Le Mois de Marie de Notre-Dame de Lourdes
Le Mois de Marie de Notre-Dame de Lourdes
Henri Lasserre
Vingt-sixième jour
Mme veuve Madeleine Rizan
I. Dans cette même ville de Nay, où avait été guéri miraculeusement, quelques mois auparavant, le jeune Henri Busquet, une femme déjà parvenue à la vieillesse, Mme veuve Madeleine Bizan, était sur le point de mourir. Sa vie, du moins depuis vingt-quatre ou vingt-cinq ans, n'avait été qu'une longue suite de douleurs. Frappée en 1835 par le choléra, elle était demeurée à peu près paralysée de tout le côte gauche: elle boitait et ne parvenait à faire quelques pas dans l'intérieur de la maison, qu'en s'appuyant contre les murs ou contre les meubles. Rarement, deux ou trois fois par an, au plus fort de l'été pouvait-elle, aidée et presque portée par des bras étrangers, se rendre à l'église de Nay, assez voisine de sa maison, et y entendre la sainte Messe. Il lui était impossible, sans le secours d'autrui, soit de se mettre à genoux, soit de se relever. L'une de ses mains était entièrement atrophiée. Son tempérament général ne s'était guère moins ressenti que ses membres des suites du terrible fléau. Elle était en proie à de continuels vomissements de sang. L'estomac était hors d'état de supporter les aliments solides. Du jus de viande, des purées, du café avaient suffi cependant à soutenir en elle,dans ces déplorables conditions, la flamme vacillante de la vie. Flamme chétive toutefois, toujours prête à s'éteindre en son foyer mystérieux, et impuissante à réchauffer ce malheureux corps qu'agitait souvent un tremblement glacé. La pauvre femme avait toujours froid. Même au milieu des ardeurs de juillet ou d'août, elle demandait sans cesse à voir le feu pétiller dans l'âtre et faisait approcher de la cheminée son vieux fauteuil de malade. Depuis seize ou dix-huit mois son état s'était aggravé; la paralysie du côté gauche était devenue complète; la même infirmité commençait à envahir la jambe droite. Les membres atrophiés étaient tuméfiés outre mesure, comme le sont parfois ceux des hydropiques.
Mme Rizan avait quitté le vieux fauteuil pour le lit. Elle ne pouvait y faire un seul mouvement, tant elle était infirme, et on était obligé de la retourner de temps en temps et de la changer de position. Elle n'était plus qu'une masse inerte. La sensibilité était perdue tout aussi bien que le mouvement. « Où sont mes jambes? » disait-elle quelquefois quand on venait de la déplacer un peu. Ses membres s'étaient pour ainsi d'ire ramassés et repliés sur eux-mêmes. Elle se tenait constamment couchée sur le côté, en forme de Z. Deux médecins l'avaient successivement soignée. M. le docteur Talamon l'avait depuis longtemps jugée incurable, et, s'il continuait à la voir fréquemment, c'était seulement. à titre d'ami. Il refusait de lui ordonner des remèdes, disant que tout traitement, quel qu'il fût, serait fatalement nuisible et que la pharmacie et les médicaments ne pouvaient qu'affaiblir la malade et user encore davantage son organisme déjà si profondément atteint. M. le docteur Subervielle, sur l'insistance de Mme Rizan, avait prescrit quelques ordonnances, rapidement reconnues inutiles, et avait également renoncé à toute espérance. Si les membres paralysés étaient devenus insensibles, les souffrances que cette infortunée ressentait ailleurs, tantôt à l'estomac ou au ventre, tantôt à la tête, étaient atroces. La position constante que son malheureux corps était obligé de garder avait fini par produire une double plaie, l'une au creux de la poitrine, l'autre à l'aine. Sur le côté, en plusieurs endroits, sa peau était usée par le long frottement du lit, et laissait voir la chair toute dénudée et sanglante. La mort approchait.
