10 mai 2022

Pauline Jaricot, une femme de foi et d’action !

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Pauline Jaricot, une femme de foi et d’action !

 

Suite à la reconnaissance de son premier miracle, Pauline Jaricot sera béatifiée le 22 mai 2022 à Lyon.

Cette laïque, entrepreneuse lyonnaise du XIX ème siècle, s’est mise activement au service du Christ après avoir été profondément touchée par un sermon sur la vanité alors qu’elle avait 17 ans et vivait une vie mondaine.

Pauline imagine, entreprend, crée … Elle nous montre un chemin de sainteté au cœur du monde, ancré dans un catholicisme social et missionnaire.

Je suis faite pour aimer et agir. Mon cloître, c'est le monde.” (Pauline Jaricot)

 

  • Évangélisation : Pour aider les missionnaires, elle crée l’œuvre de la Propagation de la Foi en 1822 qui deviendra les Œuvres Pontificales Missionnaires. Elle est aujourd’hui patronne des missions. "Une personne qui va puiser de l'eau dans un panier d'osier n'est pas moins insensée que ceux qui se donnent beaucoup de peine en ce monde sans unir leurs travaux à ceux de Jésus-Christ" (Pauline Jaricot)

  • Prière : Ayant une grande dévotion à la Vierge Marie, elle aime la prière du Rosaire et crée le Rosaire Vivant, en 1826 ; fondation toujours en activité. “La prière est un moteur puissant qui fait sentir sa force d'un bout du monde à l'autre ; elle va chercher dans le cœur de Dieu des grâces de vie et de salut pour tous. La prière est le royaume de Dieu au-dedans de nous ; elle s'étend à tous, au Ciel, sur la terre, dans le purgatoire ; elle enchaîne les démons !” (Pauline Jaricot)

  • Action sociale : Sensible aux réalités et à la misère du monde ouvrier, elle s’engage corps et âme auprès des travailleurs et des plus démunis. « Il faut s’attacher à améliorer la condition de la classe ouvrière. Il faut rendre à l’ouvrier sa dignité d’homme, en l’arrachant à l’esclavage d’un travail sans relâche, sa dignité de père en lui faisant retrouver les charmes de la famille, sa dignité de chrétien en lui procurant les espérances de la religion » (Pauline Jaricot)

A l’occasion de sa béatification, rejoignez - du 14 au 22 mai sur Hozanacette neuvaine en ligne à Pauline Jaricot proposée par les Oeuvres Pontificales Missionnaires. Inscrivez-vous dès à présent !

 

Alice Ollivier pour Hozana.org

 

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12 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Lundi de Pâques

Mort, où est ta victoire ?

 

Évangile selon Saint Matthieu (5, 1-12)

 

« Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :

« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.

Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.

Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés ».

 

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Lundi 24 septembre 2012

 

Le corps de Darwin vient d’être amené par les services funèbres et nous faisons monter le petit cercueil blanc dans la chapelle de la Fondation qui se trouve à l’étage. Un groupe d’enfants venus des différents foyers suit avec gravita la petite procession et s’installe calmement dans l’oratoire en attendant. Les frères et sœurs de Darwin sont là, presque au complet, quelque compagnons d’infortune de la rue se sont joints aussi. La maman, très digne, les yeux rougis par la tristesse, est assise sur un chaise à l’arrière. Le papa, lui, n’est pas venu.

Deux membres du personnel des pompes funèbres installent en silence le cercueil sur le côté droit, tandis qu’un autre dépose quelques gerbes de fleurs à ses pieds. Celui qui semble diriger les opérations ouvre la partie haute du cercueil et essuie religieusement la vitre qui va permettre à chacun de venir voir une dernière fois le corps de Darwin. Puis ils sortent sans un mot.

Je m’avance le premier et prends un petit temps de recueillement en silence. Je regarde ce visage qui est bien celui de notre petit protégé sans déjà plus lui ressembler. Le maquillage excessif destiné à redonner un peu de couleurs à ses joues casse définitivement tout effet de similitude. L’exposition du corps sert d’ailleurs justement à faire le deuil. Darwin n’est plus là.

Quelques enfants s’approchent et m’entourent en scrutant l’intérieur du cercueil, puis c’est au tour de la famille.

Tout le journée, des enfants par petits groupes provenant des différents foyers convergent vers la chapelle pour prier et se relayer autour de leur frère parti trop vite. Un cahier a été déposé à la sortie et chacun prend le temps de mettre un petit mot, un hommage.

L’émotion est évidemment palpable, mais il règne une atmosphère apaisée au naturel que seuls les enfants savent garder en toute circonstances. Jimmy est un enfant de onze ans, abandonné par sa maman sur un marché de la ville. Il a été recueilli par la Fondation deux ans auparavant. C’est un garçon très sensible qui déborde de joie malgré la blessure terrible de son coeur. Il s’approche de moi et me dit :

- Mon Père, ça vous dérangerait de venir avec moi pour vous Darwin ? Je n’ai jamais vu de mort et j’ai un peu peur.

- Mais bien sûr, viens avec moi.

Nous nous approchons, Jimmy se tient devant moi et s’accroche à mes deux avant-bras. Il inspecte le cercueil en silence puis lève la tête vers moi et me dit :

- Il y a une vitre.

- Eh bien oui, comme ça, tu peux le voir.

- Mais comment voulez-vous qu’il respire ?

L’innocence de l’enfance venait encore nous surprendre !

Je le regarde sans rien dire. N’a-t-il pas raison finalement ? Il a bien sûr compris le corps de Darwin était mort, mais garde aussi l’intuition que son âme reste vivante.

« Mort où est ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton dard venimeux ? La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Co 15, 55).

Entre alors Maria, suivie de tous ces jeunes garçons qui ont partagé les dernières années de leurs vies avec Darwin dans le foyer « Notre Dame de Guadalupe ». Un par un ils s’approchent et se recueillent. Estin est là près du cercueil. Étonnamment il a gardé son sourire et pose longuement son regard sur son ami. Il m’aperçoit ensuite près de la porte et s’avance vers moi. Il me serre très fort dans ses bras sans quitter son sourire lumineux et, à ma grande surprise, prononce distinctement deux mots en tagalog :

- Darwin, langit.

« Darwin, le ciel », deux mots sans fioritures comme s’il délivrait un message. Puis il semble scruter ma réaction pour s’assurer que j’ai bien compris. Je le prends à mon tour dans mes bras et laisse couler mes larmes.

- Oh oui, Estin, je n’en ai pas le moindre doute.

 

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Mardi 25 septembre

 

La Messe d’enterrement est prévue à quatorze heures dans la paroisse du quartier. Il reste encore une demi-heure avant le début de la célébration mais déjà tout le monde s’affaire. La chorale guidée par les bénévoles répète les chants et les enfants prennent place. Quelques rangs devant ont été réservés pour les enfants du foyer « Notre Dame de Guadalupe ».

Je les aperçois à l’entrée de l’église. Ils tiennent tous à la main un ballon blanc. Les quatre plus grands : Ome, Rex, Keith et Giosue se tiennent prêt car ce sont eux qui porteront le cercueil jusque devant l’autel.

La messe est simple et belle. L’atmosphère au cimetière quant à elle, est surprenante avec ces dizaines d’enfants éparpillés sur les tombes alentour pour être au plus près du caveau ou le petit cercueil blanc est descendu. Les chants et prières s’élèvent comme ce bouquet de ballons que les enfants laissent s’envoler à la fin de la célébration avec le secret espoir que Darwin puisse les attraper de là-haut.

Quelques temps après, je suis de retour à l’hôpital pour signer quelques papiers, formalités administratives afin de clore le dossier. Je cherche avant tout la chapelle de l’hôpital pour me recueillir quelques instants en repensant à cet étonnant combat mené par un jeune garçon sans force. À ma grande stupéfaction, je la trouve située juste au-dessus de cette petite officine où Darwin a passé sa « Semaine Sainte ».

Tout au long de son combat spirituel, lorsqu’il fixait le plafond, les yeux de Darwin étaient en fait rivés sur le Tabernacle.

Son agonie était un coeur à Coeur.

 

Abba Père,

 

Écoute nos coeurs, Seigneur, quand nous nous sentons désemparés, quand règne en nous la confusion, que ton amour nous ouvre le bras et nous enveloppe de ta paix.

Seigneur, quand tout espoir nous quitte, quand nos fardeaux sont trop lourds et que nous n’en pouvons plus, étends vers nos tes bras et guéris-nous, console-nous.

Nous te demandons humblement ton Esprit d’amour.

Rappelle-nous que nous ne sommes jamais seuls dans la vie, accompagne-nous comme tu l’as fait avec Darwin, quand il était encore parmi nous. Fais que nous n’oublions jamais tout ce que Darwin a souffert, sa douleur et son chagrin, afin que comme lui, nous sachions porter nos problèmes avec un coeur plein de foi et le sourire aux lèvres.

Nous te présentons nos soucis et tout ce qui nous tient à coeur…. Et nous demandons pour cela l’intercession de notre cher Darwin et sa prière.

Et nous prions afin que notre Bienheureuse Mère du Ciel serre doucement notre frère Darwin dans ses bras, pour l’emmener dans la demeure céleste de notre Abba, Père. Amen.

 

Gaines Rosario, Layforce – Archidiocèse de Manille

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

 

Ouverture de la Cause de Béatification de Darwin

 

Le 28 août 2019, le diocèse de Cubao, dans la région de Manille, a ouvert officiellement la cause en béatification de Darwin.

En mars 2019, la Congrégation pour la cause des saints, à Rome, a donné le feu vert au diocèse de Cubao pour l’ouverture de l’enquête diocésaine. Mgr Ongtioco a cependant reconnu que le procès en béatification devrait être long. Un tribunal ecclésiastique a été nommé afin de procéder à l’audition des témoins. Le procès en vue de la reconnaissance de l’héroïcité des vertus de Darwin est en cours.

