Le Mois de Saint Joseph
Avec la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich
Dixième jour
Voyage vers Bethléem
Le voyage de Nazareth à Bethléem dura dix jours. Le premier jour, au matin, les saints voyageurs arrivèrent à six lieues de Nazareth, dans une plaine appelée Ghinim, où l’ange était apparu à Joseph l’avant-veille. Anne possédait un pâturage en cet endroit, et ses serviteurs vinrent y prendre l’ânesse d’un an que Joseph devait emmener avec lui. Elle courait tantôt en avant et tantôt en arrière de la petite troupe. Anne et Marie de Cléophas prirent ici congé des saints voyageurs et s’en retournèrent avec les serviteurs.
Cependant Joseph et Marie continuèrent leur route par un chemin qui montait vers les montagnes de Gelboë. Ils ne passaient pas dans les villes, et suivaient la jeune ânesse qui prenait toujours des chemins de traverse. C’est ainsi qu’ils gagnèrent une propriété de Lazare, à peu de distance de la ville de Ghinim, du côté de Samarie. L’intendant les reçut amicalement. Il les avait connus lors d’un autre voyage. Leur famille avait des relations avec celle de Lazare. Il y avait là de beaux vergers et des allées. La position était si élevée, qu’on avait du toit une vue très étendue. Lazare avait hérité ce bien de son père. Notre Seigneur Jésus-Christ s’arrêta souvent en cet endroit pendant sa prédication, et enseigna dans les environs. L’intendant et sa femme s’entretinrent très amicalement avec la Sainte Vierge, et se montrèrent étonnes qu’elle eût entrepris ce grand voyage dans la position où elle se trouvait, lorsqu’elle pu rester commodément établie dans la maison de sa mère.
Le surlendemain, les saints Epoux étaient à quelque lieues au-delà de l’endroit que nous venons de citer, se dirigeant, pendant la nuit, vers une montagne le long d’une vallée très froide. Il avait gelé. La Sainte Vierge souffrait beaucoup du froid, et elle dit à Joseph : « Il faut nous arrêter ; je ne puis pas aller plus loin ». À peine avait-elle dit ces paroles, que l’ânesse, qui les devançait, s’arrêta sous un grand térébinthe très vieux qui se trouvait près de là, et dans le voisinage duquel était une fontaine. Ils firent halte sous cet arbre : Joseph arrangea avec des couvertures un siège pour la sainte Vierge, qu’il aida à descendre de son monture, et qui s’assit contre l’arbre. Joseph suspendit à une branche de l’arbre la lanterne qu’il portait avec lui. C’était l’usage des gens qui voyageaient dans ce pays.
Cependant la Sainte Vierge conjura Dieu de ne pas permettre que le froid lui fut nuisible. Au même instant, elle sentit une si grande chaleur qu’elle tendit les mains à Saint Joseph pour qu’il y réchauffa les siennes. Ils se réconfortèrent un peu avec des petits pains et des fruits qu’ils avaient avec eux, et burent l’eau de la fontaine voisine dans laquelle ils mirent du baume que Joseph portaient dans un cruchon. Joseph consola et encouragea le Sainte Vierge. Il était si bon ! Il souffrait tant de ce que ce voyage était si pénible ! Il lui parla du bon logis qu’il espérait lui procurer à Bethléem. Il connaissait une maison appartenant à de très braves gens, où ils seraient commodément à très bon compte. Il lui vanta Bethléem en général, et lui dit tout ce qui pouvait la consoler. Mais hélas ! Les choses devaient se passer tout autrement.
À ce point de leur voyage, ils avaient passé deux petits cours d’eau ; ils avaient traversé l’un d’eux sur un pont élevé, et les deux ânes avaient passé à gué. La jeune ânesse qui courait en liberté avait des allures singulières. Quand la route était bien tracée, entre deux montagnes, par exemple, et qu’on ne pouvait se tromper, tantôt elle courait derrière les voyageurs, tantôt elle allait bien loin. Quand le chemin se partageait, elle reparaissait toujours et prenant la bonne direction. Lorsqu’ils devaient s’arrêter, elle s’arrêtait elle-même, comme lors de leur halte sous le térébinthe. On ne sais pas s’ils passèrent la nuit sous cet arbre, ou s’ils atteignirent un autre gite.