Mme Rizan avait deux enfants. Sa fille, nommée Lubine, demeurait avec elle et la soignait avec un dévouement de toutes lès heures. Son fils, M. Romain Rizan, était placé à Bordeaux dans une maison de commerce. Lorsque le dernier espoir fut perdu et que le docteur Subervielle eut déclaré que la malade avait à peine quelques jours à vivre, on manda en toute hâte M. Romain Rizan. Il vint, embrassa sa mère, reçut sa bénédiction et ses suprêmes adieux. Puis, obligé de repartir par suite d'un ordre qui le rappelait, arraché du pied de ce lit de mort par la cruelle tyrannie des affaires, il quitta sa mère avec la poignante certitude de ne plus la revoir. La mourante avait reçu l'extrême- onction. Son agonie se prolongeait au milieu de souffrances intolérables. « Mon Dieu! s'écriait-elle souvent, mettez un terme a tant de douleurs. Accordez-moi, Seigneur, ou de guérir ou de mourir! Elle fit prier les sœurs de la Croix, à Igon, dont sa belle-sœur était Supérieure, de faire à la très Sainte Vierge une neuvaine pour obtenir de sa puissance ou la guérison ou la mort. La malade témoigna aussi le désir de boire de l'eau de la Grotte. Une voisine, Mme Nessans, qui se rendait à Lourdes, promit de lui en rapporter à son retour.
Depuis quelque temps on la veillait jour et nuit. Le samedi, 16 octobre, une crise violente annonça l'approche définitive du dernier moment. Les crachements de sang furent presque continuels. Une teinte livide se répandit sur ce visage amaigri. Les yeux devinrent vitreux. La malade ne parlait presque plus, sinon pour se plaindre de douleurs aiguës. « Seigneur, répétait-elle souvent, Seigneur, que je souffre. Ne pourrai-je donc pas mourir? » « Son vœu sera bientôt exaucé, dit le docteur Subervielle en la quittant. Elle mourra dans la nuit ou au plus tard à la naissance du jour. Il n'y a plus d'huile dans la lampe ». De temps en temps la porte s'ouvrait. Des amis, des voisins, des prêtres, M. l'abbé Dupont, M. l'abbé Sanarens, vicaire de Nay, entraient silencieusement et demandaient à voix basse si la mourante vivait encore. Le soir, en la quittant, M. l'abbé André Dupont, son consolateur et son ami, ne put retenir ses larmes. « Avant le jour elle sera morte, dit-il, et je ne la reverrai qu'en Paradis ». La nuit était venue. La solitude s'était faite peu à peu dans la maison. Agenouillée devant une statue de la Vierge, Lubine priait, sans espérance terrestre. Le silence était profond et n'était interrompu que par la respiration pénible de la malade. Il était près de minuit. « Ma fille! » dit l'agonisante. Lubine agenouillée se lève et s'approche du lit: « Que voulez-vous, ma mère? » fit-elle en lui prenant la main. « Ma chère enfant, lui dit d'une voix un peu étrange la mourante, qui sembla sortir comme d'un songe profond, va chez notre amie, Mme Nessans, qui a dû rentrer de Lourdes ce soir. Demande-lui un verre d'eau de la Grotte. C'est cette eau qui doit me guérir. La sainte Vierge le veut ». « Ma bonne mère, répondit Lubine, il est trop tard à ce moment. Je ne puis vous laisser seule, et tout le monde est couché chez Mme Nessans. Mais demain matin, j'irai en chercher dès la première heure ». « Attendons alors ». Et la malade rentra dans son silence. La nuit se passa et fut longue.
II. Les joyeuses cloches du dimanche annoncèrent enfin le lever du jour. L'Angélus du matin portait à la Vierge Marie les prières de la terre et célébrait l'éternelle mémoire de sa toute-puissante Maternité. Lubine courut chez Mme Nessans, et revint aussitôt, portant une bouteille d'eau de la Grotte. « Tenez, ma mère, buvez! et que la sainte Vierge vienne à votre secours! » Mme Rizan porta le verre à ses lèvres et en avala quelques gorgées. « Ma fille, ma fille, s'écria-t-elle, c'est la Vie que je bois. Il y a la Vie dans cette eau! Frotte-m'en le visage! Frotte-m'en le bras! Frotte-m'en tout le corps! » Toute tremblante et hors d'elle-même, Lubine trempa un linge dans l'eau miraculeuse et lava le visage de sa mère. « Je me sens guérie, criait celle-ci d'une voix redevenue claire et forte, je me sens guérie! » Lubine, cependant, épongeait à l'aide du linge mouillé les membres paralysés et tuméfiés de la malade. Avec une ivresse de bonheur, mêlée de je ne sais quel frisson d'épouvante, elle voyait l'enflure énorme s'affaisser et disparaître soudainement sous le mouvement rapide de sa main, et la peau, violemment tendue et luisante, reprendre son aspect naturel. Subitement, pleinement, sans transition, la santé et la vie renaissaient sous ses doigts.
