Le Mois de Marie à la Grotte de Lourdes
Le Mois de Marie à la Grotte de Lourdes
Trentième jour
Dix-huitième Apparition
Aussitôt Bernadette se leva et courut chez sa plus jeune tante Basile pour la prier de l'accompagner à Massabielle. L'entrée de la Grotte était alors défendue par ordre de l'autorité administrative, et une palissade en planches fermait le devant des excavations. Pour ne pas tomber sous les coups de l'arrêté préfectoral, Bernadette et sa tante prirent le chemin qui conduit aux prairies dites de la Ribère, et allèrent s'agenouiller sur la rive droite du Gave, en face du rocher des apparitions. En traversant le quartier de Lapaca, elles furent accostées par d'anciennes voisines qui, leur ayant demandé où elles allaient, se mirent à leur faire cortège. Plus loin, sur les pelouses qui se trouvaient en contre-bas de la route de Pau, elles rencontrèrent plusieurs groupes de femmes priant à genoux, tournées vers la niche miraculeuse. Dès que Bernadette apparut, tous ces groupes se levèrent et vinrent s'établir en demi-cercle autour d'elle. On était si heureux de prier à côté de la petite voyante ! Presque aussitôt que l'enfant eut fixé son regard sur le rocher au delà du Gave, les rayonnements de l'extase éclatèrent sur sa figure, et, dans les transports de son âme ravie, elle s'écria : « Oui, oui, la voilà ! Elle nous salue et nous sourit par-dessus les barrières ».
Ainsi cette dix-huitième Apparition fut comme un suprême encouragement pour la vaillance de Bernadette. Chère enfant ! Elle avait souffert, beaucoup souffert pour sa Dame : on l'avait importunée, ridiculisée, menacée, tentée, de toute manière ; on avait insulté à sa détresse par des offres scandaleuses d'argent ; on n'avait pas craint de la faire passer pour hallucinée, n'ayant pu réussir à l'entacher de folie, au regard du public ; elle avait vu une administration tracassière déployer son autorité, ses violences, ses ruses, pour discréditer l'oeuvre de la Grotte, infirmer les premiers miracles de la Source, et procéder à l'enlèvement des objets de piété entassés par la reconnaissance et la dévotion populaires.
Et maintenant, de la rive droite du Gave, ses yeux attristés, se tournant vers la roche, se heurtaient aux planches de la palissade : cercueil arrogant dressé par l'autoritarisme laïque pour essayer, en vain, une fois de plus le long des siècles, d'y coucher, comme une prétendue morte, la foi nouvellement née des pèlerins. D'autres souffrances devaient, en un proche avenir, visiter Bernadette : elle perdrait sa mère ; il lui faudrait quitter Lourdes, aller à Nevers s'ensevelir vivante dans un cloître. Pour tant d'épreuves, sa vaillance méritait un encouragement : la Dame lui apparut : « Oui, oui, la voilà ! Elle nous salue et nous sourit pardessus les barrières »...
Il fallait aussi encourager les croyants qui, malgré les oppositions administratives, se faisaient les défenseurs, les vengeurs de la Dame, encouraient des critiques, des disgrâces, des procès-verbaux pour elle, et ne cessaient quand même de venir jeter courageusement leurs prières avec leurs offrandes, vers la niche bénie, « par-dessus les barrières ». Il fallait apporter un salut à ces persécutés, faire briller un sourire sur leurs larmes, leur mettre au cœur l'espérance invincible que les planches des fossoyeurs voleraient en éclats, et que la victoire finale appartiendrait à ces deux grandes méconnues des pouvoirs humains : la Religion, la Liberté. Et la Vierge apparut. « Oui, oui, la voilà ! Elle nous salue et nous sourit par-dessus les barrières »...
