Méditation sur la Résurrection du Seigneur
Méditation sur la Résurrection du Seigneur
Par Saint Bernard de Clairvaux, Docteur de l'Eglise
De la garde des soldats autour du sépulcre de Jésus-Christ
Ils vous gardent mieux que la vigilance trompeuse des impies, parce qu'ils sont très-habiles dans le combat, et qu'ils savent repousser non-seulement les attraits de la chair, mais encore les puissances de l'air et les craintes de la nuit. Ces soldats qui, semblables à des hommes ivres, entourent votre sépulcre, furent saisis de terreur là où il n'y avait pas à craindre, parce que la puissance des ténèbres ne supportant pas la lumière à l'annonce de la vie, ils devinrent comme morts. Ce ne sont donc point les enfants de la nuit qui vous gardent, ce sont les enfants du jour. Aux uns, l'éclat dont vous brillez inspire une terreur qui les fait fuir loin de vous ; aux autres, une joie qui les attire vers vous. « Quand nous dormions, disent-ils, ses disciples sont venus et ont volé son corps » (Matthieu 28, 13). O menteurs ! Vous avez dit la vérité, mais l'iniquité s'est mentie à elle-même. Des hommes qui dorment ne peuvent pas garder le Christ : ceux qui dès le matin veilleront pour moi me trouveront. En dormant, que voyez-vous, sinon des rêves ? Voici que vous avez dans les mains des sommes considérables si cela vous est possible, gardez-les, dans la crainte que les voleurs ne viennent vous les enlever. Car les disciples de Jésus-Christ garderont leurs trésors. Chacun s'applique à conserver ce qu'il aime. Certainement, Michol, aimait David plus que Saül son père, aussi elle le fit descendre par une fenêtre et lui sauva la vie. Qu'est-ce que cela veut dire ? Michol, fille de Saül, autrefois fille de l'orgueil, après avoir été unie à David, si plein de grâces, se met à haïr son père. Ame généreuse à qui s'appliquent ces paroles du Psaume : « Écoute, ma fille, et vois, prête l'oreille, et oublie la maison de ton père, et le roi désirera ta beauté » (Psaume 44, 11). Aussi, elle fit échapper David par une fenêtre. Par cette fenêtre, entendez celle où passe la main du bien-aimé. Par cette ouverture il est sauvé par son amie, et va vers son amie, c'est-à-dire vers l'âme elle-même ; elle est cachée dans l'homme intérieur, où elle vit en sûreté et est ignorée des méchants. Car elle s'est cachée et est sortie du temple de la perfidie. Parce que, tandis que David joue de la harpe devant Saül, pour faire éloigner de lui l'esprit mauvais envoyé par le Seigneur, cet impie s'efforce de le percer et de le fixer à la muraille. Mais David évite le coup : que veut dire ce détail que le javelot est fiché dans le mur, sinon que la grâce de Jésus-Christ se retirant, l'esprit endurci est percé du trait de sa malice ? Et le roi des ténèbres, Saül, qui déteste-t-il davantage encore aujourd'hui que David son gendre ? C'est pourquoi, en l'absence de ce dernier, il prend sa fille qu'il lui avait donnée en mariage, et la donne à un autre mari sans noblesse : mais quand ce guerrier reviendra, et occupera le trône, il la réclamera parce qu il l'avait obtenue au prix de la chair de deux cents Philistins, retranchant d'elle les souillures de l'esprit aussi bien que celles de la chair.
Malheur aux pécheurs qui entourent votre sépulcre, Seigneur, parce que vous vous éloignez d'eux et ils ne vous trouvent pas dans votre lit agréable et fleuri, mais plutôt ils trébuchent contre une statue entourée des ténèbres de leur cœur, ils ont à leur tête une peau de chèvre, et un souvenir infect de leurs péchés. Bienheureux celui qui veille à côté de votre monument, afin de vous garder, et qui lutte à l'aurore avec l'ange de la résurrection, ne le lâchant que lorsqu'il a appris quelque chose de son nom qui est admirable, afin de changer le titre de Jacob en celui d'Israël, et de faire lever le soleil de justice sur l’âme, de suite après qu'elle a reçu le coup du glaive de douleur.
L'enlèvement de la pierre, l'apparition des anges et la résurrection de Jésus-Christ
« Qui nous écartera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre », (Marc. 16, 3). L'ouverture de mon esprit est fermée, Seigneur, la pierre de cette vie mortelle pèse lourdement sur mon intelligence, je suis surchargé du poids de mes iniquités, les forces humaines ne peuvent en aucune manière l'écarter, si votre parole toute-puissante, si l'ange du conseil ne viennent détruire cette muraille d'iniquité, et nous ouvrir le sens, afin que nous comprenions les Écritures et que nous voyons, placés devant nous, les linges, témoignages très-assurés de votre résurrection et du corps humain que nous avez pris. Qui pourra, muni de votre secours, en sentir les réalités divines, goûtera par avance quelque chose de la gloire et de la résurrection que vous avez préparée pour ceux qui vous aiment et dont vous avez ramassé les prémices en votre sein, l'offrant sans relâche à votre Père, après l'avoir consumée par le feu du Saint Esprit. Et l'ange qui annonçait une joie si considérable, qui fit rouler la pierre, et effraya les méchants, défendit avec beaucoup de douceur aux saintes âmes de craindre ; cet ange, dis-je, rendit témoignage à la bienheureuse résurrection, non point seulement, par ses paroles, mais encore par son aspect, son habit et ses actes. Car il enleva la pierre et s'assit dessus, cette pierre qui est encore roulée sur nous, et écrase notre visage. Ce qui a lieu aussi, sans nul doute, dans la première résurrection qui est celle de l'âme, en sorte que, par un heureux retour, l’esprit s'assujettit ce fardeau d'iniquité, et prend en main, comme juge et maître, la conduite de son inférieur.
