23 décembre 2008

La Passion corporelle de Jésus

IMG_1323

La Passion corporelle de Jésus

S'il est une légende ancrée dans les esprits, c'est celle de la dureté de cœur des chirurgiens : l'entraînement, n'est-ce pas, émousse les sensations et cette accoutumance, étayée par la nécessité d'un mal pour un bien, nous constitue dans un état de sereine insensibilité. Ceci est faux. Si nous nous raidissons contre l'émotion, qui ne doit ni paraître, ni, même extérieure, entraver l'acte chirurgical, comme le boxeur, d'instinct, contracte l'épigastre où il attend un coup de poing, la pitié en nous reste toujours vivante et s'affine même avec l'âge. Quand on s'est penché pendant des années sur la souffrance d'autrui, quand on y a goûté soi-même on est certes plus près de la compassion que de l'indifférence, parce que l'on connaît mieux la douleur, parce qu'on en sait mieux les causes et les effets. Aussi, lorsqu'un chirurgien a médité sur les souffrances de la Passion, quand il en a décomposé les temps et les circonstances physiologiques, quand il s'est appliqué à reconstituer méthodiquement toutes les étapes de ce martyre d'une nuit et d'un jour, il peut, mieux que le prédicateur le plus éloquent, mieux que le plus saint des ascètes (à part ceux qui en ont eu la directe vision, et ils en sont anéantis), compatir aux souffrances du Christ. Je vous assure que c'est abominable ; j'en suis venu pour ma part à ne plus oser y penser. C'est lâcheté sans aucun doute, mais j'estime qu'il faut avoir une vertu héroïque ou ne pas comprendre, qu'on doit être un saint ou un inconscient, pour faire un Chemin de Croix. Moi, je ne peux plus.


Et c'est pourtant ce Chemin de Croix qu'on me demande d'écrire; c'est ce que je ne veux pas refuser, parce que je suis sûr qu'il doit faire du bien. O bone et dulcissime Jesu, venez à mon aide. Vous qui les avez supportées, faites que je sache bien expliquer vos souffrances. Peut-être, en m'efforçant de rester objectif, en opposant à l'émotion mon « insensibilité » chirurgicale, peut-être pourrai-je arriver au bout. Lector amice, sub aliena potestate constitutus sum; si non possis portare modo, habe me excusatum. Si je sanglote avant la fin, hé bien, mon pauvre ami, fais comme moi sans honte ; c'est simplement que tu auras compris. Suis-moi donc: nous avons pour guides les Livres sacrés et le Saint Linceul, dont l'étude scientifique m'a démontré l'authenticité.

geth

La Passion, au vrai, commence à la Nativité, puisque Jésus dans Son omniscience divine, a toujours su, vu et voulu les souffrances qui attendaient Son humanité. Le premier sang versé pour nous le fut à la Circoncision, huit jours après Noël. On peut déjà imaginer ce que doit être pour un homme la prévision exacte de son martyre. En fait, c'est à Gethsémani que va commencer l'holocauste Jésus, ayant fait manger aux Siens Sa chair et boire Son sang, les entraîne à la nuit dans ce clos d'oliviers, dont ils ont l'habitude. Il les laisse camper près de l'entrée, emmène un peu plus loin Ses trois intimes et s'en écarte à un jet de pierre, pour se préparer en priant. Il sait que son heure est venue. Lui-même a envoyé le traître de Karioth : quod facis, fac citius. Il a hâte d'en finir et Il le veut. Mais comme Il a revêtu, en s'incarnant, cette forme d'esclave qu'est notre humanité, celle-ci se révolte et c'est toute la tragédie d'une lutte entre Sa Volonté et la nature. « Coepit pavere et taedere ».


Cette coupe qu'il lui faut boire, elle contient deux amertumes : Tout d'abord les péchés des hommes, qu'Il doit assumer, Lui le Juste, pour racheter Ses frères et c'est sans doute le plus dur ; une épreuve que nous ne pouvons pas imaginer, parce que les plus saints d'entre nous sont ceux qui le plus vivement sentent leur indignité et leur infamie. Peut-être comprenons nous mieux la prévision, la pré dégustation des tortures physiques, qu'Il subit déjà en pensée ; pourtant nous n'avons expérimenté que le frisson rétrospectif des souffrances passées. C'est quelque chose d'indicible. « Pater, si vis, transfer calicem istum a me ; verumtamen non mea voluntas sed tua fiat ». C'est bien Son Humanité qui parle... et qui se soumet, car Sa Divinité sait ce qu'Elle veut de toute éternité ; l'Homme est dans une impasse. Ses trois fidèles sont endormis, « prae tristitia », dit saint Luc. Pauvres hommes ! La lutte est épouvantable; un ange vient Le réconforter, mais en même temps, semble-t-il, recevoir son acceptation. « Et factus in agonia, prolixius orabat. Et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis decurrentis in terram ». C'est la sueur de sang, que certains exégètes rationalistes, subodorant quelque miracle, ont traitée de symbolique. Il est curieux de constater que de bêtises ces matérialistes modernes peuvent dire en matière scientifique. Remarquons que le seul évangéliste qui rapporte le fait est un médecin. Et notre vénéré confrère Luc, medicus carissimus, le fait avec la précision, la concision d'un bon clinicien. L'hémathidrose est un phénomène très rare mais bien décrit. Elle se produit, comme l'écrit le Docteur Bec, "dans des conditions tout à fait spéciales : une grande débilité physique, accompagnée d'un ébranlement moral, suite d'une émotion profonde, d'une grande peur" (et cœpitpavere et taedere). La frayeur, l'épouvante sont ici au maximum et l'ébranlement moral. C'est ce que Luc exprime par « agonia », qui en grec, signifie lutte et anxiété. « Et Sa sueur devint comme des gouttes de sang roulant jusque par terre. »


A quoi bon expliquer le phénomène ? Une vasodilatation intense des capillaires sous-cutanés, qui se rompent au contact des culs de sacs de millions de glandes sudoripares. Le sang se mêle à la sueur ; et c'est ce mélange qui perle et se rassemble et coule sur tout le corps, en quantité suffisante pour tomber sur le sol. Notez que cette hémorragie microscopique se produit dans toute la peau, qui est déjà ainsi lésée dans son ensemble, en quelque sorte endolorie, attendrie, pour tous les coups futurs. Mais passons. Voici Judas et les valets du temple, armés de glaives et de bâtons ; ils ont des lanternes et des cordes. Comme le procès criminel doit être jugé par le procurateur, ils ont obtenu un peloton de la cohorte romaine ; le tribun de l'Antonia les accompagne, afin d'assurer l'ordre. Le tour des Romains n'est pas encore venu ; ils sont là derrière ces fanatiques, distants et méprisants. Jésus se met en avant; un mot de Lui suffit à renverser Ses agresseurs, dernière manifestation de Son pouvoir, avant qu'Il s'abandonne à la Volonté divine. Le brave Pierre en a profité pour amputer l’oreille de Malchus et, miracle dernier, Jésus l'a ressoudée.


Mais la bande hurlante s'est ressaisie, a garrotté le Christ; elle L'emmène, sans aménité, on peut le croire, laissant filer les comparses. C'est l'abandon, tout au moins apparent. Jésus sait bien que Pierre et Jean Le suivent « a longe » et que Marc n'échappera à l'arrestation qu'en s'enfuyant tout nu, laissant aux gardes le drap qui l'enveloppait. Mais les voici devant Caïphe et le sanhédrin. Nous sommes en pleine nuit, il ne peut s'agir que d'une instruction préalable. Jésus refuse de répondre : Sa doctrine, Il l'a prêchée ouvertement. Caïphe est désorienté, furieux et l'un de ses gardes, traduisant ce dépit, lance un grand coup dans la figure du prévenu : « sic respondes pontifici ! » Ceci n'est rien ; Il faut attendre le matin, pour une audition de témoins. Jésus est entraîné hors de la salle ; dans la cour, Il voit Pierre qui L'a renié par trois fois et, d'un regard, Il lui pardonne. On Le traîne dans quelque salle basse et la canaille des valets va s'en donner à cœur joie contre ce faux prophète (dûment garrotté) qui tout à l'heure encore les a jetés à terre par on ne sait quelle sorcellerie. On l'accable de gifles et de coups de poing, on Lui crache au visage, et, puisqu'aussi bien il n'y a pas moyen de dormir on va s'amuser un peu. Un voile sur Sa tête, et chacun y va de son coup; les soufflets retentissent et ces brutes ont la main lourde : « Prophétise; dis-nous, Christ, qui t'a frappé ». Son corps est déjà tout endolori, Sa tête sonne comme une cloche, des vertiges Le prennent... et Il se tait. D'un mot, Il pourrait les anéantir « et non aperuit os suum ». Cette racaille finit par se lasser et Jésus attend.

Gesu_Redentu

Au petit jour, deuxième audience, défilé lamentable de faux témoins qui ne prouvent rien. Il faut qu'Il se condamne Lui-même, en affirmant Sa filiation divine et ce bas histrion de Caïphe proclame le blasphème en déchirant ses vêtements. Oh, rassurez-vous ; ces bons Juifs prudents et peu portés à la dépense ont une fente toute préparée et légèrement recousue, qui peut servir un grand nombre de fois. Il n'y a plus qu'à obtenir de Rome la condamnation à mort qu'elle s'est réservée dans ce pays de protectorat. Jésus, déjà harassé de fatigue et tout moulu de coups, va être traîné à l'autre bout de Jérusalem, dans la ville haute, à la tour Antonia, sorte de citadelle, d'où la majesté romaine assure l'ordre dans la cité trop effervescente à son gré. La gloire de Rome est représentée par un malheureux fonctionnaire, petit romain de la classe des chevaliers, parvenu trop heureux d'exercer ce commandement difficile sur un peuple fanatique, hostile et hypocrite, très soucieux de garder sa place, coincé entre les ordres impératifs de la métropole et les menées sournoises de ces Juifs souvent très bien en cour auprès des Empereurs. En résumé, c'est un pauvre homme. Il n'a qu'une religion, s'il en a une, celle de Divus Caesar. C'est le produit médiocre de la civilisation barbare, de la culture matérialiste. Mais comment trop lui en vouloir ? Il est ce qu'on l'a fait ; la vie d'un homme a pour lui peu de prix, surtout si ce n'est pas un citoyen romain. La pitié ne lui a pas été enseignée et il ne connaît qu'un devoir : maintenir l'ordre. (Ils se figurent à Rome que c'est commode !) Tous ces Juifs querelleurs, menteurs et superstitieux avec tous leurs tabous et leur manie de se laver pour rien, leur servilité et leur insolence et ces lâches dénonciations au Ministère contre un Administrateur colonial qui agit de son mieux, tout cela le dégoûte. Il les méprise... et il les craint. Jésus, tout au contraire (dans quel état pourtant paraît-Il devant lui, couvert d'ecchymoses et de crachats), Jésus lui en impose et lui est sympathique. Il va faire tout ce qu'il peut pour Le tirer des griffes de ces énergumènes « et quaerebat dimittere illum » : Jésus est Galiléen ; passons-Le à cette vieille canaille d'Hérode, qui joue les roitelets nègres et se prend pour quelqu'un. - Mais Jésus méprise ce renard et ne lui répond mot. - Le voici revenu, avec la tourbe qui hurle et ces insupportables pharisiens qui piaillent sur un ton suraigu en agitant leurs barbiches. Odieux ces palabres! Qu'ils restent dehors, puisqu'aussi bien ils se croiraient souillés, rien qu'à entrer dans un prétoire romain.

3211

Pontius interroge ce pauvre homme, qui l'intéresse. Et Jésus ne le méprise pas. Il a pitié de son ignorance invincible ; Il lui répond avec douceur et tente même de l'instruire. - Ah, s'il n'y avait que cette canaille qui hurle dehors, une bonne sortie de la cohorte ferait vite « cum gladio » taire les plus braillards et s'égailler les autres. Il n'y a pas si longtemps que j'ai fait massacrer dans le temple quelques Galiléens un peu trop excités. Oui, mais ces sanhédrites sournois commencent à insinuer que je ne suis pas l'ami de César, et avec ça il n'y a pas à plaisanter ? Et puis, mehercle; que signifient toutes ces histoires de Roi des Juifs, de Fils de Dieu et de Messie ? Si Pilate avait lu les Ecritures, peut-être serait-il un autre Nicodème, car Nicodème aussi est un lâche ; mais c'est la lâcheté qui va rompre les digues. Cet homme est bien un Juste : je le fais flageller (oh, logique romaine!) peut-être que ces brutes auront quelque pitié. Mais moi aussi je suis un lâche ; car si je m'attarde à plaider pour ce Quirite lamentable, ce n'est que pour retarder ma douleur. « Tunc ergo apprehendit Pilatus Jesum et flagellavit ». Les soldats de garde emmènent Jésus dans l'atrium du prétoire et appellent à la rescousse toute la cohorte ; les distractions sont rares dans ce pays d'occupation. Pourtant le Seigneur a souvent manifesté une spéciale sympathie pour les militaires. Comme Il a admiré la confiance et l'humilité de ce centurion et son affectueuse sollicitude pour son serviteur qu'Il a guéri ! (Rien ne m'ôtera la conviction que c'était l'ordonnance de ce lieutenant d'infanterie coloniale.) Et tout à l’heure, ce sera le centurion de garde au Calvaire qui, le premier, proclamera Sa divinité. La cohorte semble prise d'un délire collectif, que Pilate n'a pas prévu. Satan est là, qui leur souffle la haine. Mais il suffit. Plus de discours, rien que des coups et tâchons d'aller jusqu'au bout. Ils Le déshabillent et L'attachent tout nu à une colonne de l'atrium. Les bras sont tirés en l'air et les poignets liés en haut du fût.

jesus_20christ

La flagellation se fait avec des lanières multiples, sur lesquelles sont fixées, à quelque distance de l'extrémité libre, deux balles de plomb ou des osselets. (C'est du moins à ce genre de flagrum que répondent les stigmates du Saint Linceul). Le nombre de coups est fixe à 39 par la loi hébraïque. Mais les bourreaux sont des légionnaires déchaînés; ils Iront jusqu'aux limites de la syncope. En fait, les traces du Linceul sont innombrables et presque toutes sur la face postérieure; le devant du corps est contre la colonne. On les voit sur les épaules, sur le dos, les reins. Les coups de fouet descendent sur les cuisses, sur les mollets ; et là, l'extrémité des lanières, au delà des balles de plomb encercle le membre et vient marquer son sillon jusque sur la face antérieure. Les bourreaux sont deux, un de chaque côté, de taille inégale (tout ceci se déduit de l'orientation des traces du Linceul). Ils frappent à coups redoublés, avec un grand ahan. Aux premiers coups, les lanières laissent de longues traces livides, de longs bleus d'ecchymose  sous-cutanée. Rappelez-vous que la peau a été déjà modifiée, endolorie par les millions de petites hémorragies intradermiques de la sueur de sang. Les balles de plomb marquent davantage. Puis, la peau, infiltrée de sang, attendrie, se fend sous de nouveaux coups. Le sang jaillit ; des lambeaux se détachent et pendent. Toute la face postérieure n'est plus qu'une surface rouge, sur laquelle se détachent de grands sillons marbrés ; et, çà et là, partout, les plaies plus profondes dues aux balles de plomb. Ce sont ces plaies en forme d'haltère (les deux balles et la lanière entre les deux) qui s'imprimeront sur le Linceul. A chaque coup, le corps tressaille d'un soubresaut douloureux. Mais Il n'a pas ouvert la bouche et ce mutisme redouble la rage satanique de Ses bourreaux. Ce n'est plus la froide exécution d'un ordre judiciaire; c'est un déchaînement de démons. Le sang ruisselle des épaules jusqu'à terre (les larges dalles en sont couvertes) et s'éparpille en pluie, des fouets relevés, jusque sur les rouges chlamydes des spectateurs. Mais bientôt les forces du supplicié défaillent ; une sueur froide inonde Son front ; la tête Lui tourne d'un vertige nauséeux ; des frissons Lui courent le long de l'échine, Ses jambes se dérobent sous Lui et, s'Il n'était lié très haut par les poignets, Il s'écroulerait dans la mare de sang. - Son compte est bon, bien qu’on n'ait as compté. Après tout on n'a pas reçu l'ordre de le tuer sous le fouet. Laissons-Le se remettre ; on peut encore s'amuser.

HristosNimfios1

Ah ce grand nigaud prétend qu'il est roi, comme s'il en était sous les aigles romaines, et roi des Juifs encore, comble de ridicule ! Il a des ennuis avec ses sujets ; qu'à cela ne tienne, nous serons ses fidèles. Vite un manteau, un sceptre. On l'a assis sur une base de colonne (pas très solide la Majesté !) Une vieille chlamyde de légionnaire sur les épaules nues lui confère la pourpre royale ; un gros roseau dans sa main droite et ce serait tout à fait ça, s'il n'y manquait une couronne ; quelque chose d'original ! (Dans dix-neuf siècles, elle Le fera reconnaître, cette couronne, qu'aucun crucifié n'a portée). Dans un coin, un fagot de bourrées, de ces arbrisseaux qui foisonnent dans les buissons de la banlieue. C'est souple et ça porte de longues épines, beaucoup plus longues, plus aiguës et plus dures que l'acacia. On en tresse avec précaution, aïe, ça pique, une espèce de fond de panier, qu'on Lui applique sur le crâne. On en rabat les bords et avec un bandeau de joncs tordus, on enserre la tête entre la nuque et le front.

JC

Les épines pénètrent dans le cuir chevelu et cela saigne. (Nous savons, nous chirurgiens, combien cela saigne, un cuir chevelu.) Déjà le crâne est tout englué de caillots ; de longs ruisseaux de sang ont coulé sur le front, sous le bandeau de jonc, ont inondé les longs cheveux tout emmêlés et ont rempli la barbe. La comédie d'adoration a commencé. Chacun tour, de rôle vient fléchir le genou devant Lui, avec une affreuse grimace, suivie d'un grand soufflet : « Salut, roi des juifs! » Mais Lui ne répond rien. Sa pauvre figure ravagée et pâlie n'a pas un mouvement. Ce n'est vraiment pas drôle! Exaspérés, les fidèles sujets Lui crachent au visage. « Tu ne sais pas tenir ton sceptre, donne. » Et pan, un grand coup sur le chapeau d'épines, qui s'enfonce un peu plus ; et horions de pleuvoir. Je ne me rappelle plus ; serait-ce un de ces légionnaires, ou bien l'a-t-il reçu des gens du sanhédrin ? Mais je vois à présent qu'un grand coup de bâton donné obliquement a laissé sur la joue une horrible plaie contuse, et que Son grand nez sémitique, si noble, est déformé par une fracture de l'arête cartilagineuse. Le sang coule de ses narines dans ses moustaches. Assez, mon Dieu !


Mais voici que revient Pilate, un peu inquiet du prisonnier : qu'en auront fait ces brutes ? Aïe, ils l'ont bien arrangé. Si les Juifs ne sont pas contents ! Il va Le leur montrer au balcon du prétoire, dans Sa tenue royale, tout étonné lui-même de ressentir quelque pitié, pour cette loque humaine. Mais il a compté sans la haine : « Tolle, crucifige ! » Ah les démons ! Et l'argument terrible pour lui : « Il s'est fait roi ; si tu l'absous, tu n'es pas l'ami de César. » Alors, le lâche s'abandonne et se lave les mains. Mais, comme l'écrira saint Augustin, ce n'est pas toi, Pilate, qui L'as tué, mais bien les Juifs, avec leurs langues acérées ; et en comparaison d'eux, tu es toi-même beaucoup plus innocent. On lui arrache la chlamyde, qui a déjà collé à toutes ses blessures. Le sangs recoule; Il a un grand frisson. On lui remet Ses vêtements qui se teintent de rouge. La croix est prête, on la Lui charge sur les épaules. Par quel miracle d'énergie peut-Il rester debout sous ce fardeau? Ce n'est en réalité, pas toute la croix, mais seulement la grosse poutre horizontale, le patibulum,qu'Il doit porter jusqu'au Golgotha, mais cela pèse encore près de 50 kilos. Le pieu vertical, lestipes, est déjà planté au Calvaire.

cristo__2_

Et la marche commence, pieds nus dans des rues au sol raboteux semé de cailloux. Les soldats tirent sur les cordes qui Le lient, soucieux de savoir s'Il ira jusqu'au bout. Deux larrons Le suivent en même équipage. La route heureusement n'est pas très longue, environ 600 mètres et la colline du Calvaire est presqu'en dehors de la porte d'Ephraïm. Mais le trajet est très accidenté, même à l'intérieur des remparts. Jésus, péniblement, met un pied devant l'autre, et souvent Il s'effondre. Il tombe sur les genoux qui ne sont bientôt qu'une plaie. Les soldats d'escorte Le relèvent, sans trop Le brutaliser . ils sentent qu'Il pourrait très bien mourir en route. Et toujours cette poutre, en équilibre sur l'épaule, qui la meurtrit de ses aspérités et qui semble vouloir y pénétrer de force. Je sais ce que c'est : j'ai coltiné jadis, au 5e Génie, des traverses de chemin de fer, bien rabotées, et je connais cette sensation de pénétration dans une épaule ferme et saine. Mais Lui, Son épaule est couverte de plaies, qui se rouvrent et s'élargissent et se creusent à chaque pas. Il est épuisé. Sur Sa tunique sans couture une tache énorme de sang va toujours en s'élargissant et s'étend jusque sur le dos. Il tombe encore et cette fois de tout son long ; la poutre Lui échappe ; va-t-Il pouvoir Se relever ? Heureusement vient à passer un homme, retour des champs, ce Simon de Cyrène, qui tout comme ses fils Alexandre et Rufus, sera bientôt un bon chrétien. Les soldats le réquisitionnent pour porter cette poutre ; il ne demande pas mieux le brave homme ; oh, comme je le ferais bien ! Il n'y a plus finalement que la pente du Golgotha à gravir et, péniblement, on arrive au sommet. Jésus s'affaisse sur le sol et la crucifixion commence.

novos025vm5

Oh, ce n'est pas très compliqué les bourreaux savent leur métier. Il faut d'abord Le mettre à nu. Les vêtements de dessus c'est encore facile. Mais la tunique, intimement, est collée à Ses plaies, pour ainsi dire à tout son corps et ce dépouillement est simplement atroce. Avez-vous jamais enlevé un premier pansement mis sur une large plaie contuse et desséché sur elle ? Ou avez-vous subi vous-même cette épreuve qui nécessite parfois l'anesthésie générale ? Si oui, vous pouvez savoir un peu de quoi il s'agit. Chaque fil de laine est collé à la surface dénudée, et, quand on le soulève, il arrache une des innombrables terminaisons nerveuses mises à nu dans la plaie. Ces milliers de chocs douloureux s'additionnent et se multiplient, chacun augmentant pour la suite la sensibilité du système nerveux. Or, il ne s'agit pas ici d'une lésion locale, mais de presque toute la surface du corps, et surtout de ce dos lamentable. Les bourreaux pressés y vont rudement. Peut-être cela vaut-il mieux, mais comment cette douleur aiguë, atroce, n'entraîne-t-elle pas la syncope ? Comme il est évident que, d'un bout à l'autre, Il domine, Il dirige Sa Passion. Le sang ruisselle à nouveau. On L'étend sur le dos. Lui a-t-on laissé l'étroite ceinture que la pudeur des juifs conserve aux suppliciés ? J’avoue que je ne sais plus : cela a si peu d'importance ; dans tous les cas, en Son Linceul, Il sera nu. Les plaies de son dos, des cuisses et des mollets s'incrustent de poussière et de menus graviers. On l'a mis au pied du stipes, les épaules couchées sur le patibulum. Les bourreaux prennent les mesures. Un coup de tarière, pour amorcer les trous des clous, et l'horrible chose commence.

