Le Mois de Saint Vincent de Paul
Le Mois de Saint Vincent de Paul
Lectures de piété sur ses vertus et ses œuvres pour chaque jour du mois de juillet
Deuxième jour
Foi de Saint Vincent De Paul
Puisque la foi est le fondement des autres vertus, et que la fermeté de l'édifice spirituel dépend principalement de cette mystique base, ayant à faire voir les plus excellentes vertus dans la personne de Vincent, nous commencerons par la foi que ce sage architecte avait posée pour fondement de toutes ses pratiques vertueuses et sur laquelle il s'appuyait en tout ce qu'il entreprenait et faisait pour le service de Dieu.
Comme les arbres qui sont battus des vents et ébranlés par les orages, jettent les plus profondes racines et s'affermissent davantage par ces agitations ; de même on peut dire que Dieu voulant rendre plus ferme et plus parfaite la foi de Vincent, a permis qu'elle ait été au commencement exposée à la violence de plusieurs tentations, et que son fidèle serviteur ait ressenti diverses attaques contre cette vertu. Il en est pourtant toujours demeuré victorieux par le secours de sa grâce, et sa foi s'est trouvée plutôt affermie et fortifiée, qu'affaiblie par toutes ces épreuves, desquelles Dieu s'est servi pour le perfectionner ; de sorte qu'après toutes ces bourrasques il est devenu non-seulement plus fort, mais plus éclairé dans les vérités de la foi, comme lui-même l'a déclaré en quelque rencontre, les possédant et les goûtant d'une manière aussi parfaite qu'elle se peut en cette vie.
Or, un des plus souverains remèdes qu'il employa pour fortifier sa foi, et la mettre à l'abri de la violence de ces tentations, fut d'écrire et signer sa profession de de foi et la porter sur son cœur ayant supplié Notre Seigneur d'agréer la résolution qu'il avait prise que toutes les fois qu'il porterait lu main sur son cœur, particulièrement quand il serait tenté, cela serait une marque et un témoignage qu'il renonçait à la tentation, et un renouvellement de la protestation qu'il avait faite de persévérer jusqu'à la mort dans la foi de l'Eglise.
Sa foi était non seulement forte, mais aussi pure et simple, étant appuyée non sur les connaissances acquises par l'étude ou par l'expérience, mais uniquement sur la première vérité qui est Dieu, et sur l'autorité de son église. La foi de Vincent ne tenait pas ses lumières renfermées dans son esprit, mais elle les communiquait au-dehors d'autant plus libéralement qu'elle était animée d'une plus parfaite charité.
Sa foi lui fit préférer l'instruction des pauvres à celle des riches ; il manifestait surtout son zèle à faire des catéchismes et instructions dans les lieux qu'il jugeait en avoir plus de besoin, comme dans les villages et parmi les pauvres qui sont ordinairement les moins instruits des vérités de la foi. Il ne se contentait pas encore de le faire par lui-même, il y excitait et portait tous ceux qu'il estimait capables de cet office de charité ; et il n'a point cessé qu'il n'ait enfin établi une congrégation toute dédiée à la culture de cette divine plante de la foi dans les terres les plus stériles.
On peut dire que la foi de Vincent fut non seulement pure, simple et ferme, mais qu'il en avait une plénitude : vu qu'elle éclairait son esprit, remplissait son cœur et animait ses actions, ses paroles, ses affections et ses pensées, il le faisait agir en tout et partout selon les vérités et les maximes de Jésus Christ ; en telle sorte que ce que la plupart des chrétiens font ordinairement, ou par des mouvements naturels, ou par des raisonnements humains, il le faisait par des principes de foi, laquelle était, selon la parole d'un prophète comme une lampe allumée qu'il tenait toujours en main pour se conduire, et pour dresser tons ses pas dans les sentiers de la justice. C'était sans doute un don très particulier qu'il avait reçu de Dieu, de savoir appliquer les lumières de la foi à toutes sortes d'occasions et de rencontres, et d'en faire d'excellentes pratiques dans les affaires mêmes purement temporelles et séculières, ne les entreprenant que par des motifs que la foi lui inspirait, ne s'y conduisant que par ses lumières et les référant toujours à des fins surnaturelles qu'elle lui proposait. Et non-seulement il se conduisait par cet esprit de foi, en toutes ses affaires et entreprises, mais il l'inspirait autant qu'il pouvait aux autres personnes, et particulièrement à celles qui étaient sous sa conduite, au sujet de quoi Mademoiselle Legras, fondatrice et première supérieure des filles de la charité, lui ayant un jour témoigné quelque petit empressement d'esprit touchant ce charitable institut duquel il était le père, il fit la réponse suivante : « Je vous vois toujours un peu dans les sentiments humains, pensant, que tout est perdu dès lors que vous me voyez malade. O femme de peu de foi ! Que n'avez-vous plus de confiance et d'acquiescement à la conduite et à l'exemple de Jésus Christ ! Ce Sauveur du monde se rapportait à Dieu son père pour l'état de toute l'Eglise, et vous, pour une poignée de filles que sa providence a notoirement suscitées et assemblées, vous pensez qu'il vous manquera ! Allez, Mademoiselle, humiliez-vous beaucoup devant Dieu ! ».
Il disait souvent que le peu d'avancement à la vertu, et le défaut de progrès dans les affaires de Dieu, provenait de ce qu'on ne s'établissait pas assez sur les lumières de la foi, et qu'on s'appuyait trop sur les raisons humaines : « Non, non, dit-il un jour, il n'y a que les vérités éternelles qui soient capables de nous remplir le cœur, et de nous conduire avec assurance. Croyez moi, il ne faut que s'appuyer sur Dieu, ou solidement et fortement sur quelqu'une de ses perfections, comme sa bonté, sa providence, sa vérité, son immensité, etc. Il ne faut, dis-je, que se bien établir sur ces fondements divins, pour devenir parfait en peu de temps ».
Il tenait encore cette maxime de ne pas considérer les choses dans le seul extérieur et selon leur apparence, mais selon ce qu'elles pouvaient être en Dieu et selon Dieu ; « Je ne dois pas considérer, disait-il, un pauvre paysan ou une pauvre femme selon leur extérieur, ni selon ce qu'il paraît de la portée de leur esprit, d'autant que bien souvent ils n'ont presque pas la figure ni l'esprit de personnes raisonnables, tant ils sont grossiers et terrestres. Mais tournez la médaille, et vous verrez par les lumières de la foi, que le Fils de Dieu a voulu être pauvre, qu'il est représenté par ces pauvres ; qu'il n'avait presque pas la figure d'un homme, en sa passion, et qu'il passait pour fou dans l'esprit des gentils, et pour pierre de scandale dans celui des Juifs ; et avec tout cela il se qualifie l'évangéliste des pauvres. O Dieu ! Qu'il fait beau voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu, et dans l'estime que Jésus Christ en a faite! mais si nous les regardons selon les sentiments de la chair et de l'esprit mondain, ils paraîtront méprisables ».