Que voir dans cette blancheur de neige, dans cette beauté des habits, sinon la chasteté froide et très-pure de notre corps, qui rend hommage et soumission à la chasteté angélique qui règne en elle Or, son aspect intérieur, là où a été imprimée la lumière de votre visage, est terrible et brillant comme l'éclair : terrible, pour terrasser et effrayer les ennemis de l'âme, brillant, afin de se montrer toujours entouré de justice à vos yeux, ô vous qui êtes la véritable lumière. Telle était la face de Moïse lorsqu'il venait de converser avec vous, elle était lumineuse et redoutable, munie de cornes pour combattre les adversaires, et entourée d'une splendeur que ne pouvaient supporter les yeux charnels. Et maintenant, Seigneur, nous savons, et nous nous en réjouissons, que vous êtes vraiment ressuscité d'entre les morts, et vous êtes grandement éloigné de nous autres, vivant encore dans cette région de mort, parce que vous êtes monté au ciel, sur vos chevaux de feu et sur votre char de flammes, multiple comme dix mille. Cependant votre manteau est tombé vers nous, et est resté parmi nous jusqu'à ce jour, c'est-à-dire les linges de votre corps, qui nous font éprouver, dans le temps opportun, le secours de votre puissance, et produisent en nous votre double esprit qui est vous, et nous font aimer Dieu et le prochain, Les douleurs de la mort nous ont assaillis, et les torrents de l'iniquité nous ont ébranlés, le vêtement de notre mortalité nous a entourés, vêtement plein de vers qui me rongent constamment et ne dorment jamais, tourments avant-coureurs de cette extrême douleur qui vient sur nous, comme un guerrier armé, et qui s'efforce de nous anéantir, si nous ne sommes pas sur nos gardes. Et même, quel est l'homme assez vigilant pour en soutenir la terreur ? Cependant,que nous le voulions, que nous ne le voulions pas, il faut certainement la soutenir, il faut la traverser. Mais n'oubliez pas le manteau d'Élie : sans lui les eaux du torrent ne se partageront pas. Car il est d'autres torrents, torrents d'iniquités, l'océan de mes péchés, qui m'entraînent, et plût au ciel qu'il me troublassent de telle sorte, que je crierais avec douleur : « Mon père, mon père, ô char d'Israël et son conducteur » (4Rois 13, 14). Mais ils me troublent et me privent de la lumière de mes yeux, en sorte que je ne puis voir le très-bon Élie, lorsqu'il est ravi à mon amour. Si je le voyais, assurément son double esprit viendrait sur moi et je crierais : « Mon Père, mon Père ! Dieu a envoyé, dit l'Apôtre, l'esprit de son Fils dans nos cœurs, esprit criant, Père » (Gal. IV. 6). Le double esprit crie deux fois : « Mon Père! mon Père ». O Père qui m'avez créé, ô Père qui m'avez recréé, ô mon Père, ô mon Père, ô cri plein d'affection ! Char d'Israël et son conducteur, qui portez et régissez, soutenez et gouvernez. Qui ? Israël qui croit en vous, qui soupire après vous. Voici que vous avez disparu, et votre Élisée ne vous verra plus. Il a gardé cependant en souvenir de votre manteau, afin que sa vue adoucisse en l'augmentant la douleur de votre absence, et l'augmente en l'adoucissant.
« Prenez ceci en mémoire de moi », dit le Sauveur (Luc. 22, 19). C'est le sacrement de votre corps que nous prenons en souvenir de vous, jusqu'à ce que vous veniez. Votre manteau, c'est votre chair, dont vous vous êtes revêtu pour venir vers nous, en laquelle vous vous êtes caché aux méchants et vous vous êtes montré à vos amis fidèles jusqu'à ce jour. Sous ce manteau, se voile votre force, force prodigieuse, ô redoutable Samson; vous n'en avez pas dérobé en dernier lieu le secret, même à celle que vous aimiez sans qu'elle vous aimât, afin de la changer d'ennemie qu'elle était en amie. Cette femme qui ne vous aimait pas et qui vous poursuivait, vous l'avez chérie à un tel point que, pour son amour, votre sagesse devenait folie et votre force, faiblesse. « Mais ce qui est insensé, selon Dieu, est plus sage, et ce qui est faible est plus fort que tous les hommes ». (1 Corinthiens 1, 25). Parce qu'en vous sacrifiant vous-même aux yeux de votre Père, et en mourant par un effet de votre puissance, vous avez ébranlé les princes des ténèbres et brisé leur pouvoir, et votre croix est devenue un scandale pour les Juifs, une folie pour les gentils, mais, pour ceux qui croient, la force et la sagesse de Dieu.