Ce térébinthe était un vieil arbre sacré qui avait fait partie du bois de Moreh, près de Sichem. Abraham venant de la terre de Canaan, y a vu apparaître le Seigneur, qui lui avait promis cette terre pour sa postérité. Il avait élevé un autel sous le térébinthe. Jacob, avant d’aller à Bethel pour y offrir un sacrifice au Seigneur, avait enfoui sous ce térébinthe les idoles de Laban et les bijoux que sa famille avait avec elle. Josué y avait érigé le tabernacle où était l’Arche d’Alliance, et y ayant rassemblé le peuple, l’avait fait renoncer aux idoles. C’est aussi en ce lieu qu’Abimelech, fils de Gédéon, avait été proclamé roi par les Sichémites.
Le troisième jour, Joseph et Marie arrivèrent à une grande ferme, à deux lieues plus au midi que le térébinthe. La maîtresse de la maison était absente, et le maître refusa de recevoir Saint Joseph, lui disant qu’il pouvait bien aller plus loin. Quand ils eurent fait un peu de chemin au-delà, ils trouvèrent une jeune ânesse dans une cabane de bergers, où ils entrèrent aussi. Quelques bergers, qui étaient aussi occupés à la vider, les accueillirent avec beaucoup de bienveillance. Ils leur donnèrent de la paille et des petits paquets de jonc et de ramée pour faire du feu. Ces bergers allèrent à la maison d’où ils avaient été repoussés ; et quand ils racontèrent à la maîtresse de cette maison combien Joseph paraissait bon et pieux, combien sa femme était belle et avait l’air sainte, elle fit des reproches à son mari pour avoir repoussé de si excellentes gens. Puis cette femme se rendit aussitôt près de la cabane où s’était arrêtée la Sainte Vierge ; mais elle n’osa pas entrer, par timidité, et retourna chez elle pour y prendre quelques aliments.
Le lieu où ils se trouvaient était sur le versant nord d’une montagne, à peu près entre la Samarie et le Thebez. À l’orient de ce lieu, au-delà du Jourdain, se trouve Succoth ; Ainon est un peu plus au midi ; toujours au-delà du fleuve ; Salem est en deçà. Il pouvait y avoir douze lieues de là à Nazareth.
Au bout de quelques temps, la femme vint avec deux enfants trouver les saints voyageurs, apportant avec elle quelques provisions. Elle s’excusa poliment et se montra touchée de leur position. Quand les voyageurs eurent mangé et pris quelques repos, le mari vint aussi, et demanda pardon à saint Joseph de l’avoir repoussé. Il lui conseilla de monter encore une lieue vers le sommet de la montagne, lui disant qu’il pouvait y arriver à un bon gite avant le commencement du Sabbat, et y rester pendant le jour du repos. Sur/quoi Joseph et Marie se mirent en route.
Quand ils eurent fait à peu près une lieue en montant toujours, ils arrivèrent à une hôtellerie d’assez bonne apparence, composée de plusieurs bâtiments entourés de jardins et d’arbres. Il y avait aussi là des arbrisseaux qui donnent le baume, rangés en espaliers. Cependant l’hôtellerie était encore sur le côté nord de la montagne.
La sainte Vierge avait mis pied à terre, Joseph conduisait l’âne. Ils s’approchèrent de la maison, et Joseph pria l’hôte de les loger ; mais celui-ci s’excusa, parce que son hôtellerie était pleine. Sa femme vint alors, et comme la sainte Vierge s’adressa à elle et lui demanda avec la plus touchante humilité de leur procurer un logement, cette femme ressentit une profonde émotion, et l‘hôte aussi ne put plus résister. Il leur arrangea un abri commode dans une cabane voisine et mit leur âne a l'écurie. L’ânesse n’était pas là : elle courait en liberté dans les environs. Elle était toujours, loin d‘eux quand elle n’avait pas a montrer le chemin.