Le père Danilo Flores, promoteur de justice, confie que l’équipe d’enquête formée par l’évêque de Cubao est chargée de vérifier si le jeune Philippin « a une réputation de sainteté et qu’il peut être déclaré comme tel ».

Le père Flores ajoute que Darwin est reconnu pour une certaine sainteté qui n’est pas commune pour la jeunesse, que ce soit aux Philippines ou dans le monde. « Il a quelque chose que nous devrons découvrir, et cela devrait se faire par étapes », confie-t-il. « Avant tout, s’il est au Ciel, nous devons prouver qu’il peut être un modèle, surtout pour la jeunesse ».

Le prêtre dominicain Thomas de Gabory, postulateur pour la cause de béatification, raconte avoir rencontré Darwin Ramos avant sa mort, en 2012. « Il était comme vous et moi, un simple adolescent », explique le religieux. « En apparence, il ressemblait aux autres jeunes, mais son cœur était profondément donné à Jésus Christ. »

 

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Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorification sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

https://darwin-ramos.org

Facebook : @DarwinRamosAssociation

 

11 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Veillée pascale et Dimanche de la Résurrection

 

Evangile selon Saint Jean (20, 1-9)

 

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

 

Dimanche 23 septembre 2012

 

J’ai l’impression de revivre exactement la même scène que dimanche dernier. Il est minuit, je m’habille à toute vitesse, j’attrape mon petit sac à dos et enfourche ma moto pour rejoindre l’hôpital au plus vite. Alexandra, une jeune volontaire française qui donne toute son énergie et son coeur au service des enfants de la Fondation, vient de m’appeler. C’est elle qui veillait sur Darwin cette nuit et les médecins ont subitement demandé à me parler. Une urgence ont-ils dit.

Je déboule dans la petite salle de soins intensifs et le médecin de garde, une jeune femme douce et délicate s’approche de moi.

- Mon Père, nous aimerions savoir si vous nous autorisez à être agressifs en cas de réanimation ?

Le vocabulaire qu’elle emploie me surprend un peu.

- Pardon, je vous comprends mal. De quel réanimation parlez-vous ?

- Darwin ne va pas bien et son coeur peut lâcher à tout moment. Puisque vous êtes le gardien légal du patient, j’ai besoin de vos recommandations au sujet de la réanimation.

- Mais je croyais que l’assistance respiratoire allait lui permettre de tenir encore longtemps !

Elle sent dans le ton de ma voix que je suis un peu perdu et reprend plus calmement :

- Nous l’espérions effectivement, mais le corps de Darwin semble ne plus avoir la force de se battre. L’évolution de sa maladie touche à sa fin malheureusement. Le taux de carbone a considérablement augmenté ces dernières heures et votre garçon est en train de s’empoisonner.

Je n’arrive pas à retenir mes larmes et reste sans voix.

- Mon Père, s’il vous plaît, pour la réanimation…

- Oui, pardon. Faites ce qui sera nécessaire, mais ne vous acharnez pas, je vous en supplie.

J’entre dans la petite salle où Randy continue de pomper consciencieusement sur la petite poire pour accompagner la respiration de Darwin. Il est resté toute la soirée pour assister Alexandra alors qu’il avait déjà veillé l’après-midi. Je lis sur son visage attristé qu’il a bien compris la gravité du moment qu’il est en train de vivre.

Je m’approche de Darwin qui est dans un état de semi-coma. Toutes sortes de câbles relient son corps à des engins perfectionnés dont je ne connais pas l’utilité mais le petit retentissement régulier de l’alarme, qui fait penser aux sonars d’un sous-marin, me rassure, comme s’il était une preuve tangible que son coeur bat encore. Darwin ouvre par moment les yeux mais ne semble pas me reconnaître. Le regard encore embué par les larmes, j’ouvre ma sacoche pour prendre mon étole, l’eau bénite et mon petit rituel et commencer à réciter la prière des agonisants. J’ai du mal à articuler les mots que je prononce entre deux sanglots. Dans cette petite salle, où sont pourtant entassés quatre autres enfants malades et leurs parents, le silence est saisissant. Tout le monde, malades et médecins, semble se joindre à cette dernière supplication.

« … à l’heure où tu quitteras cette vie, que la Vierge et tous les saints viennent au devant de toi. Que Jésus-Christ te délivre, Lui qui a bien voulu mourir en croix pour toi ».

À peine la prière achevée, je me tourne vers Alexandra et lui demande de prévenir Gloria, la directrice-adjointe de la Fondation, Joseph bien sûr et Maria, la responsable de son foyer. Il faut vite les informer que Darwin est en train de nous quitter.

Au cours des heures qui passent, ils arrivent tous un par un dans cette petite pièce. Tous ceux qui l’ont accompagné ces derniers mois sont là, il ne manque plus que la famille de Darwin, mais l’assistante sociale est déjà en route pour aller les chercher. Tous montrent une dignité impressionnante et viennent dire quelques mots à l’oreille de Darwin. Souvent un simple merci.

Le jour commence à poindre. Épuisé par cette longue veille, je m’assieds à côté de Darwin sur une chaise en plastique tandis que Gloria prend la poire en caoutchouc et reste debout à pomper méthodiquement. Elle semble tenir sa vie au bout des doigts. Le médecin de garde vient parfois vérifier les engins électroniques et ajuste le rythme d’écoulement des poches de Dextrose. Je pose ma main sur le coeur de Darwin et sens ce battement faible mais régulier qui le raccroche encore à la vie. J’ai l’impression qu’à chaque pulsation, mon petit protégé m’appelle, qu’il se manifeste à moi. Ces petites vibrations lointaines sont le dernier pont qui nous relie. Nous restons ainsi de longues minutes à le regarder vivre ses derniers moments.

Tout à coup plus rien.

Je le sens, son coeur s’est arrêté. Je fais signe au médecin qui ajustait encore la perfusion. Elle prend calmement son stéthoscope et vérifie mécaniquement le pouls du jeune patient. Puis dans un mouvement soudain grimpe sur le lit, et agenouillée près du jeune garçon se met à lui faire un massage cardiaque tout en demandant l’assistance des infirmiers. Tandis que Gloria continue de pomper, je m’écarte du lit pour leur laisser la place et ne retiens plus mes larmes qui coulent sans discontinuer.

Après quelques minutes d’agitation, l’équipe médicale s’arrête un instant. Le coeur semble avoir repris. Le médecin fait glisser son stéthoscope le long du thorax. Mais affichant une moue dubitative, elle fait à nouveau signe aux infirmiers et recommence le massage cardiaque.

D’interminables minutes se passent pendant lesquelles l’équipe médicale se relaie pour tenter de réanimer ce corps sans vie.

Du bout du lit, je regarde fixement le visage de Darwin et murmure à voix basse :

- Tu t’es bien battu, mon bonhomme. Allez, cas-y maintenant, pars. Il t’attendent là-haut.

Je fais un geste discret de la tête au médecin qui guettait mon signal. Elle touche aussitôt sans un mot le bras de l’infirmier affairé à masser avec énergie. Ce dernier s’arrête aussitôt et descend du petit lit. C’est fini, Darwin nous a quittés.

Nous sommes un dimanche matin, il est 5h30, aube du jour où les Chrétiens se rassemblent pour fêter la résurrection du Christ. Darwin vient d’achever sa longue semaine sainte.

« Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Maître » (Mt 25, 21).

L’équipe médicale s’empresse en silence de débrancher les engins électroniques et le corps est recouvert d’un drap. Je ne me résigne pas à m’écarter de cet petit lit comme si le temps venait de s’arrêter. Mais il faut consentir à l’accompagner, dans la prière.

En sortant de l’hôpital, je suis envahi par une image d’une douceur surnaturellement apaisante : Darwin se blottit dans les bras de la Vierge Marie tout en me regardant avec un immense sourire. « Bahala na siya. À Elle de s’occuper de toi ».

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

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Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorification sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

https://darwin-ramos.org

Facebook : @DarwinRamosAssociation

 

10 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Samedi Saint

Le grand silence

 

Livre d’Isaïe (53, 1-12)

 

Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Il était méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. (...) Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. (…) À cause de ses souffrances, il verra la lumière, il sera comblé. Parce qu’il a connu la souffrance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

 

Samedi 22 septembre 2012

 

Tous les samedis, je consacre la matinée aux chiffonniers de la grande décharge de Manille, la tristement célèbre Smokey Mountain. Des milliers de familles y survivent en fouillant les déchets de la ville qui y son déversés sans discontinuer par les bennes à ordures sur un terrain d’à peu près sept hectares. Avec un groupe de volontaires et quelques adolescents, anciens enfants des rues, nous organisons des activités avec les enfants délaissés et je leur donne ensuite une leçon de catéchisme. Ils profitent ensuite d’un repas préparé par la Fondation. C’est un lieu apocalyptique, comme un enfer sur terre, où règne pourtant une joie indescriptible. Au coeur d’une misère terrible, les enfants et leurs parents gardent de larges sourires, résistant courageusement au malheur.

Je me souviens d’ailleurs que Maria, la responsable du foyer « Notre Dame de Guadalupe », avait organisé une visite des familles de la décharge avec tous les jeunes de son centre. Il n’était pas facile de faire rouler le petit fauteuil roulant dans les ruelles du bidonville, mais la journée fut inoubliable. Enfants des rues et enfants chiffonniers avaient joué ensemble et les rires faisaient oublier un temps la misère ambiante. Le jeune garçon myopathe était très impressionné par cette rencontre et les visages de ses nouveaux amis habitaient souvent sa prière.