La dévotion de Marie Madeleine pour aller à la recherche de Jésus-Christ, et la vision qu'elle eût
« En ce jour-là le Seigneur sifflera à la mouche qui est à l'extrémité des fleuves d'Egypte, et à l'abeille qui se trouve en la terre d'Assur » (Isaïe 7, 18). Sifflez aussi, Seigneur, à mon âme pécheresse, à cette mouche impure : que votre esprit bon la conduise par une voie droite, afin que j'aille à la terre promise, montueuse et élevée, qui est arrosée des eaux qui découlent de ses cimes et qui attend la pluie du ciel, à la différence de la terre d'Egypte qu'un fleuve, débordant de la terre, couvre dans toute son étendue. Car il n'y a pas de montagne, il n'y a pas d'obstacle qui arrête les concupiscences de l'Egypte ; mais telles qu'elles bouillonnent d'un esprit terrestre, elles se répandent sans retard sur la surface abaissée de l'âme, pour l'inonder.
Le fleuve de l'Egypte a sept branches à son embouchure, qui viennent toutes d'une seule source, c'est-à-dire de l'orgueil. La dernière représente la luxure de la chair qui produit les mouches, toujours amies de ce qui est immonde: la grâce surabondante ne méprise pas ce petit animal, mais elle siffle et l'appelle de l'extrémité des fleuves et le réunit à l'abeille qui était dans la terre d'Assur, afin qu'ensemble, elles se reposent au bord des torrents qui coulent dans les vallées, dans les trous des pierres, dans tous les taillis et dans toutes les gorges. L'abeille est vierge, mais tant qu'elle reste dans la terre d'Assur, c'est-à-dire de l'orgueil, elle ne peut produire le miel : dans la terre promise seule, coulent le lait et le miel. Donc, au souffle de la grâce, la mouche et l'abeille accourent, et se reposent ensemble dans les torrents des vallées. Au bord de ces torrents, ces animaux sont purifiés, l'abeille de la tache de l'orgueil, et la mouche de celle de la luxure. Les torrents des vallées sont la règle de l'humilité. Pourquoi, les torrents ? Parce que si pour corriger les vices, on éprouve quelque tristesse et quelque fatigue, tout cela passe vite. Aussi « lorsque la femme enfante, elle ressent de la tristesse » (Jean. 16, 21). Le travail, en effet, se change en amour, l'ennui en désir, et l'amertume en douceur, et ainsi des torrents des vallées on va aux cavernes des rochers. Les pierres très-fermes et très solides dans la foi sont les Pères en leurs souffrances, comme dans leurs modèles la mouche et l'abeille se reposent, semblables à des colombes qui y bâtissent leurs nids. Aussi, leur main ne s'arrête pas, leur pied ne connaît pas le repos, mais constamment en fonction dans ce taillis de toutes sortes de biens, elles arrivent enfin aux ouvertures de la contemplation.
Ce sont là vos œuvres, ô Seigneur Jésus, parce qu'elles sont extrêmement bonnes. C'est ainsi que vous avez sifflé en appelant Marie Madeleine, de qui vous avez chassé non pas un, mais sept fleuves. Voyez comment elle se reposa dans les torrents des vallées ; elle entra dans la salle où l'on mangeait, elle courut aux pieds de Jésus, et les arrosa d'un torrent de larmes : pour laver les pieds de son maître elle ne porte d'autre eau que celte que renferment ses yeux, pour linges. elle emploie ses cheveux. Et alors, quand son affection s'enflamme davantage, et, qu'inondée de larmes, ce sentiment, semblable à un charbon, s'échauffe plus fortement, vous verriez cette généreuse créature imprimer des baisers sans nombre et insatiables sur ces pieds sacrés ; et vous sentiriez toute la maison embaumée de l'odeur du parfum répandu. Que faisait-elle sinon se reposer dans les torrents des vallées, d'où sortaient des fleuves de grâces si nombreux et si abondants ? Aussi, après que beaucoup de péchés lui furent remis parce qu'elle avait beaucoup aimé, elle demeurait auprès de Jésus le long de ces rives débordantes; tandis que Marthe sa sœur se livrait à de occupations multipliées. Pourquoi faire mention de ce devoir d'ensevelissement du Seigneur qu'elle remplissait par avance, des pieds montant vers la tête pour l'oindre, lorsque le disciple, sépulcre fétide d'avarice, frémissait à sa vue, ne pouvant supporter le parfum qu'exhalait cette piété ? Le Christ mourant, un amour si ardent ne peut mourir avec lui: les hommes, c'est-à-dire les apôtres fuyaient et se cachaient, et cette femme intrépide se tenait auprès du tombeau et pleurait ; elle n'avait plus en vie celui qu'elle aimait, et mort, elle brûlait d'affection pour lui. Le corps avait disparu, elle ne pouvait se retirer du sépulcre. Plus il était dérobé à ses yeux et à ses mains, plus son âme volait à sa recherche ; si cela avait été possible, par racheter ce corps sacré, elle aurait rempli le monument de ses larmes. « Elle se tenait debout et pleurait », dit l’Ecriture, c'est tout ce qui lui restait de vous. Le corps avait disparu, mais qui lui enlèvera le bonheur de pleurer ? Ne vous retenez pas, ô âme noble, pleurez sans vous reposer, jusqu'à ce que vous trouviez le Seigneur qui vous est ravi et qui est ressuscité. Courbez-vous encore et encore, regardez bien souvent la place vide où avait été placé votre bien-aimé. Cet endroit vous excite toujours davantage à pleurer, en vous rappelant l'absence de celui que vous cherchez.
