la Fête-Dieu. « Sans doute, dit-elle, en me laissant boiter, la Sainte Vierge avait voulu éprouver notre foi et notre confiance ». (Journal de Muret.)
Prière
O Notre Dame de la Salette! vous nous faites entendre, dans votre apparition, des paroles sévères pour les chrétiens qui n'observent pas la loi de l'abstinence: hélas! quel aveuglement était le nôtre! et c'est vous, ô Marie, qui venez dessiller nos yeux sur la sainte Montagne, bénie par votre présence, sanctifiée par vos larmes, illustrée par vos reproches et vos menaces. Oh ! notre mère, nous n'oublierons jamais tant de condescendance maternelle, et désormais votre voix retentira toujours au fond de notre cœur. Nous revenons tous aujourd'hui à l'observation fidèle, constante, généreuse de l'abstinence; pourrions-nous refuser à votre divin Fils ce léger sacrifice? Notre salut lui coûte bien plus cher, à lui qui, pour nous ouvrir le ciel, a bu jusqu'à la lie le calice des humiliations et des souffrances!... C'en est donc fait, nous prenons, pour nous et pour les nôtres, la résolution de garder fidèlement ce précepte de l'Eglise, et si jamais nous étions exposés à le transgresser encore, nous vous en conjurons, ô bonne Mère, parlez à notre âme, rappelez-nous la colère de Dieu, vos larmes sur la sainte Montagne, et rendez-nous, par votre intercession, toujours vainqueurs de la tentation et du péché. Ainsi soit-il.
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