Picture35

Un aide allonge l’un des bras, la paume en haut. Le bourreau prend son clou (un long clou pointu et carré, qui, près de sa grosse tête, est large de huit millimètres), il le pique sur le poignet, dans ce pli antérieur, qu'il connaît d'expérience. Un seul coup de son gros marteau : le clou est déjà fiché dans le bois, où quelques panpans énergiques le fixent solidement. Jésus n'a pas crié, mais Son visage horriblement s'est contracté. Mais, surtout, j'ai vu au même instant Son pouce, d'un mouvement violent, impérieux, se mettre en opposition dans la paume : Son nerf médian a été touché. Mais, alors, je ressens ce qu'Il a éprouvé : une douleur indicible, fulgurante, qui s'est éparpillée dans Ses doigts, a jailli, comme un trait de feu, jusqu'à Son épaule et éclaté dans Son cerveau. C'est la douleur la plus insupportable qu'un homme puisse éprouver, celle que donne la blessure des gros troncs nerveux. Presque toujours elle entraîne la syncope et c'est heureux. Jésus n'a pas voulu perdre Sa connaissance. Encore, si le nerf était entièrement coupé. Mais non, j'en ai l'expérience, il n'est que partiellement détruit ; la plaie du tronc nerveux reste en contact avec ce clou, et sur lui, tout à l'heure, quand le corps sera suspendu, il sera fortement tendu comme une corde à violon sur son chevalet. Et il vibrera à chaque secousse, à chaque mouvement, réveillant la douleur horrible. Il en a pour trois heures. L'autre bras est tiré par l'aide ; les mêmes gestes se répètent, et les mêmes douleurs. Mais cette fois, songez-y bien, Il sait ce qui l'attend. Il est maintenant fixé sur le patibulum, qu'Il suit étroitement des deux épaules et des deux bras. Il a déjà forme de croix comme Il est grand! Allons, debout! Le bourreau et son aide empoignent les bouts de la poutre et redressent le condamné, assis d'abord et puis debout et puis, Le reculant, L'adossent au poteau. Mais c'est, hélas, en tiraillant sur Ses deux mains clouées (Oh, Ses médians!) D'un grand effort, à bout de bras, mais le stipes n'est pas très haut, rapidement, car c'est bien lourd, ils accrochent d'un geste adroit le patibulum en haut du stipes. A son sommet, deux clous fixent le titulus trilingue. Le corps tirant sur les bras, qui s'allongent obliques, s'est un peu affaissé. Les épaules blessées par les fouets et par le portement de croix ont raclé douloureusement le rude bois. La nuque, qui dominait le patibulum, l'a heurté en passant, pour s'arrêter en haut du pieu. Les pointes acérées du grand chapeau d'épines ont déchiré le crâne encore plus profond. Sa pauvre tête penche en avant, car l'épaisseur de Sa couronne l'empêche de reposer sur le bois; et chaque fois qu'Il la redresse, Il en réveille les piqûres. Le corps, pendant, n'est soutenu que par les clous plantés dans les deux carpes (oh, les médians!). Il pourrait tenir sans rien d'autre. Le corps ne se déplace pas en avant. Mais la règle est de fixer les pieds. Pour ce, pas besoin de console ; on fléchit les genoux, et l'on étend les pieds à plat sur le bois du stipes. Pourquoi, puisque c'est inutile, donner à faire au charpentier ? Ce n'est certes pas pour soulager la peine du crucifié. Le pied gauche à plat sur la croix. D'un seul coup (le marteau, le clou s'enfonce en son milieu (entre les deuxième et troisième métatarsiens). L'aide fléchit aussi l'autre genou et le bourreau ramenant le pied gauche devant le droit que l'aide tient à plat, d'un second coup, au même endroit, il perfore ce pied. Tout cela est facile, et puis à grands ahans, le clou est poussé dans le bois. Ici, merci mon Dieu, rien qu'une douleur bien banale, mais le supplice à peine a commencé. A deux hommes, tout le travail n'a guère duré plus de deux minutes et les plaies ont fort peu saigné. On s'affaire alors auprès des deux larrons ; pour ceux-là des cordes suffisent, et les trois gibets sont garnis face à la ville déicide.

2616034532_d68c818916_b

N'écoutons pas tous ces Juifs triomphants, qui insultent à Sa douleur. Il leur a déjà pardonné, car ils ne savent ce qu'ils font. Jésus, d'abord, s'est affaissé. Après tant de tortures, pour un corps épuisé, cette immobilité semble presque un repos, coïncidant avec une baisse de Son tonus vital. Mais Il a soif. Oh, il ne l'a pas encore dit ; avant de se coucher sur la poutre, Il a refusé la potion analgésique, vin mêlé de myrrhe et de fiel, que préparent les charitables femmes de Jérusalem. Sa souffrance Il la veut entière ; Il sait qu'Il la dominera. Il a soif. Oui, « Adhaesit lingua mea faucibus meis ». Il n'a rien bu ni rien mangé depuis hier au soir. Il est midi. Sa sueur de Gethsémani, toutes Ses fatigues, la grosse hémorragie du prétoire et les autres et même ce peu qui coule de ses plaies, tout cela Lui a soustrait une bonne partie de Sa masse sanguine. Il a soif. Ses traits sont tirés, Sa figure hâve est sillonnée de sang qui se coagule partout. Sa bouche est entr'ouverte et Sa lèvre inférieure déjà commence à pendre ? Un peu de salive coule dans Sa barbe, mêlée au sang issu de Son nez écrasé. Sa gorge est sèche et embrasée, mais Il ne peut plus déglutir. Il a soif. Dans cette face tuméfiée, toute sanglante et déformée, comment pourrait-on reconnaître le plus beau des enfants des hommes ? « Vermis sum et non homo ». Elle serait affreuse, si l'on n'y voyait pas malgré tout resplendir la majesté sereine du Dieu qui veut sauver Ses frères. Il a soif. Et tout à l'heure Il le dira, pour accomplir les Ecritures. Et un grand benêt de soldat, voilant sa compassion sous une raillerie, imbibant une éponge de sa posca acidulée, acetum, disent les Evangiles, la Lui tendra au bout d'un roseau. En boira-t-il seulement une goutte ? On a dit que le fait de boire détermine chez ces pauvres suppliciés une syncope mortelle. Comment, après avoir reçu l'éponge, pourra-t-il donc parler encore deux ou trois fois ? Non, non, Il mourra à Son heure. Il a soif.

1204048059

Et cela vient de commencer. Mais, au bout d'un moment, un phénomène étrange se produit. Les muscles de Ses bras se raidissent d'eux-mêmes, en une contracture, qui va s'accentuant ; Ses deltoïdes, Ses biceps sont tendus et saillants, Ses doigts s'incurvent en crochets. Des Crampes ! Vous avez tous, peu ou prou, senti cette douleur progressive et aiguë, dans un mollet, entre deux côtes, un peu partout. Il faut, toute affaire cessante, détendre en l'allongeant ce muscle contracté. Mais regardons ! Voici maintenant aux cuisses et aux jambes les mêmes saillies monstrueuses, rigides, et les orteils qui se recourbent. On dirait un blessé atteint de tétanos, en proie à ces horribles crises, que l'on ne peut pas oublier. C'est ce que nous appelons la tétanie, quand les crampes se généralisent ; et voici que c'est fait. Les muscles du ventre se raidissent en vagues figées ; puis les intercostaux, puis les muscles du cou et les muscles respiratoires. Son souffle peu à peu est devenu plus court, superficiel. Ses côtes, déjà soulevées par la traction des bras, se sont encore surélevées ; l'épigastre se creuse et aussi les salières au-dessus des clavicules. L'air entre en sifflant mais ne sort presque plus. Il respire tout en haut, inspire un peu, ne peut plus expirer. Il a soif d'air. (C'est comme un emphysémateux en pleine crise d'asthme.) Sa figure pâle a peu à peu rougi ; elle a passé au violet pourpre et puis au bleu. Il asphyxie. Ses poumons gorgés d'air ne peuvent plus se vider. Son front est couvert de sueur, Ses yeux exorbités chavirent. Quelle atroce douleur doit marteler son crâne ! Il va mourir. Hé bien, tant mieux. N'a-t-Il donc pas assez souffert ? Mais non, son heure n'est pas venue. Ni la soif ni l'hémorragie, ni l'asphyxie, ni la douleur n'auront raison du Dieu Sauveur et s'Il meurt avec ces symptômes, Il ne mourra vraiment que parce qu'Il le veut bien, « habens in potestate ponere animam suam et recipere eam ». Et c'est ainsi qu'Il ressuscitera. Alléluia ! Que se passe-t-il donc ? Lentement, d'un effort surhumain, Il a pris point d'appui sur le clou de Ses pieds, oui, sur Ses plaies. Les cous-de-pied et les genoux s'étendent peu à peu et le corps, par à coups remonte, soulageant la traction des bras (cette traction qui était de plus de 90 kilos sur chaque main.) Alors, voici que de lui-même, le phénomène diminue, la tétanie régresse, les muscles se détendent, tout au moins ceux de la poitrine. La respiration devient plus ample et redescend, les poumons se dégorgent et bientôt la figure a repris sa pâleur d'avant.

Pourquoi tout cet effort ? C'est qu'Il veut nous parler « Pater dimitte illis ». Oh oui, qu'Il nous pardonne, à nous qui sommes ses bourreaux. Mais au bout d'un instant, Son corps commence à redescendre... et la tétanie va reprendre. Et chaque fois qu'Il parlera (nous avons retenu au moins sept de ses phrases) et chaque fois qu'Il voudra respirer, il Lui faudra se redresser, pour retrouver Son souffle, en se tenant debout sur le clou de Ses pieds. Et chaque mouvement retentit dans Ses mains, en douleurs indicibles (oh, Ses médians!) C'est l'asphyxie périodique du malheureux qu'on étrangle et qu'on laisse reprendre vie, pour l'étouffer en plusieurs fois. A cette asphyxie Il ne petit échapper, pour un moment, qu'au prix de souffrances atroces et par un acte volontaire. Et cela va durer trois heures. Mais mourez donc, mon Dieu ! Je suis là au pied de la croix, avec Sa Mère et Jean et les femmes qui Le servaient. Le centurion, un peu à part, observe avec une attention déjà respectueuse Entre deux asphyxies, Il se dresse et Il parle : « Fils, voici votre Mère ». Oh oui, chère Maman, qui depuis ce jour-là nous avez adoptés! ? Un peu plus tard ce pauvre bougre de larron s'est fait ouvrir le paradis. Mais, quand donc mourrez-vous, Seigneur ! Je sais bien, Pâques vous attend et votre corps ne pourrira pas, comme les nôtres. Il est écrit: « Non dabis sanctum luum videre corruptionem ». Mais, mon pauvre Jésus (excusez le chirurgien), toutes vos plaies sont infectées ; elles le seraient d'ailleurs à moins. Je vois distinctement sur elles suinter une lymphe blonde, et transparente, qui se collecte au point déclive en une croutelle cireuse. Sur les plus anciennes déjà des fausses membranes se forment, qui sécrètent un seropus. Il est écrit aussi : « Putruerunt et corruptae sunt cicatrices meae ». Un essaim de mouches affreuses, de grosses mouches vert et bleu, comme on en voit aux abattoirs et aux charniers, tourbillonne autour de Son corps ; et brusquement elles s'abattent sur l'une ou l'autre plaie, pour en pomper le sue et y pondre leurs œufs. Elles s'acharnent au visage ; impossible de les chasser. Par bonheur, depuis un moment le ciel s'est obscurci, le soleil s'est caché ; il fait soudain très froid. Et ces filles de Béelzéboub ont peu à peu quitté la place. Bientôt trois heures. Enfin! Jésus lutte toujours. De temps en temps, Il se redresse. Toutes Ses douleurs, Sa soif, Ses crampes, l'asphyxie et les vibrations de Ses deux nerfs médians ne Lui ont pas arraché une plainte. Mais, si Ses amis sont bien là, Son Père, et c'est l'ultime épreuve, Son Père semble l'avoir abandonné. « Eli, Eli,lammasabachtani ? » Il sait maintenant qu'Il s'en va. Il crie « Consumatum est ». La coupe est vide, la tâche est faite. Puis, de nouveau se redressant et comme pour nous faire entendre qu'Il meurt de par Sa volonté « iterum clamans voce magna » : Mon Père, dit-Il, je remets mon âme entre Vos mains (habens in potestate ponere animam suam). Il est mort quand Il l'a voulu. Et qu'on ne me parle plus de théories physiologiques!

lwjas0146

« Laudato si Missignore per sora nostra morte corporale ! » Oh oui, Seigneur, soyez loué, pour avoir bien voulu mourir. Car nous n'en pouvions plus. Maintenant tout est bien. Dans un dernier soupir, Votre Tête vers moi, lentement, s'est penchée, droit devant Vous, Votre menton sur le sternum. Je vois à présent bien en face Votre visage détendu, rasséréné, que malgré tant d'affreux stigmates illumine la majesté très douce de Dieu qui est toujours là. Je me suis affalé à genoux devant Vous, baisant Vos pieds troués, où le sang coule encore, en se coagulant vers les pointes. La rigidité cadavérique Vous a saisi brutalement, comme le cerf forcé à la course. Vos jambes sont dures comme l'acier... et brûlantes. Quelle température inouïe Vous a donné cette tétanie? La terre a tremblé; que m'importe ? et le soleil s'est éclipsé. Joseph est allé réclamer Votre corps à Pilate, qui ne le refusera pas. Il hait ces Juifs, qui l'ont forcé à Vous tuer ; cet écriteau sur Votre Tête proclame bien haut sa rancune « Jésus, roi des Juifs », et crucifié comme un esclave ! Le centurion est allé faire son rapport, après Vous avoir, le brave homme, proclamé le vrai Fils de Dieu. Nous allons Vous descendre et ce sera facile, une fois les pieds décloués. Joseph et Nicodème décrocheront la poutre du stipes. Jean Votre bien aimé Vous portera les pieds; à deux autres, avec un drap tordu en corde nous soutiendrons Vos reins. Le linceul est prêt, sur la pierre ici tout près, face au sépulcre ; et là, tout à loisir, on déclouera Vos mains. Mais qui vient là? Ah oui, les Juifs ont dû demander à Pilate qu'on débarrasse la colline de ces gibets qui offensent la vue et souilleraient la fête de demain. Race de vipères qui filtrez le moucheron et déglutissez le chameau ! Des soldats brisent à grands coups de barre de fer les cuisses des larrons. Ils pendent maintenant lamentablement et, comme ils ne peuvent plus se soulever sur les cordes des jambes, la tétanie et l'asphyxie les auront bientôt achevés.

Num_riser0012__4_

Mais rien à faire ici pour vous! « Os non comminuetis ex eo ». Laissez-nous donc en paix ; ne voyez-vous pas qu'Il est mort? - Sans doute, disent-ils. Mais quelle idée a pris l'un d'eux ? D'un geste tragique et précis, il a levé la hampe de sa lance et, d'un seul coup oblique au côté droit, il l'enfonce profondément. Oh pourquoi ? « Et aussitôt, de la plaie est sorti du sang et de l'eau ». Jean l'a bien vu et moi aussi, et nous ne saurions mentir: un large flot de sang liquide et noir, qui a jailli sur le soldat et peu à peu coule en bavant sur la poitrine, en se coagulant par couches successives. Mais, en même temps, surtout visible sur les bords, a coulé un liquide clair et limpide comme de l'eau. Voyons, la plaie est au-dessous et en dehors du mamelon (5e espace), le coup oblique. C'est donc le sang de l'oreillette et l'eau sort de Son péricarde. Mais alors, mon pauvre Jésus, Votre cœur était tout, cette douleur angoissante et cruelle du cœur serré dans un étau. N'était-ce pas assez de ce que nous voyions? Est-ce pour que nous le sachions que cet homme a commis son agression bizarre ? Peut-être aussi les Juifs auraient-ils prétendu que Vous n'étiez pas mort mais évanoui ; Votre résurrection demandait donc ce témoignage. Merci, soldat, merci, Longin; tu mourras un jour en martyr chrétien. Et ; maintenant, lecteur, remercions Dieu, qui m'a donne la force d'écrire cela jusqu'au bout ; non pas sans larmes ! Toutes ces douleurs effroyables, que nous avons vécues en Lui, Il les a toute sa vie prévues, préméditées, voulues, dans Son Amour pour racheter toutes nos fautes. « Oblatus est quia ipse voluit ». Il a dirigé toute Sa Passion, sans éviter une torture ; en acceptant les conséquences physiologiques, mais sans être dominé par elles Il est mort quand et comme et parce qu'Il l'a voulu. Jésus est en agonie jusqu'à la fin des temps. Il est juste, il est bon de souffrir avec Lui et de Le remercier, quand Il nous envoie la douleur, de nous associer à la Sienne. Il nous faut achever, comme l'écrit Saint Paul, ce qui manque à la Passion du Christ, et, avec Marie, Sa Mère et notre Mère, accepter joyeusement, fraternellement notre Compassion. O Jésus, qui n'avez pas eu pitié de Vous-même, qui êtes Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur.


Laus Christo. Circoncision 1940. Docteur Pierre BARBET, Chirurgien de l'Hôpital Saint-Joseph de Paris


Méditation parue dans la Vie spirituelle de février 1940

dali_christ_of_st_john_of_the_cross

Téléchargez le texte de cette méditation (pdf) en cliquant ici

Posté par fmonvoisin à 15:40 - - Commentaires [1] - Permalien [#]
Tags : , , ,


28 septembre 2008

Le Rosaire de l'Enfant à naître

M_re_des_Enfants___na_tre

Le Rosaire de l'Enfant à naître

Ce chapelet est à dire comme un chapelet habituel, mais avec ces nouvelles prières là qui sont proposées :

«Céleste Reine, avec ce chapelet, nous relions tous les pécheurs et toutes les nations, à votre Coeur Immaculé . »

Ensuite, on fait le signe de Croix, puis la prière suivante :

«Père Céleste, en ce temps de crise mondiale, permettez à chaque âme de trouver la Paix et la sécurité, dans votre Divine Volonté . Donnez à chaque âme de comprendre, que Votre Volonté est le Saint Amour dans le moment présent. Père Bienveillant, éclairez chaque conscience pour qu'elle reconnaisse, quand elle ne suit pas votre Volonté. Accordez au monde la grâce de changer et le temps de le faire. Amen. »

«Divin Enfant Jésus, en priant ce rosaire, nous vous demandons d'enlever du coeur du monde, le désir de commettre le péché de l'avortement. Enlevez le voile de tromperie que Satan a placé sur les coeurs, qui décrivent la promiscuité comme une liberté et révèle l'esclavage du péché. »

Ensuite, le Credo, en remplaçant les invocations des dizaines, par :

«Ô Jésus, protégez et sauvez ces enfants à naître ! » et vous pouvez ajouter au "Je vous salue Marie, ...ceci : «Et Jésus présent dans cet enfant à naître, le fruit de vos entrailles est béni,...»

Renseignements et commande : 02 43 30 45 67

Texte extrait du site www.avemaria-corse.org

Posté par fmonvoisin à 13:47 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
Tags : , ,

22 mars 2008

la Mise au Tombeau de Jésus

XLa descente de Croix et la mise au tombeau

extraits des révélations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich

Descente de Croix

Pendant que la croix était délaissée, entourés seulement de quelques gardes, je vis cinq personnes qui étaient venues de Béthanie par la vallée, s'approcher du Calvaire, lever les yeux vers la croix et s'éloigner à pas furtifs : Je pense que c'étaient des disciples. Je rencontrai trois fois, dans les environs, deux hommes examinant et délibérant ; c'étaient Joseph 1 d'Arimathie et Nicodème. Une fois, c'était dans le voisinage et pendant le crucifiement (peut-être quand ils firent racheter des soldats les habits de Jésus) ; une autre fois, ils étaient là, regardant si le peuple s'écoulait, et ils allèrent au tombeau pour préparer quelque chose : puis ils revinrent du tombeau à la croix, regardant de tous côtés comme s'ils attendaient une occasion favorable. Ils firent ensuite leur plan pour descendre de la croix le corps du Sauveur, et ils s'en retournèrent à la ville.

Ils s'occupèrent là de transporter les objets nécessaires pour embaumer le corps ; leurs valets prirent avec eux quelques outils pour le détacher de la croix, et en outre deux échelles qu'ils trouvèrent dans une grange attenant à la maison de Nicodème. Chacune de ces échelles consistait simplement en une perche traversée de distance en distance par des morceaux de bois formant des échelons. Il y avait des crochets que l'on pouvait suspendre plus haut ou plus bas et qui servaient à fixer la position des échelles, et peut-être aussi à suspendre ce dont on pouvait avoir besoin pendant le travail.

La pieuse femme chez laquelle ils avaient acheté leurs aromates avait empaqueté proprement le toutjesuseddlcerasmerestat13 ensemble. Nicodème en avait acheté cent livres équivalant à trente-sept livres de notre poids, comme cela m'a été clairement expliqué plusieurs fois. Ils portaient une partie de ces aromates dans de petits barils d'écorce, suspendus au cou et tombant sur la poitrine. Dans un de ces barils était une poudre. Ils avaient quelques paquets d'herbes dans des sacs en parchemin ou en cuir. Joseph portait aussi une boite d'onguent, de je ne sais quelle substance, elle était rouge et entourée d'un cercle bleu ; enfin les valets devaient transporter sur un brancard des vases, des outres, des éponges, des outils. Ils prirent avec eux du feu dans une lanterne fermée. Les serviteurs sortiront de la ville avant leur maître, et par une autre porte, peut-être celle de Béthanie : puis ils se dirigèrent vers le Calvaire. En traversant la ville, ils passèrent devant la maison où la sainte Vierge et les autres femmes étaient revenues avec Jean afin d'y prendre différentes choses pour embaumer le corps de Jésus et d'où elles sortirent pour suivre les serviteurs à quelque distance. Il y avait environ cinq femmes, dont quelques-unes portaient, sous leurs manteaux. de gros paquets de toile. C'était la coutume parmi les femmes juives, quand elles sortaient le soir, ou pour vaquer en secret à quelque pieux devoir, de s'envelopper soigneusement dans un long drap d'une bonne aune de largeur. Elles commençaient par un bras et s'entortillaient le reste du corps si étroitement qu'à peine si elles pouvaient marcher. Je les ai vues ainsi enveloppées : ce drap revenait d'un bras à l'autre, et de plus il voilait la tête : aujourd'hui il avait pour moi quelque chose de frappant ; c'était un vêtement de deuil, Joseph et Nicodème avaient aussi des habits de deuil, des manches noires et une large ceinture. Leurs manteaux, qu'ils avaient tirés sur leurs têtes, étaient larges longs et d'un gris commun : ils leur servaient à cacher tout ce qu'ils emportaient avec eux. Ils se dirigèrent ainsi vers la porte qui conduisait au Calvaire.

Les rues étaient désertes et tranquilles : la terreur générale tenait chacun renfermé dans sa maison ; la plupart commençaient à se repentir, un petit nombre seulement observait les règles de la fête. Quand Joseph et Nicodème furent à la porte, ils la trouvèrent fermée, et tout autour le chemin et les rues garnis de soldats. C'étaient les mêmes que les Pharisiens avaient demandés vers deux heures, lorsqu'ils avaient craint une émeute, et qu'on n'avait pas encore relevés.

Joseph exhiba un ordre signé de Pilate de le laisser passer librement : les soldats ne demandaient pas mieux, mais ils expliquèrent qu'ils avaient déjà essayé plusieurs fois d'ouvrir la porte sans pouvoir en venir à bout ; que vraisemblablement pendant le tremblement de terre, la porte avait reçu une secousse et s'était forcée quelque part, et qu'à cause de cela, les archers charges de briser les jambes des crucifiés avaient été obligés de rentrer par une autre porte. Mais quand Joseph et Nicodème saisirent le verrou, la porte s'ouvrit comme d'elle-même, au grand étonnement de tous ceux qui étaient là.