Elle vit, dit le texte sacré, « deux anges habillés de blanc et assis l'un à la tête, l'autre aux pieds, à l'endroit où avait été déposé le corps de Jésus. « Femme, pourquoi pleurez-vous, lui disent-ils, Qui cherchez-vous ? » (Jean 20, 11). Vous saviez parfaitement, ô saints anges, pourquoi elle pleurait, et qui elle cherchait. Pourquoi, en lui rappelant ce souvenir, provoquez-vous encore ses larmes ? Mais la joie d'une consolation inattendue était sur le point de se faire sentir, ainsi que toute la force de la douleur et de la tristesse se déploie. « En se retournant elle vit Jésus debout, et elle ne savait point que c'était Jésus ». O doux et délicieux spectacle de piété ! Celui que l'on cherche et que l'on désire, se cache et se montre. Il se cache pour être cherché avec plus d'ardeur, pour être trouvé avec plus de joie, pour être gardé avec plus de sollicitude, pour être retenu avec plus de force, jusqu'à ce qu'il soit introduit pour y rester dans la demeure de l'amour. C'est ainsi que la sagesse joue dans l'univers, et ses délices sont de se trouver parmi les enfants des hommes. « Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? » Vous tenez celui que vous cherchez, et vous ne le savez pas ? Vous avez ici la joie véritable et éternelle, et vous pleurez ? Vous possédez au dedans celui après qui vous courez au dehors. Véritablement, vous êtes au tombeau pleurant au dehors : votre esprit est mon sépulcre. Je n'y suis pas mort, vivant je me repose à jamais : votre esprit est mon jardin. Vous avez eu raison de le penser, je suis jardinier. Je suis le second Adam, je travaille et je garde mon paradis. Vos fleurs sont votre piété, votre désir est mon travail vous m'avez au dedans de vous et vous ne le savez pas, Voilà pourquoi vous me cherchez au dehors. Voici que je me montrerai à l'extérieur pour vous ramener à l'intérieur et pour vous faire rencontrer au dedans ce que vous poursuivez au dehors. « Marie ». je vous connais par votre nom, apprenez à me connaître par la foi. « Rabboni », c'est-à-dire maître, ce qui veut dire : apprenez-nous à vous chercher, enseignez-moi à vous toucher et à vous oindre. « Ne me touchez pas » comme un homme, comme jadis vous m'avez touché et oint comme mortel. « Je ne suis pas encore monté vers mon Père », encore vous ne m'avez pas cru égal, coéternel et consubstantiel à lui. Croyez cette vérité et vous m'avez touché. Vous voyez un homme, ainsi vous ne croyez pas, attendu qu'on ne croit pas, ce que l'on voit. Vous ne voyez pas la divinité, Croyez et vous la verrez. En croyant, vous me toucherez, comme cette femme qui toucha la frange de mon vêtement et fut guérie de suite. Pourquoi ? Parce que par sa foi elle me toucha. Touchez-moi de cette façon, cherchez-moi de ces regards, courant de ces pieds rapides vers moi ; je ne suis pas éloigné de vous. Je suis un Dieu qui se rapproche, je suis la parole dans votre bouche et dans votre cœur. Quoi de plus proche pour l'homme que son cœur ? C'est là que me rencontrent tous ceux qui me trouvent, car tout ce qui se voit est du dehors. Ce sont mes œuvres, mais œuvres passagères, mais œuvres caduques c'est polir moi qui leur ai donné l'être, qui habite dans les cœurs très retirés et très pieux.
Le Christ est ressuscité !!!
Sermon de Saint Bernard sur la Résurrection
« Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et Salomé achetèrent des parfums pour venir embaumer Jésus. » (Marc 16: 1).