Joseph apprêta sa lampe, sous laquelle il se mit en prières avec la sainte Vierge, observant le sabbat avec une piété touchante. Ils mangèrent quelque chose, et se reposèrent sur des nattes étendues par terre.
Le quatrième jour était le jour du Sabbat, et les saints Epoux restèrent dans ce lieu toute la journée, priant ensemble. La femme de l’hôte resta presque toujours près de la Sainte Vierge avec ses trois enfants. L’autre femme qui s’était montrée la veille si compatissante vint aussi la visiter avec ses deux enfants. Elle s’assirent auprès d’elle d’un air très amical, et furent très touchées de la modestie et de la sagesse de Marie.
La Sainte Vierge s’entretint avec les enfants et leur donna des instructions. Les enfants avaient avec eux de petits rouleaux de parchemins. Marie leur en fit lire quelques passages qu’elle leur expliqua avec tant de bonté, qu’ils ne la quittaient plus des yeux. C’était touchant de voir, et encore plus touchant à entendre.
Saint Joseph, dans l’après-midi, se promena avec l’hôte dans les environs, examina les jardins et les champs et tint avec lui des discours édifiants. C’est ce que faisaient toujours les gens pieux du pays le jour su sabbat. Les saints voyageurs restèrent encore en ce lieu la nuit suivante.
Les bons hôteliers de la Sainte Famille avaient pris la Sainte Vierge en affection à un degré incroyable, et ils lui témoignèrent une tendre compassion pour son état. Ils la prièrent amicalement de rester chez eux et d’y attendre le moment de sa délivrance. Ils lui montrèrent une chambre commode qu’ils voulaient lui donner. La femme lui offrit du fond du coeur tous ses soins et toute son amitié ; mais Joseph et Marie reprirent le voyage de grand matin, le lendemain du Sabbat, et descendirent par le côté sud-est de la montagne dans une vallée. Ils s’éloignèrent alors davantage de Samarie, où semblait les conduire la direction qu’ils avaient prise jusque là. Pendant qu’ils descendaient, ils pouvaient voir le temple qui est sur le mont Garizim. On l’apercevait de très loin. Il y avait sur le toit plusieurs figures de lions ou d’autres animaux qui brillaient au soleil.
Ils firent en ce jour environ six lieues. Vers le soir, étant dans une plaine à une lieue au sud-est de Sicham, ils entrèrent dans une assez grande maison de bergers, où ils furent bien accueillis. Le maître de la maison était chargé de surveiller les vergers et des champs qui dépendaient d’une ville voisine. La maison n’était pas tout à fait dans la plaine, mais sur une pente. Ici tout était plus fertile et en meilleure condition que dans le pays parcouru précédemment, car ici ont était tourné vers le soleil, ce qui dans la terre promise, fait une différence considérable à ce moment de l’année. D’ici jusqu’à Bethléem il y avait beaucoup de semblables habitations de bergers, dispersées dans les vallées.
Les habitants de ces vallées étaient de ces bergers dont plusieurs des trois rois mages, restés en Palestine, épousèrent plus tard les filles. D’une de ces unions provenait un garçon que Notre Seigneur guérit dans cette maison, à la prière de la Sainte Vierge, le 31 juillet de la seconde année de sa prédication, après son colloque avec la Samaritaine. Jésus le prit, ainsi que deux autres jeunes gens, pour l’accompagner dans le voyage qu’il fit en Arabie après la mort de Lazare, et il devint plus tard disciples du Sauveur. Jésus s’arrêta souvent ici et y enseigna. Il y avait des enfants dans cette maison, Joseph les bénit avant son départ.