Le temps était encore sombre et nébuleux quand ils arrivèrent au Calvaire : ils y trouvèrent les serviteurs qu'ils avaient envoyés devant eux, et les saintes femmes, qui pleuraient, assises vis-à-vis la croix. Cassius et plusieurs soldats, qui s'étaient convertis, se tenaient à une certaine distance, timides et respectueux. Joseph et Nicodème racontèrent à la sainte Vierge et à Jean tout ce qu'ils avaient fait pour sauver Jésus d'une mort ignominieuse, et ils apprirent d'eux comment ils étaient parvenus non sans peine, à empêcher que les os du Seigneur ne fussent rompus, et comment la prophétie s'était ainsi accomplie. Ils parlèrent aussi du coup de lance de Cassius. Aussitôt que le centurion Abénadar fut arrivé, ils commencèrent, dans la tristesse et le recueillement l'oeuvre pieuse de la descente de croix et de l'embaumement du corps sacré du Sauveur.

La sainte Vierge et Madeleine étaient assises au pied de la croix, à droite, entre la croix de Dismas et celle de Jésus : les autres femmes étaient occupées à préparer le linge, les aromates, eau, les éponges et les vases. Cassius s'approcha aussi et raconta à Abénadar le miracle de la guérison de ses yeux. Tous étaient émus, pleins de douleur et d'amour, mais en même temps silencieux et d'une gravité solennelle. Seulement, autant que la promptitude, et l'attention qu'exigeaient ces soins pieux pouvaient le permettre, on entendait çà et là des plaintes étouffées, de sourds gémissements. Madeleine surtout s'abandonnait tout entière à sa douleur, et rien ne pouvait l'en distraire, ni la présence des assistants, ni aucune autre considération.

Nicodème et Joseph placèrent les échelles derrière la croix, et montèrent avec un grand drap auquel étaient attachées trois longues courroies. Ils lièrent le corps de Jésus au-dessous des bras et des genoux, à l'arbre de la croix, et ils attachèrent ses bras aux branches transversales avec des linges placés au-dessous des mains. Alors ils détachèrent les clous, en les chassant par derrière avec des goupilles appuyées sur les pointes. Les mains de Jésus ne furent pas trop ébranlées par les secousses, et les clous tombèrent facilement des plaies, car celles-ci s'étaient agrandies par le poids du corps, et le corps, maintenant suspendu au moyen des draps, cessait de peser sur les clous. La partie inférieure du corps, qui, à la mort du Sauveur, s'était affaissée sur les genoux, reposait alors dans sa situation naturelle, soutenue par un drap qui était attache, par en haut, aux bras de la croix. Tandis que Joseph enlevait le clou gauche et laissait le bras gauche entouré de son lien tomber doucement sur le corps, Nicodème lia le bras droit de Jésus à celui de la croix, et aussi sa tête couronnée d'épines. qui s'était affaissée sur l'épaule droite : alors il enleva le clou droit, et, après avoir entouré de son lien le bras détaché, il le laissa tomber doucement sur le corps. En même temps le centurion Abénadar détachait avec effort le grand clou qui traversait les pieds. Cassius recueillit religieusement les clous et les déposa aux pieds de la sainte Vierge.quadretto

Alors Joseph et Nicodème placèrent des échelles sur le devant de la croix, presque droites et très près du corps : ils délièrent la courroie d'en haut, et la suspendirent à l'un des crochets qui étaient aux échelles : ils firent de même avec les deux courroies, et, les faisant passer de crochet en crochet, descendirent doucement le saint corps Jusque vis-à-vis le centurion, qui, monté sur un escabeau, le reçut dans ses bras, au-dessous des genoux, et le descendit avec lui, tandis que Joseph et Nicodème, soutenant le haut du corps, descendaient doucement l'échelle, s'arrêtant à chaque échelon, et prenant toute sorte de précautions, comme quand on porte le corps d'un ami chéri, grièvement blesse. C'est ainsi que le corps meurtri du Sauveur arriva jusqu'à terre.

C'était un spectacle singulièrement touchant : ils prenaient les mêmes ménagements, les mêmes précautions, que s'ils avaient craint de causer quelque douleur à Jésus. Ils reportaient sur ce corps tout l'amour, toute la vénération qu'ils avaient eux pour le saint des saints durant sa vie. Tous les assistants avaient les yeux fixés sur le corps du Seigneur et en suivaient tous les mouvements ; à chaque instant ils levaient les bras au ciel, versaient des larmes, et montraient par leurs gestes leur douleur et leur sollicitude. Cependant tous restaient dans le plus grand calme, et ceux qui travaillaient, saisis d'un respect involontaire, comme des gens qui prennent part à une sainte cérémonie, ne rompaient le silence que rarement et à demi voix pour s'avertir et s'entraider. Pendant que les coups .te marteau retentissaient, Marie, Madeleine et tous ceux qui avaient été présents au crucifiement, se sentaient le coeur déchiré. Le bruit de ces coups leur rappelait les souffrances de Jésus : ils tremblaient d'entendre encore le cri pénétrant de sa douleur, et, en même temps, ils s'affligeaient du silence de sa bouche divine, preuve trop certaine de sa mort. Quand le corps fut descendu, on l'enveloppa, depuis les genoux jusqu'aux hanches, et on le déposa dans les bras de sa mère, qu'elle tendait vers lut pleine de douleur et d'amour.XIV

Le corps de Jésus est embaumé

La sainte Vierge s'assit sur une couverture étendue par terre : son genou droit, un peu relevé, et son des étaient appuyés contre des manteaux roulés ensemble. On avait tout disposé pour rendre plus facile à cette mère épuisée de douleur les tristes devoirs qu'elle allait rendre au corps de son fils. La tête sacrée de Jésus était appuyée sur le genou de Marie : son corps était étendu sur un drap. La sainte Vierge était pénétrée de douleur et d'amour : elle tenait une dernière fois dans ses bras le corps de ce fils bien-aimé, auquel elle n'avait pu donner aucun témoignage d'amour pendant son long martyre : elle voyait l'horrible manière dont on avait défiguré ce très saint corps ; elle contemplait de prés ses blessure, elle couvrait de baisers ses joues sanglantes, pendant que Madeleine reposait son visage sur les pieds de Jésus.

Les hommes se retirèrent dans un petit enfoncement situé au sud-ouest du Calvaire, pour y préparer les objets nécessaires à l'embaumement. Cassius, avec quelques soldats qui s'étaient convertis au Seigneur, se tenait à une distance respectueuse. Tous les gens malintentionnés étaient retournes à la ville, et les soldats présents formaient seulement urne Barde de sûreté pour empêcher qu'on ne vint troubler les derniers honneurs rendus à Jésus. Quelques-uns même prêtaient humblement et respectueusement leur assistance lorsqu'on la leur demandait. Les saintes femmes donnaient les vases, les éponges, les linges, les onguents et les aromates, là où il était nécessaire : et, le reste du temps, se tenaient attentives à quelque distance. Parmi elles se trouvaient Marie de Cléophas, Salomé et Véronique. Madeleine était toujours occupée près du corps de Jésus : Quant à Marie d'Héli, soeur aînée de la sainte Vierge, femme d'un âge avancé, elle était assise sur le rebord de la plate-forme circulaire et regardait. Jean aidait continuellement la sainte Vierge, il servait de messager entre les hommes et les femmes, et prêtait assistance aux uns et aux autres. On avait pourvu à tout. Les femmes avaient prés d'elles des outres de cuir et un vase plein d'eau, placé sur un feu de charbon. Elles présentaient à Marie et à Madeleine, selon que celles-ci en avaient besoin, des vases pleins d'eau pure et des éponges, qu'elles exprimaient ensuite dans les outres de cuir. Je crois du moins que les objets ronds que je les vis ainsi presser dans leurs mains étaient des éponges.

La sainte Vierge conservait un courage admirable dans son inexprimable douleur. Elle ne pouvait pas laisser le corps son fils dans l'horrible état où l'avait mis son supplice, et c'est pourquoi elle commença avec une activité infatigable à le laver et à effacer la trace des outrages qu'il avait soufferts Elle retira avec les plus grandes précautions la couronne d'épines, en l'ouvrant par derrière et en coupant une à une les épines enfoncées dans la tête de Jésus, afin de ne pas élargir les plaies par le mouvement. On posa la couronne prés des clous ; alors Marie retira les épines restées dans les blessures avec un espèce de tenailles arrondies de couleur jaune (t), et les montra à ses amis avec tristesse. On plaça ces épines avec la couronne : toutefois quelques-unes peuvent avoir été conservées à part. On pouvait à peine reconnaître je visage du Seigneur tant il était défiguré par les plaies et le sang dont il était couvert. La barbe et les cheveux étaient collés ensemble. Marie lava la tête et je visage, et passa des éponges mouillées sur la chevelure pour enlever le sang desséché. A mesure qu'elle lavait, les horribles cruautés exercées sur Jésus se montraient plus distinctement, et il en naissait une compassion et une tendresse qui croissaient d'une blessure à l'autre. Elle lava les plaies de la tête, le sang qui remplissait les yeux, les narines et les oreilles avec une éponge et un petit linge étendu sur les doigts de sa main droite ; elle nettoya, de la même manière, sa bouche entrouverte, sa langue, ses dents et ses lèvres. Elle partagea ce qui restait de la chevelure du Sauveur en trois parties, une partie sur chaque temps, et l'autre sur le derrière de la tête, et lorsqu'elle eut démêlé les cheveux de devant, et qu'elle leur eut rendu leur poli, elle les fit passer derrière les oreilles.

Quand la tête fut nettoyée, la sainte Vierge la voila, après avoir baisé les joues de son fils. Elle s'occupa ensuite du cou, des épaules, de la poitrine, du des, des bras et des mains déchirées. Ce fut alors seulement qu'on put voir dans toute leur horreur les ravages opérés par tant d'affreux supplices. Tous les os de la poitrine, toutes les jointures des membres étaient disloqués et ne pouvaient plus se plier. L'épaule sur laquelle avait porté le poids de la croix avait été entamée par une affreuse blessure ; toute la partie supérieure du corps était couverte de meurtrissures et labourées par les coups de fouet. Prés de la mamelle gauche était une petite plaie par où était ressortie la pointe de la lance de Cassius, et dans le côté droit s'ouvrait la large blessure où était entrée cette lance qui avait traversé le coeur de part en part.Sindone1

Marie lava et nettoya toutes ces plaies, et Madeleine, à genoux, l'aidait de temps en temps, mais sans quitter les pieds de Jésus qu'elle baignait, pour la dernière fois, de larmes abondantes et qu'elle essuyait avec sa chevelure.

La tête, la poitrine et les pieds du Sauveur étaient lavés : le saint corps, d'un blanc bleuâtre, comme de la chair où il n'y a plus de sang, parsemé de taches brunes et de places rouges aux endroits où la peau avait été enlevée, reposait sur les genoux de Marie, qui couvrit d'un voile les parties lavées, et s'occupa d'embaumer toutes les blessures en commençant de nouveau par la tête. Les saintes femmes s'agenouillant vis-à-vis d'elle, lui présentaient tour à tour une boite où elle prenait entre le pouce et l'index de je ne sais quel baume ou onguent précieux dont elles remplissait et enduisait les blessures. Elle oignit aussi la chevelure : elle prit dans sa main gauche les mains de Jésus, les baisa avec respect, puis remplit de cet onguent ou de ces aromates les larges trous faits par les clous. Elle en remplit aussi les oreilles, les narines et la plaie du côté. Madeleine essuyait et embaumait les pieds du Seigneur : puis elle les arrosait encore de ses larmes et y appuyait souvent son visage.

On ne jetait pas l'eau dont on s'était servi, mais on la versait dans les outres de cuir où l'on exprimait les éponges. Je vis plusieurs fois Cassius ou d'autres soldats aller puiser de nouvelle eau à la fontaine de Gihon, qui était assez rapprochée pour qu'on pût la voir du jardin ou était le tombeau. Lorsque la sainte Vierge eut enduit d'onguent toutes les blessures, elle enveloppa la tête dans des linges, mais elle ne couvrit pas encore je visage. Elle ferma les yeux entrouverts de Jésus, et y laissa reposer quelque temps sa main. Elle ferma aussi la bouche, puis embrassa le saint corps de son fils, et laissa tomber son visage sur celui de Jésus. Madeleine, par respect, ne toucha pas de son visage la face de Jésus : elle se contenta de le faire reposer sur les pieds du Sauveur. Joseph et Nicodème attendaient depuis quelque temps, lorsque Jean s'approcha de la sainte Vierge, pour la prier de se séparer du corps de son fils, afin qu'on pût achever de l'embaumer, parce que le sabbat était proche. Marie embrassa encore une fois le corps et lui dit adieu dans les termes les plus touchants. Alors les hommes l'enlevèrent du sein de sa mère sur le drap où il était placé, et le portèrent à quelque distance. Marie, rendue à sa douleur que ses soins pieux avaient un instant soulagée, tomba, la tête voilée, dans les bras des saintes femmes. Madeleine comme si on eût voulu lui dérober son bien-aimé, se précipita quelques pas en avant, les bras étendus, puis revint vers la sainte Vierge. On porte le corps en un lieu plus bas que la cime du Golgotha ; il s'y trouvait dans un enfoncement une belle pierre unie. Les hommes avaient disposé cet endroit pour y embaumer le corps. Je vis d'abord un linge à mailles d'un travail assez semblable à celui de la dentelle. et qui me rappela le grand rideau brodé qu'on suspend entre le choeur et la nef pendant le carême. Lorsque dans mon enfance, je voyais suspendre ce rideau, je croyais toujours que c'était le drap que j'avais vu servir à l'ensevelissement du Sauveur. Il était probablement ainsi travaille à jour afin de laisser couler l'eau. Je vis encore un autre grand drap déployé. On plaça le corps du Sauveur sur la pièce d'étoffe à jour, et quelques-uns des hommes tinrent l'autre drap étendu au-dessus de lui. Nicodème et Joseph s'agenouillèrent, et sous cette couverture, enlevèrent le linge dont ils avaient entouré les reins du Sauveur lors de la descente de croix ; après quoi ils ôtèrent la ceinture que Jonadab, neveu de saint Joseph, avait apportée à Jésus avant le crucifiement. Ils passèrent ensuite des éponges sous ce drap, et lavèrent la partie inférieure du corps ainsi cachée à leurs regards : après quoi ils le soulevèrent à l'aide des linges placés en travers sous les reins et sous les genoux, et le lavèrent par derrière sans le retourner et en ne laissant toujours couvert du même drap. Ils le lavèrent ainsi jusqu'au moment où les éponges pressées ne rendirent plus qu'une eau claire et limpide.rosdef3

Ensuite, ils versèrent de l'eau de myrrhe sur tout le corps, et, le maniant avec respect, lui firent reprendre toute sa longueur, car il était resté dans la position où il était mort sur la croix, les reins et les genoux courbés. Ils placèrent ensuite sous ses hanches un drap d'une aune de large sur trois aunes de long, remplirent son giron de paquets d'herbes telles que j'en vois souvent sur les tables célestes, posées sur de petits plats d'or aux rebords bleus, et ils répandirent sur le tout une poudre que Nicodème avait apportée. Alors ils enveloppèrent la partie inférieure du corps et attachèrent fortement autour le drap qu'ils avaient placé au-dessus. Cela fait, ils oignirent les blessures des hanches, les couvrirent d'aromates, placèrent des paquets d'encens entre les jambes dans toute leur longueur, et les enveloppèrent de bas en haut dans ces aromates.

Alors Jean ramena près du corps la sainte Vierge et les autres saintes femmes. Marie s'agenouilla près de la tête de Jésus. posa au-dessous un linge très fin qu'elle avait reçu de la femme de Pilate, et quelle portait autour de son cou, sous son manteau ; puis, aidée des saintes femmes, elle plaça, des épaules aux joues, des paquets d'herbes, des aromates et de la poudre odoriférante ; puis elle attacha fortement ce linge autour de la tête et des épaules. Madeleine versa en outre un flacon de baume dans la plaie du côté, et les saintes femmes placèrent encore des herbes dans les mains et autour des pieds.

Alors les hommes remplirent encore d'aromates les aisselles et le creux de l'estomac : ils entourèrent tout le reste du corps, croisèrent sur son sein ses bras raidis, et serrèrent le grand drap blanc autour du corps jusqu'à la poitrine, de même qu'on emmaillote un enfant. Puis, ayant assujetti sous l'aisselle l'extrémité d'une large bandelette, ils la roulèrent autour de la tête et autour de tout le corps qui prit ainsi l'aspect d'une poupée emmaillotée. Enfin, ils placèrent le Sauveur sur le grand drap de six aunes qu'avait acheté Joseph d'Arimathie, et l'y enveloppèrent : il y était couché en diagonale ; un coin du drap était relevé des pieds à la poitrine l'autre revenait sur la tête et las épaules ; les deux antres étaient repliés autour du corps.untitled

Comme tous entouraient le corps de Jésus et s'agenouillaient autour de lui pour lui faire leurs adieux, un touchant miracle s'opéra à leurs yeux ; le corps sacré de Jésus, avec toutes ses blessures, apparut, représenté par une empreinte de couleur rouge et brune, sur le drap qui le couvrait, comme s'il avait voulu récompenser leurs soins et leur amour, et leur laisser son portrait à travers tous les voiles dont il était enveloppé. Ils embrassèrent le corps en pleurant et baisèrent avec respect sa merveilleuse empreinte. Leur étonnement fut si grand qu'ils ouvrirent le drap, et il s'accrut encore lorsqu'ils virent toutes les bandelettes qui liaient le corps blanches comme auparavant, et le drap supérieur ayant seul reçu cette miraculeuse image. Le côté du drap sur lequel le corps était couché avait reçu l'empreinte de la partie postérieure, le côté qui le recouvrait celle de la partie antérieure ; mais pour avoir cette dernière dans son ensemble, il fallait réunir deux coins du drap qui avaient été ramenés par-dessus le corps. Ce n'était pas l'empreinte de blessures saignantes, puisque tout le corps était enveloppé et couvert d'aromates ; c'était un portrait surnaturel, un témoignage de la divinité créatrice résidant toujours dans le corps de Jésus. J'ai vu beaucoup de choses relatives à l'histoire postérieure de ce linge, mais je ne saurais pas les mettre en ordre. Après la résurrection il resta avec les autres linges au pouvoir des amis de Jésus. Une fois je vis qu'on l'arrachait à quelqu'un qui le portait sous le bras ; il tomba deux fois aussi entre les mains des Juifs et fut honoré plus tard en divers lieux. Il y eut une fois une contestation à son sujet : pour y mettre fin, on le jeta dans le feu ; mais il s'envola miraculeusement hors des flammes, et alla tomber dans les mains d'un chrétien. Grâce à la prière de quelques saints personnages, on a obtenu trois empreintes tant de la partie postérieure que de la partie antérieure par la simple application d'autres linges. Ces répétitions, avant reçu de ce contact une consécration que l'Eglise entendait leur donner par là, ont opéré de grands miracles. J'ai vu l'original, un peu endommagé et déchiré en quelques endroits, honoré en Asie chez des chrétiens non catholiques. J'ai oublié le nom de la ville. qui est située dans un pays voisin de la patrie des trois rois. J'ai vu aussi, dans ces visions, des choses concernant Turin, la France, le pape Clément 1er l'empereur Tibère, qui mourut cinq ans après la mort du Sauveur : mais j'ai oublié tout cela.jesusematombeaustat14

La mise au tombeau

Les hommes placèrent le corps sur une civière de cuir qu'ils recouvrirent d'une couverture brune et à laquelle ils adaptèrent deux longs bâtons. Cela me rappela l'arche d'alliance. Nicodème et Joseph portaient sur leurs épaules les brancards antérieurs ; Abénadar et Jean, ceux de derrière. Ensuite venaient la sainte Vierge, Marie d'Héli, sa soeur aînée, Madeleine et Marie de Cléophas, puis les femmes qui s'étaient tenues assises à quelque distance, Véronique, Jeanne Chusa, Marie mère de Marc, Salomé, femme de Zébédée Marie Salomé, Salomé de Jérusalem, Suzanne et Anne, nièces de saint Joseph. Cassius et les soldats fermaient la marche. Les autres femmes, telles que Maroni de Naïm. Dina la Samaritaine et Mara la Suphanite étaient à Béthanie, auprès de Marthe et de Lazare. Deux soldats, avec des flambeaux, marchaient en avant ; car il fallait éclairer l'intérieur de la grotte du sépulcre. Ils marchèrent ainsi prés de sept minutes, se dirigeant à travers la vallée vers le jardin de Joseph d'Arimathie et chantant des psaumes sur un air doux et mélancolique. Je vis sur une hauteur, de l'autre côté, Jacques le Majeur, frère de Jean, qui les regardait passer, et qui retourna annoncer ce qu'il avait vu aux autres disciples cachés dans les cavernes.ic1

Le jardin est de forme irrégulière. Le rocher où le sépulcre est taillé est couvert de gazon et entouré d'une haie vive ; il y a encore devant l'entrée une barrière de perches transversales attachées à des pieux au moyen de chevilles de fer. Quelques palmiers s'élèvent devant l'entrée du jardin et devant celle du tombeau, qui est située dans l'angle à droite. La plupart des autres plantations consistent en buissons, en fleurs et en arbustes aromatiques. Le cortège s'arrêta à l'entrée du jardin ; on l'ouvrit en enlevant quelques pieux qui servirent ensuite de leviers pour rouler dans le caveau la pierre destinée à fermer le tombeau. Quand on fut devant le rocher, on ouvrit la civière, et on enleva le saint corps sur une longue planche, sous laquelle un drap était étendu transversalement. Nicodème et Joseph portaient les deux bouts de la planche, Jean et Abénadar ceux du drap. La grotte, qui était nouvellement creusée, avait été récemment nettoyée par les serviteurs de Nicodème qui y avaient brûlé des parfums ; l'intérieur en était propre et élégant ; il y avait même un ornement sculpte au haut des parois. La couche destinée à recevoir le corps était un peu plus large du côté de la tête que du côté opposé ; on y avait tracé en creux la forme d'un cadavre enveloppé de ses linceuls en laissant une petite élévation à la tête et aux pieds. Les saintes femmes s'assirent vis-à-vis l'entrée du caveau. Les quatre hommes y portèrent le corps du Seigneur, remplirent encore d'aromates une partie de la couche creusée pour le recevoir, et y étendirent un drap qui dépassait des deux côtés la couche sépulcrale, et sur lequel ils placèrent le corps. Ils lui témoignèrent encore leur amour par leurs larmes et leurs embrassements. et sortirent du caveau. Alors la sainte Vierge y entra ; elle s'assit du coté de la tète, et se pencha en pleurant sur le corps de son fils. Quand elle quitta la grotte, Madeleine s'y précipita ; elle avait cueilli dans le jardin des fleurs et des branches qu'elle jeta sur Jésus ; elle joignit les mains et embrassa en sanglotant les pieds de Jésus ; mais les hommes l'ayant avertie qu'ils voulaient fermer le tombeau. elle revint auprès des femmes. Ils relevèrent au-dessus du saint corps les bords du drap où il reposait, placèrent sur le tout la couverture de couleur brune, et fermèrent les battants de la porte, qui était d'un métal brunâtre, vraisemblablement en cuivre ou en bronze ; il y avait devant deux bâtons, l'un vertical, l'autre horizontal ce qui faisait l'effet d'une croix.