Encore ému des mots que Darwin m’a écrit la veille, j’ai hâte de le retrouver. Mais il me faut attendre l’après-midi pour filer à l’hôpital et passer à nouveau un peu de temps auprès de notre patient. En arrivant, je trouve pourtant la petite officine vide et bien rangée. Le lit a disparu et son jeune occupant aussi. Il n’y a plus aucune trace du petit capharnaüm qui régnait les jours précédents dans cette chambre improvisée. Voyant mon étonnement, l’infirmier m’indique que Darwin a été transféré en soins intensifs, quelques mètres plus loin. Je m’empresse de rejoindre la salle en question, inquiet de ce changement inattendu. À l’entrée, je trouve Joseph, son fidèle aide-soignant, qui ma rassure en me disant que la décision a été prise le matin afin de prévenir toute complication puisqu’ils ont ici tout le matériel nécessaire en cas de problème. Les médecins ne sont pas pessimistes, me dit-il, mais le taux de carbone présent dans le sang qui s’était bien stabilisé les premiers jours à tendance à remonter. Il faut donc le surveiller de près pour éviter que cela ne devienne dangereux.

Partiellement rassuré, je jette un coup d’oeil à l’intérieur et aperçois Darwin éveillé sur son lit. Il ne remarque pas ma présence et scrute le plafond tandis que Randy, un grand gaillard qui a passé les dix dernières années à la Fondation, appuie inlassablement et régulièrement la petite pompe qui assiste le souffle du malade.

Je m’assieds à côté du lit et salue Darwin qui me répond par un simple regard et un petit sourire discret. Il n’a pas l’air de souffrir, son visage est apaisé et sa respiration régulière, mais il ne semble vouloir ni parler, ni écrire. Il est là, allongé devant moi, plongé dans un silence qu’il gardera toute la journée. Il se tourne parfois vers moi, et ferme aussi de temps en temps les yeux pour se reposer.

Le Samedi Saint, c’est la mise au tombeau du Christ. L’Église célèbre ce jour sombre en vivant un grand silence. Les autels sont nus, les statues recouvertes, les tabernacles sont vides. La liturgie elle-même se tait et aucune messe n’est célébrée.

Darwin poursuit son triduum. Il est au coeur de l’étape silencieuse de son pèlerinage.

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

 

Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorifi cation sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur

Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao

(22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

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09 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Vendredi Saint

Le côté transpercé

 

Evangile selon Saint Jean (19, 25-37)

 

Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.

 

Vendredi 21 septembre 2012

 

Le souvenir terrible du combat spirituel de Darwin me hante. Je revois ses yeux épouvantés et cette angoisse qui imprégnait chaque trait de son visage. Je m’empresse donc de retourner à l’hôpital pour le retrouver, non sans une certaine appréhension, pour être à nouveau à ses côtés dans cette résistance d’un autre ordre.

Quelle n’est pas ma surprise, en entrant dans la petite chambre, de trouver Darwin souriant, le regard à nouveau pétillant mais surtout serein. Il est calme et semble être habité d’une grande paix intérieure. Conscient de l’inquiétude dans laquelle je demeure après l’expérience de la veille. Darwin me demande d’approcher et sans me quitter du regard, serre ma main entre son pouce et son index avec une affection indescriptible. Il se tourne ensuite vers le jeune infirmier qui est de garde à ses côtés pour pomper l’infernale poire de respiration et lui fait signe délicatement de le mettre en position assise sur son lit.

Bien calé sur deux gros oreillers, le jambes repliées devant lui, il pose à nouveau son regard sur moi en souriant, malgré la canule qui continue de le gêner puis me fait comprendre qu’il veut écrire quelque chose. L’infirmier me passe le grand cahier bleu qui lui sert à noter heure par heure tous les faits, même anodins, qui concernent le jeune patient. Je l’ouvre à l’envers pour que Darwin puisse écrire sur la dernière page. Je sors ensuite un stylo de ma poche et le cale dans sa main sans force, puis je maintiens son poignet pour qu’il puisse le garder à hauteur du cahier et écrire sans trop de difficulté.

Maladroitement et s’y reprenant même à deux fois, il écrit laborieusement quelques mots à gauche de la page et me demande de les lire. « Maraming salamat po. Un immense merci ». Comme à son habitude, Darwin prend le temps de remercier. Mais cette fois-ci ses mots prennent une solennité toute différente comme un testament. Je respire de manière appuyée avec un sourire gêné pour lui faire comprendre que je me sens infiniment plus redevable de lui.

Il appuie sur ma main pour écrire à nouveau et griffonne d’autres mots à droite de la page. « Masayang masaya ako » « Je suis très heureux ». Darwin laisse aussitôt tomber le stylo pour libérer son index et pointe alors son doigt sur cette petite phrase comme s’il voulait s’assurer que je la prenne bien au sérieux. Puis il me regarde et m’offre son plus beau sourire.

Je reste muet, les yeux rougis par les larmes qui commencent à monter et que j’essuie vite du revers de la main.

Je ne m’attendais pas à ces mots tout simples et pourtant si profonds que je lis et relis. Darwin n’a plus rien pour être heureux au sens où le monde l’entend, ni matériellement, ni affectivement. Son corps le fait souffrir et l’espoir d’un rétablissement s’estompe. Il devrait normalement tomber dans un désespoir sans fin, mais exprime surnaturellement sa joie.

Je ne doute pas d’ailleurs un instant de l’authenticité de cette joie qui nous fait plonger dans un mystère impressionnant où la dimension sensible n’a plus sa place. Darwin partage la joie des plus grands saints, celle qui se situe à un niveau que seule l’âme peut atteindre. C’est la joie d’une Mère Teresa, malgré les ténèbres qu’elle a traversées toute sa vie comme le révèle son précieux journal. C’est la joie d’un Saint François d’Assise, détaché de tout ce que le monde chérit.

Mais c’est surtout la joie du Christ en croix qui peut murmurer dans un dernier souffle : « Tout est accompli ».

Darwin me donne la clé pour comprendre l’allégresse inextinguible des enfants des rues de Manille. Il m’aide à percer le mystère de ces sourires immuables des petits chiffonniers de la décharge, ce rayonnement des plus pauvres qui interpelle tout ceux qui se mettent à leur service. Le jeune garçon myopathe s’est tellement uni au Christ jusque dans sa souffrance, qu’il partage aussi sa joie dont le Charpentier de Nazareth est la source. La dimension proprement sensible est reléguée à un plan inférieur car elle ne procure qu’un bien-être éphémère. La vraie joie quant à elle élève l’âme au niveau le plus haut, celui d’une union des coeurs. Darwin a accepté une telle intimité avec son Ami qu’il goûte déjà de ce bonheur promis.

Je regarde avec gravité mon petit bonhomme ratatiné sur son lit d’hôpital et je comprends l’incomparable noblesse de son âme. En regardant ce petit corps qui ne ressemble plus à rien, les mots de l’apôtre Saint Paul prennent un sens étincelant : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co, 12, 10). Je me sens tellement petit devant cet être héroïque et pourtant sans force. Toutes les contrariétés de mon quotidien m’apparaissent insignifiantes, presque misérables.

 

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Maître de joie.

 

Prenant conscience du privilège immérité d’être en présence d’un tel « bienheureux », je reste à ses côtés sans trop savoir quoi lui dire. D’ailleurs il ne répond plus à mes questions que par un sourire tendre, comme s’il avait dit les seuls mots qui en valaient la peine : « Je suis très heureux ». Il ferme les yeux et s’endort.

Je m’approche du jeune infirmier épuisé par sa nuit de veille et lui prends la poire de respiration pour qu’il puisse aller se dégourdir les jambes. Je me cale sur le rythme régulier de la respiration du jeune patient tout en contemplant son visage endormi et apaisé. Je me remémore alors tous les moments passés à la Fondation et je réalise qu’il gardait toujours son grand sourire, dans les temps de bonheur comme dans les épreuves.

Soudain Darwin se réveille en sursaut et me regarde en secouant le tube de sa bouche. Perdu dans mes souvenirs, je me suis arrêté de pomper, il n’a donc plus d’air ! Je m’excuse platement en rougissant d’avoir été si distrait mais lui pouffe de rire de me voir si gêné. Il me regarde en souriant et ferme à nouveau les yeux.

Nous sommes vendredi. Le Christ est mort en croix. Il a donné sa vie jusqu’au bout pour le salut du monde et la plaie de son coeur transpercé laisse couleur une source de joie qu’aucun péché, aucune maladie, ni aucun malheur ne pourront tarir.

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

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Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012. Sa cause de béatification est ouverte.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorifi cation sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco,

évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

https://darwin-ramos.org

 Facebook : @DarwinRamosAssociation

 


08 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Jeudi Saint

Le Mont des Oliviers

 

Evangile selon Saint Matthieu (26, 37-46)

 

Il emmena Pierre, ainsi que Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, et il commença à ressentir tristesse et angoisse. Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Restez ici et veillez avec moi. » Allant un peu plus loin, il tomba face contre terre en priant, et il disait : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » Puis il revient vers ses disciples et les trouve endormis ; il dit à Pierre : « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller seulement une heure avec moi ? Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible. » De nouveau, il s’éloigna et pria, pour la deuxième fois ; il disait : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » Revenu près des disciples, de nouveau il les trouva endormis, car leurs yeux étaient lourds de sommeil. Les laissant, de nouveau il s’éloigna et pria pour la troisième fois, en répétant les mêmes paroles. Alors il revient vers les disciples et leur dit : « Désormais, vous pouvez dormir et vous reposer. Voici qu’elle est proche, l’heure où le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici qu’il est proche, celui qui me livre. »

 

Jeudi 20 septembre 2012

 

Je suis en route vers l’hôpital après avoir passé la matinée à donner le catéchisme dans l’une des écoles que nous avons construites au coeur de plusieurs bidonvilles. J’ai hâte de retrouver mon petit protégé et de savoir s’il a déjà terminé de visionner tous les dessins animés que je lui ai laissé hier pour égayer un peu l’atmosphère pesante de sa chambre.

