Le Mois de Marie à la Grotte de Lourdes
Le Mois de Marie à la Grotte de Lourdes
Douzième jour
Les épreuves
Quand on a le grand honneur d'être disciple et témoin du Surnaturel, on doit s'attendre à en devenir l'éprouvé. L'Histoire est pleine des épreuves, conséquence des fidélités religieuses et des témoignages apostoliques. Bernadette ne pouvait se soustraire à cette universelle loi : elle fut une éprouvée. M. Jacomet venait de la menacer, sans résultat, des gendarmes ; la porte du prétoire s'ouvrit, un homme du peuple montra timidement la tête.
« Que réclamez-vous ? » demanda le commissaire. « Je suis le père de cette enfant », répondit l'ouvrier en désignant Bernadette de la main. « Ah ! C'est vous, père Soubirous, vous faites bien d'arriver, car j'allais vous envoyer chercher. Vous connaissez le rôle que joue votre fille depuis quelques jours ; endoctrinée sans doute par quelque commère du quartier, elle fait l'inspirée et se livre à des singeries faisant tourner la tête aux imbéciles. Il faut que cette comédie finisse, car elle constitue un danger pour le repos de la ville. Je vous préviens que si vous n'avez pas assez d'autorité pour retenir votre fille chez vous, j'en aurai, moi, assez pour la faire retenir ailleurs ». « Oh ! Monsieur le commissaire, laissez-moi parler avec toute ma franchise : pour moi, je ne doute pas que l'enfant ne soit sincère dans ce qu'elle raconte ; maintenant, se trompe-t-elle ? C'est là notre embarras.... Je vous avoue que ma femme et moi, nous sommes bien fatigués des importunités que nous subissons. Depuis trois ou quatre jours, notre maison ne désemplit pas, et nous ne savons comment faire pour renvoyer les curieux. Je suis heureux de pouvoir me servir de vos ordres pour refuser ma porte au public. Quant à Bernadette, nous veillerons à ce qu'elle n'aille plus du côté de Massabielle ». Le commissaire félicita le père Soubirous de ses bonnes dispositions et le congédia avec sa fille. Triste dut être, au foyer, la soirée du dimanche...
Les épreuves intérieures commençaient pour Bernadette. Que ferait-elle ? Désobéir à son père ? Le Décalogue ne le permettait point. Ne plus retourner vers la Dame ? Ses engagements de dévotion s'y opposaient. En quelle perplexité la jeta ce dilemme, ceux-là le comprendront qui ont eu des embarras de conscience, des situations les obligeant à se dire : que dois-je faire ? Bernadette opta pour le Décalogue contre la Dévotion.
Le lendemain, lundi 22 février, le père et la mère Soubirous donnèrent ordre à leur fille de se rendre à l'école, avec recommandation de ne dévier ni à droite, ni à gauche. Sans témoigner aucun mécontentement, Bernadette mit son alphabet dans son petit panier et se dirigea vers l'hospice. Elle revint à la maison un peu avant midi, prit son modeste repas et repartit bientôt après pour la classe du soir.
Une autre épreuve intime l'attendait. Arrivée sur le haut de la côte qui mène du pont des Ruisseaux à l'hospice, elle fut subitement arrêtée : « Une barrière invisible, a-t-elle raconté, m'empêchait de passer ». A différentes reprises, elle chercha à avancer, mais la résistance était toujours la même, et elle ne se sentait libre que pour revenir en arrière. Troublée et presque épouvantée, elle songea à retourner chez elle lorsqu'un petit reproche s'éleva au fond de sa conscience. Une voix intérieure lui demandait si elle était bien d'accord avec les engagements pris par elle à la Grotte. La voyante comprit, son cœur se gonfla et, sans plus hésiter, elle redescendit la côte. Ah ! les barrières invisibles ! Elles jouent un grand rôle dans la Vie.... Qui n'a eu sa barrière invisible : épreuve de l'orientation intérieure succédant à l'épreuve de l'indécision ?....
Bernadette, redescendue au pont des Ruisseaux, au lieu de remonter la rue qui traverse la ville, s'enfonça dans le quartier de Lapaca et alla prendre, pour se rendre à Massabielle, un sentier longeant le fort. Les gendarmes l'atteignirent près du moulin où elle était née et lui demandèrent sur le ton du commandement où elle allait. « Je vais à la Grotte », répondit froidement l'enfant sans ralentir le pas ni détourner la tête. Les gendarmes ne firent pas d'autres questions ; ils se bornèrent à la suivre. C'était la première épreuve extérieure : l'épreuve de la surveillance.
Elle existe, et de quelle manière ! Pour les gens de religion, en notre pays de soi-disant liberté. On peut aller au café, au théâtre, au cirque, aux repaires du vice, impunément. Mais qu'on se garde bien d'entrer dans une église pour y entendre une messe et y adorer Dieu : on serait surveillé... Les habitués de nos églises n'ont-ils pas à compter aussi avec la surveillance des voisins et des voisines dont les agences de renseignements réclament chaque jour une abondante pâture ?...