Enfin, pour connaître combien grande et parfaite fut la foi de Vincent, il faut jeter les yeux sur toutes ses autres vertus, puisqu'elle en est comme la racine selon le sentiment de Saint Ambroise, et l'on pourra juger qu'elle a été la vigueur et la perfection de cette mystique racine, en considérant la multitude et l'excellence des fruits qu'elle a produits.
« Il y a une espèce de simplicité qui fuit que la personne ferme les yeux à tous les sentiments de la nature, et aux raisons humaines, et les tient toujours fixés sur les maximes de la foi, pour en faire constamment la règle de sa conduite. Dans toutes ses actions, ses paroles, ses pensées, ses affaires, en tout temps, en tous lieux elle consulte la foi, et ne fait rien que selon ce qu'elle dicte ». (Saint Vincent De Paul).
« Il est absolument nécessaire pour sa propre sanctification et pour être très utile au salut des autres de s'accoutumer à suivre en tout la belle lumière de la foi, toujours accompagnée d'une onction qui se répand dans les cœurs. Cela est très certain, il n'y a que les vérités éternelles qui soient capables de remplir notre cœur et de nous conduire par la voie sûre. Croyez-moi, il suffit de bien s'établir sur ces fondements pour arriver en peu de temps à la perfection et à pouvoir faire de grandes choses ». (Saint Vincent De Paul).
Pratique : Voir toujours dans les pauvres, la personne de notre Seigneur Jésus-Christ et dans cette vue, les traiter avec compassion, douceur, cordialité, respect et dévotion. Priez pour les personnes qui soignent les malades.
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Le Mois de Saint Vincent de Paul
Le Mois de Saint Vincent de Paul
Ou lectures de piété sur ses vertus et ses œuvres pour chaque jour du mois de juillet
Par une religieuse de Saint Vincent de Paul
Notice sur la vie de Saint Vincent de Paul
Naissance et premières années de Saint Vincent de Paul
Ce fut l'an 1576, le mardi d'après Pâques, que Vincent De Paul prit naissance, dans le petit village de Pouy près de Dax. 1l naquit de parents dépourvus des biens de la fortune, et vivant de leur travail : en cela, il semble que Dieu ait voulu poser et établir sur cette humble et pauvre extraction, le premier fondement de l'édifice des vertus qu'il voulait élever en l'âme de son fidèle serviteur ; car comme a fort bien dit Saint Augustin, celui qui veut devenir grand devant Dieu doit commencer par une très profonde démission de lui-même, et plus il prétend élever l'édifice de ses vertus, plus il doit creuser les fondements de son Humilité. Et en effet, parmi les emplois les plus considérables auxquels Dieu destina ensuite Vincent De Paul, et au milieu des plus grands honneurs, qu'on rendait à sa vertu, son entretien le plus ordinaire était de la bassesse de sa naissance ; et on lui entendait souvent répéter en telles rencontres, qu'il n'était que le fils d'un pauvre paysan, qu'il avait gardé les pourceaux, etc. Oh ! que c'est une marque d'une vertu bien solide, que de conserver l'amour de son abjection, avilissement et mépris, au milieu des applaudissements et des louanges ! et que Saint Bernard a eu grande raison de dire que c'est une vertu bien rare que l'humilité honorée! et qu'il y en a peu qui arrivent à ce degré de perfection, que de rechercher les mépris lorsqu'ils sont poursuivis des honneurs !
Dès ses plus jeunes années, Vincent avait le cœur fort tendre sur les misères de son prochain, et était très prompt à les secourir autant qu'il était en lui de sorte qu'il pouvait dire avec cet ancien patriarche, que la miséricorde était née avec lui, et qu'il avait toujours eu une inclination particulière à exercer cette vertu ; on a remarqué que dans un âge où les autres enfants n'ont point encore le sentiment de cette tendre pitié, Vincent pouvait déjà servir d'exemple à beaucoup : il donnait tout ce qu'il pouvait aux pauvres ; et lorsque son père l'envoyait au moulin quérir la farine, s'il rencontrait des malheureux en son chemin, il ouvrait le sac et leur en donnait des poignées, quand il n'avait autre moyen de les secourir : de quoi son père, qui était homme de bien, témoignait n'être pas fâché. Et une autre fois, à l'âge de douze ans, ayant peu à peu amassé jusqu'à trente sous de ce qu'il avait pu gagner, qu'il estimait beaucoup en cet âge et en ce pays-là où l'argent était fort rare, et qu'il gardait bien chèrement, ayant néanmoins rencontré un pauvre qui paraissait dans une grande indulgence, étant touché d'un sentiment de compassion, il lui donna tout son petit trésor, sans s'en réserver aucune chose. Certes, si l'on veut faire quelque attention à l'attache naturelle que les jeunes enfants ont aux choses qui les accommodent et qui leur plaisent, on pourra juger que ce fut là un effet particulier des premières grâces que Dieu avait mises en cet enfant de bénédiction; et de là on pouvait présager ce grand et parfait détachement des créatures, et ce degré éminent de charité où Dieu le voulait élever.
Toutes ces bonnes dispositions d'esprit du jeune Vincent et ces inclinations au bien, firent résoudre son père de faire quelque petit effort, selon l'étendue fort médiocre de ses facultés, pour l'entretenir aux études, et à cette effet, il le mit en pension chez les pères Cordeliers de Dax. Ce fut environ l'an 1588, qu'il commença ses études par les premiers rudiments de la langue latine ; où il se comporta de telle sorte et fit un tel progrès, que quatre ans après Mr de Commet l'aîné, avocat de la ville de Dax et juge de Pouy, ayant appris des pères Cordeliers les bonnes qualités de ce jeune écolier, conçut une affection toute particulière pour lui, et l'ayant retiré du couvent, le reçut en sa maison pour être précepteur de ses enfants, afin que, prenant soin de leur instruction et conduite, il eut moyen, sans être davantage à charge à son père, de continuer ses études : ce qu'il fit avec un très grand profit, ayant employé neuf ans à étudier en la ville de Dax au bout desquels Mr de Commet, qui était une personne de mérite et de piété, étant très satisfait du service que le jeune Vincent lui avait rendu en la personne de ses enfants, et de l'édification que toute sa famille avait reçue de sa vertu et sage conduite, qui surpassait de beaucoup son âge, jugea qu'il ne fallait pas laisser cette lampe sous le boisseau, et qu'il serait avantageux à l'Eglise, de l'élever sur le chandelier ; et pour cette raison, il porta Vincent De Paul, qui avait grand respect pour lui, et qui le regardait comme son second père, à s'offrir à Dieu pour le servir dans l'état ecclésiastique, et lui fit prendre la tonsure et les quatre ordres qu'on appelle mineurs, le 20 décembre 1599, étant alors âgé de 20 ans. — Il fut promu au saint ordre de prêtrise le 23 septembre 1600. On n'a pu savoir en quel lieu, ni même en quel temps il célébra sa première messe ; mais on a ouï dire qu'il avait un telle appréhension de la majesté de cette action toute divine, qu'il en tremblait, et, n'ayant pas le courage de la célébrer publiquement, il choisit plutôt de la dire à l'écart dans une chapelle retirée, assisté seulement d'un prêtre et d'un servant.