Mais au lieu du sourire espéré, c’est un visage apeuré que je trouve en entrant dans la petite officine. Darwin semble terrorisé. Ses yeux d’ordinaire si pétillants expriment cette fois une anxiété inhabituelle pour son caractère toujours si jovial et apaisé.

La peur se lit dans un regard. J’en ai déjà fait l’expérience plusieurs fois notamment lorsqu’un jeune voleur faillit se faire tuer sous mes yeux par le gardien d’une compagnie pétrolière qui avait surpris son larcin et l’avait mis en joue. Le justicier improvisé avait tiré par deux fois en manquant sa cible, et j’avais alors croisé le regard terrifié de ce condamné à mort en sursis que la peur avait subitement envahi.

Darwin m’inquiète car je ne l’ai jamais vu ainsi, même dans les moments les plus difficiles et les crises qu’il a dû traverser du fait de l’évolution de sa maladie.

Il est toujours le premier à nous rassurer sur son état, à dédramatiser la situation et à relativiser sa souffrance pourtant bien réelle.

Cette fois il ne peut pas. Il est tourmenté et son regard balaie la pièce. Il me dévisage de manière troublante, puis fixe un instant le plafond avec angoisse avant de me regarder à nouveau avec des yeux suppliants. Il serre dans ses mains, avec le peu de force qui lui reste, la statuette de la Vierge Marie offerte la veille par la religieuse Dominicaine puis se tourne à nouveau vers moi et semble vouloir quelque chose. Je m’approche et m’assois près de lui en lui prenant la main.

- Que se passe-t-il Darwin ? As-tu un problème ? As-tu besoin de quelque chose ?

Impossible pour lui de prononcer un mot avec la canule enfoncée dans sa bouche, mais nous pouvons lire sur ses lèvres et deviner tant bien que mal ce qu’il veut nous dire.

- Il faut prier, dit-il, avec un air implorant.

- Entendu Darwin, mais pourquoi ressens-tu le besoin de prier ?

- Parce que je me bats.

- Tu te bats contre ta maladie ?

Le jeune garçon fait une courte pause et pose longuement son regard sur moi, comme s’il voulait s’assurer que je l’écoute bien.

- Je me bats contre le démon.

Je suis abasourdi par sa réponse mais l’expression de son visage ne fait aucun doute. Darwin vit assurément un combat spirituel d’une terrible intensité, combat au grand jour qu’il partage avec les plus grands saints de toute l’hagiographie. Le démon ne se donne plus la peine de se cacher en face d’une âme aussi pure. Sa plus grande ruse, qui consiste à faire croire qu’il n’existe pas, n’a pas de prise sur un enfant aussi héroïque. Il ne lui reste plus qu’une bataille à mener, celle de la désespérance. Ne plus croire à l’amitié de Celui qui a été son compagnon tout au long de son pèlerinage sur terre. Se croire abandonné par ce Dieu et l’abandonner à son tour.

Darwin voit probablement se jouer devant lui, devant cette petite pièce de quelques mètres carrés, le combat des anges. Il revit d’une certaine manière, l’agonie du Jardin des Oliviers s’unissant de manière impressionnante à l’angoisse du Christ lui-même.

La réponse qu’il donne à la tentation de désespérer est sans appel. C’est d’ailleurs le commandement que Jésus donne à ses disciples, endormis quelques mètres plus loin, alors que Judas s’apprête à le livrer.

- Il faut prier, répète-t-il fermement.

Réalisant la gravité du moment, je lui propose d’aller chercher ce qu’il faut pour lui administrer les derniers sacrements. Mais tout semble se jouer à l’instant.

- Il faut prier maintenant.

L’expression du visage est alarmante. Il a besoin de renfort spirituel tout de suite. Je demande tout de même à Maxime, un jeune volontaire français venu m’accompagner dans les bidonvilles, de filer au foyer me chercher ma petite sacoche et je propose à Darwin d’implorer l’aide de la Vierge Marie en méditant ensemble les mystères du Rosaire. Il acquiesce immédiatement.

Je sors mon chapelet, embrasse la Croix et l’approche des lèvres de Darwin. Puis je mets sa main dans la mienne et place la première petite perle de bois entre son pouce et son l’index. Je commence alors à prier la longue série des « Notre Père » et des « Je Vous salue Marie » à haute voix, tandis qu’il accompagne les invocations en silence du bout de ses lèvres asséchées par le tube.

Par moments, il semble perdre le fil de notre litanie et fixe avec anxiété le plafond, puis reprend le cours de la prière en serrant avec force ma main dans la sienne. Je fais glisser le chapelet grain après grain entre ses doigts en ayant du mal à contenir mon émotion. Jamais je n’ai prié Notre Dame avec une telle certitude qu’Elle se tient là, à nos côtés, attentive à l’espérance que contient chacun de ces mots répétés inlassablement.

Maxime réapparaît avec ma précieuse sacoche et je me prépare à administrer les derniers Sacrements. Darwin me dévisage avec conviction et fixe à nouveau le plafond en fronçant les sourcils. Son regard est désormais empreint de détermination, malgré l’angoisse. Le combat est intense, mais il sait qu’il est déjà gagné.

En lisant les prières qui accompagnent les mourants, je réalise à quel point la réponse du Christ au mystère scandaleux du mal est avant tout une réponse d’amour. Le poète Paul Claudel dit que le Christ est venu emplir ce scandale de sa présence et ses mots prennent une intensité particulière appliqués au petit corps sans force de Darwin.

Dieu pourrait arrêter immédiatement ce combat et libérer notre garçon. Il a ce pouvoir mais cela réduirait l’action divine à une démonstration de puissance. Il est tout-puissant, certes, mais sa puissance est d’abord et avant tout une puissance d’amour à laquelle il veut nous associer. Le mystère demeure mystérieux et le scandale scandaleux, toutefois nous savons à quel point l’amour sur cette terre est intimement uni à la souffrance. Darwin est un nouveau « témoin » (dont l’étymologie est similaire au mot martyr), à la suite d’une foule innombrable de saints.

L’extrême-onction s’achève bientôt. Il ne me reste plus qu’à lui donner une dernière bénédiction mais l’émotion m’envahit tout à coup et je n’arrive pas à retenir mes larmes. J’essaie sans succès de les cacher mais Darwin tourne immédiatement son regard vers moi en entendant les sanglots dans ma voix. Il me regarde longuement sans rien dire, avec cet air anxieux qui ne le quitte pas. Il est au coeur du combat. Il ne faut pas flancher.

En refermant mon petit rituel, je me souviens à quel point Darwin préférait parler de sa « mission » plutôt que de se lamenter sur l’évolution inexorable de sa maladie. D’aucuns pourraient se demander légitimement la signification d’une vie comme celle de ce jeune myopathe, coincé toutes ces années dans son fauteuil roulant sans pouvoir prétendre à un avenir quelconque aux yeux du monde. Sa valeur apparaît pourtant indiscutable devant ce petit corps affaibli qui mène le combat des Grands. Inexplicable, mais manifeste. L’âme de Darwin est tellement épurée de tout ce qui nous aveugle qu’elle n’est réduite qu’à sa simple vocation : aimer. Aimer jusqu’au bout. Il l’avait d’ailleurs compris lui-même il y a quelques années en me disant qu’il devait tenir jusqu’au bout, à l’image du Christ.

Darwin n’est pas apaisé. Il continue de fixer de temps en temps le plafond avec une angoisse qui se lit encore sur son visage. Mais elle doit parfois laisser place à la détermination de son regard. Le combat n’est pas fini, il est pourtant gagné et le piège s’est retourné contre l’ennemi. Le démon lance un dernier assaut contre une forteresse imprenable. Imprenable parce que faible et fragile.

Assaut désespéré...

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

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Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012. Sa cause de béatification a été ouverte.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorification sur terre de ton serviteur Darwin, afin que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

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07 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

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Mercredi Saint

La coupe de gloire

 

Evangile selon Saint Marc (10, 35-40)

 

Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »

 

Mercredi 19 septembre 2012

 

Darwin semble dormir paisiblement ce matin. Assis contre son petit lit d’hôpital, je suis en train de pomper aussi régulièrement que possible la poire reliée au tube coincé dans sa bouche. J’ai remplacé Jayson, un jeune qui nous a rejoint depuis trois ans déjà. Il a vécu l’enfer de la rue : drogue, prostitution, délinquance, mais avec l’aide de la Fondation et une volonté de fer, il a réussi à se relever. Il a repris ensuite ses études et rêve aujourd’hui de devenir à son tour éducateur de rue pour aider les enfants qui, comme lui, ont vécu le rejet et l’abandon. Jayson a choisi le créneau de nuit à l’hôpital. Il est resté aux côtés de notre jeune patient pendant quatre heures. Ankylosé par ce long moment de veille, il est sorti quelques instants pour se dégourdir les jambes.

Je regarde le visage de Darwin et me réjouis de le voir si tranquille. Il ne fronce p, ne secoue pas les sourcils, ne secoue pas non plus la tête comme la veille et s’oxygène régulièrement au rythme de l’assistance respiratoire. Il semble donc bien s’être habitué à ce corps étranger dans la gorge. Plus fortement cependant, je ressens cette paix extérieure comme l’expression de celle, profonde et intérieure, qui lui donne la grâce une fois encore d’accepter avec résignation sa condition physique. Darwin a toujours accueilli sans fatalité l’évolution de sa maladie qu’il appelle sa mission. Son infirmité et ses souffrances ont un sens, il le sait.

Je me souviens de ce jour où, au cours d’une discussion, Darwin m’avait dit :

- Vous savez, mon Père, je crois que Jésus veux que je tienne jusqu’au bout, comme Lui.

Il exprimait ainsi de manière édifiante, la compréhension qu’il avait de sa « mission » et marchait avec Celui qui a souffert comme lui. Et s’il n’avait aucune idée du chemin qu’il devait prendre, il avait toujours la conviction qu’il devait avancer sans se décourager, appuyé sur le bâton de la persévérance, côte à côte avec le Christ.