Les barrières n'ont jamais manqué et ne manqueront jamais aux disciples de Marie et de Jésus. Il y a les barrières légales, les premières planches en furent fabriquées contre Jésus par Hérode, le massacreur des Innocents, et, plus tard, par les Juifs. Dans la suite, les planches pourries ont été remplacées par des neuves, avec des couleurs et des formes différentes. Toujours, il y a eu, quelque part, des lois humaines en insurrection contre la légalité divine : comme si le droit pouvait prévaloir contre le droit ; comme si Dieu, Législateur par excellence, de qui émane éternellement toute autorité, toute justice, pouvait être contrarié dans ses ordonnances par les élucubrations fantaisistes de législateurs humains sans compétence ni durée ! Heureusement, un jour vient où, en dépit de la Force contemptrice du Droit, le Surnaturel réapparaît. « Oui, oui, la voilà ! Elle nous salue et nous sourit par-dessus les barrières »...
Il y a les barrières sociales. Quand la loi divine n'est plus en faveur parmi les lois humaines, une dépression religieuse se produit dans la société. Les amis du Christ sont vus d'un mauvais œil. On n'apprécie que les impôts qu'ils soldent au fisc ; pour tout le reste, on les considère comme taillables et corvéables à merci. Et les barrières sociales doublées des barrières domestiques, à cause des intérêts connexes de la famille, se dressent implacables devant ceux que le Surnaturel attirait sans obstacle autrefois. Heureux les vaillants : la Grâce aura pour eux des saints et des sourires qui les réconforteront. « Oui, oui, la voilà ! Elle nous salue et nous sourit par-dessus les barrières »...
Il y a les barrières diaboliques. On ne les voit pas au dehors, celles-là ; mais on les sent, dans le mystère des vies, au dedans. Mauvaises pensées, désirs corrupteurs, imaginations affreuses, dégoûts du Bien, frénésies du Mal : autant de barrières opposées par le Démon au libre cours de la Vérité et de la Vertu dans les âmes ! Ce ne sont pas les plus faciles à démolir : on n'a point, pour cette besogne, les stimulants extérieurs de l'amour-propre et de la constatation matérielle du succès ; on est seul à seul avec sa conscience et Dieu ; on n'est jamais sûr, tant l'illusion subtile peut se glisser en nous, de les avoir, pour de bon, abattues ; on a peur, et quelquefois non sans raison, qu'elles ne soient, au contraire, consolidées ; elles se redressent avec une rapidité électrique ; c'est toujours, ou presque toujours, à recommencer. De là des appréhensions, des découragements, des marasmes terribles. Heureux qui, en ces occurrences recourt à la prière pour implorer le Christ, au chapelet pour appeler la Dame : le Surnaturel, par ses saints et ses sourires, les consolera et les fortifiera. « Oui, oui, la voilà : elle nous salue et nous sourit par-dessus les barrières »...
Le soleil se couchait cependant à l'horizon, et les ombres de la nuit commençaient à gagner le bassin de Massabielle. La Vierge jeta un dernier et profond regard d'affection sur sa petite privilégiée, puis elle disparut. C'était fini ! Bernadette ne devait plus revoir la Mère de Dieu que dans les splendeurs du paradis.
Examen
Voyez-vous comment il ne faut pas compter naïvement sur les appuis humains pour la prospérité et la totale liberté des œuvres religieuses ?... Nous avons vu naguère l'administration civile favoriser les rassemblements populaires autour de la Grotte et nous l'avons louée de son attitude... Voici maintenant un arrêté préfectoral interdisant l'accès de Massabielle... voici la palissade !... Les conflits entre les deux pouvoirs existeront tant que le corps en chacun de nous s'insurgera contre l'esprit : l'Etat est le corps d'une nation, la Religion en est l'âme... Avez-vous suivi Bernadette, sa tante et les anciennes voisines sur la rive droite du Gave, pour tourner la difficulté administrative et jouir quand même de la vue de la Dame ?... Il n'y a que les idéologues et les orgueilleux dont l'état mental confine à la folie qui puissent se targuer d'éteindre aux yeux des croyants les lumières du Ciel... Dieu et son Christ regarderont toujours à travers les nuages, par-dessus les barrières.... Et mieux que le soleil, la lune et les étoiles, les divins regards éclaireront le monde...