La grosse pierre destinée à fermer le tombeau, qui se trouvait encore devant l'entrée du caveau, avait à peu près la forme d'un coffre ou d'une pierre tombale ; elle était assez grande pour qu'un homme pût s'y étendre dans toute sa longueur ; elle était très pesante, et ce ne fut qu'avec les pieux enlevés à l'entrée du jardin que les hommes purent la rouler devant la porte du tombeau. La première entrée du caveau était fermée avec une porte faite de branches entrelacées. Tout ce qui fut fait dans l'intérieur de la grotte se fit à la lueur des flambeaux, parce que la lumière du jour n'y pénétrait pas. Pendant la mise au tombeau, je vis, dans le voisinage du jardin et du Calvaire errer plusieurs hommes à l'air triste et craintif. Je crois que c'étaient des disciples qui, sur le récit d'Abénadar, étaient venus des cavernes par la vallée et qui y retournèrent ensuite.

windowslivewritericonpaintingasaspiritualpath_7e37clip_image0061

20 mars 2008

La Sainte Cène

20256La Sainte Cène

d'après les révélations de la Bienheureuse Anne Catherine Emmerich

DERNIERE PAQUE

Jésus et les siens mangèrent l'agneau pascal dans le Cénacle, divisés en trois troupes de douze, dont chacun, était présidée par l'un d'eux, faisant l office de père de famille. Jésus prit son repas avec les douze apôtres dans la salle du Cénacle. Nathanaël le prit avec douze autres disciples dans l’une des salles latérales, douze autres avaient à leur tête Eliacim, fils de Cléophas et de Marie d’Héli, et frère de Marie de Cléophas : il avait été disciple de Jean Baptiste.

Trois agneaux furent immolés pour eux dans le Temple avec les cérémonies habituelles. Mais il y avait un quatrième agneau, qui fut immolé dans le Cénacle ; c'est celui-là que Jésus manges avec les apôtres. Judas ignora cette circonstance, parce qu'il était occupé de ses complots et n'était pas revenu lors de l'immolation de l'agneau : il vint très peu d'instants avant le repas. L’immolation de l'agneau destiné à Jésus et aux apôtres fut singulièrement touchante : elle eut lieu dans le vestibule du Cénacle avec le concours d'un fils de Siméon, qui était Lévite. Les apôtres et les disciples étaient là, chantant le ils. psaume. Jésus parla d'une nouvelle époque qui commençait ; il dit que le sacrifice de Moïse et la figure de l'agneau pascal allaient trouver leur accomplissement : mais que, pour cette raison, l’agneau devait être immolé comme il l’avait été autrefois en Egypte, et qu'ils allaient sortir réellement de la maison de servitude.

Les vases et les instruments nécessaires furent apprêtés, an amena un beau petit agneau, orné d'une couronne qui fut envoyée à la sainte Vierge dans le lieu où elle se tenait avec les saintes femmes. L’agneau était attaché le des contre une planche par le milieu du corps, et il me rappela Jésus lié à la colonne et flagellé. Le fils de Siméon tenait la tête de l'agneau : Jésus le piqua au cou avec la pointe d’un couteau qu'il donna au fils de Siméon pour achever l'agneau. Jésus paraissait éprouver de la répugnance à le blesser ; il le fit rapidement, mais avec beaucoup de gravité. Le sang fut recueilli dans un bassin et on apporta une branche d’hysope, que Jésus trempa dans le sang. Ensuite il alla à la porte de la salle, en peignit de sang les deux poteaux et la serrure, et fixa au-dessus de la porte la branche teinte de sang. Il lit ensuite une instruction, et dit, entre autres choses, que l'ange exterminateur passerait outre, qu’ils devaient adorer en ce lieu sans crainte et sans inquiétude lorsqu'il aurait été immolé, lui, le véritable agneau pascal ; qu'un nouveau temps et un nouveau sacrifice allaient commencer, qui dureraient jusqu'à la fin du monde.

Ils se rendirent ensuite au bout de la salle, près du foyer où avait été autrefois l'arche d'alliance : il y avait déjà du feu. Jésus versa le sang sur ce foyer. et le consacra comme autel. Le reste du sang et la graisse furent jetés dans le feu sous l’autel. Jésus, suivi de ses apôtres, fit ensuite le tour du Cénacle en chantant des psaumes, et consacra en lui un nouveau Temple. Toutes les portes étaient fermées pendant ce temps. Cependant le fils de Siméon avait entièrement préparé l’agneau. Il l'avait passé dans un pieu : les jambes de devant étaient sur un morceau de bois placé en travers : celles de derrière étaient étendues le long du pieu. Hélas ! il ressemblait a Jésus sur la croix, et il fut mis dans le fourneau pour être rôti avec les trois autres agneaux apportés du temple.

Les agneaux de Pâque des Juifs étaient tous immolés dans le vestibule du Temple, et cela en trois endroits : pour les personnes de distinction, pour les petites gens et pour les étrangers (1). L'agneau pascal de Jésus ne fut pas immole dans le Temple : tout le reste fut rigoureusement conforme a la loi. Jésus tint plus tard un discours à ce sujet, il dit que l'agneau était simplement une figure, que lui-même devait être, le lendemain, l'agneau pascal, et d'autres choses que j'ai oubliées.

Lorsque Jésus eut ainsi enseigné sur l'agneau pascal et sa signification, le temps étant venu et Judas étant de retour, on prépara les tables. Les convives mirent les habits de voyage qui se trouvaient dans le vestibule, d'autres chaussures, une robe blanche semblable à une chemise, et un manteau, court par devant et plus long par derrière ; ils relevèrent leurs habits jusqu'à la ceinture, et ils avaient aussi de larges manches retroussées. Chaque troupe alla à la table qui lui était réservée : les deux troupes de disciples dans les salles latérales, le Seigneur et les apôtres dans la salle du Cénacle. Ils prirent des bâtons à la main. et ils se rendirent deux par deux à la table, où ils se tinrent debout à leurs places, appuyant les bâtons à leurs bras et les mains élevées en l'air. Mais Jésus, qui se tenait au milieu de la table, avait reçu du majordome deux petits bâtons un peu recourbés par en haut, semblables à de courtes houlettes de berger. Il y avait à l'un des côtés un appendice formant une fourche, comme une branche coupée. Le Seigneur les mit dans sa ceinture de manière à ce qu'ils se croisassent sur sa poitrine, et en priant il appuya ses bras étendus en haut sur l'appendice fourchu. Dans cette attitude, ses mouvements avaient quelque chose de singulièrement touchant : il semblait que la croix dont il voulait bientôt prendre le poids sur ses épaules dût auparavant leur servir d'appui. Ils chantèrent ainsi : " Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël " ! ou " Loué soit le Seigneur ", etc. Quand la prière fut finie, Jésus donna un des bâtons à Pierre et l'autre à Jean. Ils les mirent de côté ou les firent passer de main en main parmi les saints apôtres. Je ils m'en souviens plus très exactement.

La table était étroite et assez haute pour dépasser d'un demi pied les genoux d'un homme debout ; sa forme était celle d'un fer à cheval ; vis-à-vis de Jésus, à l'intérieur du demi cercle, était une place libre pour servir les mets. Autant que je puis m'en souvenir, à la droite de Jésus étaient Jean, Jacques le Majeur et Jacques le Mineur ; au bout de la table, à droite, Barthélémy ; puis, en revenant à l'intérieur, Thomas et Judas Iscariote. A la gauche, Simon, et prés de celui-ci, en revenant, Matthieu et Philippe. Au milieu de la table était l'agneau pascal, dans un plat. Sa tête reposait sur les pieds de devant, mis en croix ; les pieds de derrière étaient étendus, le bord du plat était couvert d'ail. A côté se trouvait un plat avec le rôti de Pâque, puis une assiette avec des légumes verts serrés debout les uns contre les autres, et une seconds assiette, où se trouvaient de petits faisceaux d'herbes amères, semblables à des herbes aromatiques ; puis, encore devant Jésus, un plat avec d'autres herbes d'un vert jaunâtre, et un autre avec une sauce ou breuvage de couleur brune. Les convives avaient devant eux des pains ronds en guise d'assiettes ; ils se servaient de couteaux d'ivoire.

Après la prière, le majordome plaça devant Jésus, sur le table, le couteau pour découper l'agneau. Il mit une coupe de vin devant le Seigneur, et remplit six coupes, dont chacune se trouvait entre les deux apôtres. Jésus bénit le vin et le but ; les apôtres buvaient deux dans la même coupe. Le Seigneur découpa l'agneau ; les apôtres présentèrent tour à tour leurs gâteaux ronds et reçurent chacun leur part. Ils la mangèrent très vite, en détachant la chair des os au moyen de leurs couteaux d'ivoire ; les ossements furent ensuite brûlés. Ils mangèrent très vite aussi de l’ail et des herbes vertes qu'ils trempaient dans la sauce. Ils firent tout cela debout, s'appuyant seulement un peu sur le dossier de leurs sièges. Jésus rompit un des pains azymes et en recouvrit une partie : il distribua le reste. Ils mangèrent ensuite aussi leurs gâteaux. On apporta encore une coupe de vin mais Jésus n'en but point : Prenez ce vin, dit-il, et partagez-le entre nous ; car je ne boirai plu, de vin jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu. Lorsqu'us eurent bu, ils chantèrent, puis Jésus pria ou enseigna, et on se lava encore les mains. Alors ils se placèrent sur leurs sièges. Tout ce qui précède s'était fait très vite, les convives restant debout. Seulement vers la fin ils s'étaient un peu appuyés sur les sièges.

Le Seigneur découpa encore un agneau, qui fut porté au. : saintes femmes dans l'un des bâtiments de la cour où elles prenaient leur repas. Les apôtres mangèrent encore des légumes et de la laitue avec la sauce. Jésus était extraordinairement recueilli et serein : je ne l'avais jamais vu ainsi. Il dit aux apôtres d'oublier tout ce qu'ils pouvaient avoir de soucis. La sainte Vierge aussi, à la table des femmes, était pleine de sérénité. Lorsque les autres femmes venaient à elle et la tiraient par son voile pour lui parler, elle se retournait avec une simplicité qui me touchait profondément.

Au commencement, Jésus s'entretint très affectueusement avec ses apôtres, puis il devint sérieux et mélancolique. “ Un de vous me trahira. dit-il, un de vous dont la main est avec moi à cette table ”. Or, Jésus servait de la laitue, dont il n'y avait qu'un plat, à ceux qui étaient de son côté, et il avait chargé Judas, qui était à peu près en face de lui, de la distribuer de l'autre côté. Lorsque Jésus parla d'un traître, ce qui effraya beaucoup les apôtres, et dit : “ un homme dont la main est à la même table ou au même plat que moi ”,  cela signifiait : “  un des douze qui mangent et qui boivent avec moi, un de ceux avec lesquels je partage mon pain ”. Il ne désigna donc pas clairement Judas aux autres, car mettre la main au même plat était une expression indiquant les relations les plus amicales et les plus intimes. Il voulait pourtant donner un avertissement à Judas, qui, en ce moment même, mettait réellement la main dans le même plat que le Sauveur, pour distribuer de la laitue. Jésus dit encore : “ Le Fis de l'homme s’en va, comme il est écrit de lui ; mais malheur à l'homme par qui le Fils de l'homme sera livré : il vaudrait mieux pour lui n'être jamais né. ”

Les apôtres étaient tout troublés et lui demandaient tour à tour : “ Seigneur, est-ce moi ” ? car tous savaient bien qu'ils ne comprenaient pas entièrement ses paroles. Pierre se pencha vers Jean par derrière Jésus, et lui fit signe de demander au Seigneur qui c'était ; car, ayant reçu souvent des reproches de Jésus, il tremblait qu'il n'eût voulu le désigner. Or, Jean était à la droits de Jésus et comme tous, s'appuyant sur le bras gauche, mangeaient de la main droite, sa tête était prés de la poitrine de Jésus. Il se pencha donc sur son sein et lui dit : “ Seigneur, qui est-ce ? Alors il fut averti que Jean avait Judas en vue. Je ne vis pas Jésus prononcer ces mots : “ Celui auquel je donne le morceau de pain que j'ai trempé ” ; je ne sais pas s'il le dit tout bas, mais Jean en eut connaissance lorsque Jésus trempa le morceau de pain entouré de laitue, et le présenta affectueusement à Judas, qui demanda aussi : “  Seigneur, est-ce moi ” ? Jésus le regarda avec amour et lui fit une réponse conçue en termes généraux. C'était, chez les Juifs, un signe d'amitié et de confiance. Jésus le fit avec une affection cordiale, pour avertir Judas sans le dénoncer aux autres. Mais celui-ci était intérieurement plein de rage. Je vis, pendant tout le repas, une petite figure hideuse assise à ses pieds, et qui montait quelquefois jusqu'à son coeur. Je ne vis pas Jean redire à Pierre ce qu’on avait appris de Jésus ; mais il le tranquillisa d'un regard.

LE LAVEMENT DES PIEDS20256AI

ils se levèrent de table, et pendant qu'ils arrangeaient leurs vêtements, comme us avaient coutume de le faire pour la prière solennelle, le majordome entra avec deux serviteurs pour desservir, enlever la table du milieu des sièges qui l'environnaient et la mettre de côté. Quand cela fut fait, il reçut de Jésus l'ordre de faire porter de l'eau dans le vestibule, et il sortit de la salle avec les serviteurs. Alors Jésus, debout au milieu des apôtres, leur parla quelque temps d'un ton solennel. Mais j'ai vu et entendu tant de choses jusqu'à ce moment, qu'il ne m'est pas possible de rapporter avec certitude le contenu de son discours ; je me souviens qu'il parla de son royaume, de son retour vers son père, ajoutant qu'auparavant il leur laisserait tout ce qu'il possédait, etc. Il enseigna aussi sur la pénitence, l'examen et la confession des fautes, le repentir et la justification. Je sentis que cette instruction se rapportait au lavement des pieds, et je vis aussi que tous reconnaissaient leurs péchés e. s'en repentaient, à l'exception de Judas. Ce discours fut long et solennel. Lorsqu'il fut terminé, Jésus envoya Jean et Jacques le Mineur chercher l'eau préparée dans le vestibule, et dit aux apôtres de ranger les sièges en demi cercle. Il alla lui-même dans le vestibule, déposa son manteau, se ceignit et mit un linge autour de son corps. Pendant ce temps, les apôtres échangèrent quelques paroles, se demandant quel serait le premier parmi eux ; car le Seigneur leur avait annoncé expressément qu'il allait les quitter et que son royaume était proche, et l'opinion se fortifiait de nouveau chez eux qu'il avait une arrière-pensée secrète, et qu'il voulait parler d'un triomphe terrestre qui éclaterait au dernier moment.

Jésus étant dans le vestibule, fit prendre à Jean un bassin et à Jacques une outre pleine d'eau ; puis, le Seigneur ayant versé de l'eau de cette outre dans le bassin, ordonna aux disciples de le suivre dans la salle où le majordome avait placé un autre bassin vide plus grand que le premier. Jésus, entrant d'une manière si humble, reprocha aux apôtres, en peu de mots, la discussion qui s'était élevée entre eux ; il leur dit, entre autres choses, qu'il était lui-même leur serviteur et qu'ils devaient s'asseoir pour qu'il leur lavât les pieds. Ils s’assirent donc dans le même ordre que celui où ils étaient placés à la table, les sièges étant ranges en demi cercle. Jésus allait de l'un à l'autre, et leur versait sur les pieds, avec la main, de l'eau du bassin que tenait Jean ; il prenait ensuite l'extrémité du linge qui le ceignait, et il les essuyait. Jean vidait chaque fois l'eau dont on s'était servi dans le bassin placé au milieu de la salle, et revenait près du Seigneur avec son bassin. Alors Jésus faisait, de nouveau, couler l'eau de l'outre que portait Jacques dans le bassin qui était sous les pieds des apôtres et les essuyait encore. Le Seigneur qui s'était montré singulièrement affectueux pendant tout le repas pascal s'acquitta aussi de ces humbles fonctions avec l’amour le plus touchant. Il ne fit pas cela comme une pure cérémonie, mais comme un acte par lequel s'exprimait la charité la plus cordiale.

Lorsqu'il vint à Pierre, celui-ci voulut l'arrêter par humilité et lui dit : “ Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds ” ! Le Seigneur lui répondit : “ Tu ne sais pas maintenant ce que je fais, mais tu le sauras par la suite ”. Il me sembla qu'il lui disait en particulier : “  Simon, tu as mérité d'apprendre de mon père qui je suis, d'où je viens et où je vais ; tu l'as seul expressément confessé : c'est pourquoi je bâtirai sur toi mon Eglise, et les portes de  l'enfer ne prévaudront point contre elle.. Ma force doit rester prés de tes successeurs jusqu'à la fin du monde ”. Jésus le montra aux autres apôtres, et leur dit que lorsqu'il n'y serait plus, Pierre devait remplir sa place auprès d'eux. Pierre lui dit : “ Vous ne me laverez jamais les pieds ”. Le Seigneur lui répondit : “ Si je ne te lave pas, tu n'auras  point de part avec moi ”. Alors Pierre lui dit : “ Seigneur, lavez-moi non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête ”. Et Jésus lui répondit : “ Celui qui a déjà été lavé n'a plus besoin que de se laver les pieds : il est pur dans tout le reste. Pour vous aussi vous êtes . purs ; mais non pas tous ”. Il désignait Judas par ces paroles. Il avait parlé du lavement des pieds comme d'une purification des fautes journalières, parce que les pieds, sans cesse en contact avec la terre, s'y salissent incessamment si l'on manque de vigilance. Ce lavement des pieds fut spirituel et comme une espèce d'absolution. Pierre, dans son zèle, n'y vit qu'un abaissement trop grand de son maître : il ne savait pas que Jésus, pour le sauver, s'abaisserait le lendemain jusqu'à la mort ignominieuse de la croix.

Lorsque Jésus lava les pieds à Judas, ce fut de la manière la plus touchante et la plus affectueuse : il approcha son visage de ses pieds ; il lui dit tout bas qu'il devait rentrer en lui-même, que depuis un an il était traître et infidèle. Judas semblait ne vouloir pas s'en apercevoir, et adressait la parole à Jean ; Pierre s'en irrita et lui dit : “ Judas, le Maître te parle ” ! Alors Judas dit à Jésus quelque chose de vague, d’évasif, comme : “ Seigneur, à Dieu ne plaise ” ! Les autres n'avaient point remarqué que Jésus s'entretint avec Judas, car il parlait assez bas pour n'être pas entendu d’eux : d’ailleurs ils étaient occupés à remettre leurs chaussures. Rien de toute la passion n'affligea aussi profondément le Sauveur que la trahison de Judas. Jésus lava encore les pieds de Jean et de Jacques. Jacques s'assit et Pierre tint l'outre : puis Jean s'assit et Jacques tint le bassin. Il enseigna ensuite sur l'humilité : il leur dit que celui qui servait les autres était le plus grand de tous, et qu'ils devaient dorénavant se laver humblement les pieds les uns aux autres ; il dit encore, touchant leur discussion sur la prééminence, plusieurs choses qui se trouvent dans l’Evangile : après quoi il remit ses habits. Les apôtres déployèrent leurs vêtements qu'ils avaient relevés pour manger l'agneau pascal.

20256YINSTITUTION DE LA SAINTE EUCHARISTIE

Sur l'ordre du Seigneur, le majordome avait de nouveau tressé la table, qu'il avait quelque peu exhaussée ; il la couvrit d'un tapis sur lequel il étendit une couverture rouge, et par-dessus celle-ci une couverture blanche ouvrée à jour. Ayant ensuite replacé la table au milieu de la salle, il mit dessous une urne pleine d'eau et une autre pleine de vin. Pierre et Jean allèrent dans la partie de la salle où se trouvait le foyer de l'agneau pascal pour y prendre le calice qu'ils avaient apporté de chez Séraphia, et qui était dans son enveloppe. Ils le portèrent entre eux deux comme s’ils eussent porté un tabernacle, et le placèrent sur la table devant Jésus. n’y avait là une assiette ovale avec trois pains azymes blancs et minces, qui étaient rayés de lignes régulières ; il y avait trois de ces lignes dans la largeur, et chaque pain était à peu près une fois plus long que large. Ces pains, où Jésus avait déjà fait de légères incisions pour les rompre plus facilement. turent placés sous un linge auprès au demi pain déjà mis de côté par Jésus lors du repas pascal : il y avait aussi un vase d'eau et de vin, et trots boites, l'une d'huile épaisse, l'autre d'huile liquide, et la troisième vide avec une cuiller à spatule.

Dès les temps anciens, on avait coutume de partager le pain et de boire au même calice à la fin du repas c'était un signe de fraternité et d'amour usité pour souhaiter la bienvenue et pour prendre congé ; je pense qu'il doit y avoir quelque chose à ce sujet dans l'Ecriture sainte. Jésus, aujourd'hui, éleva à la dignité du plus saint des sacrements cet usage qui n'avait été jusqu'alors qu'un rite symbolique et figuratif. Ceci fut un des griefs portés devant Caiphe par suite de la trahison de Judas : Jésus fut accusé d'avoir ajouté aux cérémonies de la Pâque quelque chose de nouveau : mais Nicodème prouva par les Ecritures que c'était un ancien usage. Jésus était placé entre Pierre et Jean : les portes étaient fermées, tout se faisait avec mystère et solennité. Lorsque le calice fut tiré de son enveloppe, Jésus pria et parla très solennellement. Je vis Jésus leur expliquer la Cène et toute la cérémonie : cela me fit l'effet d'un prêtre qui enseignerait aux autres à dire la sainte Messe.

Il retira du plateau sur lequel se trouvaient les vases une tablette à coulisse, prit un linge blanc qui couvrait le calice et l'étendit sur le plateau et la tablette. Je le vis ensuite ôter de dessus le calice une plaque ronde qu'il plaça sur cette même tablette. Puis il retira les pains azymes de dessous le linge qui les couvrait, et les mit devant lui sur cette plaque ou patène. Ces pains, qui avaient la forme d'un carré oblong, dépassaient des deux cotés la patène, dont les bords cependant étaient visibles dans le sens de la largeur Ensuite il rapprocha de lui le calice, en retira un vase plus petit qui s'y trouvait, et plaça à droite et à gauche les six petits verres dont il était entouré. Alors il bénit le pain, et aussi les huiles, à ce que je crois : il éleva dans ses deux mains la patène avec les pains azymes, leva les yeux, pria, offrit, remit de nouveau la patène sur la table et la recouvrit. Il prit ensuite le calice, y fit verser le vin par Pierre, et l'eau qu'il bénit auparavant, par Jean, et y ajouta encore un peu d'eau qu'il versa dans une petite cuiller : alors il bénit le calice, l'éleva en pliant, en fit l'offrande et le replaça sur la table.

Jean et Pierre lui versèrent de l'eau sur les mains au-dessus de l'assiette où les pains azymes avaient été placés précédemment : il prit avec la cuiller, tirée du pied du calice, un peu de l'eau qui avait été versée sur ses mains, et qu'il répandit sur les leurs ; puis l'assiette passa autour de la table, et tous s'y lavèrent les mains. Je ne me souviens pas si tel fut l'ordre exact des cérémonies : ce que je sais, c'est que tout me rappela d'une manière frappante le saint sacrifice de la Messe et me toucha profondément. Cependant Jésus devenait de plus en plus affectueux ; il leur dit qu'il allait leur donner tout ce qu'il avait, c’est-à-dire lui-même : c'était comme s'il se fût répandu tout entier dans l'amour. Je le vis devenir transparent ; il ressemblait à une ombre lumineuse. se recueillant dans une ardente prière, il rompit le pain en plusieurs morceaux, qu'il entassa sur la patène en forme de pyramide ; puis, du bout des doigts, il prit un peu du premier morceau, qu'il laissa tomber dans le calice. Au moment où il faisait cela, il me sembla voir la sainte Vierge recevoir le sacrement d'une manière spirituelle, quoiqu’elle ne fût point présente là. Je ne sais comment cela se fit, mais je crus la voir qui entrait sans toucher la terre, et venait en face du Seigneur recevoir la sainte Eucharistie, puis je ne la vis plus, Jésus lui avait dit le matin, à Béthanie, qu'il célébrerait la Pâque avec elle d'une manière spirituelle, et il lui avait indiqué l’heure où elle devait se mettre en prière pour la recevoir en esprit.