Nous avons appris de l'Apôtre que c'est par la foi que le Christ habite dans nos cœurs (Ephes. III, 17) : d'où je crois qu'il est permis de conclure que le Christ vit en nous aussi longtemps que la foi y demeure, et que, dès que notre foi est morte, on peut dire en quelque sorte que le Christ y est mort aussi. Or, ce qui prouve une foi vivante, ce sont les oeuvres, selon ces paroles: « Les œuvres que mon Père m'a donné de faire rendent témoignage de moi (Joan. V, 36), » qui ne me semblent pas s'éloigner beaucoup de la pensée qu'un autre apôtre exprimait en disant (pie la foi sans les oeuvres est une foi morte (Jacob. II, 20). De même que nous connaissons que le corps est en vie à ses mouvements, ainsi est-ce à ses œuvres que nous voyons que la foi est vivante. Mais la vie même de la foi c'est la charité, attendu que c'est par elle qu'elle opère, suivant ces paroles de l'Apôtre : «La foi qui opère par la charité, (Galat. V, 6), » aussi voyons-nous la foi mourir quand la charité se refroidit, de même que le corps périt quand l'âme s'en éloigne. Si donc vous voyez un homme, appliqué à des bonnes oeuvres, mener gaiement une vie pleine de ferveur, soyez sûr que la foi vit en lui, car vous en avez la preuve tout à fait irrécusable. Mais il y en a qui commencent d'une manière spirituelle et qui finissent par la chair; or, nous savons que dans ceux-là l'esprit de vie ne demeure plus selon ce mot de l'Ecriture : « Mon esprit ne demeurera point pour toujours dans l'homme, parce qu'il est charnel (Gen. VI, 3). » Or, si l'esprit de Dieu ne reste plus dans un homme, il est clair que la charité ne s'y trouve plus non plus, puisqu'elle n'est répandue dans nos coeurs que par le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rom. V, 5).
Or, comme je l'ai déjà dit c'est donner à la foi la vie de la charité que de lui faire produire des œuvres par cette même charité (Gal. V, 6), d'où je conclus que, dès que l'Esprit Saint s'éloigne d'une âme, c'est la mort de la foi en cette âme, car, selon l'Evangéliste, il n'y a que l'esprit qui vivifie (Joan, VI, 6); d'ailleurs, s'il est vrai que la sagesse de la chair est une véritable mort (Rom. VIII, 13), nous ne saurions douter que ceux que nous nous réjouissions de voir vivants, parce qu'ils mortifiaient la chair par l'esprit, sont morts et dignes de nos larmes maintenant qu'ils vivent selon la chair. Aussi lisons-nous encore dans le même apôtre : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez : Si, au contraire, vous faites mourir par l'esprit les actions de la chair, vous vivrez (Rom. VIII, 13). Malheur donc à vous, qui que vous soyez, qui revenez à vos péchés comme un chien retourne à ce qu'il a vomi, ou comme le pourceau revient à sa bauge dans la fange. Je ne parle pas seulement de ceux qui retournent de corps en Egypte, mais de ceux qui y rentrent de coeur, de ceux qui aiment encore les plaisirs du monde, et en qui, par conséquent, la foi est morte, puisqu'ils n'ont plus la charité, car quiconque aime le monde n'a pas la charité du Père en lui (I Joan. II, 16). Qui peut être réputé mort à plus juste titre que celui qui nourrit un incendie dans son sein, le péché dans sa conscience, et ne le sent même pas, n'en est pas effrayé ne cherche point à s'en débarrasser?
Ainsi donc le Christ au tombeau c'est la foi morte dans une âme. Comment en agirons-nous avec lui? Que firent les saintes femme qui avaient seules conservé pour le Seigneur un amour plus ardent que tous ses autres disciples? « Elles ont acheté des aromates, pour venir embaumer Jésus ? » Etait-ce pour le ressusciter? Non, mes frères, nous savons bien qu'il ne nous est pas donné de le ressusciter; tout ce que nous pouvons faire c'est de l'embaumer. Pourquoi cela, mes frères? Pour que celui qui est mort comme lui, ne répande point une mauvaise odeur, une odeur de mort pour les autres qu'elle ne s'exhale de tous côtés et qu'il ne tombe lui même en pourriture. Que nos trois saintes femmes, l'esprit, la langue et les mains, achètent donc des parfums, car je crois que c'est à cause de ces trois femmes que Pierre reçut trois fois l'ordre de paître le troupeau du Seigneur (Joan. XXI, 16). Comme s'il lui avait été dit : Faites-le paître de l'esprit, de la bouche et des oeuvres; c'est-à-dire paissez-le par la prière qui vient de l’esprit, par l’exhortation qui tombe des lèvres, et par l'exemple qui vient des oeuvres.