Ce fut enfin l'an 1625 que ce fidèle serviteur de Dieu, après avoir vogué plusieurs années sur la mer orageuse du monde, aborda par une conduite toute particulière de la divine Providence, en la retraite du Collège des Bons Enfants, comme en un port assuré, pour y commencer une vie toute apostolique, et en renonçant absolument aux honneurs, aux dignités et aux autres biens du monde, y faire une profession particulière de travailler à sa propre perfection et au salut des peuples, dans la pratique des vertus que Jésus-Christ a enseignées, et dont il a laissé de si beaux exemples.
Ce fut en ce lieu qu'il jeta les premiers fondements de la Congrégation de la Mission, toute dédiée comme celle des premiers disciples de Jésus Christ à suivre ce grand et premier Missionnaire venu du ciel, et à travailler au même ouvrage auquel il s'est employé pendant le temps de sa vie mortelle.
Or, pour mieux pénétrer dans les desseins de Dieu, touchant cette nouvelle institution de la Congrégation de la Mission, il est nécessaire de bien connaître quel a été celui duquel sa Providence infiniment sage en toutes ses conduites, a voulu se servir, pour en être le premier instituteur et comment il lui a donné toutes les qualités du corps et de l'esprit convenables pour bien réussir dans une entreprise si importante à sa gloire et au bien de son Eglise. Il est vrai qu'il ne sera pas aisé de représenter ce que ce grand Serviteur de Dieu s'est toujours efforcé de cacher autant qu'il lui a été possible sous le voile d'une très profonde humilité, c'est pourquoi nous ne pouvons dire que ce que la charité ou l'obéissance l'ont obligé de produire au dehors, dont néanmoins la principale partie, qui était toute intérieure et spirituelle, nous est inconnue : et partant, nous en présenterons dans le jour suivant une ébauche, laquelle quoique fort imparfaite et grossière, ne laissera pas de donner quelques lumières, pour mieux concevoir tout ce que nous avons à rapporter dans la suite de ce mois, du grand Saint Vincent De Paul !
Premier jour
Les dispositions de corps et d'esprit de Saint Vincent et les qualités de sa conduite
Pour ce qui est du corps, Vincent était d'une taille moyenne et bien proportionnée ; il avait la tête un peu chauve et assez grosse, mais bien faite par une juste proportion au reste du corps ; le front large et majestueux, le visage ni trop plein, ni trop maigre ; son regard était doux, sa vue pénétrante, son ouïe subtile, son port grave, et sa gravité bénigne ; sa contenance simple et naïve, son abord fort affable, et son naturel grandement bon et aimable.
Il était d'un tempérament bilieux et sanguin et d'une complexion assez forte et robuste ; ce qui n'empêchait pas pourtant qu'il fut plus sensible qu'il ne semblait aux impressions de l'air, et ensuite fort sujet aux atteintes de la fièvre.
Il avait l'esprit grand, posé, circonspect, capable de grandes choses, et difficile à surprendre. Il n'entrait pas légèrement dans la connaissance des affaires ; mais lorsqu'il s'y appliquait sérieusement, il les pénétrait jusqu'à la moelle, il en découvrait toutes les circonstances petites et grandes, il en prévoyait les inconvénients et les suites, et néanmoins de peur de se tromper, il n'en portait point jugement d'abord, s'il n'était pressé de le faire, et il ne déterminait rien qu'il n'eût balancé les raisons pour et contre, étant même bien aise d'en concerter encore avec d'autres : lorsqu'il lui fallait dire son avis, ou prendre quelque résolution, il développait la question avec tant d'ordre et de clarté, qu'il étonnait les plus experts, surtout dans les matières spirituelles et ecclésiastiques. Il ne s'empressait jamais dans les affaires, et ne se troublait point par leur multitude, ni pour les difficultés qui s'y rencontraient; mais avec une présence et une force d'esprit infatigable, il les entreprenait et s'y appliquait avec ordre et lumière, et en portait le poids et la peine avec patience et tranquillité. Quand il était question de traiter d'affaires, il écoutait volontiers les autres, sans interrompre jamais aucun pendant qu'il parlait ; et néanmoins il supportait sans peine qu'on l'interrompît, s'arrêtant tout court, et puis reprenait le fil de son discours. Lorsqu'il donnait son avis sur quelque chose, il ne s'étendait pas beaucoup en discours, mais déclarait ses pensées en bons termes, ayant une certaine éloquence naturelle, non-seulement pour s'expliquer nettement et solidement, mais aussi pour toucher et persuader avec des paroles fort affectives, ceux qui l'écoutaient, quand il s'agissait de les porter au bien. Il faisait en tous ses discours un juste mélange de la prudence et de la simplicité, il disait sincèrement les choses comme il les pensait, et néanmoins il savait fort bien se taire sur celles où il voyait quelque inconvénient de parler; il se tenait toujours présent à lui-même, et attentif à ne rien dire ni écrire de mal digéré, ou qui témoignât aucune aigreur, mésestime ou défaut de charité envers qui que ce fût.
Son esprit était fort éloigné des changements, nouveautés et singularités, et tenait pour maxime, quand les choses étaient bien, de ne les pas changer facilement, sous prétexte de les mettre mieux. 1l se défiait de toutes sortes de propositions nouvelles et extraordinaires, spéculatives ou de pratique, et se tenait ferme aux usages et sentiments communs, surtout en fait de religion.
Il avait le cœur fort tendre, noble et généreux, libéral, et facile à concevoir de l'affection pour ce qu'il voyait être vraiment bon et selon Dieu ; et néanmoins il avait un empire absolu sur tous ses mouvements, et tenait ses passions si sujettes à la raison, qu'à peine pouvait-on s'apercevoir qu'il en eût.
Enfin, quoique l'on ne puisse pas dire qu'il n'eût point de défauts, l'Ecriture sainte y contredisant, et les apôtres mêmes ni les autres saints n'en ayant pas été exempts, il est pourtant véritable qu'il ne s'est guère vu d'hommes en ce siècle exposés comme lui à toutes sortes d'occasions, d'affaires et de personnes, en qui on ait trouvé moins à redire, Dieu lui ayant fait la grâce de se posséder toujours à un tel point que rien ne le surprenait, et il avait si bien en vue Notre Seigneur Jésus Christ qu'il moulait tout ce qu'il avait à dire ou à faire sur ce divin Original. C'est sur ce principe qu'il s'est comporté avec tant de circonspection et de retenue envers les plus grands, et avec tant d'affabilité et de bonté envers les plus petits, que sa vie et sa conduite ont toujours été non-seulement sans reproche, mais aussi dans une approbation universelle et publique.