Le sixième jour, Joseph et Marie suivirent un chemin plus uni. La sainte Vierge allait de temps en temps à pied. Ils trouvaient plus souvent des haltes commodes où ils se réconfortaient. Ils avaient avec eux des petits pains et une boisson à la fois rafraîchissante et fortifiante dans de petites cruches très élégantes qui avaient deux anses et brillaient comme du bronze. C’était du baume que l’on mêlait avec de l’eau. Ils cueillaient aussi des baies et des fruits qui pendaient encore aux arbres et aux buissons dans certains endroits exposés au soleil. Le siège de Marie sur l’âne avait à droite et à gauche des espèces de rebords sur lesquels les pieds s’appuyaient, de sorte qu’il ne pendaient pas comme chez les gens de la campagne qui vont à âne dans notre pays. Ses mouvements étaient singulièrement posés et décents. Elle s’asseyait alternativement à droite et à gauche. La première chose que faisait Joseph, quand on faisait une halte ou qu’on entrait quelque part, était de chercher une place où la sainte Vierge pût s‘asseoir et se reposer commodément. Il se lavait souvent les pieds, ainsi que Marie. En général, ils se lavaient souvent.
Il faisait déjà nuit lorsqu’ils arrivèrent à une maison isolée. Joseph frappa et demanda l’hospitalité. Mais le maître du logis ne voulut pas ouvrir; et quand Joseph lui représenta la situation de Marie, qui n‘était pas en état d’aller plus loin, ajoutant qu‘il ne demandait pas à être logé gratuitement, cet homme dur et grossier répondit que sa maison n’était pas une auberge, qu‘il voulait qu‘on le laissât tranquille et qu‘on cessait de frapper, et autres choses semblables. Cet homme intraitable n’ouvrit même pas, mais fit sa grossière réponse à travers la porte fermée. Ils continuèrent donc leur chemin, et au bout de quelque temps ils entrèrent dans un hangar près duquel ils trouvèrent l’ânesse arrêtée. Joseph se procura de la lumière et prépara un lit pour la sainte Vierge, qui l’y aida. Il fit aussi entrer l’âne, pour lequel il trouva de la litière et du fourrage, ils prièrent, mangèrent un peu, et dormirent quelques heures.
De la dernière hôtellerie jusqu’ici il pouvait y avoir six lieues de chemin. Ils étaient maintenant à environ vingt-six lieues de Nazareth et à dix de Jérusalem. Jusqu’alors ils n’avaient pas suivi la grande route, mais avaient traversé plusieurs chemins de communication qui allaient du Jourdain à Samarie, et aboutissaient au grandes routes qui conduisaient de Syrie en Egypte. Les chemins de traverse qu’ils suivaient étaient très étroits ; dans la montagne, ils étaient souvent si resserrés, qu’il fallait beaucoup de précautions pour y avancer sans broncher. Mais les ânes y marchaient d’un pas très assuré. La présente station était dans la plaine.
Joseph et Marie quittèrent ce dernier lieu le lendemain avant le jour. Le chemin redevint un peu montant. Ils durent toucher à la route qui conduisait de Gabara à Jérusalem, et qui formait en cet endroit de limite entre la Samarie et la Judée. Ils furent encore une fois grossièrement repoussés d’une maison. Comme ils étaient à plusieurs lieues au nord-est de Béthanie, il arriva que Marie étant très fatiguée éprouva le besoin de prendre quelque chose et de se reposer. Alors Joseph se détourna de là dans un endroit où se trouvait un beau figuier qui était ordinairement chargé de fruits. Cet arbre était entouré de bancs où l’on pouvait se reposer, et Joseph le connaissait depuis un de ces précédents voyages. Mais quand il y arrivèrent, ils n’y trouvèrent pas un seul fruit, ce qui les attrista. Plus tard Jésus rencontra cet arbre, qui était couvert de feuilles vertes mais ne portait plus de fruits. Il le maudit dans un voyage qu’il fit après s’être enfui de Jérusalem, et l’arbre se dessécha entièrement.
Ils approchèrent ensuite d’une maison dont le maître commença par traiter grossièrement Joseph qui lui demandait humblement l’hospitalité. Il regarda la sainte Vierge à la lueur de sa lanterne et railla Joseph de ce qu’il tenait avec lui une femme aussi jeune. Mais la maîtresse de la maison, étant survenue, eut pitié de la sainte Vierge, leur offrir amicalement une chambre dans un bâtiment attenant à la maison, et leur porta même quelques petits pains. Le mari se repentit aussi de sa grossièreté, et se montra très serviable envers les saints voyageurs.