L'esprit ira donc chercher es aromates, c'est-à-dire, au premier rang, le sentiment de la compassion, puis le zèle de la droiture, sans omettre, dans le nombre, l'esprit de discrétion. En effet, toutes les fois que vous voyez un de vos frères pécher, votre premier sentiment doit être un sentiment de compassion, comme étant d'ailleurs le plus naturel à l'homme, puisque nous en trouvons le motif au fond de nous-mêmes. L'Apôtre ne nous dit-il point : « Pour vous qui êtes spirituels, ayez soin de relever ce frère dans un esprit de douceur, en faisant réflexion sur vous-mêmes et en craignant d'être tentés aussi bien que lui (Gal. VI, 1). » Et le Seigneur, lorsqu'il sortait de Jérusalem, en portant sa croix, et qu'il rencontra, non pas encore toutes les nations du monde, mais quelques flemmes seulement qui pleuraient sur lui, il se tourna vers elles et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants (Luc. XXIII, 18.) » Remarquez, mes frères, la gradation : « sur vous » d'abord, dit-il, puis « sur vos enfants. » C'est donc sur vous, mon frère, que vous devez d'abord arrêter votre attention si vous voulez apprendre à compatir aux maux des autres, et le reprendre ensuite en esprit de douceur. Faites réflexion sur vous-mêmes, dit-il, et craignez d'être tentés à votre tour. Mais comme les exemples nous touchent toujours bien plus que les paroles et se gravent plus profondément dans nos cœurs, laissez-moi vous renvoyer à ce saint vieillard qui, en apprenant qu'un. de ses frères était tombé dans une faute, se mit à pleurer amèrement et à s'écrier : Lui aujourd'hui, et moi demain. Pensez-vous, nies frères, que celui qui pleurait ainsi sur lui-même ne sût point compatir au malheur de son frère? D'ailleurs ce sentiment de compassion sert à beaucoup à la fois, attendu qu'un esprit généreux se reprocherait de contrister quelqu'un qu'il voit inquiet pour lui.
Mais que faisons-nous, car il y en a plusieurs qui ont la tête dure et le cou habitué au joug, au point que, plus nous compatissons à leurs maux, plus ils abusent de notre patience et de notre compassion. Ne devons-nous point compatir. aux souffrances de la justice, comme nous compatissions au malheur de notre frère, surtout quand nous la voyons si impudemment rejetée, et provoquée avec tant d'imprudence? Je sais que si nous avons l'ombre de charité, nous ne pourrons supporter avec une âme impassible ce mépris de Dieu. C'est dans cette impatience que consiste le zèle de la justice, dont nous nous sentons transportés contre les prévaricateurs, comme si nous étions touchés d'un sentiment de pitié envers cette justice de Dieu que nous voyons foulée aux pieds.. Toutefois, il faut que la compassion ait le pas sur le zèle de la justice, autrement, dans un mouvement d'indignation, nous briserions les vaisseaux de Tharsis, nous achèverions le roseau à demi rompu, et nous éteindrions tout à fait la mèche qui fume encore.
Mais quand nous aurons réuni ces deux aromates, le sentiment de la compassion et le zèle de la justice, il faudra nous procurer l'esprit de discernement, de peur que lorsqu'il y a lieu à faire preuve de compassion, ce soit le zèle de la justice qui se montre, et que, faute de discernement, nous ne confondions toutes choses, au lieu de tenir prudemment compte des temps, et de montrer du zèle quand il le faut, et de savoir aussi pardonner dans l'occasion. Il n'y a que le Samaritain, pour savoir à propos tantôt verser l'huile sur les plaies, et tantôt y verser du vin. D'ailleurs, pour que vous ne pensiez pas que cette pensée est de moi seulement, écoutez le Psalmiste; il ne demande que ce que je vous demande, et dans le même ordre, quand il dit : « Enseignez-moi, Seigneur, la bonté, la discipline et la science (Psal. CXVIII, 66). »
Mais où pourrons-nous nous procurer ces aromates? Car la terre de notre coeur ne saurait produire de pareilles vertus, elle nous donnerait plutôt des ronces et des épines. Il nous faut donc les acheter quelque part. Mais qui nous les vendra? Ce sera celui qui a dit : « Venez, achetez sans argent et sans aucun échange, du lait et du vin. (Is. LV, 1). » Or, vous savez ce que désigne la douceur du lait, et ce que rappelle l'âpreté du vin. Mais que faut-il entendre par ces mots, acheter sans argent et sans aucun échange ? Car ce n'est pas ainsi qu'on fait dans le monde; il ne peut y avoir une autre manière d'acheter que chez l'auteur même du monde; aussi le Prophète dit-il au Seigneur : « Vous êtes mon Dieu, car vous n'avez pas besoin de nos biens (Psal. XV, 2). » Qu'est-ce donc que l'homme lui donnera en échange de la grâce, puisque, étant le maître de tout, il n'a besoin de rien? Sa grâce, il la donne gratuitement, et lors même qu'il la vend, celui qui l'achète ne la paie point, attendu que le prix que nous la payons nous reste entre les mains.