Vincent avait tellement pris à cœur la pratique de l'humilité et de l'avilissement de soi-même, qu'à l'ouïr parler il semblait qu'il ne voyait en lui que vice et péché ; il souhaitait qu'on l'aidât à remercier Dieu, non tant des grâces singulières que sa libéralité lui communiquait, que de la patience que sa divine miséricorde exerçait envers lui, le supportant, comme il disait ordinairement, en ses abominations et infidélités. Ce n'est pas que, dans le secret de son cœur, il ne fût plein de reconnaissance des grandes faveurs et des dons excellents qu'il recevait de la main de Dieu; mais il n'en parlait point, craignant de s'attribuer aucun bien, et regardant toutes ces grâces comme des biens de Dieu dont il se jugeait très indigne, et lesquels, quoiqu'ils fussent en lui, n'étaient pas pourtant de lui ni à lui, mais uniquement de Dieu et à Dieu : de sorte qu'à l'exemple du grand Apôtre, il ne faisait parade que de ses faiblesses et de ses infirmités, et cachait soigneusement tout le reste : au contraire, fermant les yeux à la faiblesse et aux défauts des autres, particulièrement de ceux de la conduite desquels il n'était pas chargé, il manifestait volontiers le bien qu'il reconnaissait en eux, non pour le leur attribuer, sais pour en glorifier Dieu, qui est le souverain auteur de tout bien. Il disait : « qu'il y avait des personnes qui pensent toujours bien de leur prochain, autant que la vraie charité le leur peut permettre, et qui ne peuvent voir la vertu sans la louer, ni les personnes vertueuses sans les aimer ». C'est ainsi qu'il le pratiquait lui-même, toujours néanmoins avec grande prudence et discrétion : car pour les siens, il ne les louait que très rarement en leur présence, et seulement quand il le jugeait expédient pour la gloire de Dieu et pour leur plus grand bien ; mais pour les autres personnes vertueuses, il se conjouissait volontiers avec elles des grâces qu'elles recevaient de Dieu et du bon usage qu'elles en faisaient, et en parlait quand il le jugeait convenable pour les encourager à la persévérance dans le bien.
Enfin, pour exprimer en peu de paroles ce que nous dirons plus amplement dans la suite de ce mois, touchant les vertus de Vincent, il s'était proposé Jésus comme l'unique exemplaire de sa vie, et il avait si bien imprimé son image dans son esprit, et possédait si parfaitement ses maximes, qu'il ne parlait, ne pensait, ni n'opérait, qu'à son imitation et par sa conduite. La vie de ce divin Sauveur et la doctrine de son Evangile étaient la seule règle de sa vie et de ses actions; c'étaient toute la morale et toute la politique selon lesquelles il se réglait soi-même et toutes les affaires qui passaient par ses mains ; c'était en un mot, l'unique fondement sur lequel il élevait son édifice spirituel : de sorte que l'on peut dire avec vérité qu'il nous a laissé, sans y penser, un tableau raccourci des perfections de son âme, et marqué sa divise particulière dans ces belles paroles qu'il dit un jour de l'abondance de son cœur : « Rien ne me plaît qu'en Jésus Christ ! » De cette source procédaient la fermeté et la constance inébranlables qu'il avait dans le bien, lesquelles ne fléchissaient jamais par aucune considération ni de respect humain, ni de propre intérêt, et qui le tenaient toujours disposé à soutenir toutes les contradictions, souffrir toutes les persécutions, et, comme dit le Sage, agoniser jusqu'à la mort pour la défense de la justice et de la vérité. C'est ce qu'il déclara encore, sur la fin de sa vie, en ces termes bien remarquables : « Qui dit doctrine de Jésus-Christ, dit un rocher inébranlable ; il dit des vérités éternelles qui sont suivies infailliblement de leurs effets; de sorte que le Ciel renverserait plutôt que la doctrine de Jésus-Christ vint à manquer ».
Vincent n'avait pas seulement rempli son cœur et son esprit de ses maximes et vérités évangéliques, mais il s'étudiait, en toutes occasions, à les répandre dans les esprits et dans les cœurs des autres, et particulièrement de ceux de sa Compagnie ; voici comment il leur parlait un jour sur ce sujet : « Il faut, dit-il, que la compagnie se donne à Dieu pour se nourrir de cette ambroisie du Ciel, pour vivre de la manière que notre Seigneur a vécu, et pour tourner toutes nos conduites vers lui, et les mouler sur les siennes ». Il a mis pour première maxime, de chercher toujours la gloire de Dieu, et sa justice toujours et avant toute autre chose. Oh ! Que cela est beau, de chercher premièrement le règne de Dieu en nous, et le procurer à autrui ! Une compagnie qui serait dans cette maxime d'avancer de plus en plus la gloire de Dieu, combien avancerait-elle aussi son propre bonheur ? Quel sujet n'aurait-elle pas d'espérer que tout lui tournerait en bien ? S'il plaisait à Dieu nous faire cette grâce, notre bonheur serait incomparable. Si, dans le monde, quand on entreprend un voyage, on prend garde si l'on est dans le droit chemin, combien plus ceux qui font profession de suivre Jésus dans la pratique des maximes évangéliques (particulièrement de celle-ci, par laquelle ils nous ordonne de chercher en toutes choses la gloire de Dieu) doivent-ils prendre garde ce qu'ils font, et se demander : Pourquoi fais-tu ceci ou cela ? Est-ce pour te satisfaire ? Est-ce parce que tu as aversion à d'autres choses ? Est-ce pour complaire à quelque chétive créature ? mais plutôt n'est-ce pas pour accomplir le bon plaisir de Dieu et chercher sa justice ? Quelle vie ! Quelle vie serait celle-là ? Serait-ce une vie humaine ? Non, elle serait une vie tout angélique, puisque c'est purement pour l'amour de Dieu que je ferais tout ce que je ferais, et que je laisserais à faire tout ce que je ne ferais pas. — Quand on ajoute à cela la pratique de faire en toutes choses la volonté de Dieu, qui doit être comme l'âme de la compagnie et une des pratiques qu'elle doit avoir bien avant dans le cœur, c'est pour nous donner à un chacun en particulier un moyen de perfection, facile, excellent et infaillible, et qui fait que nos actions ne sont pas actions humaines, ni même seulement angéliques, mais en quelque façon divines, puisqu'elles se font en Dieu et par le mouvement de son esprit et de sa grâce. Quelle vie ! Quelle vie serait celle des missionnaires ! Quelle compagnie si elle s'établissait bien là dedans !
Vincent ajoutait encore à cela deux maximes très importantes, qu'il possédait parfaitement dans son cœur, et qu'il s'efforçait particulièrement d'imprimer, dans le cœur des siens.