Darwin ouvre sans peine les yeux et m’aperçoit. Il ne peut dire un mot mais son sourire, gêné par le tube et pourtant si expressif, m’offre une salutation chaleureuse qui me rassure. Il va plutôt bien. Il ne semble pas trop souffrir et est heureux de notre présence à ses côtés.

Il essaie de me dire quelque chose. Je regarde donc avec attention ses lèvres pour saisir le sens des mots qu’il prononce sans pouvoir émettre de son.

- Comment allez-vous ? Articule-t-il doucement.

Sa question a quelque chose d’étrange tant notre attention est focalisée sur son état à lui.

- J’irais mieux si tu voulais bien sortir de l’hôpital.

Il y a volontairement un ton un peu taquin dans ma réponse. Darwin esquisse un sourire amusé et tourne sa tête vers la petite table à côté de lui où il m’a vu poser une petite boite en entrant. Elle l’intrigue car il aimerait bien savoir ce qu’elle contient.

- Je t’ai apporté une surprise, lui dis-je.

Et sans attendre, j’ouvre le paquet et en sors un petit lecteur vidéo et quelques disques de dessins animés. Son visage s’illumine car les longues heures d’attentes dans ce lit d’hôpital sont interminables. Il va pouvoir se divertir un peu. J’installe le gadget sur ses genoux et mets en route le premier disque. Darwin est captivé par les images mais il me lance tout ce même de temps en temps un œil reconnaissant.

Quant à moi, je le regarde en me demandant de ce que les mois à venir nous réservent et surtout comment nous allons pouvoir nous organiser pour l’accompagner au mieux dans les derniers moments de sa vie.

Entre alors dans la petite officine médicale, sœur Ana-Marie, religieuse Dominicaine polonaise, qui a pris l’habitude depuis quelques mois de venir enseigner le catéchisme aux enfants handicapés mentaux de la Fondation. Elle vient les voir une fois par semaine et m’accompagne aussi régulièrement dans les bidonvilles lors de mes visites hebdomadaires. Darwin l’aperçoit dans l’encadrement de la porte et oubliant son petit film, ne la quitte plus des yeux. Il semble tellement heureux de sa visite.

S’approchant de lui, elle l’embrasse et lui met dans la main une statuette en plastique de la Vierge Marie et dans l’autre un chapelet. Elle pose ensuite une image du Saint Pape Jean Paul II sur la petite table où sont entassées les boites de médicaments.

- Notre maman du Ciel et son Pape vont bien veiller sur toi. Sais-tu qu’il est originaire de mon pays ? Et sans lui laisser le temps d’acquiescer, elle continue : il a été très malade aussi, il sait ce que veut dure le mot souffrance, il va t’aider.

Elle s’assoit de l’autre côté du lit et entame une discussion avec le jeune patient muet qui l’écoute avec attention. Il la dévore des yeux et semble goûter chacun de ses mots.

La paix de son âme m’impressionne. Saint Vincent de Paul disait que le malade est comme une jauge avec laquelle vous pouvez sonder et savoir le plus assurément quelle est la vertu de tout un chacun. Appliquée à notre jeune myopathe, il faut alors parler de la mesure de toute une vie. Darwin édifie toujours ceux qui le rencontrent par la force qui émane de lui au travers de sa faiblesse. Dans les derniers moments de sa vie, il ne déroge pas à la règle et montre encore et toujours cette extraordinaire sérénité, reflet de la confiance qu’il a placée dans Celui qui donne le sens et la fin de sa « mission ».

« Merci » et « je t’aime » sont les deux expressions que Darwin aura prononcées le plus souvent dans sa vie. Deux formules toutes simples, usuelles et parfois vidées de leur substance dans un monde qui a tourné le dos à la relation pour s’asservir dans la compétition, mais des mots qui prennent une intensité toute particulière dans la souffrance.

Je contemple cette scène pleine de complicité entre le jeune garçon et la religieuse en habit blanc.

Après une bonne demi-heure de discussion rythmée par les histoires enflammées de sœur Ana-Marie et les sourires approbateurs du jeune patient, la Dominicaine s’excuse et nous quitte pour rejoindre son couvent à l’est de la ville. Darwin la suit du regard jusqu’à la porte puis se tourne vers moi sans perdre son sourire. Il vient de vivre la grâce toute simple d’une visite, baume de compassion qui tord le cou de l’indifférence. La Sainte de Calcutta, disait que la solitude était le mal de notre siècle, son remède réside assurément dans ces gestes anodins mais pleins d’amour, graines de consolation.

« Accepter l’autre qui souffre signifie, en effet, assumer en quelques manières sa souffrance, de façon qu’elle devienne aussi la mienne. Mais parce que maintenant elle est devenue souffrance partagée, dans laquelle il y a la présence d’un autre, cette souffrance est pénétrée par la lumière de l’amour. La parole latine con-solatio, consolation, l’exprime de manière très belle, suggérant un être-avec dans la solitude, qui n’est alors plus solitude » (Benoît XVI, Spe Salvi).

Darwin ferme les yeux et s’endort.

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

 

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Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012. Sa cause de béatification est en cours d'instruction.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorification sur terre de ton serviteur Darwin, afin que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

https://darwin-ramos.org

 

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06 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte de Darwin Ramos

 

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Mardi Saint

Le Chant du coq

 

Évangile selon Saint Jean (13, 21-33, 36-38)

 

À l’heure où Jésus passait de ce monde à son père, au cours du repas qu’il prenait avec ses disciples, il fut bouleversé en son esprit, et il rendit ce témoignage : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera. » Les disciples se regardaient les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait. Il y avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait. Simon-Pierre lui fait signe de demander à Jésus de qui il veut parler. Le disciple se penche donc sur la poitrine de Jésus et lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jésus lui répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. » Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote. Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Mais aucun des convives ne comprit pourquoi il lui avait dit cela. Comme Judas tenait la bourse commune, certains pensèrent que Jésus voulait lui dire d’acheter ce qu’il fallait pour la fête, ou de donner quelque chose aux pauvres. Judas prit donc la bouchée, et sortit aussitôt. Or il faisait nuit. Quand il fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi. Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard. » Pierre lui dit : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi ! » Jésus réplique : « Tu donneras ta vie pour moi ? Amen, amen, je te le dis : le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois.

 

Mardi 18 septembre 2012

 

En passant les portes de l’hôpital, je suis bien décidé à extirper des informations aux médecins pour en savoir plus sur l’état de santé de Darwin. Le vocabulaire médical est parfois opaque, reflet de l’impuissance inavouée des descendants d’Hippocrate devant la maladie. Ils m’ont dit hier que notre petit malade resterait intubé jusqu’à « la fin » et ce mot m’effraie. La fin ? La mort veulent-ils dire. Mais à défaut de pouvoir l’éviter, j’aimerais tant maîtriser, suivant en cela la tentation multimillénaire de l’orgueil humain.

 

J’aperçois dans un petit couloir la jeune femme médecin qui avait tenté d’adoucir les mots de sa désagréable collègue.

- Pardon de vous déranger encore, mais j’aimerais avoir quelques précisions à propos de mon jeune patient.

- Oui bien sût mon Père, je suis là pour ça.

- Soyez franche, s(il vous plaît, est-il en danger immédiat ?

- En fait, c’est difficile à dire, probablement non. Avec l’assistance respiratoire dont on vous a parlé, cela peut durer encore de longs mois.

 

La perspective de devoir accompagner Darwin pour si un long crépuscule n’est pas réjouissante et pourtant ces mots me rassurent. J’ai l’impression qu’ils nous accordent un précieux répit. Les maladies incurables sont comme des épées de Damoclès au-dessus de la tête. Le compte à rebours se met en route et le temps semble mettre à l’épreuve l’intensité de chaque moment vécu. On voudrait rallonger chaque minute pour leur donner plus de profondeur, de beauté, d’authenticité. On aimerait alors percer le mystère de l’éternité.

Je m’approche de la petite salle où Darwin est allongé au milieu d’instruments médicaux et de boites de médicaments. Il n’y a toujours pas de lits disponibles en soins intensifs et cette petite officine permet aux infirmiers de l’avoir constamment à l’oeil. Je suis d’ailleurs plutôt satisfait de cette situation d’exception car, non seulement notre patient est immanquablement surveillé par le va-et-viens du personnel médical mais surtout, contrairement aux autres chambres où les patients sont entassés parfois par dizaine, elle nous donne le luxe d’être seuls avec lui sans oreille indiscrète et sans ce regard lourd et indélicat que beaucoup posent encore sur le handicap.

Darwin dort. Ce n’est pas un sommeil apaisé car il secoue de temps en temps la tête, gêné par le tube qui irrite sa trachée-artère. Elmar, l’un de ses « grands frères de la rue » arrivé en même temps que lui à la Fondation, veille fidèlement, pressant mécaniquement et le plus régulièrement possible la poire de respiration. Je suis touché par cette scène toute simple qui reflète de manière émouvante l’atmosphère familiale de la Fondation. Les enfants viennent tous de la rue avec des histoires dramatiques, ayant pour la plupart du temps quitté le foyer familial très jeunes pour fuir les violences ou les abus sexuels. Ce sont des êtres très profondément blessés. Mais leurs coeurs restent assoiffés d’un grand amour à donner et à recevoir. La Fondation facilite cette résurrection en leur offrant un cadre où ils apprennent à s’aimer comme des frères et sœurs.

En contemplant cette scène, je me remémore l’échange étonnant que j’ai eu quelques mois auparavant avec Jerriel, un jeune adolescent qui a trouvé refuge à la Fondation alors qu’il avait 5 ans à peine. Il me disait sa souffrance d’être raillé par l’un de ses camarades de classe qui l’avait affublé du sobriquet de Batang ampunan en tagalog, ce qui se traduit littéralement par « enfant d’orphelinat ».