C'est donc avec notre volonté propre que nous devons acheter les trois aromates de l'esprit, car remarquons qu'en payant avec cette monnaie, non-seulement nous ne nous appauvrissons point, mais même nous faisons un profit considérable, puisque nous l'échangeons pour quelque chose de mieux, et que nous donnons Une volonté propre, pour en avoir une commune. Or la volonté commune, c'est la charité. Voilà donc comment nous achetons sans rien échanger, puisque nous acquérons ce que nous n'avions point, et que ce que nous avions nous le conservons en mieux. Mais comment compatir au sort de notre frère, qui ne sait compatir lui-même qu'à ses propres malheurs, dans sa volonté propre? Et comment celui qui n'aime que soi aimera-t-il la justice, et haïra-t-il l'iniquité? Il peut, il est vrai, feindre aux yeux des hommes, et même se séduire lui-même, au point de se figurer, quand il n'est conduit que par l'égoïsme et par la haine, qu'il ne cède qu'au sentiment de la compassion, et au zèle pour la justice; mais il est bien facile de voir combien sont éloignées de la volonté propre, les choses qui sont propres à la vraie charité que la volonté propre attaque de front. En effet, la charité est bienveillante et ne se réjouit pour du mal (Cor. XIII, 4). Quant à l'esprit de discernement, nous savons qu'il n'y a rien qui l'éloigne comme la volonté propre, car elle met la confusion dans le coeur de l'homme, et place un voile épais devant les yeux de la raison. Par conséquent, c'est avec la monnaie de notre volonté propre, comme je vous le disais tout à l'heure, que nous devons acheter les trois sortes d'aromates de l'esprit, c'est-à-dire les sentiments de compassion, le zèle de la justice, et l'esprit de discernement.
Il y a aussi trois sortes d'aromates, que la langue apporte, ce sont la modération dans la réprimande, l'abondance dans l'exhortation et l'efficacité dans la persuasion. Voulez-vous vous procurer ces aromates? Achetez-les dans le Seigneur lui-même, oui, achetez-les là, vous dis-je, et procurez-les-vous de la même manière que les premières, c'est-à-dire sans aucun échange, il ne faut pas que vous dépensiez quoi que ce soit pour vous les procurer. Achetez donc au Seigneur la modération dans la réprimande, c'est un bien, un don aussi grand que rare, car il y en a bien peu qui le possèdent : « Il y en a si peu, dit saint Jacques, qui sachent dompter leur langue (Jac. III, 8) ! » On voit bien des gens, en effet, dont l'intention est droite, et la pensée bienveillante, qui disent légèrement ce qu'on ne saurait écouter trop sérieusement. Leur parole part comme un trait qui ne saurait revenir sur ses pas, et ce mot qui aurait dû guérir, parce qu'il semble un peu trop acerbe, exaspère et envenime le mal davantage. Si l'impudence s'ajoute à la négligence, alors elle met le comble à l'impatience, en sorte que celui qui est déjà tombé dans le bourbier, s'y enfonce davantage ; il n'ouvre plus la bouche que pour apporter des excuses, mais de mauvaises excuses à ses torts, et, semblable à un fou furieux, non-seulement il repousse, mais même il va jusqu'à vouloir mordre la main du médecin qui le panse. Il y en a beaucoup aussi qui ne savent trouver presque rien à dire, à court de paroles, il leur semble que leur langue est attachée à leur palais, ce qui, quelquefois, ne nuit pas peu, même à ceux qui les écoutent. Il y en a d'autres, au contraire, qui ne manquent pas de quoi dire, mais, ce qu'ils disent est peu goûté, et n'entre guère dans les âmes, et, comme leurs paroles manquent de grâce, tout ce qu'ils disent est presque sans résultat. Vous voyez donc combien il est nécessaire encore que vous alliez acheter ces aromates chez celui où on trouve toute sorte de bonnes choses, et toute la science nécessaire pour reprendre avec mesure, exhorter avec abondance et persuader avec efficacité.
Achetez donc encore ces aromates, mais avec la monnaie de la confession, c'est-à-dire en commençant par reconnaître et avouer vos propres fautes, avant de songer à reprendre les autres des leurs. Ce n'est pas un petit sacrement, c'en est au contraire un admirable, que celui de la résurrection d'une âme, n'y touchez donc point si vous n'êtes pur, et s'il se trouve que vous ne pouvez, ou plutôt puisque vous ne pouvez vous en approcher l'âme innocente, commencez par vous laver les mains parmi les hommes innocents, avant de vous approcher du sépulcre du Seigneur. Or, c'est dans la confession que toutes nos fautes sont lavées. Une fois purifié dans ses eaux, vous serez réputé innocent, et vous pourrez vous compter parmi les hommes innocents. On ne monte point à l'autel avec un vêtement ordinaire, on a soin de se revêtir d'une robe blanche avant de s'en approcher; ainsi doit-il en être de vous, lorsque vous vous approchez du sépulcre du Seigneur; il faut vous purifier, vous blanchir et prendre ensuite des vêtements de gloire, en sorte qu'on puisse vous dire : « vous vous êtes revêtu de confession et de gloire (Psal. CIII, 1). » Car là où il y a confession, il y a gloire et beauté aux yeux du Seigneur. Tels sont les aromates de la langue, dont j'avais à vous parler, la mesure dans la réprimande, l'abondance dans l'exhortation, l'efficacité dans la persuasion, tous aromates qu'il faut acheter au prix de la confession.