Ils allèrent plus tard dans une troisième maison, habités par un jeune ménage. On les y accueillit, mais sans beaucoup de courtoisie : on ne s’occupa guère d’eux. Ces gens n’étaient pas des bergers aux mœurs simples, mais comme les riches paysans de ce pays, assez occupés d’affaires, de négoce, et le reste.
Jésus visita une de ces maisons, après son baptême, le 20 octobre, le 1er du mois de Tisri. On avait fait un oratoire de la chambre où ses parents avaient passé la nuit. C’était peut être la maison dont le maître avait d’abord raillé Saint Joseph. Quoi qu’il en soit, on avait fait cet arrangement après les miracles qui signalèrent la naissance du Sauveur.
Joseph fit des haltes fréquentes à la fin du voyage ; car la sainte Vierge en était de plus en plus fatiguée. Ils suivirent le chemin que leur indiquait la jeune ânesse, et firent un détour d‘une journée et demie à l’est de Jérusalem. Joseph connaissait très bien cette contrée, parce que son père y avait possédé des pâturages. Si ils avaient traversé directement le désert qui est au midi derrière Béthanie, ils auraient atteint Bethléem en six heures ; mais ce chemin était montueux et très incommode dans cette saison. Ils suivirent donc l’ânesse le long des vallées et se rapprochèrent un peu du Jourdain.
Le huitième jour, les saints voyageurs arrivèrent à une grande maison de bergers, qui pouvait être à trois lieues de l’endroit où Jean baptisait dans le Jourdain, et à environ sept lieues de Bethléem. C’est la maison où, trente ans après, Jésus passa la nuit la veille du jour où, pour la première fois après son baptême, il passa devant Jean-Baptiste. Près de cette maison, se trouvait une grange séparée où étaient déposés les instruments de labourage et dont se servaient les bergers, Il y avait dans la cour une fontaine entourée de bains qui recevaient par des conduits l‘eau de cette fontaine. Le maître de la maison devait avoir, des propriétés étendues, et il y avait là une exploitation considérable, où l’on voyait aller et venir de nombreux valets qui prenaient la leur repas.
Le maître de la maison accueillit les voyageurs très amicalement et se montra fort serviable. On les conduisit dans une chambre commode et en prit soin de leur âne. Un domestique lava les pieds de Joseph à la fontaine et lui donna d’autres habits, pendant qu‘on nettoyait les siens qui étaient couverts de poussière ; une servante rendit les mêmes offices à la sainte Vierge. Ils prirent leur repas dans cette maison et y dormirent.
La maîtresse de la maison était d’un caractère assez bizarre, et elle resta renfermée dans sa chambre. Elle avait regardé les voyageurs à la dérobée ; et comme elle était jeune et vaine, la beauté de la sainte Vierge lui avait déplu. Elle craignait, en outre, que Marie ne s‘adressât à elle, ne voulut rester dans sa maison et y faire ses couches. Aussi eût-elle l'impolitesse de ne pas se montrer et prit-elle ses mesures pour que les voyageurs partissent le jour suivant. C’est la femme que Jésus, trente ans après, le 11 octobre, trouva dans cette même maison, aveugle et courbée en deux, et qu’il guérit, après lui avoir donné quelques avis sur son inhospitalité et sa vanité. Il y avait aussi des enfants dans la maison. Joseph et Marie y passèrent la nuit.
Le lendemain, vers midi, ils quittèrent le lieu où ils avaient logé la veille. Quelques habitants de la maison les accompagnèrent jusqu‘à une certaine distance.