Il pria et enseigna encore : toutes ses paroles sortaient de sa bouche comme du feu et de la lumière, et entraient dans les apôtres, à l'exception de Judas. Il prit la patène avec les morceaux de pain (je ne sais plus bien s'il l'avait placée sur le calice, et dit : “Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui est donné pour vous ”. En même temps, il étendit sa main droite comme pour bénir, et, pendant qu'il faisait cela, une splendeur sortit de lui ; ses paroles étaient lumineuses : le pain l'était aussi et se précipitait dans la bouche des apôtres comme un corps brillant : c'était comme si lui-même fût entré en eux. Je les vis tous pénétrés de lumière. Judas seul était ténébreux. Il présenta d'abord le pain à Pierre, puis à Jean : ensuite il fit signe à Judas de s'approcher ; celui-ci fut le troisième auquel il présenta le sacrement, mais ce fut comme si la parole du Sauveur se détournait de la bouche du traître et revenait à lui. J'étais tellement troublée, que je ne puis rendre les sentiments que j'éprouvais. Jésus lui dit : “ Fais vite ce que tu veux faire ”. Il donna ensuite le sacrement au reste des apôtres, qui s'approchèrent deux à deux, tenant tour à tour l'un devant l'autre, un petit voile empesé et brodé sur les bords qui avait servi à recouvrir le calice.

Jésus éleva le calice par ses deux anses jusqu'à la hauteur de son visage, et prononça les paroles de la consécration : pendant qu'il le faisait, il était tout transfiguré et comme' transparent ; il semblait qu'il passât tout entier dans ce qu'il allait leur donner. Il fit boire Pierre et Jean dans le calice qu'il tenait à le main, et le remit sur la table. Jean, à l'aide de la petite cuiller, versa le sang divin du calice dans les petits vases, et Pierre les présenta aux apôtres, qui burent deux dans la même coupe. Je crois, mais sans en être bien sure, que Judas prit aussi sa part du calice, il ne revint pas à sa place, mais sortit aussitôt du Cénacle les autres crurent, comme Jésus lui avait fait un signe, qu'il l'avait charge de quelque affaire. Il se retira sans prier et sans rendre grâces, et vous pouvez voir par là combien l'on a tort de se retirer sans actions de grâces après le pain quotidien et après le pain éternel. Pendant tout le repas, j'avais vu prés de Judas une hideuse petite figure rouge, qui avait un pied comme un os desséché, et qui quelquefois montait jusqu’à son cœur ; lorsqu'il fut devant la porte, je vis trois démons autour de lui : l'un entra dans sa bouche, l'autre le poussait, le troisième courait devant lui. Il était nuit, et on aurait cru qu'ils l'éclairaient ; pour lui, il courait comme un insensé.

Le Seigneur versa dans le petit vase dont J'ai déjà parlé un reste du sang divin qui se trouvait au fond du calice. puis il plaça ses doigts au-dessus du calice, et y fit verser encore de l'eau et du vin par Pierre et Jean. Cela fait, il les fit boire encore dans le calice, et le reste, versé dans les coupes, fut distribué aux autres apôtres. Ensuite Jésus essuya le calice, y mit le petit vase où était le reste du sang divin, plaça au-dessus la patène avec les fragments du pain consacré, puis remit le couvercle, enveloppa le calice et le replaça au milieu des six petites coupes. Je vis, après la résurrection, les apôtres communier avec le reste du saint Sacrement.

Je ne me souviens pas d'avoir vu que le Seigneur ait lui-même mangé et bu le pain et le vin consacrés, à moins qu'il ne l'ait fait sans que je m'en sois aperçue. En donnant l’Eucharistie, il se donna de telle sorte qu'il m'apparut comme sorti de lui-même et répandu au dehors dans une effusion d'amour miséricordieux. C'est quelque chose qui ne peut s'exprimer. Je n'ai pas vu non plus que Melchisédech lorsqu'il offrit le pain et le vin. y ait goûté lui-même. J'ai su pourquoi les prêtres y participent, quoique Jésus ne l'ait point fait. Pendant qu'elle parlait, elle regarda tout à coup autour d'elle comme si elle écoutait. Elle reçut une explication dont elle ne put communiquer que ceci : “  Si les anges l'avaient distribué, ils n'y auraient point participé ; si les prêtres n'y participaient pas, l'Eucharistie se serait perdue : c'est par là qu'elle se conserve ”.

Il y eut quelque chose de très régulier et de très solennel dans les cérémonies dont Jésus accompagna l'institution de la sainte Eucharistie, quoique ce fussent en même temps des enseignements et des leçons. Aussi je vis les apôtres noter ensuite certaines choses sur les petits rouleaux qu'ils portaient avec eux. Tous ses mouvements à droite et à Fauche étaient solennels comme toujours lorsqu'il priait. Tout montrait en germe le saint sacrifice de la Messe. Pendant la cérémonie, je vis les apôtres, à diverses reprises, s'incliner l'un devant l'autre, comme font nos prêtres.

Mystical_Supper_Pavel

INSTRUCTIONS SECRÈTES ET CONSPIRATIONS

Je vis ensuite Jésus oindre Pierre et Jean, sur les mains desquels il avait déjà, lors de l'institution du saint Sacrement, versé l’eau qui avait coule sur les siennes, et auxquels il avait donné à boire dans le calice. Puis, du milieu de la table, s'avançant un peu sur le côté, il leur imposa les mains, d'abord sur les épaules et ensuite sur la tête. Pour eux, ils joignirent leurs mains et mirent leurs pouces en croix, ils se courbèrent profondément devant lui, peut-être s'agenouillèrent-ils. Il leur oignit le pouce et l'index de chaque main, et leur fit une croix sur la tête avec le Chrême. Il dit aussi que cela leur resterait jusqu'à la fin du monde. Jacques le Mineur, André, Jacques le Majeur et Barthélémy reçurent aussi une consécration. Je vis aussi qu'il mit en croix, sur la poitrine de Pierre, une sorte d’étole qu'on portait autour du cou, tandis qu'il la passa en sautoir aux autres, de l'épaule droite au côté gauche. Je ne sais pas bien si ceci se fit lors de l'institution du saint Sacrement ou seulement lors de l'onction.

Je vis que Jésus leur communiquait par cette onction quelque chose d’essentiel et de surnaturel que je ne saurais exprimer. Il leur dit que, lorsqu’ils auraient reçu le Saint Esprit, ils consacreraient le pain et le vin et donneraient l'onction aux autres apôtres. Il me fut montré ici qu'au jour de la Pentecôte, avant le grand baptême, Pierre et Jean imposèrent les mains aux autres apôtres, et qu'ils les imposèrent à plusieurs disciples huit jours plus tard. Jean, après la résurrection, administra pour la première fois le saint Sacrement à la sainte Vierge. Cette circonstance fut fêtée parmi les apôtres. L'Eglise n'a plus cette fête ; mais je la vois célébrer dans l'Eglise triomphante. Les premiers jours qui suivirent la Pentecôte, je vis Pierre et Jean seuls consacrer la sainte Eucharistie ; plus tard, d'autres consacrèrent aussi.

Le Seigneur consacra encore du feu dans un vase d'airain ; il resta toujours allumé par la suite, même pendant de longues absences ; il lut conservé à côté de l'endroit où était déposé le saint Sacrement, dans une partie de l'ancien foyer pascal, et on l'y alla toujours prendre pour des usages spirituels. Tout ce que Jésus fit lors de l'institution de la sainte Eucharistie et de l'onction des apôtres se passa très secrètement, et ne fut aussi enseigné qu'en secret. L'Eglise en a conservé l'essentiel en le développant sous l'inspiration du Saint Esprit pour l'accommoder à ses besoins. Les apôtres assistèrent le Seigneur lors de la préparation et de la consécration du saint Chrême, et lorsque Jésus les oignit et leur imposa les mains, cela se fit d'une façon solennelle.

Pierre et Jean furent-ils consacrés tous deux comme évêques, ou seulement Pierre comme évêque et Jean comme prêtre ? Quelle fut l'élévation en dignité des quatre autres ? C'est ce que je ne saurais dire. La manière différente dont le Seigneur plaça l'étole des apôtres semble se rapporter à des degrés différents de consécration. Quand ces saintes cérémonies turent terminées, le calice prés duquel se trouvait aussi le saint Chrême fut recouvert et le saint Sacrement fut porta par Pierre et Jean dans la derrière de la salle, qui était séparé du reste par un rideau et qui fut désormais la sanctuaire. Le lieu où reposait le saint Sacrement n'était pas tort élevé au-dessus du fourneau pascal. Joseph d'Arimathie et Nicodème prisent soin du sanctuaire et du Cénacle pendant l'absence des Apôtres.

Jésus fit encore une longue instruction et pria plusieurs fois. Souvent il semblait converser avec son Père céleste : il était plein d'enthousiasme et d'amour. Les apôtres aussi étaient remplis d'allégresse et de zèle, et lui faisaient différentes questions auxquelles il répondait. Tout cela doit être en grande partie dans l'Ecriture sainte. Il dit à Pierre et à Jean qui étaient assis la plus près de lui différentes choses qu’ils devaient communiquer plus tard, comme complément d’enseignements antérieurs, aux autres apôtres, et ceux-ci aux disciples et aux saintes femmes, selon la mesure de leur maturité pour de semblables connaissances. Il eut un entretien particulier avec Jean ; je me rappelle seulement qu'il lui dit que sa vie serait plus longue que celle des autres. Il lui parla aussi de sept Eglises, de couronnes, d'anges. et lui fit connaître plusieurs figures d'un sens profond et mystérieux qui désignaient, à ce que je crois, certaines époques. Les autres apôtres ressentirent, à l'occasion de cette confidence particulière, un léger mouvement de jalousie.

Il parla aussi de celui qui le trahissait. “ Maintenant il fait ceci ou cela ”, disait-il ; et je voyais, en effet, Judas faire ce qu'il disait. Comme Pierre assurait avec beaucoup de chaleur qu'il resterait toujours fidèlement auprès de lui, Jésus lui dit : “ Simon, Simon, Satan vous a demandé pour vous cribler comme du froment ; mais j'ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point. ” Quand une fois tu seras converti, confirme tes frères. “Comme il disait encore qu'ils ne pouvaient pas le suivre où il allait, Pierre dit qu'il le suivrait jusqu'à la mort, et Jésus répondit : “  En vérité, avant que le coq n'ait chanté trois fois, tu me renieras trois fois ”. Comme il leur annonçait les temps difficiles qui allaient venir, il leur dit : “ Quand je vous ai envoyés, sans sac, sans bourse, sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose ” ? “  Non ”, répondirent-ils. “ Maintenant ”, reprit-il, “ que celui qui a un sac et une bourse les prenne. Que celui qui n'a rien vende sa robe pour acheter une épée, car on va voir l'accomplissement de cette prophétie : il a été mis au rang des malfaiteurs. Tout ce qui a  été écrit de moi va s'accomplir ”. Les apôtres n'entendirent tout ceci que d'une façon charnelle, et Pierre lui montra deux épées, elles étaient courtes et larges comme des couperets. Jésus dit : “ C'est assez, sortons d'ici ”. Alors ils chantèrent le chant d'actions de grâces, la table fut mise de côté, et ils allèrent dans le vestibule.

Là, Jésus rencontra sa mère Marie, fille de Cléophas. et Madeleine, qui le supplièrent instamment de ne pas aller sur le mont des Oliviers ; car le bruit s'était répandu qu'on voulait s'emparer de lui. Mais Jésus les consola en peu de paroles et passa rapidement : il pouvait être 9 heures. Ils redescendirent à grands pas le chemin par où Pierre et Jean étaient venus au Cénacle, et se dirigèrent vers le mont des Oliviers. J'ai toujours vu ainsi la Pâque et l'institution de la sainte Eucharistie. Mais mon émotion était autrefois si grande que mes perceptions ne pouvaient être bien distinctes : maintenant je l'ai vue avec plus de netteté. C'est une fatigue et une peine que rien ne peut rendre. On aperçoit l'intérieur des coeurs, on voit l'amour sincère et cordial du Sauveur, et l'on sait tout ce qui va arriver. Comment serait-il possible alors d'observer exactement tout ce qui n'est qu’extérieur : on est plein d'admiration, de reconnaissance et d'amour : on ne peut comprendre l'aveuglement des hommes ; on pense avec douleur à l'ingratitude du monde entier et à ses propres péchés.–Le repas pascal de Jésus se fit rapidement, et tout y fut conforme aux prescriptions légales. Les Pharisiens y ajoutaient ça et là quelques observances minutieuses.

Jésus fit encore une instruction secrète. Il leur dit comment ils devaient conserver le saint Sacrement en mémoire de lui jusqu’à la fin du monde ; il leur enseigna quelles étaient les formes essentielles pour en faire usage et le communiquer, et de quelle manière ils devaient, par degrés, enseigner et publier ce mystère, il leur apprit quand ils devaient manger le reste des espèces consacrées, quand ils devaient en donner à la sainte Vierge, et comment ils devaient consacrer eux-mêmes lorsqu'il leur aurait envoyé le Consolateur. Il leur parla ensuite du sacerdoce, de l'onction, de la préparation du saint Chrême et des saintes huiles. Il y avait là trois boites, dont deux contenaient un mélange d'huile et de baume, et qu'on pouvait mettre l'une sur l’autre, il y avait aussi du coton prés du calice. Il leur enseigna à ce sujet plusieurs mystères, leur dit comment il fallait préparer le saint Chrême, à quelles parties du corps il fallait l'appliquer, et dans quelles occasions. Je me souviens, entre autres choses, qu'il mentionna un cas où la sainte Eucharistie n'était plus applicable : peut-être cela se rapportait-il à l’Extrême Onction ; mes souvenirs sur ce point ne sont pas très clairs. Il parla de diverses onctions, notamment de celle des rois, et dit que les rois, même injustes, qui étaient sacrées, tiraient de là une force intérieure et mystérieuse qui n'était pas donnée aux autres. Il mit de l’onguent et de l'huile dans la boite vide, et en fit un mélange. Je ne sais pas positivement si c'est dans ce moment, ou lors de la consécration du pain, qu'il bénit l'huile.

07 mars 2008

Jésus et les larrons

XI Jésus et les larrons

D'après les révélations de la Bienheureuse Anne Catherine Emmerich

La Crucifixion des larrons

Pendant qu'on crucifiait Jésus, les deux larrons, ayant toujours les mains attachées aux pièces transversales de leurs croix, qu'on leur avait placées sur la nuque, étaient couchés sur le des, près du chemin, au côté oriental du Calvaire, et des gardes veillaient sur eux. Accusés d'avoir assassiné une femme juive et ses enfants qui allaient de Jérusalem à Joppé, on les avait arrêtés dans un château où Pilate habitait quelquefois lorsqu'il exerçait ses troupes, et où ils s'étaient donnés pour de riches marchands. Ils étaient restés longtemps en prison avant leur jugement et leur condamnation. J'ai oublié les détails. Le larron de gauche était plus âgé : c'était un grand scélérat, le maître et le corrupteur de l'autre. On les appelle ordinairement Dismas et Gesmas ; j'ai oublié leurs noms véritables : j'appellerai donc le bon, Dismas, et le mauvais, Gesmas. Ils faisaient partie l'un et l'autre de cette troupe de voleurs établis sur les frontières d'Egypte qui avaient donné l'hospitalité, pour une nuit à la sainte Famille, lors de sa fuite avec l'enfant Jésus. Dismas était cet enfant lépreux que sa mère, sur l'invitation de Marie, lava dans l'eau où s'était baigné l'enfant Jésus, et qui fut guéri à l'instant. Les soins de sa mère envers la sainte Famille furent récompensés par cette purification, symbole de celle que le sang du Sauveur allait accomplir pour lui sur la croix. Dismas était tombé très bas ; il ne connaissait pas Jésus, mais comme son coeur n'était pas méchant, tant de patience l'avait touché. Couché par terre comme il l'était, il parlait sans cesse de Jésus à son compagnon : " ils maltraitaient horriblement le Galiléen, disait-il ; ce qu'il a fait en prêchant sa nouvelle loi doit être quelque chose de pire que ce que nous avons fait nous-mêmes, mais il a une grande patience et un grand pouvoir sur tous les hommes, ce à quoi Gesmas répondit : Quel pouvoir a-t-il donc ? s'il est aussi puissant qu'on le dit, il pourrait nous venir en aide " ? C'est ainsi qu'ils parlaient entre eux. Lorsque la croix du Sauveur fut dressée, les archers vinrent leur dire que c'était leur tour, et les dégagèrent en toute hâte des pièces transversales, car le soleil s'obscurcissait déjà, et il y avait un mouvement dans la nature comme à l'approche d'un orage. Les archers appliquèrent des échelles aux deux croix déjà plantées, et y ajustèrent les pièces transversales. Après leur avoir lait boire du vinaigre mêlé de myrrhe, on leur ôta leurs méchants justaucorps, puis on leur passa des cordes sous les bras et on les hissa en l'air à l'aide de petits échelons où ils posaient leurs pieds. On lia leurs bras aux branches de la croix avec des cordes d'écorce d'arbre ; on attacha de même leurs poignets, leurs coudes, leurs genoux et leurs pieds, et on serra si fort les cordes, que leurs jointures craquèrent et que le sang en jaillit. Ils poussèrent des cris affreux, et le bon larron dit au moment où on le hissait : " Si vous nous aviez traités comme le pauvre Galiléen, vous n'auriez pas eu la peine de nous élever ainsi en l'air ".

Pendant ce temps, les exécuteurs avaient fait plusieurs lots des habits de Jésus afin de les diviser entre eux. Le manteau était plus large d'en bas que d'en haut et il avait plusieurs plis ; il était doublé à la poitrine et formait ainsi des poches. Ils le déchirèrent en plusieurs pièces, aussi bien que sa longue robe blanche, laquelle était ouverte sur la poitrine et se fermait avec des cordons. Ils firent aussi des parts du morceau d'étoffe qu'il portait autour du cou, de sa ceinture, de son scapulaire, et du linge qui avait enveloppé ses reins, tous ces vêtements étaient imbibés de son sang. Ne pouvant tomber d'accord pour savoir qui aurait sa robe sans couture, dont les morceaux n'auraient pu servir à rien, ils prirent une table où étaient des chiffres, et y jetant des dés en forme de fèves, ils la tirèrent ainsi au sort. Mais un messager de Nicodème et de Joseph d'Arimathie vint à eux en courant et leur dit qu'ils trouveraient au bas de la montagne des acheteurs pour les habits de Jésus, alors ils mirent tous ensemble et les vendirent en masse, ce qui conserva aux chrétiens ces précieuses dépouilles.

Jésus crucifié et les deux larrons

Le choc terrible de la croix, qui s'enfonçait en terre, ébranla violemment la tête couronnée d'épines de Jésus et en fit jaillir une grande abondance de sang, ainsi que de ses pieds et de ses mains. Les archers appliquèrent leurs échelles à la croix, et délièrent les cordes avec lesquelles ils avaient attaché le corps du Sauveur pour que la secousse ne le fit pas tomber. Le sang, dont la circulation avait été gênée par la position horizontale et la compression des cordes, se porta avec impétuosité à ses blessures : toutes ses douleurs se renouvelèrent jusqu'à lui causer un violent étourdissement. Il pencha la tête sur sa poitrine et resta comme mort pendant près de sept minutes. Il y eut alors une pause d'un moment : les bourreaux étaient occupés à se partager les habits de Jésus, le son des trompettes du Temple se perdait dans les airs, et tous les assistants étaient épuisés de rage ou de douleur. Je regardais, pleine d'effroi et de pitié, Jésus, mon salut, le salut du monde : je le voyais sans mouvement. presque sans vie, et moi-même, il me semblait que j'allais mourir. Mon coeur était plein d'amertume, d'amour et de douleur : ma tête était comme entourée d'un réseau de poignantes épines et ma raison s'égarait ; mes mains et mes pieds étaient comme des fournaises ardentes ; mes veines, mes nerfs étaient sillonnés par mille souffrances indicibles qui, comme autant de traits de feu, se rencontraient et se livraient combat dans tous mes membres et tous mes organes intérieurs et extérieurs pour y faire naître de nouveaux tourments. Et toutes ces horribles souffrances n'étaient pourtant que du pur amour, et tout ce feu pénétrant de la douleur produisait une nuit dans laquelle je ne voyais plus rien que mon fiancé, le fiancé de toutes les âmes, attaché à la croix, et je le regardais avec une grande tristesse et une grande consolation. Son visage, avec l'horrible couronne avec le sang qui remplissait ses yeux, sa bouche entrouverte, sa chevelure et sa barbe, s'était affaissé vers sa poitrine, et plus tard il ne put relever la tête qu'avec une peine extrême, à cause de la largeur de la couronne. Son sein était tout déchiré ; ses épaules, ses coudes, ses poignets tendus jusqu'à la dislocation ; le sang de ses mains coulait sur ses bras. Sa poitrine remontait et laissait au-dessous d'elle une cavité profonde ; le ventre était creux et rentré. Ses cuisses et ses jambes étaient horriblement disloquées comme ses bras ; ses membres, ses muscles, sa peau déchirée avaient été si violemment distendus, qu'on pouvait compter tous ses os ; le sang jaillissait autour du clou qui perçait ses pieds sacrés et arrosait l'arbre de la croix ; son corps était tout couvert de plaies, de meurtrissures, de taches noires, bleues et jaunes ; ses blessures avaient été rouvertes par la violente distension des membres et saignaient par endroits ; son sang, d'abord rouge, devint plus tard pâle et aqueux, et son corps sacré toujours plus blanc : il finit par ressembler à de la chair épuisé de sang. Toutefois, quoique si cruellement défiguré, le corps de Notre Seigneur sur la croix avait quelque chose de noble et de touchant qu'on ne saurait exprimer : oui, le Fils de Dieu, l'amour éternel s'offrant en sacrifice dans le temps, restait beau, pur et saint dans ce corps de l'Agneau pascal mourant, tout brisé sous le poids des péchés du genre humain.

Le teint de la sainte Vierge, comme celui du Sauveur, était d'une belle couleur jaunâtre où se fondait un rouge transparent. Les fatigues et les voyages des dernières années lui avaient bruni les joues au-dessous des yeux.

Jésus avait une large poitrine ; elle n'était pas velue comme celle de Jean-Baptiste qui était toute couverte d'un poil rougeâtre. Ses épaules étaient larges, ses bras robustes, ses cuisses nerveuses, ses genoux forts et endurcis comme ceux d'un homme qui a beaucoup voyagé et s'est beaucoup agenouillé pour prier ; ses jambes étaient longues et ses jarrets nerveux ; ses pieds étaient d'une belle forme et fortement construits : la peau était devenue calleuse sous la plante à cause des courses nombreuses qu'il avait faites, pieds nus, sur des chemins cahoteux ; ses mains étaient belles, avec des doigts longs et effilés, et, sans être délicates, elles ne ressemblaient point à celles d'un homme qui les emploie à des travaux pénibles. Son cou était plutôt long que court, mais robuste et nerveux, sa tête d'une belle proportion et pas trop forte, son front haut et large ; son visage formait un ovale très pur ; ses cheveux. d'un brun cuivré, n'étaient pas très épais : ils étaient séparés sans art nu haut du front et tombaient sur ses épaules ; sa barbe n'était pas longue, mais pointue et partagée au-dessous du menton. Maintenant sa chevelure était arrachée en partie et souillée de sang ; son corps n'était qu'une plaie, sa poitrine était comme brisée, ses membres étaient disloqués, les os de ses côtés paraissaient par endroits à travers sa peau déchirée ; enfin son corps était tellement aminci par la tension violente à laquelle il avait été soumis, qu'il ne courrait pas entièrement l'arbre le la croix.