Toutefois, nous lisons (dans le Pastoral de Grégoire le Grand.) et nous apprenons par une expérience quotidienne que celui dont la vie n'est pas honorable ne peut guère s'attendre qu'à voir ses discours accueillis avec mépris. Il faut donc que la main se procure aussi ses aromates et que nous ne ressemblions point au paresseux pour qui le sage dit avec mépris, que c'est une fatigue trop grande de porter sa main même à la bouche (Prov. XIX, 24), si nous ne voulons point que celui que nous reprenons puisse nous dire : Mais vous qui instruisez si bien les autres, vous ne vous instruisez point vous-même (Rom. II, 21), vous liez, en effet, des fardeaux pesants et qu'on ne saurait porter, et vous les mettez sur les épaules des autres, tandis que vous ne voulez pas vous-même les remuer du bout du doigt (Matt. XXIII, 14). Or, je vous dis, que le discours le plus vif et le plus efficace, c'est l'exemple; il persuade facilement aux autres ce dont nous voulons les convaincre, en leur montrant que ce que nous leur demandons est praticable. Voilà pourquoi je vous dis qu'il faut que la main ait aussi ses aromates, je veux dire la continence de la chair; la miséricorde pour nos frères, la patience dans la piété. C'est ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Vivons dans le siècle présent avec tempérance, avec justice et avec piété (Tit. II, 12). » Ce sont, en effet, les trois choses les plus nécessaires dans le genre de vie que nous avons embrassé; car nous devons la première de ces choses à nous, la seconde au prochain et la troisième à Dieu. Celui qui se livre à la fornication pèche contre son propre corps, qu'il dépouille d'une grande gloire et qu'il condamne à une honte redoutable et terrible, car il prend les membres de Jésus-Christ pour en faire ceux d'une prostituée. Mais pour moi, c'est peu de vous dire que nous devons nous abstenir de toute volupté charnelle en ce qu'il y a de honteux, j'ajoute que nous devons nous sevrer en général de toute espèce de plaisirs de la chair. Cherchez donc avant tout, mon frère, cette continence parfaite que vous vous devez à vous-même, car nous n'avons personne qui nous touche de plus près que nous-mêmes : Puis ajoutez à la continence, la miséricorde pour vos frères, attendu que vous devez vous sauver avec eux, et enfin, ayez avec les deux premiers aromates, la patience que Dieu qui doit vous sauver réclame de vous, car selon l'Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés (II Tim. III, 12), et ce n'est qu'en passant par une foule de tribulations que nous pourrons entrer dans le royaume de Dieu (Act. XIV, 21). » Prenez donc garde de ne pas périr faute de patience, supportez tout, au contraire, pour celui qui le premier a tant souffert pour vous et auprès de qui nulle patience ne demeurera sans sa récompense, selon ce mot du Prophète « . La patience du pauvre ne sera point frustrée pour toujours (Psal. IX, 19).»
Or, c'est avec l'argent de la soumission qu'on doit acheter ces trois sortes d'aromates de la main, c'est elle en effet, qui dirige nos pas, et nous procure la grâce d'une sainte vie. Car, si la loi contraire, qui lutte dans nos membres est née de la désobéissance, qui ne sait que c'est par l'obéissance que la continence nous est donnée? C'est encore la soumission qui nous apprend à régler la miséricorde, elle aussi qui nous enseigne et nous donne la patience. Quand vous aurez tous ces aromates, approchez-vous alors de celui en qui la foi est morte. Mais si nous considérons quelle oeuvre c'est pour nous de réveiller de son sommeil de mort celui qui en est là, combien même il est difficile de s'approcher seulement de son coeur qu'une obstination aussi dure que la pierre, et que l'impudence nous ont fermé, je crois que nous serons amenés à nous écrier aussi avec les saintes femmes : « Qui est-ce qui nous enlèvera la pierre qui ferme le sépulcre (Marc. XVI, 3) ? » Mais, pendant que dans nos préoccupations craintives nous n'osons nous approcher, nous hésitons à marcher vers unetelle merveille, il arrive bien souvent que l'oreille du Seigneur a entendu les dispositions pieuses de notre coeur et que, à un mot de sa bouche, on voit se lever, plein de vie de son sépulcre celui qui y était étendu mort. Et alors c'est l'ange même (le Dieu qui nous apparaît, la joie et le bonheur sur le visage, comme à la porte même du sépulcre, un certain éclat lumineux indique qu'il est ressuscité, on voit à sa figure le changement qui s'est opéré, l'accès nous est ouvert à son coeur; que dis-je, il nous appelle lui-même, lui-même il écarte de ses mains la pierre de son obstination, et, s'asseyant dessus, il nous montre les bandelettes dont sa foi s'était trouvée chargée, car elle est maintenant ressuscitée. Et en même temps qu'il découvre tout ce qui s'est passé dans son coeur auparavant, et confesse comment il s'était lui-même enseveli dans ce tombeau de l'âme, en dénonçant sa tiédeur et sa négligence, il dit comme l'Ange : « Venez voir le lieu où le Seigneur avait été mis (Matt. XXVIII, 6). »
Saint Bernard, Docteur de L'Église, deuxième sermon pour les Fêtes de Pâques