N'est-elle pas admirable cette dernière Apparition faite d'un salut et de sourires pour la consolation de Bernadette et des persécutés de Lourdes ?... Comme on reconnaît bien la Consolatrice des affligés, le Secours des Chrétiens, la céleste Auxiliatrice des âmes, des familles, des peuples et, en particulier, de la France, car c'est en France que se passaient ces choses.... car c'est en France que nous avons la Sainte Vierge, si en Italie on a la Papauté... Ah ! Si nous nous tournions amoureusement vers Marie, en nos jours de tristesses !... Comme elle nous consolerait !...
Ne sommes-nous pas de ces chrétiens de peu de foi qui, attribuant aux lois humaines une force d' obligation et de durée dont elles sont dépourvues quand elles sont un attentat au droit, se lamentent découragés et ne voient point du côté du Ciel les saluts et les sourires par-dessus les fragiles et grotesques barrières ?... Si quelques membres de nos familles ont perdu leur place ou ont été privés d' avancement parce qu'ils étaient catholiques, mais sans avoir prêté le flanc à une telle mesure par négligence professionnelle ou bravade inutile, avons-nous invoqué la Dame et l'avons-nous adjurée de nous sourire et de nous regarder par-dessus ces barrières sociales ?... Avons-nous cherché à étudier et à combattre notre défaut dominant, avons-nous chassé les tentations obsédantes du Démon, en demandant à la Dame d'avoir pitié de nous et de nous témoigner sa pitié par des saints et des sourires ?...
Est-ce surtout les jours de fête de la Sainte Vierge que, redoublant de dévotion envers elle, nous l'avons suppliée de nous accorder ses maternelles faveurs ?... Elle avait décliné son nom, le jour de la fête de son Annonciation... Et elle sourit par dessus les barrières, le jour de la fête où on l'honore, le 16 juillet, comme la Dame du Mont-Carmel... N'y a-t-il pas dans le choix de ces coïncidences liturgiques comme un indice de la ferveur avec laquelle nous devons célébrer les fêtes de Marie ?... N'y a-t-il pas aussi pour nous une implicite exhortation à porter ou à reprendre le Scapulaire du Mont-Carmel ?...
Prière
O Notre Dame, puisque nous sommes au terme des Apparitions dont vous avez, à Lourdes, honoré Bernadette et la France, permettez-moi de vous adresser la prière de l'écrivain que je citais avant-hier et auquel vous aurez fait bon accueil, à son entrée dans l'Eternité. Son cri d'âme résume si bien ce que nous avons dit de vous : « Si Vous êtes évidemment Celle qui se promena sous des figures, sous des noms divers dans l'Ancien Testament. Vous êtes, sans crèche et sans croix, la Vierge antérieure aux Evangiles ». Vous êtes la fille de l'impérissable Dessein, la Sagesse qui est née avant tous les siècles.... Vous êtes donc, sous un nouvel aspect, la plus ancienne des Vierges.... L'Immaculée Conception nous ramène à travers la Bible, jusqu'au chaos de la Genèse... et, forcément, je pense à Eve devenue sainte maintenant, et qui, désolée par les douleurs de ses descendants, par ces maladies affreuses qu'ils n'auraient pas connues, sans sa faute, se tient là près de vous et vous supplie de payer à ses malheureux sa dette, de les guérir ». Et Vous qui ne fîtes point ici-bas de miracles, de votre vivant, Vous en faites maintenant, et pour elle et pour nous. Lumière de bonté qui ne connaît pas les soirs, havre des pleure-misère, Marie des compatissances, Mère des pitiés !
O Marie, conçue sans péché, Priez pour nous qui avons recours à vous.
Notre-Dame de Lourdes, priez pour nous.
Texte extrait du « Mois de Marie à la Grotte de Lourdes », Abbé Archelet, Librairie P. Lethielleux, Paris, 1908
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