Après un court voyage d’environ deux lieues, ils arrivèrent sur le soir à un lieu que traversait une grande route, bordée de chaque côté d'une longue rangée de maisons avec cours et jardins. Joseph avait des parents qui demeuraient en ce lieu, peut-être les enfants du second mariage d’un beau-père ou d‘une belle-mère. Leur maison avait beaucoup d’apparence. Ils traversèrent pourtant cet endroit d’un bout a l’autre ; puis, à une demi-lieue de là, ils tournèrent à droite, dans la direction de Jérusalem, et arrivèrent à une grande hôtellerie, dans la cour de laquelle se trouvait une fontaine avec-plusieurs conduits. Il y avait là beaucoup de gens rassemblés : on y célébrait des funérailles.
L’intérieur de la maison, au centre de laquelle se trouvait le foyer avec un conduit pour la fumée, avait été transformé en une grande pièce par la suppression de cloisons mobiles qui formaient ordinairement plusieurs, chambres séparées. Derrière le foyer étaient suspendues des tentures noires, et en face se trouvait quelque chose qui ressemblait à une bière recouverte en noir. Il y avait là plusieurs hommes qui priaient ; ils portaient de longues robes noires, et par-dessus, des robes blanches plus courtes ; quelques-uns avaient une espèce de manipule noir à franches suspendu au bras. Dans une autre chambres se trouvaient les femmes, entièrement enveloppées dans leurs vêtements ; elles étaient assises sur des coffres très-bas et pleuraient. Les maîtres de la maison, occupés de la cérémonie funèbre, se contentèrent de faire signe aux voyageurs d‘entrer ; mais les serviteurs les accueillirent très-bien et prirent soin d‘eux. On leur prépara un logement à part formé avec des nattes suspendues, qui le faisaient ressembler à une tente. Plus tard les gens de la maison visitèrent les saints voyageurs et s‘entretinrent amicalement avec eux. Ils n’avaient plus leurs vêtements blancs de dessus. Joseph et Marie, après avoir pris un peu de nourriture, prièrent ensemble et se reposèrent.
Le dixième jour, enfin, vers midi, Joseph et Marie se mirent en route pour Bethléem, dont ils étaient encore éloignés d‘environ trois lieues. La maîtresse de la maison les engagea à rester, parce qu‘il lui semblait que Marie pouvait accoucher d’un moment à l‘autre. Marie répondit, après avoir baissé son voile, qu’elle avait encore trente-six heures à attendre. Peut-être a-t-elle dit trente-huit. Cette femme les aurait gardés volontiers, non pas pourtant dans sa maison , mais dans un autre bâtiment. Au moment du départ, Joseph parla de ses ânes avec l’hôte ; il fit l’éloge de ces animaux, et dit qu‘il avait pris l’ânesse avec lui pour la mettre en gage en cas de nécessité. Comme les hôtes parlaient de la difficulté de trouver un logement à Bethléem, Joseph dit qu’il y avait des amis et qu’il y serait certainement bien accueilli. Cela fait vraiment peine a l’entendre parler avec tant d’assurance du bon accueil qu"il attendait. Il en parla encore à Marie pendant la route. On voit par là que même d’aussi saints personnages peuvent se tromper ; mais ces douces illusions de la pieuse confiance ne sont-elles pas souvent, comme ici, un effet de la bonté de Dieu ?
Considération
Saint Joseph d’après Saint François de Sales
Saint François de Sales aimait à entretenir ses Filles de la Visitation du glorieux Epoux de Marie, pour lequel il avait une affection particulière. Voici la doctrine de son Entretien avec elles sur les vertus de notre Saint Patriarche.
Il commence par comparer Saint Joseph au palmier, le roi des arbres, et qui possède, dit-il, les trois propriétés particulières de la virginité, de l’humilité et de la constance ; lesquelles propriété conviennent davantage à Saint Joseph, qui est, ainsi que la Sainte Eglise nous fait dire, semblable à la palme. Oh ! Quel Saint est le glorieux saint Joseph. Il n’est pas seulement Patriarche, mais le coryphée de tous les Patriarches. Il n’est pas simplement confesseur, mais plus que confesseur ; car dans sa confession sont encloses les dignités des évêques, la générosité des martyrs et de tous les autres saints. C’est donc à juste raison qu’il est comparé au palmier qui est le roi des arbres, et lequel à la propriété de la virginité, celle de l’humilité et de la constance et vaillance, trois vertus dans lesquelles le glorieux saint Joseph a grandement excellé ; et si l’on osait faire des comparaisons, il y en aurait plusieurs qui maintiendraient qu’il surpasse tous les autres saints en ces trois vertus.