 

- Tu ne devrais pas être vexé par ces mots, lui avais-je alors dit pour tenter de l’apaiser, tu devrais en être fier au contraire car la Fondation c’est ta famille en quelque sorte.

Jerriel me quitta sans paraître vraiment convaincu après mon argumentaire. Pourtant il revint quelques jours après victorieux.

- Mon Père, il s’est encore moqué de moi.

- Ah bon, mais qu’as-tu dit ?

- Je lui ai demandé combien de frères et de sœurs il avait. Il m’a dit quatre.

Et gonflant fièrement la poitrine, il continua :

- … alors je l’ai regardé et je lui ai dit : « Eh bien moi, j’en ai deux cent soixante-quinze ! »

 

J’avais alors été profondément touché par cette fierté toute légitime de Jerriel qui me montrait à quel point il avait adopté la fondation comme nouvelle famille. En voyant Elmar s’occuper de Darwin je ressens à nouveau cette joie intense de les sentir unis comme de vrais frères.

Darwin ouvre péniblement les yeux. Il fixe le plafond un long moment, comme si, réalisant à nouveau sa situation, il prenait le temps de l’accepter, de s’abandonner à nouveau. Il jette un coup d’oeil rapide vers Elmar, son bon samaritain, puis tourne la tête vers moi. Ses yeux sont perçants, ses deux billes noires étant désormais son unique moyen d’expression. Il pose sur moi son regard longuement, minutieusement même, cherchant à savoir si je ne lui cache pas d’autres mauvaises nouvelles, puis me fait signe d’approcher en bougeant son pouce. Je m’assied sur le bord de son petit lit et prends un air interrogatif en haussant les sourcils pour savoir ce qu’il veut. Darwin me regarde, esquisse un sourire discret, puis il regarde à nouveau vers le plafond tout en serrant autant qu’il peut ma main entre son pouce et son index. Il ne veut rien de particulier, simplement que je sois là, assis à ses côtés. Inutile de lui murmurer des paroles réconfortantes, c’est une présence qu’il désire, un silence qui dise quelque chose de la sympathie que j’aimerais tant lui exprimer : porter sa souffrance avec lui, le soulager de cette croix, l’apaiser.

Et pourtant, témoin impuissant de l’un des plus grands scandales que le monde connaisse, ce mal qui s’abat sur des enfants innocents, je ressens curieusement au fond de mes tripes un sentiment partagé. J’aimerais que Darwin ressente l’affection que j’ai pour lui, et c’est tout son être à lui qui transpire l’amour. J’aimerais qu’il puise chez moi un peu de courage, et je sens en lui une grandeur d’âme contagieuse. J’aimerais être un soutien dans son épreuve, il est une source d’inspiration. Sa faiblesse devient ma force.

Un infirmier entre sans nous adresser la parole, ni même nous regarder. Il jette un coup d’oeil à la perfusion, tourne un peu la manette pour que les gouttes de Dextrose s’écoulent plus rapidement puis attrape le carnet de notes dans lequel sont consignées, jour après jour, toutes les interventions du corps médical. Je contemple cette scène avec un certain malaise. Il est là, devant nous, mais complètement absent.

J’ai compris quelques minutes auparavant, grâce à Darwin, la puissance magnifique d’une simple présence, même silencieuse, et je réalise par cette simple scène à laquelle j’assiste, à quel point l’absence, son antonyme, peut-être si destructrice, vecteur de l’indifférence. Notre amour est manifesté par des petits gestes insignifiants, des regards posés, des paroles. Notre indifférence, quant à elle, se propage par les omissions innombrables de ces signes discrets qui ont pourtant valeur d’éternité.

Darwin ne peut plus parler. Il a non plus la force de serrer ceux qu’il aime dans ses bras. Il lui reste encore son regard dont la portée va bien au-delà d’une simple vision des choses qui l’entourent. Notre jeune paralysé n’a plus d’autres occupations sur son petit lit d’hôpital que de laisser son coeur aimer. Et les deux petites pupilles noires de ses yeux, dernier pont de communication avec le monde extérieur, ne se privent pas d’exprimer avec force et profondeur tout l’amour qui emplit son coeur d’enfant. Cet amour muet est un curieux mystère mais il est palpable.

Dans la petite officine d’un hôpital de Manille, au beau milieu d’un tourbillon médical, s’élève un chant d’amour, un hymne silencieux que l’oreille n’entend pas mais le coeur, lui, reconnaît avec certitude.

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

 

Darwin-Ramos Ciel

 

Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorifi cation sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

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05 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Lundi Saint

Le parfum de nard

 

Evangile selon Saint Jean (12, 1-11)

 

Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où habitait Lazare, qu’il avait réveillé d’entre les morts. On donna un repas en l’honneur de Jésus. Marthe faisait le service, Lazare était parmi les convives avec Jésus. Or, Marie avait pris une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur ; elle versa le parfum sur les pieds de Jésus, qu’elle essuya avec ses cheveux ; la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Judas Iscariote, l’un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit alors : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum pour trois cents pièces d’argent, que l’on aurait données à des pauvres ? » Il parla ainsi, non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune, il prenait ce que l’on y mettait. Jésus lui dit : « Laisse-la observer cet usage en vue du jour de mon ensevelissement ! Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. » Or, une grande foule de Juifs apprit que Jésus était là, et ils arrivèrent, non seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir ce Lazare qu’il avait réveillé d’entre les morts. Les grands prêtres décidèrent alors de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient, et croyaient en Jésus.

 

Lundi 17 septembre 2021

 

Je me réveille avec un nœud au ventre, ayant quitté l’hôpital hier soir sans plus d’informations qu’un laconique : « Il faut attendre l’avis du pneumologue ». J’ai laissé Joseph et Darwin dans cette pièce aux odeurs d’éther le temps d’aller fermer les yeux quelques heures.

Célébrer la Sainte Messe en gardant à l’esprit le regard inquiet de Darwin donne un relief particulier au Sacrifice renouvelé. « Nous T’offrons pour eux un relief particulier pour eux-mêmes et tous les leurs ce Sacrifice de louange ». La messe achevée, je dois passer par le centre d’accueil de la Fondation avant de retourner les voir à l’hôpital.

Coup de téléphone. C’est Joseph qui me dit que les médecins demandent à me parler rapidement.

 

- Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Un problème ? Comment va Darwin ?

- Ils veulent envisager avec vous une possible intubation.

- Ah bon ? Dis-leur que je sera là dans une heure.

- Non je crois qu’il faut venir tout de suite, il y a une certaine urgence, ils vont vous expliquer.

 

Je ne pose pas plus de questions et file immédiatement à l’hôpital. Je reconnais un des gardes qui travaillait il y a quelques années sur la paroisse où je réside, un sanctuaire marial le long du périphérique. Il me salue avec un grand sourire et je me dirige vers la salle des urgences où j’ai laissé mon jeune patient et son « ange gardien » la veille. Mais le garde m’arrête et m’oriente de l’autre côté, vers le bureau des infirmiers. Il n’y avait plus de place aux soins intensifs et comme l’état de Darwin nécessite un suivi très serré, ils l’ont tout simplement installé au beau milieu de leur petite officine qui sert surtout de réserve de médicaments et de compresses.

J’entre, non sans une certaine émotion que j’essaie tant bien que mal de dissimuler, car je ne veux pas que Darwin sente mon inquiétude. Le petit corps atrophié, dont les forces ont faibli petit à petit depuis toutes ces années, est abandonné de tout son poids sur le lit d’hôpital. Darwin est entouré de trois infirmières qui vérifient sa tension et s’assurent que la perfusion est bien en place, mais aucun médecin en vue. Il est toujours aussi pâle, mais semble toutefois avoir retrouvé une respiration plus confortable grâce à l’assistance respiratoire manuelle. Il se laisse faire sans broncher et réclame juste de temps en temps d’être changé de position quand l’immobilité de son corps le gêne. Cela demande à celui qui le garde une certaine habileté et une vraie robustesse car Darwin, malgré sa maigreur terrifiante, pèse le poids surprenant d’un corps sans prise.

Christian, un autre infirmier de la Fondation, a remplacé Joseph pour quelques heures. Il est aux côté de notre jeune myopathe et c’est lui qui presse à intervalles réguliers cette grosse poire en caoutchouc qui accompagne le mouvement affaibli des poumons.

Darwin m’aperçoit et fait une moue gênée que je fais mine d’ignorer. Je l’embrasse sur le front et soulève yb instant le masque en plastique qui recouvre sa bouche et le relie à l’assistance respiratoire.

 

- Comment te sens-tu ?

- Je suis tellement désolé, me dit-il aussitôt.

- Ben parce que je te crée des ennuis. Tu as plein de choses à faire et je te fais perdre ton temps en te faisant venir à l’hôpital. Pardonne-moi.

 

Je suis médusé par ses mots. Il porte sur son visage la souffrance et la vit dans sa chair, mais oublie sa peine pour se soucier de mes petites épines dont le piquant s’évanouit pourtant devant la noblesse de sa croix.

Christian me dit que les médecins m’attendent au service de pneumologie qui se situe de l’autre côté du bâtiment, non loin de l’entrée. Il m’accompagne en prenant soin de confier à un infirmier la précieuse poire de respiration.

Un groupe de quatre femmes médecins nous attend effectivement. La plus corpulente, sans prendre la peine de me saluer, me dit assez sèchement :

 

- Nous avons besoin de votre autorisation pour procéder à une intubation trachéale.

 

Je suis ahuri par la technicité sans nuance de ces mots dans un moment qui, me semble-t-il, devrait être avant tout teinté d’humanité.

 

- Que voulez-vous dire ?

 

La jeune médecin qui à est sa droite, apparemment plus compatissante, comprend mon imperméabilité à tout vocabulaire spécialisé.