La première était de ne pas se contenter d'avoir un amour affectif envers Dieu, et de concevoir de grands sentiments de sa bonté et de grands désirs de sa gloire, mais de rendre cet amour effectif, et, comme a dit Saint Grégoire, en donner des preuves par les œuvres ; au sujet de quoi parlant un jour à ceux de sa communauté, il leur dit :
« Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu ; mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages ; car bien souvent, tant d'actes d'amour de Dieu, de complaisance, de bienveillance, et autres affections semblables et pratiques intérieures d'un cœur tendre, quoique très bonnes et très désirables, sont néanmoins très suspectes quand on n'en vient point à la pratique de l'amour effectif. En cela, dit Notre Seigneur, mon père est glorifié que vous rapportiez beaucoup de fruit. Et c'est en quoi nous devons bien prendre garde; car il y en a plusieurs qui, pour avoir l'extérieur bien composé et l'intérieur rempli de grands sentiments de Dieu, s'arrêtent à cela ; et quand ce vient au fait, et qu'ils se trouvent dans les occasions d'agir, ils demeurent court. Ils se flattent de leur imagination échauffée, ils se contentent des doux entretiens qu'ils ont avec Dieu dans l'oraison, ils en parlent même comme des anges ; mais au sortir de là, est-il question de travailler pour Dieu, de souffrir, de se mortifier, d'instruire les pauvres, d'aller chercher les brebis égarées, d'aimer qui leur manque quelque chose, d'agréer les maladies, ou quelque autre disgrâce, hélas ! Il n'y a plus personne, le courage leur manque. Et cependant, il n'y a que nos œuvres qui nous accompagnent en l'autre vie ; faisons donc, ajoutait-il, réflexion à cela, d'autant plus qu'en ce siècle il y en a plusieurs qui semblent vertueux, et qui en effet le sont, qui néanmoins inclinent à une voie douce et molle plutôt qu'à une dévotion laborieuse et solide. L'Eglise est comparée à une grande moisson qui requiert des ouvriers, mais des ouvriers qui travaillent. Il n'y a rien de plus conforme à l'Evangile qui d'amasser d'un côté des lumières et des forces pour son âme dans l'oraison, dans la lecture et la solitude, et d'aller ensuite faire part aux hommes de cette nourriture spirituelle ; c'est faire comme notre Seigneur a fait, et après lui ses apôtres ; c'est joindre l'office de Marthe et de Marie ; c'est imiter la colombe qui digère à moitié la pâture qu'elle a prise, et puis met le reste par son bec dans celui de ses petits pour les nourrir. Voilà comme nous devons témoigner à Dieu par nos œuvres que nous l'aimons ».
La seconde maxime de ce grand Serviteur de Dieu, était de regarder Jésus-Christ dans les autres pour exciter plus efficacement son cœur à leur rendre tous les devoirs de la charité. Il regardait ce divin Sauveur comme pontife et chef de l'église dans notre saint père le Pape, comme évêque et prince des pasteurs dans les évêques, docteur dans les docteurs, prêtre dans les prêtres, religieux dans les religieux, souverain et puissant dans les rois, noble dans les gentils-hommes, juge et très-sage politique dans les magistrats, gouverneurs et autres officiers : et le royaume de Dieu étant comparé dans l'Evangile à un marchand, il le considérait comme tel dans les hommes de trafic, ouvrier dans les artisans, pauvre dans les pauvres, infirme et agonisant dans les malades et mourants ; et considérant ainsi Jésus-Christ en tous ces états, et en chaque état voyant une image de ce souverain Seigneur, qui reluisait en la personne de son prochain, il s'excitait par cette vue à honorer, respecter, aimer et servir un chacun en notre Seigneur, et notre Seigneur en un chacun, conviant les siens et ceux auxquels il en parlait d'entrer dans cette maxime, et de s'en servir pour rendre leur charité plus constante, et plus parfaite envers le prochain.
Voilà un petit crayon en général de l'esprit de Vincent, dont il a lui-même tracé de sa propre main la plus grande partie, sans y penser, et même contre son dessein, qui était toujours de se cacher, et de couvrir les dons et les vertus qu'il avait reçus du voile du silence et de l'humilité : mais Dieu a voulu qu'il se soit innocemment trompé, et en quelque façon trahi lui-même pour mieux faire connaître les grâces et les excellentes qualités qu'il avait abondamment versées dans son âme, afin de le rendre un digne instrument de sa gloire, et se servir de lui dans les grandes choses qu'il voulait opérer, par son moyen, pour le plus grand bien de son Eglise ; et pour recueillir en peu de paroles ce qui a été dit de la conduite de Vincent, on peut dire avec vérité, qu'elle a été :
1° Sainte, ayant eu uniquement Dieu pour objet : qu'elle allait à Dieu, qu'elle y menait les autres, et lui rapportait toutes choses comme à leur dernière fin. 2° Humble, se défiant de ses propres lumières, prenant conseil dans ses doutes, et se confiant à l'esprit de Jésus-Christ, comme à son guide et à son docteur. 3e Douce en sa manière d'agir, condescendant aux faiblesses, et s'accommodant aux forces, à l'inclination, à l'état des personnes. 4° Ferme pour l'accomplissement des volontés de Dieu, et pour ce qui concernait l'avancement spirituel des siens et le bon ordre des communautés, sans se rebuter par les contradictions ni se laisser abattre par les difficultés. 5° Droite, pour ne pas éviter, ni se détourner des voies de Dieu, par aucun respect humain. 6° Simple, rejetant tout artifice, duplicité, feinte et toute prudence de la chair. 7° Prudente dans le choix des moyens propres pour parvenir à la fin unique qu'il se proposait en tout, qui était l'accomplissement de ce qu'il connaissait être le plus agréable à Dieu, prenant garde, dans l'emploi de ces moyens, et en tout ce qu'il faisait, de ne choquer ni contrister personne, autant que cela pouvait dépendre de lui, et évitant judicieusement les obstacles, ou les surmontant par sa patience et par ses prières. 8° Secrète, pour ne divulguer les affaires avant le temps, ni les communiquer à d'autres qu'à ceux auxquels il était expédient d'en parler. Il disait sur ce sujet : « Que le démon se jouait des bonnes œuvres découvertes et divulguées sans nécessité, et qu'elles étaient comme des mines éventées qui demeurent sans effet ». 9° Réservée et circonspecte, pour ne s'engager pas trop à la légère, et pour ne rien précipiter ni trop s'avancer. 10° Enfin désintéressée, ne cherchant ni honneur, ni propre satisfaction, ni aucun bien périssable, mais uniquement, à l'imitation de son divin maître, la seule gloire de Dieu, le salut et la sanctification des âmes.
Fleurs Spirituelles
« Faites fidèlement à tout moment ce que le Seigneur voudra de vous, et laissez à Dieu de penser à autre chose : Je vous assure qu'en vivant ainsi, vous éprouverez une grande paix ». (Sainte Jeanne-Françoise de Chantal).
« Les œuvres de Dieu se font presque toujours peu à peu, et ont leur commencement et leur progrès. On ne doit pas prétendre faire tout en une seule fois à la hâte, ni penser que tout est perdu, si l'on ne devient pas parfait tout-à-coup. Il faut toujours marcher, mais sans s'inquiéter ; prier beaucoup le Seigneur, et se servir des moyens suggérés par l'esprit de Dieu, sans avoir aucun égard aux fausses règles du siècle. (Saint Vincent De paul).
Pratique : A l'exemple de Saint Vincent De Paul, tâchez aujourd'hui de faire vos différentes actions le plus parfaitement possible. Priez pour les Sœurs servantes des Pauvres.