« Il me semble, disait la mère, qu'il sort de moi par tout le corps, comme des boutons brûlants ». C'était sans doute le principe intérieur du mal qui s' enfuyait de ce corps jusque-là si tourmenté par la douleur, qui le quittait à jamais, sous l'action d'une volonté surhumaine. Tout cela s'était accompli en un instant. En une minute ou deux, le corps agonisant de Mme Rizan, épongé par sa fille, avait retrouvé la plénitude de ses forces. « Je suis guérie! tout à fait guérie! s'écriait la bienheureuse femme. Que la sainte Vierge est bonne! Qu'elle est puissante!... » Puis, après cet élan vers le ciel, les appétits matériels de la terre se firent sentir violemment. « Lubine, ma chère Lubine, j'ai faim, je veux manger ». « Voulez-vous du café, voulez-vous du vin ou du lait? » balbutia la jeune fille, troublée par la soudaineté, en quelque sorte foudroyante, de ce miracle. « Je veux de la viande et du pain, ma fille, dit la mère. Je n'en ai pas mangé depuis vingt-quatre ans ». Il y avait là quelque viande froide, un peu de vin. Mme Rizan but et mangea. « Et maintenant, dit-elle, je veux me lever ». « Ce n'est pas possible, ma mère », dit Lubine, hésitant malgré elle à en croire ses yeux, et s'imaginant peut-être que les guérisons venues directement de Dieu étaient soumises, comme les cures ordinaires, aux lenteurs et aux précautions de la convalescence. Elle tremblait de voir ce miracle si inespéré s'évanouir tout à coup.
Mme Rizan insista et demanda ses vêtements. Ils étaient depuis bien des mois repliés et mis à leur place dans l'armoire d'une pièce voisine. On pensait, hélas qu'ils ne serviraient plus. Lubine sortit de la chambre pour aller les chercher. Elle rentra presque aussitôt; mais, arrivée sur le seuil de la porte, elle poussa un grand cri et laissa tomber à terre, tant son saisissement fut grand, la robe qu'elle portait à la main. Sa mère, durant cette courte absence, avait sauté hors du lit et était allée s'agenouiller devant la cheminée où se trouvait la statue de la Vierge. Elle était là, les mains jointes, remerciant sa toute-puissante libératrice. Lubine, terrifiée comme devant la résurrection d'un mort, était incapable d'aider sa mère à se vêtir. Celle-ci ramassa sa robe, s'habilla toute seule en un clin d'œil et retomba à genoux aux pieds de l'image sacrée. Il était environ sept heures du matin. On sortait de la première Messe. Le cri de Lubine fut entendu dans la rue par les groupes qui passaient sous ses fenêtres. « Pauvre fille! dit-on, c'est sa mère qui vient d'expirer. Il était impossible qu'elle passât, la nuit ». Plusieurs personnes, amies ou voisines, entrèrent aussitôt dans la maison pour soutenir et consoler Lubine en cette indicible douleur. Parmi elles, deux Sœurs de Sainte-Croix. « Eh bien, ma pauvre enfant, elle est donc morte, votre bonne mère! Mais vous la reverrez au ciel ». Et elles s'approchèrent de la jeune fille, qu'elles trouvèrent appuyée contre la porte entr'ouverte et le visage bouleversé. Lubine put à peine leur répondre. « Ma mère est ressuscitée! » fit-elle d'une voix étranglée par une émotion si forte qu'elle ne pouvait la porter sans défaillir. « Elle délire, pensèrent les Sœurs en pénétrant dans la chambre, suivies des quelques personnes qui montaient avec elles, l'escalier. Lubine avait dit vrai. Mme Rizan avait quitté son lit. Elle était habillée et priait, prosternée devant l'image de Marie. Elle se leva et dit: « Je suis guérie! Remercions la sainte. Vierge. Tous à genoux ! »