La croix était un peu arrondie par derrière, aplatie pal devant, et on l'avait entaillée à certains endroits, sa largeur étalait à peu prés son épaisseur. Les différentes pièces qui la composaient étaient de bois de diverses couleurs, les unes brunes, les autres jaunâtres ; le tronc était plus foncé, comme du bois qui est resté longtemps dans l'eau.

Les croix des deux larrons, plus grossièrement travaillées, s'élevaient à droite et à gauche de celle de Jésus : il y avait entre elles assez d'espace pour qu'un homme à cheval pût y passer ; elles étaient placées un peu plus bas, et l'une à peu près en regard de l'autre. L'un des larrons priait, l'autre insultait Jésus qui dominait un peu Dismas en lui parlant. Ces hommes, sur leur croix, présentaient un horrible spectacle, surtout celui de gauche, hideux scélérat, à peu près ivre, qui avait toujours l'imprécation et l'injure à la bouche. Leurs corps suspendus en l'air étaient disloqués, gonflés et cruellement garrottés. Leur visage était meurtri et livide : leurs lèvres noircies par le breuvage qu'on leur avait fait prendre et par le sang qui s'y portait, leurs yeux rouges et prêts à sortir de leur tête. La souffrance causée par les cordes qui les serraient leur arrachait des cris et des hurlements affreux ; Gesmas jurait et blasphémait. Les clous avec lesquels on avait attaché les pièces transversales les forçaient de courber la tête ; ils étaient agités de mouvements convulsifs, et, quoique leurs jambes fussent fortement garrottées, l'un d'eux avait réussi à dégager un peu son pied, en sorte que le genou était saillant.

Jésus et le bon larron

Lorsque les archers eurent mis les larrons en croix et partagé entre eux les habits de Jésus, ils vomirent encore quelques injures contre le Sauveur et se retirèrent. Les Pharisiens aussi passèrent à cheval devant Jésus, lui adressèrent des paroles outrageantes et s'en allèrent. Les cent soldats romains furent remplacés à leur poste par une nouvelle troupe de Cinquante hommes. Ceux-ci étaient commandés par Abénadar, Arabe de naissance, baptisé depuis sous le nom de Ctésiphon ; le commandant en second s'appelait Cassius, et reçut depuis le nom de Longin : il portait souvent les messages de Pilate. Il vint encore douze Pharisiens, douze Sadducéens, douze Scribes et quelques anciens. Parmi eux se trouvaient ceux qui avaient demandé vainement à Pilate de changer l'inscription de la croix : il n'avait pas même voulu les voir, et son refus avait redoublé leur rage. Ils firent à cheval le tour de la plate-forme et chassèrent la sainte Vierge, qu'ils appelèrent une mauvaise femme ; elle fut ramenée par Jean vers les saintes femmes ; Marthe et Madeleine la reçurent dans leurs bras Lorsqu'ils passèrent devant Jésus, ils secouèrent dédaigneusement la tête en disant : " Eh bien ! imposteur, renverse le Temple et rebâtis-le en trois jours ! — il a toujours voulu secourir les autres et ne peut se sauver lui-même ! —Si tu es le fils de Dieu, descends de la croix ! s'il est le roi d'Israël, qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui ! — il a eu confiance en Dieu, qu'il lui vienne maintenant en aide " ! Les soldats aussi se moquaient de lui, disant : " Si tu es le roi des Juifs sauve toi maintenant toi-même ".

Lorsque Jésus tomba en faiblesse, Gesmas, le voleur de gauche, dit : " Son démon l'a abandonné ". Alors, un soldat mit au bout d'un bâton une éponge avec du vinaigre et la présenta aux lèvres de Jésus qui sembla y goûter : on ne cessait pas de le tourner en dérision. " Si tu es le roi des Juifs, dit le soldat, sauve-toi toi-même ". Tout ceci se passa pendant que la première troupe faisait place à celle d'Abénadar. Jésus leva un peu la tête et dit : " Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ". Puis il continua à prier en silence. Gesmas lui cria : " Si tu es le Christ, sauve-toi et sauve-nous " ! Les insultes ne cessaient pas, mais Dismas, le bon larron, fut profondément touché lorsque Jésus pria pour ses ennemis. Quand Marie entendit la voix de son fils, rien ne put la retenir elle se précipita vers la croix, suivie de Jean, de Salomé et de Marie de Cléophas. Le centurion ne les repoussa pas Dismas, le bon larron, obtint par la prière de Jésus. Au moment où la sainte Vierge s'approcha, une illumination intérieure : il reconnut que Jésus et sa mère l'avaient guéri dans son enfance, et dit d'une vois forte et distincte : “ Comment pouvez-vous l'injurier quand il prie pour vous ” ? Il s'est tu ; il a souffert patiemment tous vos affronts, et il prie pour vous ; c'est un prophète, c'est notre roi, c'est “ le fils de Dieu ”. A ce reproche inattendu sorti de la bouche d'un misérable assassin sur le gibet, il s'éleva un grand tumulte parmi les assistants ; ils ramassèrent des pierres et voulaient le lapider sur la croix : mais le centurion Abénadar ne le souffrit pas ; il les fit disperser et rétablit l'ordre. Pendant ce temps, la sainte Vierge se sentit fortifiée par la prière de Jésus, et Dismas dit à son compagnon qui injuriait Jésus : “ N'as-tu donc pas crainte de Dieu, toi qui es condamné au même supplice ! Quant à nous, c'est avec justice ; nous subissons la peine que nos crimes ont méritée : mais celui-ci n'a rien fait de mal. Songe à ta dernière heure et convertis-toi ”. Il était éclairé et touché : il confessa ses fautes à Jésus, disant : “ Seigneur, si vous me condamnez, ce sera avec Justice, mais ayez pitié de moi ”. Jésus lui dit : “ Tu éprouveras ma miséricorde ”. Dismas reçut pendant un quart d'heure la grâce d'un profond repentir. Tout ce qui vient d'être raconté se passa entre midi et midi et demi, quelques minutes après l'exaltation de la croix ; mais il y eut bientôt de grands changements dans l'âme des spectateurs, car, pendant que le bon larron parlait, il y eut dans la nature des signes extraordinaires qui les remplirent tous d'épouvante.


Jésus est dépouillé de ses vêtements et mis en Croix

XJésus est dépouillé de ses vêtements et mis en Croix

D'après les révélations de la Bienheureuse Anne Catherine Emmerich

Quatre archers se rendirent au cachot souterrain, situé au nord, à soixante-dix pas : ils y descendirent et en arrachèrent Jésus qui, tout le temps, avait prié Dieu de le fortifier et s'était encore offert en sacrifice pour les péchés de ses ennemis. Ils lui prodiguèrent encore les coups et les outrages pendant ces derniers pas qui lui restaient à faire. Le peuple regardait et insultait ; les soldats, froidement hautains, maintenaient l'ordre en se donnant des airs d'importance ; les archers, pleins de rage, traînaient violemment Jésus sur la plate-forme. Quand les saintes femmes le virent, elles donnèrent de l'argent à un homme pour qu'il achetât des archers la permission de faire boire à Jésus le vin aromatisé de Véronique. Nais ces misérables ne le lui donnèrent pas et le burent eux-mêmes. Ils avaient avec eux deux rases de couleur brune, dont l'un contenait du vinaigre et du fiel, l'autre une boisson qui semblait du vin mêlé de myrrhe et d'absinthe : ils présentèrent au Sauveur un verre de ce dernier breuvage : Jésus y ayant posé ses lèvres, n'en but pas.

Il y avait dix-huit archers sur la plate-forme : les six qui avaient flagellé Jésus, les quatre qui l'avaient conduit, deux qui avaient tenu les cordes attachées à la croix, et six qui devaient le crucifier. Ils étaient occupés, soit près du Sauveur soit près des deux larrons, travaillant et buvant tour à tour : c'étaient des hommes petits et robustes, avec des figures étrangères et des cheveux hérissés, ressemblant à des bêtes farouches : ils servaient les Romains et les Juifs pour de l'argent.

L'aspect de tout cela était d'autant plus effrayant pour moi que je voyais sous diverses formes les puissances du mal invisibles aux autres. C'étaient les figures hideuses de démons qui semblaient aider ces hommes cruels, et une infinité d'horribles visions sous formes de crapauds, de serpents, de dragons, d'insectes venimeux de toute espèce qui obscurcissaient l'air. Ils entraient dans la bouche et dans le coeur des assistants ou se posaient sur leurs épaules, et ceux-ci se sentaient l'âme pleine de pensées abominables ou proféraient d'affreuses imprécations. Je voyais souvent au-dessus du Sauveur de grandes figures d'anges pleurant et des gloires où je ne distinguais que de petites têtes. Je voyais aussi de ces anges compatissants et consolateurs au-dessus de la sainte Vierge et de tous les amis de Jésus.

Les archers ôtèrent à notre Seigneur son manteau qui enveloppait la partie supérieure du corps, la ceinture à l'aide de laquelle ils l'avaient traîné et sa propre ceinture. Ils lui enlevèrent ensuite, en la faisant passer par-dessus sa tête, sa robe de dessus en laine blanche qui était ouverte sur la poitrine, puis la longue bandelette jetée autour du cou sur les épaules ; enfin comme ils ne pouvaient pas lui tirer la tunique sans couture que sa mère lui avait faite, à cause de la couronne d'épines, ils arrachèrent violemment cette couronne de sa tête, rouvrant par là toutes ses blessures ; puis, retroussant la tunique, ils la lui ôtèrent, avec force injures et imprécations, en la faisant passer pardessus sa tête ensanglantée et couverte de plaies.

Le fils de l'homme était là tremblant, couvert de sang, de contusions, de plaies fermées ou encore saignantes, de taches livides et de meurtrissures. Il n'avait plus que son court scapulaire de laine sur le haut du corps et un linge autour des reins. La laine du scapulaire en se desséchant s'était attachée à ses plaies et s'était surtout collée à la nouvelle et profonde blessure que le fardeau de la croix lui avait faite à l'épaule et qui lui causait une souffrance indicible. Ses bourreaux impitoyables lui arrachèrent violemment le scapulaire de la poitrine. Son corps mis à nu était horriblement enflé et sillonné de blessures : ses épaules et son des étaient déchirés jusqu'aux os : dans quelques endroits la laine blanche du scapulaire était restée collée aux plaies de sa poitrine dont le sang s'était desséché. Ils lui arrachèrent alors des reins sa dernière ceinture ; resté nu, il se courbait, et se détournait tout plein de confusion ; comme il était près de s'affaisser sur lui-même, ils le firent asseoir sur une pierre, lui remirent sur la tête la couronne d'épines et lui présentèrent le second vase plein de fiel et de vinaigre, mais il détourna la tête en silence.

Au moment où les archers lui saisirent les bras dont il se servait pour recouvrir sa nudité et le redressèrent pour le coucher sur la croix, des murmures d'indignation et des cris de douleur s'élevèrent parmi ses amis, à la pensée de cette dernière ignominie. Sa mère priait avec ardeur, elle pensait à arracher son voile, à se précipiter dans l'enceinte, et à le lui donner pour s'en couvrir, mais Dieu l'avait exaucée : car au même instant un homme qui, depuis la porte, s'était frayé un chemin à travers le peuple, arriva, tout hors d'haleine, se jeta au milieu des archers, et présenta un linge à Jésus qui le prit en remerciant et l'attacha autour de ses reins.

Ce bienfaiteur de son Rédempteur que Dieu envoyait à la prière de la sainte Vierge avait dans son impétuosité quelque chose d'impérieux : il montra le poing aux archers en leur disant seulement : “ Gardez-vous d'empêcher ce pauvre homme de se couvrir ”, puis, sans adresser la parole à personne, il se retira aussi précipitamment qu'il était venu. C'était Jonadab, neveu de saint Joseph, fils de ce frère qui habitait le territoire de Bethléem et auquel Joseph, après la naissance du Sauveur, avait laissé en gage l'un de ses deux ânes. Ce n'était point un partisan déclare de Jésus :

aujourd'hui même, il s'était tenu à l'écart, et s'était borne à observer de loin ce qui se passait. Déjà en entendant raconter comment Jésus avait été dépouillé de ses vêtement, avant la flagellation, il avait été très indigné ; plus tard quand le moment du crucifiement approcha, il ressenti, dans le Temple une anxiété extraordinaire. Pendant que la mère de Jésus criait vers Dieu sur le Golgotha, Jonadab fut poussé tout à coup par un mouvement irrésistible qui le fit sortir du Temple et courir en toute hâte au Calvaire pour couvrir la nudité du Seigneur. Il lui vint dans l'âme un vif sentiment d'indignation contre l'action honteuse de Cham qui avait tourné en dérision la nudité de Noé enivré par le vin et il se hâta d'aller, comme un autre Sem, couvrir la nudité de celui qui foulait le pressoir. Les bourreaux étaient de la race de Cham, et Jésus foulait le pressoir sanglant du vin nouveau de la rédemption lorsque Jonadab vint à son aide Cette action fut l'accomplissement d'une figure prophétique de l'Ancien Testament, et elle fut récompensée plus tard, comme je l'ai vu et comme je le raconterai.

Jésus, image vivante de la douleur, fut étendu par les a ;chers sur la croix où il était allé se placer de lui-même. Ils le renversèrent sur le des, et, ayant tiré son bras droit sur le bras droit de la croix, ils le lièrent fortement : puis un d'eux mit le genou sur sa poitrine sacrée ; un autre tint ouverte sa main qui se contractait ; un troisième appuya sur cette main pleine de bénédiction un gros et long clou et frappa dessus à coups redoublés avec un marteau de fer. Un gémissement doux et clair sortit de la bouche du Sauveur : son sang jaillit sur les bras des archers. Les liens qui retenaient la main furent déchirés et s'enfoncèrent avec le clou triangulaire dans l'étroite ouverture. J'ai compté les coups de marteau, mais j'en ai oublie le nombre. La sainte Vierge gémissait faiblement et semblait avoir perdu connaissance : Madeleine était hors d'elle-même.

Les vilebrequins étaient de grands morceaux de fer de la forme d'un T : il n'y entrait pas de bois. Les grands marteaux aussi étaient en fer et tout d'une pièce avec leurs manches : ils avaient à peu près la forme qu'ont les maillets avec lesquels nos menuisiers frappent sur leurs ciseaux. Les clous, dont l'aspect avait fait frissonner Jésus, étaient d'une telle longueur que, si on les tenait en fermant le poignet, ils le dépassaient d'un pouce de chaque côté, ils avaient une tête plate de la largeur d'un écu. Ces clous étaient à trois tranchants et gros comme le pouce à leur partie supérieure ; plus bas ils n'avaient que la grosseur du petit doigt ; leur pointe était limée, et je vis que quand on les eût enfoncés, ils ressortaient un peu derrière la croix.

Lorsque les bourreaux eurent cloué la main droite du Sauveur, ils s'aperçurent que sa main gauche, qui avait été aussi attachés au bras de la croix, n'arrivait pas jusqu'au trou qu'ils avaient fait et qu'il y avait encore un intervalle de deux pouces entre ce trou et l'extrémité de ses doigts : alors ils attachèrent une corde à son bras gauche et le tirèrent de toutes leurs forces, en appuyant les pieds contre la croix, jusqu'à ce que la main atteignit la place du clou. Jésus poussa des gémissements touchants : car ils lui disloquaient entièrement les bras. Ses épaules violemment tendues se creusaient, on voyait aux coudes les jointures des os. Son sein se soulevait et ses genoux se retiraient vers son corps. Ils s'agenouillèrent sur ses bras et sur sa poitrine, lui garrottèrent les bras, et enfoncèrent le second clou dans sa main gauche d'où le sang jaillit, pendant que les gémissements du Sauveur se faisaient entendre à travers le bruit des coups de marteau. Les bras de Jésus se trouvaient maintenant étendus horizontalement, en sorte qu'ils ne couvraient plus les bras de la croix qui montaient en ligne oblique : il y avait un espace vide entre ceux-ci et ses aisselles. La sainte Vierge ressentait toutes les douleurs de Jésus ; elle était pâle comme un cadavre et des sanglots entrecoupés s'échappaient de sa bouche. Les Pharisiens adressaient des insultes et des moqueries du côté où elle se trouvait, et on la conduisit à quelque distance près des autres saintes femmes. Madeleine était comme folle : elle se déchirait je visage, ses yeux et ses joues étaient en sang.

On avait cloué, au tiers à peu prés de la hauteur de la croix, un morceau de bois destiné à soutenir les pieds de Jésus, afin qu'il fût plutôt debout que suspendu ; autrement les mains se seraient déchirées et on n'aurait pas pu clouer les pieds sans briser les os. Dans ce morceau de bois, on avait pratiqué d'avance un trou pour le clou qui devait percer les pieds. On y avait aussi creusé une cavité pour les talons, de même qu'il y avait d'autres cavités en divers endroits de la croix afin que le corps pût y rester plus longtemps suspendu et ne se détachât pas, entraîné par son propre poids. Tout le corps du Sauveur avait été attiré vers le haut de la croix par la violente tension de ses bras et ses genoux s'étaient redressés. Les bourreaux les étendirent et les attachèrent en les tirant avec des cordes : mais il se trouva que les pieds n'atteignaient pas jusqu'au morceau de bois placé pour les soutenir. Alors les archers se mirent en fureur ; quelques-uns d'entre eux voulaient qu'on fit des trous plus rapprochés pour les clous qui perçaient ses mains, car il était difficile de placer le morceau de bois plus haut ; d'autres vomissaient des imprécations contre Jésus : “ il ne veut pas s'allonger, disaient-ils, nous allons l'aider ”. Alors ils attachèrent des cordes à sa jambe droite et la tendirent violemment jusqu'à ce que le pied atteignit le morceau de bois. Il y eut une dislocation si horrible, qu'on entendit craquer la poitrine de Jésus, et qu'il s'écria à haute voix : “ O mon Dieu ! O mon Dieu ” !  Ce fut une épouvantable souffrance. Ils avaient lié sa poitrine et ses bras pour ne pas arracher les mains de leurs clous. Ils attachèrent ensuite fortement le pied gauche sur le pied droit, et le percèrent d'abord au cou-de-pied avec une espèce de pointe à tête plate, parce qu'il n'était pas assez solidement posé sur l'arbre pour qu'on pût les clouer ensemble. Cela fait, ils prirent un clou beaucoup plus long que ceux des mains, le plus horrible qu'ils eussent, l'enfoncèrent à travers la blessure faite au pied gauche, puis à travers le pied droit jusque dans le morceau de bois et jusque dans l'arbre de la croix. Placée de côté, j'ai vu ce clou percer les deux pieds. Cette opération fut plus douloureuse que tout le reste à cause de la distension du corps. Je comptai jusqu'à trente-six coups de marteau au milieu desquels j'entendais distinctement les gémissements doux et pénétrants du Sauveur : les voix qui proféraient autour de lui l'injure et l'imprécation me paraissaient sourdes et sinistres.

La Sainte Vierge était revenue au lieu du supplice : la dislocation des membres de son fils, le bruit des coups de marteau et les gémissements de Jésus pendant qu'on lui clouaient les pieds excitèrent en elle une douleur si violente qu'elle tomba de nouveau sans connaissance entre les bras de ses compagnes. Il y eut alors de l'agitation. Les Pharisiens à cheval s'approchèrent et lui adressèrent des injures : mais ses amis l'emportèrent à quelque distance. Pendant le crucifiement et l'érection de la croix qui suivit, il s'éleva, surtout parmi les saintes femmes, des cris d'horreur : “ Pourquoi, disaient-elles, la terre n'engloutit-elle pas ces misérables ? Pourquoi le feu du ciel ne les consume-t-il pas ” ? Et à ces accents de l'amour, les bourreaux répondaient par des invectives et des insultes.

Les gémissements que la douleur arrachait à Jésus se mêlaient à une prière continuelle, remplie de passages des psaumes et des prophètes dont il accomplissait les prédictions : il n'avait cessé de prier ainsi sur le chemin de la croix. et il le fit jusqu'à sa mort. J'ai entendu et répété avec lui tous ces passages, et ils me sont revenus quelquefois en récitant les psaumes ; mais je suis si accablée de douleur que je ne saurais pas les mettre ensemble. Pendant cet horrible supplice, je vis apparaître au-dessus de Jésus des figures d'anges en pleurs.

Le chef des troupes romaines avait déjà fait attacher au haut de la croix l'inscription de Pilate. Comme les Romains riaient de ce titre de roi des Juifs, quelques-uns des Pharisiens revinrent à la ville pour demander à Pilate une autre inscription dont ils prirent d'avance la mesure. Pendant qu'on crucifiait Jésus, on élargissait le trou où la croix devait être plantée, car il était trop étroit et le rocher était extrêmement dur. Quelques archers, au lieu de donner à Jésus le vin aromatisé apporté par les saintes femmes l'avaient bu eux-mêmes et il les avait enivrés : il leu. brûlait et Leur déchirait les entrailles à tel point qu'ils étaient comme hors d'eux-mêmes. De injurièrent Jésus qu'ils traitèrent de magicien, entrèrent en fureur à la vue de sa patience et coururent à plusieurs reprises au bas du Calvaire pour boire du lait d'ânesse. Il y avait prés de là des femmes appartenant à un campement voisin d'étrangers venus pour la Pâque, lesquelles avaient avec elles des ânesses dont elles vendaient le lait. Il était environ midi un quart lorsque Jésus fut crucifié, et au moment où l'on élevait la croix, le Temple retentissait du bruit des trompettes. C'était le moment de l'immolation de l'agneau pascal.

Jésus rencontre les filles de Jérusalem

IXJésus rencontre les filles de Jérusalem

D'après les révélations de la Bienheureuse Anne Catherine Emmerich

Le cortège était encore à quelque distance de la porte qui est située dans la direction du sud-ouest. On arrive par un chemin un peu en pente à Cette porte qui est fortifiée. On passe d'abord sous une arcade voûtée, puis sur un pont, puis sous une autre arcade. A la sortie, les murs de la ville vont quelque temps au midi, puis au couchant, puis encore au midi, pour entourer la montagne de Sion. A droite de la porte, la muraille va dans la direction du nord, jusqu'à la porte de l'angle, puis elle tourne vers le levant, en longeant la partie septentrionale de Jérusalem. Lorsque le cortège approcha de la porte, les archers accélérèrent leur marche. Le chemin était très inégal et, immédiatement avant la porte, il y avait un grand bourbier. Les archers tirèrent violemment Jésus en avant et on se pressa les uns contre les autres. Simon de Cyrène voulut passer à côté, ce qui fit dévier la croix, et Jésus tombant pour la quatrième fois sous son fardeau, fut rudement précipité dans le bourbier, en sorte que Simon put à peine retenir la croix. Il dit alors d'une voix affaiblie et pourtant distincte : “  Hélas ! hélas ! Jérusalem, combien je t'ai aimée ! j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu me chasses si cruellement hors de tes portes ” ! Le Seigneur parla ainsi avec une tristesse profonde, mais les Pharisiens ayant entendu ces Paroles, l'insultèrent de nouveau, disant : “ ce perturbateur n'en a pas fini : il tient encore de mauvais pro-pos ”; Puis ils le frappèrent et le traînèrent en avant pour le retirer du bourbier, Simon de Cyrène fut si indi-gné des cruautés exercées envers Jésus, qu'il s'écria : “ Si vous ne mettez pas fin à vos infamies je jette là la croix, quand même vous voudriez me tuer aussi. ” Au sortir de la porte On voit un chemin étroit et rocail-leux, qui se dirige quelque temps au nord et conduit au Calvaire. La grande route d'où ce chemin s'écarte se par-tage en trois embranchements à quelque distance de là : l'un tourne à gauche vers le sud-ouest, et conduit à Bethléhem par la vallée de Bibon : l'autre se dirige au couchant, vers Emmaüs et Joppe; le troisième tourne au nord-ouest autour du Calvaire, et aboutit à la pointe de l'angle qui conduit à Bethsur. De la porte par laquelle Jésus sortit, on peut voir à gauche, vers le sud-ouest, celle de Bethléem. Ces deux portes sont, parmi les portes de Jérusalem, les plus rappro-chées l'une de l'autre. Au milieu de la route, devant la Porte, à l'endroit où commence le chemin du Calvaire, on avait placé sur un poteau un écriteau annonçant la con-damnation à mort de Jésus et des deux larrons. Les carac-tères étaient blancs et en relief, comme si on les y eût col-lés. Non loin de là, à l'angle de ce chemin, était une troupe de femmes qui pleuraient et gémissaient . C'étaient pour la plupart des vierges et de pauvres femmes de Jérusalem avec leurs enfants, qui étaient allées en avant du cortège,; d'autres étaient venues pour la Pâque de Bethléem, d'Hé-bron et des lieux circonvoisins. Jésus tomba presque en défaillance mais il n'alla pas tout à fait à terre, parce que Simon fit reposer la croix sur le sol, s'approcha de lui et le soutint. C'est la cinquième chute de Jésus sous la croix. A la vue de son visage si défait et si meurtri, les femmes poussèrent des cris de douleur, et, suivant la coutume juive, présentèrent à Jésus des linges pour essuyer sa face. Le Sauveur se tourna vers elles, et dit : “ Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi : pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants, car il viendra bientôt un temps où l'on dira : Heureuses les stériles et les entrailles qui n'ont point engendré et les seins qui n'ont point allaité! Alors on commencera à dire aux montagnes : Tombez sur nous! et aux collines : Couvrez-nous! Car si on traie ainsi le bois vert, que sera ce de celui qui  est sec ? Il leur adressa d'autres belles paroles que j'ai oubliées : je me souviens seulement qu'il leur dit que leurs larmes seraient récompensées, qu'elles marcheraient doré-navant sur d'autres chemins, etc. Il y eut une pause en cet endroit : les gens qui portaient les instruments du supplice se rendirent à la montagne du Calvaire suivis de cent sol-dats romains de l'escorte de Pilate, lequel avait accompagné  de loin le cortège; arrivé à la porte, il rebroussa chemin vers l'intérieur de la ville.