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Trente-et-unième jour
Notre Dame des Cœurs
Pour terminer cette revue incomplète et rapide des noms sous lesquels la sainte Vierge est honorée chez nous, étudions un vocable inventé, je crois, par le Père Montfort, grand missionnaire et non moins grand serviteur de Marie : Notre-Dame des Coeurs.
Au mois de juin 1710, le Bienheureux donnait les exercices d’une mission à Saint Donatien, alors paroisse rurale et séparée du faubourg Saint Clément par une vaste lande. La population accueillit l’homme de Dieu avec faveur, et ses prédications eurent un plein succès. Son zèle lui fit pourtant, là comme ailleurs, courir quelques dangers. Il apprend, un dimanche, que des jeunes gens, attablés dans un de ces cabarets qui pullulent aux abords des grandes villes, y causent du scandale. Le saint homme n’hésite pas ; seul, car nul n’accepte de l’accompagner, il se rend en ce mauvais lieu. La salle est remplie et l’on devine les scènes qui s’y déroulent, au soir d’une journée passée tout entière en débauches : les uns hurlent, de leurs voix avinées, des refrains obscènes ; d’autres se livrent, au son d’instruments criards, à des danses effrénées ; d’autres, enfin, se querellant, vomissent à pleine bouche les injures et les blasphèmes. Montfort s’agenouille au milieu de la salle et récite un Ave Maria ; puis, se relevant, il brise les instruments de musique et renverse les tables des buveurs. Ce fut, tout d'abord, de la stupeur chez ceux-ci ; ce fut bientôt de la colère : dix épées sortirent du fourreau. Le Bienheureux se dresse, calme et intrépide, devant ces furieux, son chapelet dans une main, dans l’autre un crucifix. Les malheureux ne purent supporter la flamme de son regard ; ils s’enfuirent, laissant le prêtre seul avec l’aubergiste auquel il s’efforça de faire comprendre l’indignité de sa conduite.
Inutile d’ajouter que, avec un tel apôtre, la mission fut admirablement fructueuse. La procession de clôture fut magnifique. Montfort avait fait exécuter par les dames de la paroisse quatorze grands étendards en satin, destinés a être portés en tête d’autant de groupes distincts de fidèles, qu’il appelait ses escadrons. Le cortège se déroula splendide, dans la campagne, et quand la foule se fut assemblée autour du trône champêtre sur lequel avait été placé le très saint Sacrement, le prédicateur parla de manière à tirer les larmes de tous les yeux.
Comment oublier de pareilles scènes et les enseignements donnés par un tel apôtre ! Celui-ci, d’ailleurs, laissait deux monuments chargés de perpétuer le souvenir de son œuvre. Le premier était un calvaire qui, plusieurs fois renouvelé, se dresse encore, au chevet de la basilique actuelle, dans le cimetière paroissial ; le second était une chapelle de la sainte Vierge. À deux pas du calvaire qu’on érigeait, dans l'enceinte du même cimetière, existait une vieille et pauvre chapelle ; un évêque de Nantes, du VIe siècle, Epiphane (569-515), l'avait bâtie, au retour d'un voyage en Palestine, y avait déposé des reliques de saint Etienne et la lui avait dédiée. Il y était venu plus tard dormir son dernier sommeil, et nous avons vu naguère un débris de son tombeau récemment découvert. Le petit sanctuaire avait traversé les siècles et les révolutions sans grands dommages, et, malgré quelques injures du temps et quelques remaniements, on pouvait le dire intact. Toutefois, il n‘avait plus guère que les apparences d’une chapelle. Dubuisson-Aubenay écrivait, en 1637 : « C’est sans contre-dit la plus ancienne muraille d’église qui soit à Nantes debout, voire l’une des plus anciennes qui soient en France. Elle est comme abandonnée et relante ». Cinquante ans plus tard, l’archidiacre Binet constatait qu’elle n’était pas en meilleur état : les murs étaient toujours solides et la charpente bonne ; on y voyait encore un autel surmonté d’une « image en bosse d’un sainct Estienne passable » ; mais il n’y avait plus aucune trace de lambris ni de carrelage, et l’archidiacre n’hésitait point à qualifier d’ordures » les débris de toute sorte qu’on y avait accumulés.
Le missionnaire, dont le cœur avait bondi plus d’une fois devant le délabrement et la malpropreté d’un grand nombre d’églises de campagne, et qui pressait les populations de rendre la maison de Dieu digne du Maître qui l’habite, dut être péniblement impressionné en voyant le triste abandon d’un sanctuaire si respectable : et peut-être commenta-t-il au peuple, en les lui faisant chanter, les vers qu’il avait composés à Cambon, l’année précédente :
« L’église est dans l’oubli, l’autel est dépouillé,
Le pavé tout brisé, le toit sans couverture,
Les murs tout écroulés et tout couverts d'ordure ».
Heureusement ici les murs et le toit étaient en assez bon état et il fut facile de rendre la chapelle décente. Mais puisqu'elle était depuis longtemps abandonnée et le culte de saint Etienne mis en oubli, pourquoi ne la consacrerait-on pas à Marie ? Il en fut ainsi décidé. Quant au choix du vocable, Montfort n‘hésita point. Déjà, quelques années plus tôt (1704), au cours d’une mission qu’il prêchait au faubourg de Montbernage, à Poitiers, il avait transformé une grange en chapelle et l’avait dédiée à Marie, Reine des Coeurs. Les habitants du faubourg étaient pauvres, et le missionnaire fournit lui-même la statue que l’on y vénère toujours ; il y ajouta un cœur couronné d’épines, comme gage de sa consécration personnelle à la reine des Coeurs. Notre Bienheureux avait toujours le même amour pour la sainte Vierge : ce titre qui exprimait si bien la nature de la dévotion qu'il prêchait et sur laquelle il devait écrire un sublime traité, il le donna à la chapelle de Saint Donatien.
Les dames généreuses, qui s'étaient chargées des quatorze étendards dont nous avons parlé, aidèrent sans doute le missionnaire a meubler le nouveau sanctuaire de Marie, et il est a croire qu‘elles placèrent une statue de la Reine des Coeurs à côté de la vieille « image » de saint Etienne. L’une d’elles, la plus riche et probablement la plus généreuse, devait connaître Montfort, et c'est peut-être à son appel qu’il était venu évangéliser cette paroisse. Elle appartenait en effet a une famille de Pontchâteau, et elle avait pu voir, de son manoir familial, les merveilles que le saint homme accomplissait dans la lande de la Madeleine. J’ai nommé Madame de la Tullaye, née Rogier de Crévy. L’antique chapelle avait alors un clocher ; mais il était muet : Montfort voulut lui donner une voix. N’était-ce pas nécessaire ? Il avait établi, dans son oratoire de Montbernage, la pratique du chapelet en commun ; nous avons vu précédemment qu‘il avait l‘ait de même a Saint Similien. Ce n’est pas trop préjuger de son zèle que de croire à l’établissement de cet usage dans le sanctuaire qui nous occupe. Or, comment appeler les fidèles à la prière, sinon par le son de la cloche ? Montfort en demanda une et l'obtint. La bénédiction solennelle en fut faite au cours de la mission, et le Bienheureux en fut le parrain avec Madame de la Tullaye. Le procès-verbal en fut soigneusement dressé, puis signé du parrain et de la marraine, ainsi que de deux prêtres employés sans doute aux exercices, P. Gelineau et P. Tripon. Il est conservé aux archives municipales de Nantes et c‘est, je crois, l'unique preuve qui nous reste dela dédicace de la chapelle Saint Etienne à Notre Dame des Coeurs. Qu’on nous permette, pour ce motif, de le rapporter en entier : « Le 21e jour de juin 1710, on a fait dans la chapelle de Notre Dame des Coeurs, alias de Saint Etienne, dans le cymytière de cette paroisse, la cérémonie de la bénédiction d’une cloche pour servir à la ditte chapelle. Le nom luy a été imposé d’Anne-Marie, par M. Louis de Montfort, prêtre et missionnaire, et par Madame Anne Bogier de Crévy, épouse de Messire François-Salomon de la Tullaye, cons.er du Roy et son procureur général a la C. des C. de B ».