 

- Mon Père, Darwin ne réussit plus à respirer correctement, vous l’avez remarqué, me dit-elle avec une voix douce. Cela fait partie, malheureusement, des étapes irrémédiables de sa maladie. Il inspire l’oxygène à peu près normalement, mais ses poumons affaiblis n’ont plus la force d’expirer le dioxyde de carbone. Du coup, ce qui devrait être rejeté naturellement par la bouche s’évacue par le sang et c’est en train de l’empoisonner.

- Il est en danger ?

- Si on attend, oui. Le manque d’oxygène est important, c’est pour cela qu’il faut l’assister.

- Mais pourquoi l’intuber, un masque ne suffit-il pas ?

- Non malheureusement. D’ailleurs il faut que vous sachiez…

 

Elle jette un regard furtif à sa collège comme si elle craignait d’en dire trop.

- Quoi ?…. Qu’y a-t-il ?

- Il faut que vous sachiez que c’est peut-être un étape durable, voire définitive. Nous ne pouvons pas vous assurer qu’une fois le patient intubé, nous serons en mesure un jour de lui retirer la canule. Il n’est pas impossible, vue l’avancée de sa maladie, que Darwin reste ainsi jusqu’à la fin.

- Mais avec ce tube, il sera soulagé ? Le danger sera écarté ?

- Il aura une gêne inévitable au début, mais s’y fera vite et il peut continuer de vivre encore longtemps ainsi, si son corps réagit bien.

 

La première pneumologie, toujours aussi revêche et manifestement bien décidée à en rester aux aspects techniques me dit froidement :

- Mais l’hôpital ne dispose pas assez de BIPAP.

- … C’est une machine, un ventilateur mécanique, corrige la jeune avec un air désolé.

- … Il vous faudra utiliser le BAVU.

- … L’insufflateur manuel, reprend comme en écho la collège compatissante.

- Peut-on procéder à l’intubation ? Conclut alors notre despote médical sans la moindre délicatesse.

 

Je reste sans voix car j’ai l’impression de devoir prendre une décision qui ne me revient pas, cette sensation curieuse d’un verdict sans crime.

 

- Laissez-moi lui le temps de lui parler, s’il vous plaît.

 

Je retourne en silence vers la petite officine pour retrouver Darwin. Christian, à mes côtés, ne dit pas un mot percevant sans difficulté ma confusion. Mille pensées défilent dans ma tête : « Je ne veux pas qu’il souffre », « Il va falloir organiser des gardes avec les grands adolescents de la Fondation », « comment lui expliquer ? », « sont-ils si sûrs qu’il n’y a pas d’autres solutions ? »…

Je m’arrête à la porte de la petite pièce qui lui sert de chambre pour reprendre mon souffle et surtout entrer avec un visage qui ne respire plus l’inquiétude.

En entrant, Darwin m’offre un beau sourire mais lit sans difficulté malgré mes efforts le trouble dans mes yeux. Il ne dit pourtant rien et continue de poser son regard sur moi.

 

- Darwin, je viens de parler aux médecins…

Il reste silencieux.

-… Il me disent que tes poumons sont fatigués et qu’ils ont besoin d’être assistés. Il va falloir introduire un tube jusqu’à tes poumons le temps qu’ils libèrent une machine.

 

Une petite crainte se lit sur son visage, mais il ne dit rien.

- Ça va être un peu gênant pour toi au début et tu ne pourras pas marcher tant que tu auras ce truc dans la bouche, mais il faut que tu l’acceptes.

- Pourquoi un tube ? Le masque, comme ça, c’est pas pareil ?

- D’après eux, non. Tu sais, Darwin, ils savent ce qu’ils font.

- J’ai pas envie, j’ai peur, me dit-il avec des yeux suppliants.

- Il faut que tu mes fasses confiance.

 

Il reste silencieux. Ses yeux balaient la pièce, avec un regard angoissé.

Les médecins entrent comme des bourreaux à l’heure d’une exécution. L’atmosphère est pesante. Ils s’approchent de Darwin et attendent mon signal pour l’endormir. Mon petit protégé tourne la tête vers moi et fait un « non » de la tête. Je m’approche de lui et soulève un peu sa tête qui ne tient plus toute seule.

- S’il te plaît, Darwin, il le faut.

 

Il reste fixé sur moi, ignorant les médecins. Ses yeux s’embuent. Il hoche légèrement la tête et sans me quitter du regard il me dit :

- Je sais qu’il le faut. Je te crois.

 

Les médecins n’attendent pas une seconde de plus. Ils injectent un produit dans le cathéter et je vois aussitôt les paupières de Darwin s’alourdir. Je repose doucement sa tête sur l’oreiller et les médecins s’affairent séance tenante.

La canule en place, une infirmière s’avance pour poser quelques sparadraps qui la maintiendront tant bien que mal dans la position la moins inconfortable possible pour le jeune patient. Et la poire de nouveau fixée sur le dispositif reprend son rythme régulier avec le bruit d’un ballon qui se gonfle et se dégonfle sans cesse.

Après quelques trop courtes minutes, le jeune patient se réveille non sans un certain désarroi. Il sent une gêne terrible et fait quelques mouvements de la gorge pour se débarrasser de ce tube indésirable. Mais très vite il comprend qu’il n’y a rien à faire. Quelques petites larmes discrètes glissent sur ses joues.

Je lui tiens la main pour lui exprimer ma compassion. Elle est sincère et mes tripes sont remuées de le voir se débattre ainsi. Il me fixe à nouveau du regard. Je m’approche alors de son visage.

 

- Darwin, je suis désolé. Je suis si désolé.

 

Mais il fronce aussitôt les sourcils en signe de désaccord et fait non de la tête, puis esquisse un petit sourire malgré le tube incommodant et ses yeux mouillés. Le « non » qu’il oppose à mon chagrin, est un « oui » qu’il offre à son épreuve. Il l’accepte. Il s’abandonne.

Ému, je sors une minute dans le couloir. Mes larmes montent immédiatement puis coulent sans discontinuer.

Je viens de réaliser que je n’entendrai plus sa voix.

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

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Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

(1994-2012)

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô Dieu de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorifi cation sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

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04 avril 2020

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

La Semaine Sainte avec Darwin Ramos

 

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Dimanche des Rameaux et de la Passion

 

Evangile selon Saint Marc (11, 1-10).

 

Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie, près du mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples et leur dit : « Allez au village qui est en face de vous. Dès que vous y entrerez, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le. Si l’on vous dit : “Que faites-vous là ?”, répondez : “Le Seigneur en a besoin, mais il vous le renverra aussitôt.” » Ils partirent, trouvèrent un petit âne attaché près d’une porte, dehors, dans la rue, et ils le détachèrent. Des gens qui se trouvaient là leur demandaient : « Qu’avez-vous à détacher cet ânon ? » Ils répondirent ce que Jésus leur avait dit, et on les laissa faire. Ils amenèrent le petit âne à Jésus, le couvrirent de leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus. Alors, beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin, d’autres, des feuillages coupés dans les champs. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Hosanna au plus haut des cieux ! »

 

Dimanche 16 septembre 2012

 

- Mon Père, venez vite, Darwin ne va pas bien, il respire très mal. Je vais aux urgences.

Je raccroche mon téléphone portable et j’enfile rapidement un pantalon, l’esprit encore un peu embué par ce réveil brusque. Puis j’attrape les clés de ma petite moto et sors du presbytère. Je ne sais pas très bien l’heure qu’il est. Minuit ou une heure du matin peut-être. Peu importe d’ailleurs car il faut aller vite, je le sens. Joseph, l’aide-soignant de la fondation qui accompagne Darwin depuis plus de six ans avait une voix inquiète.

Il ne me faut pas plus d’une dizaine de minutes pour rejoindre l’hôpital en empruntant la grande avenue de Manille. Il y a peu de circulation. C’est un vrai petit miracle pour cette métropole de dix-huit millions d’habitants qui est en agitation constante de jour comme de nuit. Je roule vite, trop vite, je le sais bien, mais j’ai un mauvais pressentiment et je parle tout haut dans mon casque, l’angoisse me prenant aux tripes.

Je prie.

- Parle maintenant, Seigneur, s’il vous plaît. Pas encore. Je ne veux pas le perdre, mon Dieu. Je ne suis pas prêt.

Aux urgences, je gare rapidement mon deux-roues sur le parc de stationnement entre deux ambulances. Puis ignorant les appels du gardiens que je feins de ne pas voir, je m’engouffre parmi les nombreux badauds qui attendent l’appel de leur numéro. La liste est longue, le désordre parlable. C’est un hôpital pour enfants avec cette atmosphère comme un lieu. De nombreux dessins colorés jonchent les murs représentant des personnages de dessins animés. Les scènes joyeuses croquées sur les murs jurent un peu d’ailleurs avec les cris et les pleurs qui règnent dans cette cour des miracles où les parents tentent maladroitement de rassurer leur progéniture sans pour autant réussir à cacher leur propre inquiétude. Chacun s’observe sans rien dire, en échangeant un sourire gêné.

Je m’oriente immédiatement vers les soins intensifs, le ICU (Intensive Care Unit), me doutant bien que c’est là, dans cette grande pièce, que Darwin est soigné. Il est devenu un habitué du lieu. Les médecins le connaissent bien car il a vécu des mois dus à l’inexorable évolution de sa maladie.

Darwin est atteint de la myopathie de Duchenne, maladie incurable qui lui grignote petit à petit toutes ses forces musculaires. Depuis plusieurs années, inéluctablement son corps décline.