Parvenue à la Grotte, calme, sereine, modeste, entre les deux gendarmes, Bernadette tomba à genoux. Les gendarmes, debout à petite distance d'elle, ne la troublèrent point durant sa prière qui fut longue. Quand elle se releva, ils l'interrogèrent, et elle avoua n'avoir rien vu. La foule s'écoula et avec elle disparut la voyante ». C'était, pour elle, la seconde épreuve extérieure de la non-apparition
Bernadette devait boire jusqu'à la lie, ce jour-là, le calice de la douleur : sa mère lui ménagea, au moulin de Savy, l'audition d'une parole particulièrement attristante. Mademoiselle Estrade lui ayant demandé si elle connaissait l'enfant : « Ah ! mademoiselle, répondit la femme Soubirous, je suis sa malheureuse mère ! » « Comment, malheureuse ? et pourquoi dites-vous cela ? » « Si vous saviez ce que nous souffrons ! Les uns se moquent de nous ; les autres disent que notre fille est folle. Il y en a qui prétendent que nous recevons de l'argent et que l'on va nous poursuivre en justice ». C'était, pour Bernadette, la troisième épreuve extérieure : l'épreuve domestique qui atteignait en elle la fille.
On reconnaît, dans les doléances de la mère Soubirous, l'écho des critiques adressées aux parents de la plupart des enfants qui se destinent au sacerdoce, à la vie religieuse, ou à la vie de piété dans le monde. l'exhaussement social et moral de ces enfants suscite les jaloux du voisinage, lesquels se font, par leurs jeux de physionomie, par leurs procédés et leurs sarcasmes, les insulteurs des parents. On aborde de préférence les prétendus avantages financiers, ravalant les questions de vocation à des questions d'argent.
Examen
Nous faisons-nous de la Vie, surtout de la Vie chrétienne, une idée juste ? Elle est une épreuve à traverser, une croix à porter, non une partie de plaisir à organiser... Comprenons-nous la nécessité, le bienfait de cette épreuve ?... Comment nous comportons-nous avec elle, quand de la théorie les faits brutaux nous obligent à passer à la pratique ?... Ne sommes-nous pas de ceux qui font consister la religion dans des dévotions particulières et qui, tout en priant et honorant certains Saints ou certaines Saintes, mettent Dieu en quarantaine à peu près toute l'année ?... La Religion, pour ce que nous avons à pratiquer, se résume dans l'observation des Commandements de Dieu et de l'Eglise : hors de là, point de salut.... Bernadette opta pour le Décalogue contre la dévotion.... Comment obéissons-nous aux ordonnances ecclésiastiques, aux préceptes divins ?...
Quand nous sommes incertains de la voie à suivre pour plaire à Dieu, pour faire sa volonté, dans ces cas où il est plus difficile de connaître son devoir que de le remplir, consultons-nous notre confesseur , non pas après avoir agi, mais avant d'agir ? Car il en est qui ont ce que j'appellerais l'obéissance d'escalier, d'après coup : ils font, puis consultent ; ou bien, ils consultent, puis agissent à leur guise, préférant quelquefois dire qu'ils n'ont pas compris, passer pour sots, plutôt que d'abdiquer leur idée personnelle... Dans ces situations embarrassantes, attendons-nous, dans la prière et le calme, les événements qui nous éclaireront ?... Avons-nous en horreur la curiosité malsaine, l'inquisition méticuleuse, stupide, de ce que font les autres ?... Nous occupons-nous de nous-mêmes, ne craignant que Dieu et méprisant la surveillance que la sottise, la jalousie ou l'hostilité religieuse peuvent exercer, à l'église, dans les rues, ou sous les toits voisins, contre nous ?...
Nous résignons-nous aux éclipses de Dieu, de la Vierge, dans les événements dont nous avions escompté, même pour le Bien, la réalisation ?... Ne cherchons-nous pas trop dans nos exercices de piété les joies sensibles, les belles apparences.... Les non-apparitions de Dieu ne devraient point nous décourager, nous faire douter de lui.... Quand le soleil se cache derrière les nuages, ne savons-nous pas qu'il existe et que sans lui la lumière tamisée dont nous jouissons ne pourrait luire ?... Bernadette accepta la déconvenue de l'absence de la Dame, sans se plaindre ni se décourager... Sommes-nous sourds aux critiques que le monde nous prodigue, parce que nous sommes, comme on dit, des gens de religion, désireux de donner au Surnaturel, dans notre âme et dans l'âme de nos enfants, la première place à laquelle il a droit ?...
Prière
O Notre Dame, comment nous étonnerions-nous que la Vie soit pour nous, successivement et quelquefois simultanément, une épreuve individuelle, domestique et sociale, quand, à la suite de Jésus, homme de toutes les douleurs, vous avez consenti à être la Reine des martyrs ?... Vous, du moins, vous étiez innocente, et nous sommes coupables ; vous étiez parfaite, et nous sommes couverts d'imperfections !... Bernadette et ses parents ne souffrirent qu'à cause de vous ; sans vous, ils auraient vécu pauvres mais à l'abri des interventions policières et des commérages des curieux et des jaloux.... Nos épreuves, au contraire, ne viennent souvent que de nous.... Apprenez-nous à les prévoir par bon sens, à les diminuer par sagesse, à les dominer par vertu.... Et s'il entre dans vos plans maternels que nous soyons éprouvés uniquement pour vous, sachez que, loin d'en être mécontents, nous en serons ravis : les Apôtres s'en allaient joyeux d'avoir été jugés dignes d'humiliations, de tortures et d'opprobres pour le nom de Jésus... Souffrir pour vous, passe ; avoir souffert, demeure....
O Marie, conçue sans péché, Priez pour nous qui avons recours à vous.
Notre-Dame de Lourdes, priez pour nous.
Texte extrait du « Mois de Marie à la Grotte de Lourdes », Abbé Archelet, Librairie P. Lethielleux, Paris, 1908
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