La chapelle de Saint-Donatien fut moins heureuse que celle de Montbernage ; elle perdit à la Révolution sa cloche et sa madone. Le souvenir même du culte qu'on y avait rendu à Notre-Dame des Coeurs s’éteignit. Toutefois la chapelle ne périt point. L'église paroissiale avait été vendue et démolie, et lorsque les prétres revinrent d’exil, le modeste sanctuaire bâti par l'évêque Epiphane treize siècles auparavant restait seul debout. Il abrita les fidèles et servit d'église paroissiale pendant quatre ans, jusqu’au 28 mars 1806. C'est-là, entre ces vieilles murailles, que les deux anciens vicaires, revenus d‘Espagne, reprirent l'exercice de leur ministère ; c’est là que l’un d’eux, M. Jambu, fut installé à la place de son ancien recteur, noyé dans les flots de la Loire ; c’est là qu’un jour ce vénérable pasteur, suppliant ses ouailles d’oublier les injures reçues et les persécutions subies, tira des larmes de tous les yeux.
De tels souvenirs auraient dû rendre la petite chapelle plus chère encore au peuple. Hélas ! dès l'ouverture de la nouvelle église, elle retomba dans l’oubli; elle perdit jusqu’à son nom. Bientôt elle ne fut pour le peuple que la chapelle de Saint Agapit, d’un saint très vénéré dans la paroisse, et dont la statue, après la destruction de sa chapelle, fut placée dans celle de Saint Etienne.
Notre pauvre vieux sanctuaire resta longtemps sans gloire ; et l'on put craindre un instant que l’édifice, élevé par l’évêque Epiphane, allait à jamais disparaître. Un ami de nos antiquités chrétiennes, dévoué surtout à ce qui intéresse le culte des Enfants Nantais et l‘histoire de leur paroisse, le sauva de la ruine. Il fit mieux. Il entreprit de le restaurer. Pour commencer, il y a rétabli la dévotion à Marie Reine des Coeurs.
Par ses soins, un peintre de talent dessina un tableau qui résume l'histoire que nous avons racontée. On y voit, sur un trône et la couronne au front, la Vierge-Mère ; sur ses genoux est son divin Enfant, tenant en main un sceptre et un globe ; le Bienheureux Montfort, agenouillé devant elle, lui présente des deux mains un cœur enflammé ; enfin deux anges, planant au-dessus du groupe, portent des banderoles où on lit ces mots : « Marie Reine des Coeurs – A Jésus par Marie ». Le tableau fut placé dans la chapelle, du côté de l’Evangile et, en 1901, un jour de fête de catéchisme, le culte de Notre Dame des Coeurs fut solennellement rétabli. Déjà des cantiques en son honneur ont été composés ; des Sœurs de la Sagesse, accompagnées des jeunes filles qu’elles élèvent, y sont venues chercher en quelque sorte les traces de leur Père ; plusieurs personnes pieuses ont suivi le. même chemin. Mais ce sont les enfants du catéchisme de première communion qui se montrent les plus empressés à honorer Notre Dame des Cœurs.
Le restaurateur de ce culte savait que le Père Montfort, durant l’année qu'il passa dans la Communauté de Saint-Clément à Nantes, s'était consacré presque exclusivement à l’instruction religieuse des enfants, dans diverses paroisses de la campagne. Est-il croyable, pensa-t-il, que ce saint homme ait oublié la paroisse rurale la plus voisine de sa demeure ? N’est-il pas à croire du moins que, dans ses pèlerinages a la tombe de nos martyrs, il aimait à s‘entretenir avec les petits enfants qu’il trouvait sur sa route et qu’il leur communiquait quelque chose de son amour pour Jésus et pour Marie ? D’ailleurs les cœurs d’enfants, les plus sincères et les plus purs, plaisent par dessus tous les autres au Coeur de Marie. Voilà pourquoi la dévotion à la Reine des Coeurs est pratiquée surtout aujourd’hui par les enfants du catéchisme de Saint-Donatien. À chaque réunion, ils invoquent la Vierge sous ce nom si doux ; souvent ils chantent ses cantiques ; et quand sonnent les heures, ils interrompent la leçon pour redire, sur l’air d'avant-quart de l’horloge, qui sert ainsi d’accompagnement a leur chant, ces paroles empruntées en partie au Bienheureux Montfort : « Tout pour Jésus, tout par Marie: Roi des élus, à vous ma vie ! »
C’est le Père Montfort qui nous a fait connaître et honorer Marie, reine des cœurs ; c'est à lui que nous devons demander le sens de cette gracieuse dévotion.
Dans l’Ecriture et dans le langage de l’Eglise, le mot cœur offre plusieurs sens. Il désigne d’abord l’organe de chair qui fait en nous circuler le sang ; mais il est également employé pour signifier tout l’intérieur de l’homme, l’ensemble de ses pensées, de ses désirs, de ses volontés. C’est tout cet ensemble qui constitue le domaine de, la Reine des Cœurs. Écoutez Montfort : « Marie est la Reine du ciel et de la terre par grâce, comme Jésus en est le Roi par nature et par conquête : or connue le royaume de Jésus-Christ consiste principalement dans le cœur et l’intérieur de l’homme, selon cette parole : Le royaume de Dieu est au dedans de vous, de même le royaume de la très sainte Vierge est principalement dans l’intérieur de l’homme, c’est-à-dire, dans son âme, et c’est principalement dans les âmes qu’elle est plus glorifiée avec son Fils que dans toutes les créatures visibles, et nous pouvons l’appeler avec les saints Reine des Cœurs ».
Mais s‘il est dans l’ordre que Marie règne sur tout notre intérieur, règle toutes nos facultés, soit maîtresse de toutes nos volontés, c'est afin de les consacrer à son Fils. Telle est en effet la raison d’être de cette dévotion : soumettre à Marie notre âme et toutes ses facultés, afin que Marie les soumette à Jésus. C'est la ce. que notre Bienheureux appelait le » saint Esclavage », ou la parfaite consécration à Jésus par Marie ; et voici comment il l’expose lui-même : « Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier a la très sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus—Christ par elle. Il faut lui donner : 1°notre corps avec tous ses sens et ses membres ; 2° notre âme avec toutes ses puissances ; 3° nos biens extérieurs qu’on appelle de fortune, présents et à venir ; 4° nos biens intérieurs et spirituels, qui sont nos mérites, nos vertus et nos bonnes œuvres, passées, présentes et futures ».