III. Le bruit de cet événement extraordinaire se répandit dans la ville de Nay avec la rapidité de l'éclair. Tout ce jour et le lendemain la maison fut pleine de monde. La foule se pressait, émue et recueillie, dans cette chambre où venait de passer un rayon de la toute-puissante bonté de Dieu. Chacun voulait voir Mme Rizan, toucher son corps rendu à la vie, se convaincre de ses propres yeux, et graver en son souvenir tous les détails de ce drame surnaturel. M. le docteur Subervielle reconnut sans hésiter le caractère miraculeux et divin de cette guérison extraordinaire. A Bordeaux cependant M. Romain Rizan, au désespoir, attendait avec angoisse la missive fatale qui devait lui annoncer la mort de sa mère. Ce fut pour lui un coup terrible lorsque, un matin, la poste lui apporta une lettre dont l'adresse portait l'écriture bien connue de M. l'abbé Dupont. « J'ai perdu ma pauvre mère », dit-il à un ami qui était venu le visiter. Et il fondit en larmes sans avoir le courage de briser l'enveloppe. « Ayez de la force dans le malheur, ayez de la foi, lui disait son ami ». Il rompit enfin le cachet. Les premiers mots qui frappèrent ses yeux furent ceux-ci: « Deo gratias! Alléluia! Réjouissez-vous, mon cher ami, votre mère est guérie, complètement guérie. C'est la sainte Vierge qui lui a rendu miraculeusement la santé ». L'abbé Dupont lui racontait de quelle façon toute divine Mme Rizan avait trouvé au terme de son agonie la Vie au lieu de la mort. Quelle joie pour le fils! quelle joie pour son ami! Cet ami était employé- dans une imprimerie de Bordeaux où se publiait le Messager catholique. « Donnez-moi cette lettre, dit-il à. Romain Rizan, il faut que les œuvres de Dieu soient connues, et que Notre-Dame de Lourdes soit glorifiée ». Moitié de gré, moitié de force, il obtint la lettre. Le Messager catholique la publia quelques jours après. Quant à l'heureux fils, il repartit presque aussitôt pour Nay. A l'arrivée de la diligence une femme l'attendait. Elle courut à lui, alerte et vive, quand il descendit de voiture, et se précipita dans ses bras en pleurant d'attendrissement et de joie. C'était sa mère.
Prière pour demander le don de Foi
Notre-Dame de Lourdes, priez pour nous.
Vous qui ne refusez rien à la foi de vos enfants, Notre-Dame de Lourdes, faites descendre en nous cette Foi elle-même, non-seulement la Foi qui consiste à croire les vérités que l'Église enseigne, mais encore cette Foi particulière, cette Foi filiale et confiante, vive et pleine, ardente et absolue, qui plaît tant au cœur de Dieu; cette Foi puissante et sans hésitation qu'il récompense ici-bas en lui accordait tout ce qu'elle demande et en faisant pour elle les plus grands miracles. Donnez-nous la Foi de ces âmes simples et droites qui vous ont invoquée à Lourdes et loin de Lourdes, et qui ont obtenu de votre toute-puissante bonté ces guérisons extraordinaires qui stupéfient la nature. Sans doute, ô Marie, nous croyons; et, avec le secours delà grâce, nous saurions mourir pour notre foi: mais, malgré tout, cette foi est timide, chancelante, cette foi trébuche à chaque pas au milieu des ténèbres. Rendez la courageuse, ferme et lumineuse. Nous croyons, ô Marie! comme le centurion de l'Évangile, nous croyons: venez en aide à notre incrédulité. Notre-Dame de Lourdes, priez pour nous. Ainsi soit-il.
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