Symon de Cyrène aide Jésus à porter la Croix

VIII Symon de Cyrène aide Jésus à porter la Croix

D'après les révélations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich

Le cortège arriva à la porte d'un vieux mur intérieur de la ville. Devant cette porte est une place où aboutissent trois rues. Là, Jésus, ayant à passer encore par-dessus une grosse pierre, trébucha et s'affaissa ; la crois roula à terre près de lui ; lui-même, cherchant à s'appuyer sur la pierre, tomba misérablement tout de son long et il ne put plus se relever. Des gens bien vêtus qui se rendaient au Temple passèrent par là et s'écrièrent avec compassion : “ Hélas ! le pauvre homme se meurt ! ” Il y eut quelque tumulte on ne pouvait plus remettre Jésus sur ses pieds, et les Pharisiens, qui conduisaient la marche, dirent aux soldats : “ Nous ne pourrons pas l'amener vivant, si vous ne trouvez quelqu'un pour porter sa croix ”. Ils virent à peu de distance un paien, nommé Simon de Cyrène, accompagné de ses trois enfants, et portant sous le bras un paquet de menues branches, car il était jardinier et venait de travailler dans les jardins situés près du mur oriental de la ville. Chaque année, il venait à Jérusalem pour la fête, avec sa femme et ses enfants, et s'employait à tailler des haies comme d'autres gens de sa profession. Il se trouvait au milieu de la foule dont il ne pouvait se dégager, et quand les soldats reconnurent à son habit que c'était un païen et un ouvrier de la classe inférieure, ils s'emparèrent de lui et lui dirent d'aider le Galiléen à porter sa croix. Il s'en défendit d'abord et montra une grande répugnance, mais il fallut céder à la force. Ses enfants criaient et pleuraient, et quelques femmes qui le connaissaient les prirent avec elles. Simon ressentait beaucoup de dégoût et de répugnance à cause du triste état où se trouvait Jésus et de ses habits tout souillés de boue ; mais Jésus pleurait et le regardait de l'air le plus touchant Simon l'aida à se relever, et aussitôt les archers attachèrent beaucoup plus e. arrière l'un des bras de la croix qu'ils assujettirent sur l'épaule de Simon. Il suivait immédiatement Jésus, dont le fardeau était ainsi allégé. Les archers placèrent aussi autrement la couronne d'épines. Cela fait, le cortège se remit en marche. Simon était un homme robuste, âgé de quarante ans ;il avait la tête nue : son vêtement de dessus était court : il avait autour des reins des morceaux d'étoffe : ses sandales, assujetties autour des jambes par des courroies, se terminaient en pointe : ses fils portaient des robes bariolées. Deux étaient déjà grands ; ils s'appelaient Rufus et Alexandre, et se réunirent plus tard aux disciples. Le troisième était plus petit, et je l'ai vu encore enfant prés de saint Etienne. Simon ne porta pas longtemps la croix derrière Jésus sans se sentir profondément touché.

05 mars 2008

La condamnation de Jésus et le portement de Croix

VII La condamnation de Jésus et le portement de Croix

d'après les révélations de la Bienheureuse Anne Catherine Emmerich

Pilate qui ne cherchait pas la vérité, mais un moyen de sortir d'embarras, était plus incertain que jamais : sa conscience disait : Jésus est innocent, sa femme disait : Jésus est saint ; sa superstition disait : Il est l'ennemi de tes dieux ; sa lâcheté disait : Il est un Dieu lui-même et se vengera Il interrogea encore Jésus d'un ton inquiet et solennel, et Jésus lui parla de ses crimes les plus secrets, de la misérable destinée qui l'attendait et lui annonça que lui-même, au dernier jour, viendrait, assis sur les nuées du ciel, prononcer sur lui un juste jugement : cela jeta dans la fausse balance An ça justice un nouveau poids contre la mise en liberté de Jésus. Il était furieux de se trouver là, dans toute la nudité de son ignominie intérieure, en face de Jésus qu'il ne pouvait s'expliquer : il s'indignait que cet homme qu'il avait fait fouetter, qu'il pouvait faire crucifier, lui prédit une fin misérable ; que cette bouche qui n'avait jamais été accusé de mensonge, cette bouche qui n'avait pas prononcé une parole pour se justifier, osât, dans de telles circonstances, le citer au dernier jour devant son tribunal : tout cela blessait profondément son orgueil. Toutefois, comme aucun sentiment ne pouvait prendre absolument le dessus dans ce misérable indécis, il était en même temps terrifié des menaces du Seigneur et il fit un dernier effort pour le sauver ; mais la peur que lui firent les Juifs, en le menaçant de se plaindre de lui à l'empereur, le poussa à une nouvelle lâcheté. La peur de l'empereur terrestre l'emporta en lui sur la crainte du roi dont le royaume n'est pas de ce monde. Le lâche scélérat se dit à soi-même : “ s'il meurt, ce qu'il sait de moi et ce qu'il m'a prédit meurt avec lui ”. La menace d'être dénoncé à l'empereur le détermina à faire leur volonté contrairement à la justice, à sa propre conviction et a la parole qu'il avait donnée à sa femme. Il livra aux Juifs le sang de Jésus, et il n'eut plus pour laver sa conscience que l'eau qu'il fit verser sur ses mains, en disant : “  Je suis innocent du sang de ce juste, c'est à vous à en répondre ”.Non, Pilate, tu en répondras aussi, car tu l'appelles juste et tu répands son sang ; tu es un juge infâme et sans conscience. Ce sang dont Pilate voulait purifier ses mains les Juifs le réclamaient, appelant la malédiction sur eux-mêmes et sur Leurs enfants ; ils demandèrent que ce sang rédempteur qui crie miséricorde pour nous, criât vengeance contre eux : ils crièrent : “ Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! ”

Au bruit de ces cris sanguinaires, Pilate fit tout préparer pour prononcer sa sentence. Il se fit apporter des vêtements de cérémonie, il mit sur sa tête une espèce de diadème où brillait une pierre précieuse, et se revêtit d'un autre manteau : on porta aussi un bâton devant lui. Il était entouré de soldats, précédé d'officiers du tribunal, et suivi de scribes avec des rouleaux et des tablettes. Il y avait en avant un homme qui sonnait de la trompette. C'est ainsi qu'il se rendit de son palais sur le forum où se trouvait, en face de la colonne de la flagellation, un siège élevé pour le prononcé des jugements. Ce tribunal s'appelait Gabbatha : c'était comme une terrasse ronde où conduisaient des marches de plusieurs côtés : il y avait en haut un siège pour Pilate et, derrière ce siège, un banc pour des assesseurs ; un grand nombre de soldats entouraient cette terrasse et plusieurs se tenaient sur les degrés. Plusieurs des Pharisiens s'étaient déjà rendus au Temple. Il n'y eut qu'Anne, Caïphe et vingt-huit autres qui vinrent vers le tribunal lorsque Pilate mit ses vêtements de cérémonie. Les deux larrons avaient déjà été conduits devant le tribunal lorsque Jésus eût été montré au peuple. Le siège de Pilate était recouvert d'une draperie rouge sur laquelle était un coussin bleu avec des galons jaunes.

Le Sauveur, portant toujours son manteau rouge et sa couronne d'épines, fut alors amené par les archers devant le tribunal, à travers la foule qui le huait, et placé entre les deux malfaiteurs. Lorsque Pilate se fut assis sur son siège, il dit encore aux ennemis de Jésus : “ Voilà votre roi`.– Crucifiez-le ! ”  répondirent-ils. – “ Dois-je crucifier votre roi ? ” dit encore Pilate. “ Nous n'avons pas d'autre roi que César ”, crièrent les Princes des Prêtres. Pilate ne dit plus rien et commença à prononcer le jugement. Les deux voleurs avaient été condamnés antérieurement au supplice de la croix, mais les Princes des Prêtres avaient demandé qu'on sursît à leur exécution, parce qu'ils voulaient faire un affront de plus à Jésus, en l'associant dans son supplice à des malfaiteurs de la dernière classe. Les croix des deux larrons étaient auprès d'eux : celle du Sauveur n'était pas encore là, parce que sa sentence de mort n'avait pas été prononcée.

La sainte Vierge, qui s'était retirée après la flagellation, se jeta de nouveau dans la foule pour entendre la sentence de mort de son fils et de son Dieu. Jésus se tenait debout au milieu des archers, au bas des marches du tribunal. La trompette se fit entendre pour demander du silence, et Pilate prononça son jugement sur le Sauveur avec le courroux d'un lâche. Je me sentis tout accablée par tant de bassesse et de duplicité. La vue de ce misérable, tout enflé de son importance, le triomphe et la soif de sang des Princes des Prêtres, à détresse et la douleur profonde du Sauveur, les inexprimables angoisses de Marie et des saintes femmes, atroce avidité avec laquelle les Juifs guettaient leur proie. La contenance froidement insolente des soldats, enfin l'aspect de tant d'horribles figures de démons que je voyais mêlés à la foule, tout cela m'avait anéantie. Hélas ! je sentais que j'aurais dû être où était Jésus, mon fiancé chéri, car alors le jugement aurait été juste ; mais j'étais si déchirée par mes souffrances que je ne me rappelle plus exactement dans quel ordre les choses se passèrent. Je dirai à peu prés ce dont je me souviens.

Pilate commença par un long préambule où les noms les plus pompeux étaient prodigués à l'empereur Tibère ; puis il exposa l'accusation Intentée contre Jésus, que les Princes des Prêtres avaient condamné à mort pour avoir trouble la paix publique et violé leur loi, en se faisant appeler Fils de Dieu et roi des Juifs, et dont le peuple avait demandé la mort sur la croix d'une voix unanime. Lorsqu'il ajouta qu'il avait trouvé ce jugement conforme à la justice, lui qui n'avait cessé de proclamer l'innocence de Jésus, je perdis presque connaissance à la vue de cette infâme duplicité puis il dit en terminant : “ Je condamne Jésus de Nazareth, roi des Juifs, à être crucifié ” , et il ordonna aux archers d'apporter la croix. Je crois me rappeler qu'il brisa un long bâton et en jeta les morceaux aux pieds de Jésus.

La mère de Jésus tomba sans connaissance à ces mots, comme si la vie l'eût abandonnée ; maintenant il n'y avait plus de doute, la mort de son fils bien-aimé était certaine, la mort la plus cruelle et la plus ignominieuse. Jean et les saintes femmes l'emportèrent, afin que les hommes aveuglés qui l'entouraient ne missent pas le comble à leurs crimes en insultant à ses douleurs ; mais elle ne fut pas plus tôt revenue à elle qu'elle voulut parcourir les lieux témoins des souffrances de Jésus, et il fallut que ses compagnes la conduisissent de place en place, car le désir de s'associer à la Passion de Jésus par un culte mystique la poussait à offrir le sacrifice de ses larmes partout où le Rédempteur né de son sein avait souffert pour les péchés des hommes, ses frères. C'est ainsi que la mère du Sauveur consacra par ses larmes et prit possession de ces lieux sanctifiés pour l'Eglise, notre mère à tous, de même que Jacob, dressa comme un monument, et consacra, en l'oignant d'huile, la pierre près de laquelle il avait reçu la promesse.

Pilate écrivit le jugement sur son tribunal, et ceux qui se tenaient derrière lui le copièrent jusqu'à trois fois. On envoya aussi des messagers, car il y avait quelque chose qui devait être signé par d'autres personnes ; je ne sais pas si cela se rapportait au jugement ou si c'étaient d'autres ordres. Toutefois quelques-unes de ces pièces furent envoyées dans des endroits éloignés. Pilate écrivit touchant Jésus un jugement qui prouvait sa duplicité, car il était tout différent de celui qu'il avait prononcé de vive vois. Je vis que, pendant ce temps, son esprit était plein de trouble, et qu'il écrivait en quelque sorte contre sa volonté ; on eût dit qu'un ange de colère guidait sa plume ; le sens de cet écrit, dont je ne me souviens qu'en général, était à peu prés celui-ci : “ Forcé par les Princes des Prêtres, le Sanhédrin et le peuple près de se soulever, qui demandaient la mort de Jésus de Nazareth, comme coupable d'avoir troublé la paix publique, blasphémé et violé leur loi, je le leur ai livré pour être crucifié, quoique leurs inculpations ne me parussent pas claires, afin de n'être pas accusé devant l'empereur d'avoir favorisé l'insurrection et mécontenté les Juifs par un déni de justice. Je le leur ai livré avec deux autres criminels déjà condamnés, dont leurs menées avaient fait retarder l'exécution, parce qu'ils  voulaient que Jésus fût exécuté avec eux ”. Ici le misérable écrivit encore tout autre chose que ce qu'il voulait. Puis il écrivit l'inscription de la croix en trois lignes sur une tablette de couleur foncée. Le jugement où Pilate s'excusait fut transcrit plusieurs fois et envoyé en différents lieux. Mais les Princes des Prêtres eurent encore des contestations avec lui : ce jugement ne les satisfaisait pas ; ils se plaignaient notamment de ce qu'il avait écrit qu'ils avaient fait retarder l'exécution des larrons pour que Jésus fût crucifié avec eux ; ils s'élevèrent aussi contre l'inscription, et demandèrent qu'on ne mît pas “  roi des Juifs ”, mais “ qui s'est dit roi des Juifs ”. Pilate s'impatienta, se moqua d'eux et leur répondit avec colère : “ Ce que j'ai écrit est écrit. ” Ils voulaient aussi que la croix du Christ ne s'élevât pas plus au-dessus de sa tête que celle des deux larrons ; cependant il fallait la faire plus haute, car, par la faute des ouvriers, il y avait réellement trop peu de place pour mettre l'inscription de Pilate ; ils cherchèrent à profiter de cette circonstance afin de faire supprimer l'inscription qui leur semblait injurieuse pour eux. Mais Pilate ne voulut pas y consentir, et il fallut allonger la croix en y ajoutant un nouveau morceau de bois. Ces différentes circonstances concoururent à donner à la croix cette forme significative que j'ai souvent vue ; ainsi ses deux bras allaient en s'élevant comme les branches d'un arbre en s'écartant du tronc, et elle ressemblait à un Y dont le trait inférieur serait prolongé entre les deux autres ; les bras étaient plus minces que le tronc ; chacun d'eux y avait été ajusté séparément, et on avait enfoncé un coin de chaque côté au point de jonction pour en assurer la solidité. Or, comme la pièce du milieu, par suite de mesures mal prises, ne dépassait pas assez la tête pour que l'écriteau de Pilate pût y être placé convenablement, on y ajouta un appendice à cet cil et on assujettit un morceau de bois à la place des pieds pour les maintenir.

Pendant que Pilate prononçait son jugement inique, je vis que Claudia Procle, sa femme, lui renvoyait son gage et renonçait à lui ; le soir de ce jour elle quitta secrètement le palais pour se réfugier près des amis de Jésus, et on la tint cachée dans un souterrain sous la maison de Lazare, à Jérusalem. Ce même jour, ou quelque temps après, je vis aussi un ami du Sauveur graver sur une pierre verdâtre, derrière la terrasse de Gabbatha, deux lignes où se trouvaient les mots de Judex injustus, et le nom de Claudia Procle : je me souviens qu'un groupe nombreux de personnes qui s'entretenaient se trouvait en ce moment sur le forum, pendant que cet homme, caché derrière elles, gravait ces lignes sans qu'on pût le remarquer. Je vis enfin que cette pierre se trouve encore, sans qu'on le sache, dans les fondements d'une maison ou d'une église à Jérusalem au lieu où se trouvait Gabbatha. Claudia Procle se fit chrétienne, suivit saint Paul et devint son amie particulière.

Lorsque la sentence eut été prononcée, pendant que Pilate écrivait et se querellait avec les Princes des Prêtres, Jésus fut livré aux archers comme une proie ; jusque-là ces hommes abominables avaient gardé quelque retenue en présence du tribunal ; maintenant il était à leur discrétion. On apporta ses habits qui lui avaient été ôtés chez Caiphe ; ils avaient été mis de côté, et je pense que des hommes compatissants les avaient lavés, car ils étaient propres. C'était aussi, je crois, la coutume chez les Romains de remettre leurs vêtements à ceux qu'on conduisait au supplice. Les méchants hommes qui entouraient Jésus le mirent de nouveau à nu et lui délièrent les mains afin de pouvoir l'habiller, ils arrachèrent de son corps couvert de plaies le manteau de laine rouge qu'ils lui avaient mis par dérision, et rouvrirent par là beaucoup de ses blessures ; il mit lui-même en tremblant son vêtement de dessous, et ils lui jetèrent son scapulaire sur les épaules. Comme la couronne d'épines était trop large et empêchait qu'on pût passer la robe brune sans couture que lui avait faite sa mère, on la lui arracha de la tête, et toutes ses blessures saignèrent de nouveau avec des douleurs indicibles. Ils lui mirent encore son vêtement de laine blanche, sa large ceinture, et enfin son manteau ; puis ils lui attachèrent de nouveau, au milieu du corps, le cercle à pointes de fer auquel étaient liées les cordes avec lesquelles ils le traînaient ; tout cela se fit avec leur brutalité et leur cruauté ordinaires.

Les deux larrons étaient à droite et à gauche de Jésus ; ils avaient les mains liées, et, comme Jésus devant le tribunal, une chaîne autour du cou. Ils n'avaient, pour tout vêtement, qu'un linge autour des reins, un scapulaire d'étoffe grossière, ouvert sur le côté et sans manches, et sur la tête un bonnet de paille tressée, assez semblable à un bourrelet d'enfant ; leur peau était d'un brun sale et couverte de meurtrissures livides, provenant de leur flagellation de la veille. Celui qui se convertit par la suite était dés lors calme et pensif ; l'autre était grossier et insolent ; il s'unissait aux archers pour maudire et insulter Jésus, qui regardait ses deux compagnons avec amour et offrait pour leur salut toutes ses souffrances. Les archers rassemblaient tous les instruments du supplice et préparaient tout pour cette terrible et douloureuse marche dans laquelle le Sauveur, plein d'amour et accablé de douleur, voulait porter le poids des péchés de l'ingrate humanité et répandre, pour les expier, son sang précieux coulant, comme d'un calice, de son corps percé de part en part par les plus vils des hommes. Anne et Caïphe avaient enfin terminé leurs discussions avec Pilate ; ils tenaient deux longues bandes de parchemin où étaient des copies du jugement, et se dirigeaient en hâte vers le Temple, craignant d'y arriver trop tard. C'est ici que les Princes des Prêtres se séparèrent du véritable Agneau pascal. Ils allaient au Temple de pierre pour immoler et manger le symbole, et laissaient d'ignobles bourreaux conduire à l'autel de la croix l'agneau de Dieul dont l'autre n'était que la figure. C'est ici que se séparaient les deux routes, dont l'une conduisait au symbole du sacrifice, l'autre à son accomplissement : ils abandonnèrent des bourreaux impurs et inhumains l'Agneau pascal pur et rédempteur, le véritable Agneau de Dieu qu'ils avaient défiguré extérieurement par toutes leurs abominations et qu'ils s'étaient efforcés de souiller, et ils se rendaient en toute hâte au Temple de pierre pour immoler des agneaux, purifiés, lavés et bénis. Ils avaient bien pris toutes leurs précautions pour ne pas contracter d'impuretés extérieures et leur âme était toute souillée par la colère, la haine et l'envie. “ Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ” ! avaient-ils dit, et par ces paroles ils avaient accompli la cérémonie, mis la main du sacrificateur sur la tête de la victime. Ici se séparaient les deux routes qui menaient à l'autel de la loi et à l'autel de la grâce : Pilate, le paien orgueilleux et irrésolu, tremblant devant Dieu et adorant les idoles, le courtisan du monde, l'esclave de la mort, triomphant dans le temps jusqu'à ce qu'arrive le terme de la mort éternelle, Pilate prit entre les deux et s'en revint dans son palais, entouré de ses officiers et de ses gardes, c : précédé d'un trompette. Le jugement inique fut rendu vers dis heures du matin, suivant notre manière de compter. (...)

Lorsque Pilate eut quitté son tribunal, une partie des soldats le suivit et se rangea devant le palais pour former le cortège ; une petits escorte resta près des condamnés. Vingt-huit Pharisiens armés, parmi lesquels les six ennemis acharnés de Jésus qui avaient pris part à son arrestation sur le mont des Oliviers, vinrent à cheval sur le forum pour l'accompagner au supplice. Les archers conduisirent le Sauveur au milieu de la place, et plusieurs esclaves entrèrent par la porte occidentale, portant le bois de la croix qu'ils jetèrent à ses pieds avec fracas. Les deux bras étaient provisoirement attachés à la pièce principale avec des cordes. Les coins, le morceau de bois destiné à soutenir les pieds, l'appendice qui devait recevoir l'écriteau et divers autres objets furent apportés par des valets du bourreau. Jésus s'agenouilla par terre, prés de la croix, l'entoura de ses bras et la baisa trois fois, en adressant à voix basse à son Père un touchant remerciement pour la rédemption du genre humain qui commençait. Comme les prêtres, chez les païens, embrassaient un nouvel autel, le Seigneur embrassait sa croix, cet autel éternel du sacrifice sanglant et expiatoire. Les archers relevèrent Jésus sur ses genoux, et il lui fallut à grand peine charger ce lourd fardeau sur son épaule droite. Je vis des anges invisibles l'aider, sans quoi il n'aurait pas même pu le soulever. Il resta à genoux, courbé sous son fardeau. Pendant que Jésus priait, des exécuteurs firent prendre aux deux larrons les pièces transversales de leurs croix, ils les leur placèrent sur le cou et y lièrent leurs mains : les grandes pièces étaient portées par des esclaves. Les pièces transversales n'étaient pas droites, mais un peu courbées. On les attacha, lors du crucifiement, à l'extrémité supérieure du tronc principal. La trompette de la cavalerie de Pilate se fit entendre, et un des Pharisiens à cheval s'approcha de Jésus agenouillé sous son fardeau, et lui dit : “  Le temps des beaux discours est passé ; qu'on nous débarrasse de lui. “ En avant, en avant ” ! On le releva violemment, et il sentit tomber sur ses épaules tout le poids que nous devons porter après lui, suivant ses saintes et véridiques paroles.