Dieu, expose-t-il ensuite, ayant destiné de toute éternité, en sa divine Providence, qu’une Vierge concevrait un fils qui serait Dieu et homme tout ensemble, voulut néanmoins que cette Vierge fût mariée, parce qu’il fallait que cette Vierge conçût et enfantât ce doux trait de vie, Notre Seigneur, sous l’ombre du saint mariage, mariage donc qui n’était point selon l’ordinaire tant pour la communication des biens extérieurs que pour l’union et conjonction des biens intérieurs.
Ô la divine union que celle qui existait entre Notre Dame et le glorieux saint Joseph ! union qui faisait que ce bien des biens éternels, qui est Notre Seigneur, fut et appartint à saint Joseph, ainsi qu‘il appartenait à Notre Dame, non selon la nature qu’il avait prise dans les entrailles de notre glorieuse maîtresse (nature qui avait été formée par le Saint Esprit du très pur sang de Notre Dame), mais selon la grâce, laquelle le rendait participant de tous les biens de sa chère Epouse, et laquelle faisait qu’il allait merveilleusement croissant en perfection. Car de même que l’on voit un miroir opposé aux rayons du soleil recevoir ses rayons très parfaitement, et un autre miroir étant mis vis-à-vis de celui qui les reçoit, bien que le dernier miroir ne prenne et ne reçoive les rayons du soleil que par réverbération, les représente pourtant si fidèlement, que l’on ne pourrait presque pas juger lequel c’est qui les reçoit immédiatement du soleil, ou celui qui est opposé au soleil, ou celui qui ne les reçoit que par réverbération ; de même en était-il de Notre-Dame, laquelle , comme un très pur miroir opposé aux rayons du soleil de justice, rayons qui apportaient en son âme toutes les vertus en leur perfection, perfections et vertus qui faisaient une réverbération si parfaite en saint Joseph, qu’il semblait presque qu'il fût aussi parfait, ou qu‘il eût les vertus en un aussi haut degré comme les avait la glorieuse Vierge notre maîtresse.
Et, partant de ce principe, notre bienheureux exalte la virginité de saint Joseph élevée à un si haut degré par son contact avec celle de la sainte Vierge, qu’elle lui fait surpasser tous les Saints, les Anges et les Chérubins mêmes, en cette vertu tant recommandable de la virginité ; sa très sainte humilité, sous l’abri de laquelle il tient cachées ses grandes vertus et ses si hautes dignités d’Epoux de Marie, et de gouverneur, de Père même putatif de Notre Seigneur ; sa vaillance et sa force contre les deux plus grands ennemis de l’homme, le diable et le monde ; sa constance et sa persévérance contre notre grand ennemi intérieur qui est l’ennui dans la continuation des choses abjectes, humiliantes, pénibles, adverses ; son amour si sincère de la pauvreté, son obéissance si parfaite, sa soumission si entière à la divine volonté, laquelle allait toujours croissant et se perfectionnant, parce qu’il la tirait de Notre Dame, comme Notre Dame tirait sa propre perfection de son divin Fils.
Enfin, notre saint auteur s’écrie, après avoir démontré et affirmé que saint Joseph est très certainement au ciel en corps et en âme : « Oh ! combien serons-nous heureux, si nous pouvons mériter d’avoir part en ses saintes intercessions ! car rien ne lui sera refusé, ni de Notre Dame, ni de son glorieux Fils. Il nous obtiendra, si nous avons confiance en lui, un saint accroissement en toutes sortes de vertus, mais spécialement en celles qu’il a eues au plus haut degré que toutes les autres, qui sont la très sainte pureté de corps et d’esprit, la très aimable vertu d’humilité, la constance, la vaillance et la persévérance, vertus qui nous rendront victorieux, en cette vie, de nos ennemis, et qui nous feront mériter la grâce d’aller jouir en la vie éternelle des récompenses qui sont préparées à ceux qui imiteront l’exemple que saint Joseph leur a donné, étant en cette vie, récompense qui ne sera rien moindre que la félicité éternelle, en laquelle nous jouirons de la claire vision du Père, du Fils et du Saint Esprit. Dieu soit béni.