En entrant dans la grande salle, je suis pris à la gorge par cette émanation d’éther ou d’alcool qui couvre d’autres odeurs nauséabondes. Il y a une trentaine de lits installés côte à côte, tous occupés par des enfants, dont la plupart sont encore des bébés. Ils ont tous à leurs côtés l’un ou l’autre de leurs parents. Une maman essuie religieusement le front de son enfant endormi avec un sourire plein d’amour. Une autre essaie désespérément d’obtenir plus d’informations auprès d’infirmières dépassées par les événements. Un papa, quelques mètres plus loin, est endormi assis sur une chaise en plastique, son front posé sur ses bras en croix au coin du brancard où est allongé son fils d’une douzaine d’années qui semble dormir d’un sommeil agité.

Assez près de l’entrée, j’aperçois Darwin, seul, les yeux fermés. Les sourcils se froncent par moments, signe discret des intenses douleurs qu’il ressent. Il est allongé sur un lit dont le dossier a été relevé au maximum pour le maintenir dans une position assise. Amaigri par ces années de combat contre la maladie, ses muscles s’éteignent petit à petit. C’est un petit corps affaibli dont il ne reste que la peau sur les os.

Mais la première chose qui me frappe en le voyant, c’est la couleur inhabituelle de sa peau. Elle est jaunâtre. Je m’approche doucement de lui car je ne veux surtout pas le réveiller s’il dort. Je pose mon casque et enlève ma veste. Il ouvre les yeux, m’aperçoit et me fixe aussitôt de ses deux billes noires si expressives. Pas de sourire cette fois-ci. Darwin est grave et son regard inquiet. Surtout il semble respirer très difficilement et par toutes petites secousses. Ses poumons n’ont plus de force.

Joseph, l’aide-soignant, arrive juste après moi. Il revient de la petite pharmacie de l’hôpital où il est allé chercher les premiers médicaments prescrits par le médecin de garde. Il me salue rapidement et jette immédiatement un coup d’oeil complice à Darwin feignant de ne pas voir son inquiétude. Il s’intercale alors entre nous, puis lui tourne le dos et me dis d’une voix à peine audible pour éviter que notre jeune patient n’entende :

- Lorsque je suis arrivé dans le foyer cet après-midi, j’ai vu tout de suite que Darwin était très éteint, peu souriant. Et je le connais mon garçon, s’il ne me montre pas son grand sourire quand je viens le voir, c’est qu’il ne se sent pas bien.

- Tu l’as amené immédiatement ici ?

- Non, car Darwin m’assurait que tout allait bien. Un petite crise passagère seulement, disait-il. Mais, un peu plus tard, lorsque j’ai vu que ça ne s’améliorait pas, j’ai insisté. Je lui ai demandé s’il voulait aller à l’hôpital. Darwin n’a rien dit. Les yeux baissés, il a juste hoché la tête en signe d’acquiescement.

Darwin nous regarde fixement, avec une certaine inquiétude dans les yeux. Je vois bien qu’il cherche en même temps à capter mon regard mais je feins de l’ignorer pour laisser Joseph continuer. Je veux entendre son rapport jusqu’au bout car je crains d’entendre « »la » mauvaise nouvelle, la condamnation des médecins, comme un verdict qui tombe, une sentence sans appel.

- As-tu parlé aux médecins ? Que disent-ils de son état ?

- Ils ne savent pas encore, me répond Joseph. Ils ont fait plusieurs tests et prises de sang. Il essaient de comprendre où en est Darwin dans l’évolution de sa maladie, car il craignent tout de même une nouvelle étape dans sa dégradation. Probablement les poumons qui faiblissent.

Darwin continue inlassablement de remuer avec difficulté son corps affaibli pour attirer notre attention. Je m’approche de lui et lui prends la main, en faisant attention de ne pas toucher la perfusion qui l’alimente en dextrose. Sa main est chaude et il serre ses doigts sur la mienne sans me quitter des yeux, en esquissant, pour la première fois depuis mon arrivée depuis mon arrivée aux urgences, un petit sourire. Notre simple présence semble semble le soulager un peu.

Il ferme de temps en temps les yeux mais ne lâche pas ma main. Joseph s’approche des médecins de garde pour leur soutirer quelques informations supplémentaires mais cela devient un jeu de langages et les termes techniques utilisés, accessibles uniquement aux initiés, se multiplient et se compliquent pour finalement ne dire que l’impuissance des soignants. Il faut attendre le résultat des contrôles et l’avis du pneumologue qui ne reviendra que le lendemain.

Je regarde ce spectacle avec un certain étonnement mêlé de dégoût. Les palabres remplacent l’attention, la technique se substitue aux soins et un snobisme médico-intellectuel détrône petit à petit l’humanité de ces médecins qui semblent pourtant tenir la vie de notre enfant dans leurs mains. À chacun de leurs mots ou de leurs gestes, aussi futiles soient-ils, s’accroche notre espérance. « Ce n’est rien », « une petite infection passagère », « il va pouvoir rentrer très vite à la maison ». Des expressions de rien du tout dont rêvent tous les parents d’enfants malades. Quelques mots tout simples qui ne viennent pas. Il faut attendre. Le surveiller et attendre. Il restera à l’hôpital cette nuit.

Je sens que Darwin me serre la main entre son pouce et son index. Je le regarde et il semble vouloir me dire quelque chose. Ses lèvres bougent un peu. Il parle difficilement à cause de sa respiration irrégulière et je n’entends pas grand-chose mais ses yeux grands ouverts m’interpellent. Il fronce les sourcils comme pour me supplier. Il doit avoir besoin de quelque chose, il a soif peut-être, ou bien mal. J’approche mon oreille de sa bouche pour entendre la voix faible de mon petit bonhomme et ce qu’il veut me dire.

Darwin prend une grande respiration, ce qui lui demande un réel effort afin de sortir un son audible car il est à bout de souffle. Et forcissant un peu le son de sa voix saccadée par la douleur, il me dit lentement pour que je comprenne chacun de ses mots :

- Mon Père, un immense merci pour tout.

Merci. C’est tout. Il voulait me dire merci.

Darwin résumait ainsi sa vie en un mot. Une action de grâce. Ce mot « merci », il ne cessait de le répéter : lorsqu’on venait le voir au Centre, lorsqu’un éducateur passait devant lui, lorsqu’il était poussé par ses camarades ou encore si on lui présentait des invités de la Fondation. Darwin manquait profondément tous ceux qui le rencontraient par son sourire et ses mots affectueux. Ce soir-là, alors que commence la dernière étape de sa passion, il ne déroge pas à la règle. Bien que prononcer ces mots est une véritable épreuve pour lui. Il veut dire ce mot « merci ».

Ce n’est donc ni une plainte qu’il veut exprimer, ni un besoin qu’il veut nous signifier. Il déploie tous ces efforts simplement pour dire « merci ». Ce mot gratuit, petit clin d’oeil du coeur.

Expiration divine.

Merci.

Darwin est en souffrance et pourtant ne s’apitoie pas sur lui-même. Il lui faut aimer encore et toujours, dans chacun de ses actes, de ses paroles, à tout moment, même dans la souffrance, surtout dans la souffrance.

Je lui dois tant et c’est lui qui me dit merci.

Mes larmes montent mais j’essaie tant bien que mal de les lui cacher. Je veux lui imposer de se taire, de garder ses forces et de me dire plutôt ce dont il a besoin, ce qui peut l’apaiser. Mais aucun son ne sort de sa bouche. Darwin esquisse à nouveau laborieusement un petit sourire. C’est tout ce qu’il veut me dire.

Merci.

Darwin est comme ce petit âne attaché que l’on amène à Jésus au matin du dimanche des Rameaux. Monture de roi qui accompagne noblement Celui qui à sonné sa vie entièrement.

Il ferme ses yeux doucement, et s’endort.

 

Extrait de « Plus fort que les ténèbres », Père Matthieu Dauchez, Editions Artège, 2015.

 

Darwin-Ramos

Le Serviteur de Dieu Darwin Ramos

Le petit Philippin maître de joie

(1994-2012)

 

Darwin Ramos naît le 17 décembre 1994 dans une famille très pauvre de Manille (Philippines). Il est contraint de mendier dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré une maladie qui atrophie ses muscles et qui l’empêche rapidement de se tenir debout.

En 2006, il est accueilli par l’association ANAK-Tnk qui œuvre pour les enfants de la rue. Il est baptisé le 23 décembre, puis reçoit la Première Communion et la Confirmation un an plus tard. Darwin fait preuve d’une foi simple mais profonde, ancrée dans la prière et l’action de grâce. Il vit sa maladie dans une réelle union avec le Christ en Croix et dans une grande espérance. Il rayonne de joie et réconforte les enfants de ANAK-Tnk.

Le 16 septembre 2012, sa maladie s’aggrave. Il vit alors une véritable Semaine Sainte : le jeudi, un combat spirituel, le vendredi, il écrit dans une grande paix : « Un immense merci. Je suis très heureux ». Après un samedi silencieux, il meurt le dimanche 23 septembre 2012.

 

Prière pour la béatification du Serviteur de Dieu Darwin Ramos

 

Ô DIEU de toute Joie, Père, Fils et Saint Esprit, Tu ne laisses jamais seuls ceux qui sont dans l’épreuve. Nous Te rendons grâce de nous avoir donné, en Darwin Ramos, enfant de la rue, un modèle lumineux de vie chrétienne. Dans sa brève existence, Tu lui as donné la grâce d’une foi simple et inébranlable, d’une espérance joyeuse dans la maladie, d’une charité constante pour le prochain. Nous Te demandons la glorifi cation sur terre de ton serviteur Darwin, afi n que les jeunes et les malades puissent trouver en lui un maître de Joie. Par son intercession, exauce notre prière (la formuler ici…). Nous Te le demandons par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen. Notre Père/Je vous salue Marie/Gloire au Père.

 

Imprimatur : Mgr. Honesto F. Ongtioco, évêque de Cubao (22 novembre 2018).

 

Pour plus d’infos, relations de grâces

https://darwin-ramos.org

 Facebook : @DarwinRamosAssociation