Alors commença la marche triomphale du Roi des rois, si ignominieuse sur la terre, si glorieuse dans le ciel. On avait attaché deux cordes au bout de l'arbre de la croix, et deux archers la maintenaient en l'air avec des cordes, pour qu'elle ne tombât pas par terre ; quatre autres tenaient des cordes attachées à la ceinture de Jésus ; son manteau, relevé, était attaché autour de sa poitrine. Le Sauveur, sous le fardeau de ces pièces de bois liées ensemble, me rappela vivement Isaac portant vers la montagne le bois destiné au sacrifice où lui-même devait être immole. Le trompette de Pilate donna le signal du départ, parce que le gouverneur lui-même voulait se mettre à la tête d'un détachement pour prévenir toute espèce de mouvement tumultueux dans la ville. Il était à cheval, revêtu de son armure, et entouré de ses officiers et d'une troupe de cavaliers. Ensuite venait un détachement d'environ trois cents soldats d'infanterie, tous venus des frontières de l'Italie et de la Suisse. En avant du cortège allait un joueur de trompette, qui en sonnait à tous les coins de rue et proclamait la sentence. Quelques pas en arrière marchait une troupe d'hommes et d'enfants qui portaient des cordes, des clous, des coins et des paniers où étaient différents objets ; d'autres, plus robustes, portaient des porches, des échelles et les pièces principales des croix des deux larrons ; puis venaient quelques-uns des Pharisiens à cheval ; et un jeune garçon qui portait devant sa poitrine l'inscription que Pilate avait faite pour la croix ; il portait aussi, au haut d'une perche, la couronne d'épines de Jésus, qu'on avait jugé ne pouvoir lui laisser sur la tête pendant le portement de la croix. Ce jeune homme n'était pas très méchant. Enfin s'avançait Notre Seigneur, les pieds nus et sanglants, courbé sous le pesant fardeau de la croix, chancelant, déchiré, meurtri, n'ayant ni mangé, ni bu, ni dormi depuis la Cène de la veille, épuisé par la perte de son sang, dévoré de fièvre, de soif, de souffrances intérieures infinies ; sa main droite soutenait la croix sur l'épaule droite ; sa gauche, fatiguée, faisait par moments un effort pour relever sa longue robe, où ses pieds mal assurés s'embarrassaient. Quatre archers tenaient à une grande distance le bout des cordes attachées à sa ceinture ; les deux archers de devant le tiraient à eux, les deux qui suivaient le poussaient en avant, en sorte qu'il ne pouvait assurer aucun de ses pas et que les cordes l'empêchaient de relever sa robe. Ses mains étaient blessées et gonflées par suite de la brutalité avec laquelle elles avaient été garrottées, précédemment, son visage était sanglant et enflé, sa chevelure et sa barbe souillée de sang ; son fardeau et ses chaînes pressaient sur son corps son vêtement de laine, qui se collait à ses plaies et les rouvrait. Autour de lui, ce n'était que dérision et cruauté : mais ses souffrances et ses tortures indicibles ne pouvaient surmonter son amour ; sa bouche priait, et son regard éteint pardonnait. Les deux archers placés derrière lui qui maintenaient en l'air l'extrémité de l'arbre de la croix, l'aide des cordes qui y étaient attachées augmentaient les souffrances de Jésus en déplaçant le fardeau qu'ils s'élevaient et faisaient tomber tour à tour. Le long du cortège marchaient plusieurs soldats armés de lances ; derrière Jésus venaient les deux larrons, conduits aussi avec des cordes chacun par deux bourreaux ; ils portaient sur la nuque les pièces transversales de leurs croix, séparées du tronc principal, et leurs bras étendus étaient attachés aux deux bouts. Ils n'avaient que des tabliers : la partie supérieure de Leur corps était couverte d'une espèce de scapulaire sans manches et ouvert des deux côtés ; leur tête était coiffée d'un bonnet de paille. Ils étaient un peu enivrés par suite d'un breuvage qu'on leur avait fait prendre. Cependant le bon larron était très calme ; le mauvais, au contraire, était insolent, furieux et vomissait des imprécations les archers étaient des hommes bruns, petits, mais robustes avec des cheveux noirs, courts et hérissés ; ils avaient la barbe rare et peu fournie, ils n'avaient pas la physionomie juive : c'étaient des ouvriers du canal appartenant à une tribu d'esclaves égyptiens. Ils portaient des jaquettes courtes et des espèces de scapulaires de cuir sans manches : ils ressemblaient à des bêtes sauvages. La moitié des Pharisiens à cheval fermait la marche ; quelques-uns de ces cavaliers couraient ça et là pour maintenir l'ordre. Parmi les gens qui allaient en avant, portant divers objets, se trouvaient quelques enfants juifs de basse condition, qui s'y étaient joints de leur propre mouvement. A une assez grande distance était le cortège de Pilate ; le gouverneur romain était en habit de guerre, au milieu de ses officiers, précédé d'un escadron de cavalerie et suivi de trois cents soldats à pied : il traversa le forum, puis entra dans une rue assez large. Il parcourait la ville afin de prévenir tout mouvement populaire.

Jésus rut conduit par une rue excessivement étroite et longeant le derrière des maisons, afin de laisser place au peuple qui se rendait au Temple, et aussi pour ne pas gêner Pilate et sa troupe. La plus grande partie du peuple s'était mise en mouvement aussitôt après la condamnation, La plupart des Juifs se rendirent dans leurs maisons ou dans le Temple, afin de terminer à la hâte leurs préparatifs pour l'immolation de l'agneau pascal ; toutefois, la foule, composée d'un mélange de toute sorte de gens, étrangers, esclaves, ouvriers, femmes et enfants, était encore grande, et on se précipitait en avant de tous les côtés pour voir passer le triste cortège ; l'escorte des soldats romains empêchait qu'on ne s'y joignit, et les curieux étaient obligés de prendre des rues détournées et de courir en avant : la plupart allèrent jusqu'au Calvaire, La rue par laquelle on conduisit Jésus était à peine large de deux pas ; elle passait derrière des maisons, et il y avait beaucoup d'immondices. Il y eut beaucoup à souffrir : les archers se trouvaient tout prés de lui, la populace aux fenêtres l'injuriait, des esclaves lui jetaient de la boue et des ordures, de méchants garnements versaient sur lui des vases pleins d'un liquide noir et infect, des enfants même, excités par ses ennemis, ramassaient des pierres dans leurs petites robes, et couraient à travers le cortège pour les jeter sous ses pieds en l'injuriant. C'était ainsi que les enfants le traitaient, lui qui avait aime les enfants, qui les avait bénis et déclarés bienheureux.

La Flagellation de Jésus et le couronnement d'épines

VI La Flagellation de Jésus

D'après les révélations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich

La flagellation

Pilate, ce juge lâche et irrésolu, avait fait entendre plusieurs fois ces paroles pleines de déraison : “ Je ne trouve point de crime en lui : c'est pourquoi je vais le faire flageller et ensuite le mettre en liberté ”. Les Juifs, de leur côté, continuaient de crier : “ Crucifiez-le ! Crucifiez-le ” ! Toutefois Pilate voulut encore essayer de faire prévaloir sa volonté, et il ordonna de flageller Jésus à la manière des Romains. Alors les archers, frappant et poussant Jésus avec leurs bâtons, le conduisirent sur le forum à travers les flots tumultueux d'une populace furieuse. Au nord du palais de Pilate, à peu de distance du corps de garde, se trouvait, en avant d'une des halles qui entouraient le marché, une colonne où se faisaient les flagellations. Les exécuteurs vinrent avec des fouets, des verges et des cordes, qu'ils jetèrent au pied de la colonne. C'étaient six hommes bruns, plus petits que Jésus, aux cheveux crépus et hérissés, à la barbe courte et peu fournie. Ils portaient pour tout vêtement une ceinture autour du corps, de méchantes sandales et une pièce de cuir, ou de je ne sais quelle mauvaise étoffe ouverte sur les côtés comme un scapulaire et couvrant la poitrine et le des ; ils avaient les bras nus. C'étaient des malfaiteurs des frontières de l'Egypte, condamnés pour leurs crimes à travailler aux canaux et aux édifices publics, et dont les plus méchants et les plus il nobles remplissaient les fonctions d'exécuteurs dans le prétoire. Ces hommes cruels avaient déjà attaché à cette même colonne et fouetté jusqu'à la mort de pauvres condamnés. Ils ressemblaient à des bêtes sauvages ou à des démons, et paraissaient à moitié ivres. Ils frappèrent le Sauveur à coups de poing, le traînèrent avec leurs cordes, quoiqu'il se laissât conduire sans résistance, et l'attachèrent brutalement à la colonne. Cette colonne était tout à fait isolée et ne servait de support à aucun édifice. Elle n'était pas très élevée, car un homme de haute taille aurait pu' en étendant le bras, en atteindre la partie supérieure qui était arrondie et pourvue d'un anneau de fer. Par derrière. A la moitié de sa hauteur se trouvaient encore des anneaux ou des crochets. On ne saurait exprimer avec quelle barbarie ces chiens furieux traitèrent Jésus en le conduisant là ; ils lui arrachèrent le manteau dérisoire d'Hérode, et le jetèrent presque par terre. Jésus tremblait et frissonnait devant la colonne. Quoique se soutenant à peine, il se hâta d'ôter lui-même ses habits avec ses mains enflées et sanglantes. Pendant qu'ils le frappaient et le poussaient, il pria de la manière la plus touchante, et tourna la tête un instant vers sa mère, qui se tenait, navrée de douleur, dans le coin d'une des salles du marché, et, comme il lui fallut ôter jusqu'au linge qui ceignait ses reins, il dit en se tournant vers la colonne pour cacher sa nudité : “ Détournez vos yeux de moi ”. Je ne sais s'il prononça ces paroles ou s'il les dit intérieurement, mais je vis que Marie l'entendit : car, au même instant, elle tomba sans connaissance dans les bras des saintes femmes qui l'entouraient. Jésus embrassa la colonne ; les archers lièrent ses mains élevées en l'air derrière l'anneau de fer qui y était figé, et tendirent tellement ses bras en haut, que ses pieds, attachés fortement au bas de la colonne, touchaient à peine la terre. Le Saint des Saints, dans sa nudité humaine fut ainsi étendu avec violence sur la colonne des malfaiteurs, et deux de ces furieux, altérés de son sang. commencèrent à flageller son corps sacré de la tête aux pieds. Les premières verges dont ils se servirent semblaient de bois blanc très dur ; peut-être aussi étaient ce des nerfs de boeuf ou de fortes lanières de cuir blanc.

Notre Sauveur, le Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, frémissait et se tordait comme un ver sous les coups de ces misérables ; ses gémissements doux et clairs se faisaient entendre comme une prière affectueuse sous la bruit des verges de ses bourreaux. De temps en temps, le cri du peuple et des Pharisiens venait comme une sombra nuée d'orage étouffer et emporter ces plaintes douloureuses et pleines de bénédictions ; on criait : “ Faites-le mourir ! Crucifiez-le ” ! Car Pilate était encore en pourparlers avec le peuple ; et quand il voulait faire entendre quelques paroles au milieu du tumulte populaire, une trompette sonnait pour demander un instant de silence. Alors on entendait de nouveau le bruit des rouets. les sanglots de Jésus, les imprécations des archers et le bêlement des agneaux de Pâques, qu'on lavait à peu de distance, dans la piscine des Brebis. Quand ils étaient lavés, on les portait, la bouche enveloppée, jusqu'au chemin qui menait au Temple, afin qu'ils ne se salissent pas de nouveau, puis on les conduisait à l'extérieur vers la partie occidental où ils étaient encore soumis à une ablution rituelle. Ce bêlement avait quelque chose de singulièrement touchant. C'étaient les seules voix à s'unir aux gémissements du Sauveur.

Le peuple juif se tenait à quelque distance du lieu de la flagellation. Les soldats romains étaient postés en différents endroits et surtout du côté du corps de garde. Beaucoup de gens de la populace allaient et venaient, silencieux ou l'insulte à la bouche ; quelques-uns se sentirent touchés, et il semblait qu'un rayon partant de Jésus les frappait. Je vis d'infâmes jeunes gens presque nus, qui préparaient des verges fraîches près du corps de garde, d'autres allaient chercher des branches d'épine. Quelques archers des Princes des Prêtres s'étaient mis en rapport avec les bourreaux, et leur donnaient de l'argent. On leur apporta aussi une cruche pleine d'un épais breuvage rouge, dont ils burent jusqu'à s'enivrer. Au bout d'un quart d'heure, les deux bourreaux qui flagellaient Jésus furent remplacés par deux autres. Le corps du Sauveur était couvert de taches noires, bleues et rouges, et son sang coulait par terre ; il tremblait et son corps était agité de mouvements convulsifs. Les injures et les moqueries se faisaient entendre de tous côtés. Il avait fait froid cette nuit ; depuis le matin jusqu'à présent, le ciel était resté couvert : par intervalles, il tombait un peu de grêle, au grand étonnement du peuple. Vers midi, le ciel s'éclaircit et le soleil brilla.

Le second couple de bourreaux tomba avec une nouvelle rage sur Jésus ; ils avaient une autre espèce de baguettes ; s'étaient comme des bâtons d'épines avec des noeuds et des pointes. Leurs coups déchirèrent tout le corps de Jésus ; son sang jaillit à quelque distance, et leurs bras en étaient arrosés. Jésus gémissait, priait et tremblait. Plusieurs étrangers passèrent dans le forum sur des chameaux, et regardèrent avec effroi et avec tristesse, lorsque le peuple leur expliqua ce qui se passait. C'étaient des voyageurs, dont quelques-uns avaient reçu le baptême de Jean ou entendu les sermons de Jésus sur la montagne. Le tumulte et les cris ne cessaient pas près de la maison de Pilate.

De nouveaux bourreaux frappèrent Jésus avec des fouets : c'étaient des lanières, au bout desquelles étaient des crochets de fer qui enlevaient des morceaux de chair à chaque coup. Hélas ! qui pourrait rendre ce terrible et douloureux spectacle ? Leur rage n'était pourtant pas encore satisfaite : ils délièrent Jésus et l'attachèrent de nouveau, le des tourné à la colonne. Comme il ne pouvait plus se soutenir, ils lui passèrent des cordes sur la poitrine, sous les bras et au-dessous des genoux, et attachèrent aussi ses mains derrière la colonne. Tout son corps se contractait douloureusement : il était couvert de sang et de plaies. Alors ils fondirent de nouveau sur lui comme des chiens furieux. L'un d'eux tenait une verge plus déliée, dont il frappait son visage. Le corps du Sauveur n'était plus qu'une plaie ; il regardait ses bourreaux avec ses yeux pleins de sang, et semblait demander merci ; mais leur rage redoublait, et les gémissements de Jésus devenaient de plus en plus faibles.

L'horrible flagellation avait duré près de trois quarts d'heure, lorsqu'un étranger de la classe inférieure, parent de l'aveugle Ctésiphon guéri par Jésus, se précipita vers le derrière de la colonne avec un couteau en forme de faucille ; il cria d'une voir indignée : “  Arrêtez ! ne frappez pas cet innocent jusqu'à le faire mourir ” ! Les bourreaux, qui étaient ivres, s'arrêtèrent, étonnes ; il coupa rapidement les cordes assujetties derrière la colonne qui retenaient Jésus, puis il s'enfuit et se perdit dans la foule. Jésus tomba presque sans connaissance au pied de la colonne sur la terre toute baignée de son sang. Les exécuteurs le laissèrent là, s'en allèrent boire, et appelèrent des valets de bourreau, qui étaient occupés dans le corps de garde à tresser la couronne d'épines.

Comme Jésus, couvert de plaies saignantes, s'agitait convulsivement au pied de la colonne, je vis quelques filles perdues, à l'air effronté, s'approcher de lui en se tenant par les mains. Elles s'arrêtèrent un moment et le regardèrent avec dégoût. Dans ce moment, la douleur de ses blessures redoubla et il leva vers elles sa face meurtrie. Elles s'éloignèrent, et les soldats et les archers leur adressèrent en riant des paroles indécentes.

Je vis à plusieurs reprises, pendant la flagellation, des anges en pleurs entourer Jésus, et j'entendis sa prière pour nos péchés, qui montait constamment vers son Père au milieu de la grêle de coups qui tombait sur lui. Pendant qu'il était étendu dans son sang au pied de la colonne, je vis un ange lui présenter quelque chose de lumineux qui lui rendit des forces. Les archers revinrent et le frappèrent avec leurs pieds et Leurs bâtons, lui disant de se relever parce qu'ils n'en avaient pas fini avec ce roi. Jésus voulut prendre sa ceinture qui était à quelque distance : alors ces misérables le poussèrent avec le pied de côté et d'autre, en sorte que le pauvre Jésus fut obligé de se traîner péniblement sur le sol, dans sa nudité sanglante, comme un ver à moitié écrasé, pour pouvoir atteindre sa ceinture et en couvrir ses reins déchires. Quand ils l'eurent remis sur ses jambes tremblantes, ils ne lui laissèrent pas le temps de remettre sa robe, qu'ils jetèrent seulement sur ses épaules nues, et avec laquelle il essuya le sang qui coulait sur son visage, pendant qu'ils le conduisaient en hâte au corps de garde, en lui faisait faire un détour. Ils auraient pu s'y rendre plus directement parce que les halles et le bâtiment qui était en face du forum étaient ouverts, en sorte qu'on pouvait voir le passage sous lequel les deux larrons et Barabbas étaient emprisonnés ; mais ils le conduisirent devant le lieu où siégeaient les Princes des Prêtres qui s'écrièrent : “  Qu'on le fasse mourir ! Qu'on le fasse mourir ” ! et ce détournèrent avec dégoût. Puis ils le menèrent dans la cour intérieure du corps de garde. Lorsque Jésus entra, il n'y avait pas de soldats, mais des esclaves, des archers, des goujats, enfin le rebut de la population.

Comme le peuple était dans une grande agitation, Pilate avait fait venir un renfort de garnison romaine de la citadelle Antonia. Ces troupes, rangées en bon ordre. entouraient le corps de garde. Elles pouvaient parler, rire et se moquer de Jésus ; mais il leur était interdit de quitter leurs rangs. Pilate voulait par là tenir le peuple en respect. Il y avait bien un millier d'hommes.

Le couronnement d'épines

Lorsque la Soeur rentra dans ses visions sur la Passion, elle ressentit une fièvre très forte et une soif tellement brûlante que sa langue était contractée convulsivement et comme desséchée. Elle était si épuisée et si souffrante, le lundi d'après le dimanche de Laetare, qu'elle ne fit les récits qui suivent qu'avec beaucoup de peine et sans beaucoup d'ordre. Elle ajouta qu'il lui était impossible, dans l'état où elle se trouvait, de raconter tous les mauvais traitements qui avaient accompagné le couronnement d'épines de Jésus, parce que cela faisait revenir sous ses yeux toutes ces scènes, etc.

Pendant la flagellation de Jésus, Pilate parla encore plusieurs fois au peuple, qui une fois fit entendre ce cri : “ il faut qu'il meure, quand nous devrions tous mourir aussi ” ! Quand Jésus fut conduit au corps de garde, ils crièrent encore : “ Qu'on le tue ! qu'on le tue ” ! Car il arrivait sans cesse de nouvelles troupes de Juifs que les Commissaires des Princes des Prêtres excitaient à crier ainsi. Il y eut ensuite une pause. Pilate donna des ordres à ses soldats ; les Princes des Princes et leurs conseillers, qui se tenaient sous des arbres et sous des toiles tendues, assis sur des bancs placés des deux côtés de la rue devant la terrasse de Pilate, se firent apporter a manger et à boire par leurs serviteurs. Pilate, l'esprit troublé par ses superstitions, se retira quelques instants pour consulter ses dieux et Leur offrir de l'encens. La sainte Vierge et ses amis se retirèrent du forum après avoir recueilli le sang de Jésus. Je les vis entrer avec Leurs linges sanglants dans une petite maison peu éloignée bâtie contre un mur. Je ne sais plus à qui elle appartenait. Je ne me souviens pas d'avoir vu Jean pendant la flagellation.

Le couronnement d'épines eut lieu dans la cour intérieure du corps de Barde situé contre le forum, au-dessus des prisons. Elle était entourée de colonnes et les portes étaient ouvertes. Il y avait là environ cinquante misérables, valets de geôliers, archers, esclaves et autres gens de même espèce qui prirent une part active aux mauvais traitements qu'eut à subir Jésus. La foule se pressait d'abord autour de l'édifice ; mais il fut bientôt entouré d'un millier de soldats romains, rangés en bon ordre, dont les rires et les plaisanteries excitaient l'ardeur des bourreaux de Jésus comme les applaudissements du public excitent les comédiens.

Au milieu de la cour ils roulèrent la base d'une colonne où se trouvait un trou qui avait dû servir pour assujettir le fût. Ils placèrent dessus un escabeau très bas, qu'ils couvrirent par méchanceté de cailloux pointus et de tessons de pot. Ils arrachèrent les vêtements de Jésus de dessus son corps couvert de plaies, et lui mirent un vieux manteau rouge de soldat qui ne lui allait pas aux genoux et où pendaient des restes de houppes jaunes. Ce manteau se trouvait dans un coin de la chambre : on en revêtait ordinairement les criminels après leur flagellation, soit pour étancher leur sang, soit pour les tourner en dérision. Ils traînèrent ensuite Jésus au siège qu'ils lui avaient préparé et l'y firent asseoir brutalement. C'est alors qu'ils lui mirent la couronne d'épines. Elle était haute de deux largeurs de main, très épaisse et artistement tressée. Le bord supérieur était saillant. Ils la lui placèrent autour du front en manière de bandeau, et la lièrent fortement par derrière. Elle était faite de trois branches d'épines d'un doigt d'épaisseur, artistement entrelacées, et la plupart des pointes étaient à dessein tournées en dedans. Elles appartenaient à trois espèces d'arbustes épineux, ayant quelques rapports avec ce que sont chez nous le nerprun, le prunellier et l'épine blanche. Ils avaient ajouté un bord supérieur saillant d'une épine semblable à nos ronces : c'était par là qu'ils saisissaient la couronne et la secouaient violemment. J'ai vu l'endroit où us avaient été chercher ces épines. Quand ils l'eurent attachée sur la tête de Jésus, ils lui mirent un épais roseau dans la main. Ils firent tout cela avec une gravité dérisoire, comme s'ils l'eussent réellement couronné Toi. Ils lui prirent le roseau des mains, et frappèrent si violemment sur la couronne d'épines que les yeux du Sauveur étaient inondés de sang. Ils s'agenouillèrent devant lui, lui firent des grimaces, lui crachèrent au visage et le souffletèrent en criant : “ Salut, Roi des Juifs ! ” Puis ils le renversèrent avec son siège en riant aux éclats, et l'y replacèrent de nouveau avec violence.

Je ne saurais répéter tous les outrages qu'imaginaient ces hommes. Jésus souffrait horriblement de la soif ; car les blessures faites par sa barbare flagellation lui avaient donné la fièvre, et il frissonnait ; sa chair était déchirée jusqu'aux os, sa langue était retirée, et le sang sacré qui coulait de sa tête rafraîchissait seul sa bouche brûlante et entrouverte. Jésus fut ainsi maltraité pendant environ une demi heure, aux rires et aux cris de joie de la cohorte rangée autour du prétoire.