Chapelet de saint Joseph
Ce qu’on appelle le Chapelet ou Couronne de saint Joseph , se compose de trente grains divisés en trois dizaines, pour honorer les trente années que saint Joseph a passées dans la compagnie de Jésus et de Marie. On le récite plus particulièrement pour demander la grâce d’une bonne mort ; et voici la manière plus ordinaire de le dire :
Sur la croix, après avoir dit « Au nom du Père, etc., » l’on dit : « Vous l‘avez, Seigneur, couronné d’honneur et de gloire, et constitué prince dans votre maison, et sur tout ce qui vous appartient ».
Sur les gros grains : « Que les mérites du chaste Epoux de votre très sainte Mère, ô divin Jésus, viennent en aide à notre insuffisance, afin que par son intercession il nous soit accordé ce qu’il n’est pas en notre pouvoir d’obtenir. Nous vous en conjurons, Seigneur, qui, étant Dieu, vivez et régnez avec le Père dans l’unité du Saint Esprit, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il ».
Sur les petits grains : « Je vous salue, Joseph, fils de David, homme juste. Epoux de Marie, de laquelle est né Jésus. Saint Joseph, Père nourricier de Jésus, priez pour nous, pauvres pécheurs , maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il ».
Si cette méthode paraissait compliquée et présentait quelques difficultés dans la pratique, on pourrait y apporter des modifications, comme de dire le Pater sur la croix, l’Ave, Maria, sur les gros grains, et la Salutation à saint Joseph, sur les petits, etc.
Invocation
Bon saint Joseph
Bon Saint Joseph, protégez-nous et protégez la sainte Eglise ! Bon saint Joseph ! Nous savons bien que Dieu seul est bon, mais puisque le bon Dieu vous a fait bon aussi, le Père, en vous associant à sa divine paternité, le Fils, en vous admettant pendant trente ans dans une incomparable intimité, le Saint Esprit, en vous unissant comme Epoux à la bonne Vierge Marie, rappelez-vous que vous n’avez été fait bon qu’à cause de nous, et afin que rien ne vienne mettre des bornes à votre bonté pour nous.
Protégez-nous ! Car les temps sont bien mauvais, les jours bien malheureux, les dangers bien pressants, et voilà que toutes les vérités saintes sont diminuées parmi les enfants des hommes. Dans cette extrémité, nous avons recours à votre toute-puissante protection, dans la confiance que vous ne rejetterez pas nos prières, mais que vous nous protégerez dans tous nos dangers.
Et protégez la sainte Eglise ! La sainte Eglise si tourmentée, si éprouvée, si persécutée, si accablée, si écrasée, et qui devrait périr mille fois, si elle n’avait pour elle les promesses de celui qui a bien voulu se faire votre Fils. Mais, malgré ces promesses, elle n’en est pas moins trop opprimée. Protégez-la donc, tout-puissant saint Joseph, et sauvez-la de nos jours, comme vous l‘avez sauvée dans ses premiers jours et les anciens temps.
C’est dans ces sentiments que nous vous disons avec Pie IX indulgenciant cette invocation (50 jours pour les associés du Culte Perpétuel), avec tous les associés du Culte Perpétuel,avec tous vos fidèles serviteurs qui poussent vers vous ce cri de leur détresse et de leur confiance : « Bon Saint Joseph, protégez-nous et protégez la Sainte Eglise ! »
Extrait du « Mois de Saint Joseph ou Vie de Saint Joseph d’après Anne-Catherine Emmerich » par C.F. Fouet. Saint Dizier, Paris, 1872
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