Le titre de Reine des Coeurs dit encore davantage ; il signifie que cet esclavage, que nous professons envers la sainte Vierge, doit être surtout un esclavage d'amour. Il y a en effet des esclaves de contrainte et des esclaves d’amour : ce dernier titre convient seul à ceux qui se consacrent à la Reine des Cœurs. « Si la sainte Vierge est la reine et souveraine du ciel et de la terre, n'a-t-elle pas autant de sujets et d’esclaves qu'il y a de créatures ? Mais n’est-il pas raisonnable que, parmi tant d’esclaves de contrainte, il y en ait d‘amour qui, de plein gré, choisissent, en qualité d‘esclaves, Marie pour leur Souveraine ? »
Tel est le sens de notre dévotion, exposé par le Bienheureux lui-même ; et c’est pour cela que la confrérie du saint Esclavage, récemment érigée, l’a été sous le titre de Marie, Reine des Cœurs. Profitons des leçons de notre grand apôtre, soyons comme lui les esclaves très humbles et très dévoués de la Mère de Dieu, répétons souvent les paroles enflammées d‘un de ses plus beaux cantiques :
J‘aime ardemment Marie,
Après Dieu, mon Sauveur,
Je donnerais ma vie
Pour lui gagner un cœur.
Ô ma bonne Maîtresse,
Si l‘on vous connaissait,
Chacun ferait la presse
À qui vous servirait.
Fin du Mois de Marie des Madones Nantaises
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Trentième jour
Notre Dame de la Délivrance
Parmi les vocables sous lesquels Marie est honorée chez nous, il en est un que la plupart ignorent, et qui mérite d’être signalé : Notre Dame de la Délivrance.
Nos pères avaient placé son image a l'entrée des ponts, tout près de la forteresse de Pirmil. Ils voulaient, dit-on, remercier la sainte Vierge de la protection qu‘elle avait exercée sur la cité menacée par les protestants ; mais c‘était certainement aussi pour obtenir qu’elle les délivrât à l’avenir des attaques de l‘ennemi.
Les débris pittoresques du vieux château ont été renversés, il y a longtemps déjà (1839) ; la madone a disparu comme eux. Cependant le petit peuple est resté fidèle au culte qu‘il avait voué a Notre Dame de la Délivrance, et il est encore un coin de notre ville où se perpétue cette dévotion.
Toutefois ne cherchez pas dans nos riches basiliques : il n’y en a pas de trace ; n’explorez pas davantage nos larges rues et nos places modernes : ce n’est pas là que se manifeste la piété populaire, elle y serait mal à l’aise. Allez dans un de nos plus vieux quartiers, dans la rue des Carmes, autrefois si fréquentée parles dévots serviteurs de Notre Dame, presque en face de cette antique maison à l’enseigne du « Vieux Nantes », dont la façade de bois et d’ardoise surplombe la chaussée, réjouissant notre regard déshabitué de ces formes vénérables et nous reportant cinq siècles en arrière. Arrêtez-vous au numéro 15, et suivez une allée longue, étroite, à l'odeur de moisi. Au fond est une cour entourée de bâtiments : c’est là. À droite, sur la façade d’une maison plus basse que les autres et relativement récente, dans une sorte de fenêtre aveugle que surmonte un fronton, à été encastré un plein relief qui attire tout de suite les yeux par ses couleurs voyantes. C’est un arc en accolade, rappelant quelque peu le triforium de la Cathédrale, mais d'un travail incomparablement moins fin ; au centre, posée sur un socle, est une Vierge-Mère, portant sur son bras droit le divin Enfant et, de la main gauche, lui présentant le sein. A la hauteur des épaules de la madone sont suspendus deux anges ; et, dominant le tout, on voit un Père Eternel coiffé de la tiare. Au-dessus de l’arc se lit l’inscription : « Notre Dame de Délivrance » ; au-dessous est un support abrité pour recevoir les cierges ainsi qu’un tronc pour recueillir les offrandes. Le bas relief à été repeint tout récemment avec des couleurs diverses où dominent le blanc et le bleu, dans ce ton cru qui tire l'oeil et qu’affectionne le menu peuple. La Vierge a les traits gros et assez vulgaires ; elle paraît antique et peut-être est-elle antérieure aux décors qui l’entourent. D’où vient-elle ? Ornait-elle déjà la façade d’une maison plus ancienne situé= au même lieu ? Est-ce un débris du couvent des Carmes qui était proche ? Provient-elle, comme quelques-uns l'ont pensé, de la démolition de la porte de Sauvetour ? Le peuple l’ignore et, sans s’en inquiéter, continue de vénérer sa chère madone. On l’invoque surtout pour les femmes enceintes, et l’on y fait brûler des cierges pour obtenir leur heureuse délivrance.
On trouve une autre madone, honorée sous ce même vocable, à l’extrémité du diocèse de Nantes, dans la paroisse récente de Trescallan. Près des limites de Piriac, à deux pas du manoir de Lauvergnac et non loin de la mer, est le pauvre hameau de Brenda. Il ne se compose actuellement que de trois ou quatre masures, mais il eut jadis plus d’importance: les gens du pays sont unanimes à déclarer qu’il a connu des jours de prospérité, presque des jours de gloire. Ce n’est pas un récit purement légendaire ; les Celtes en effet y ont laissé un tumulus et les Romains des ruines. Les paysans racontent volontiers qu’il exista naguère un premier Brandu sur le rivage même, entre Belmont et Lérat, et qu’il fut détruit à une époque très reculée par les envahissements de la mer. Ils ajoutent qu’aux grandes marées, quand le reflux laisse un large espace à découvert, on aperçoit encore sur les roches de Belmont des blocs énormes, certainement taillés de main d’homme. Le propriétaire d‘un champ voisin, en cultivant sa terre, y a constaté l’existence de trois couches bien distinctes, le sable d’abord, puis des débris de constructions, et au-dessous le sol arable. Quels bâtiments s'élevèrent la jadis ? Y eut-il un petit port dans le genre de celui de Lérat, ou même plus important ? Les Romains y avaient-ils établi un entrepôt de marchandises ? Les mines d’étain qu’ils exploitèrent dans le voisinage y avaient-elle attiré de nombreux commerçants ? Les ruines n‘ont pas dit leur secret, et il est a croire que l’océan, qui les recouvre en partie, ne le livrera jamais.
Un second Brandu fut construit, après la catastrophe, à quelque distance du premier. Il existe encore, mais bien déchu. On y compta jusqu’à douze fours, marque évidente d’une agglomération assez considérable. Nous avons dit ce qu’il est aujourd’hui.
En des temps lointains, qu’il est impossible de préciser, même approximativement, les habitants de Brandu, très éloignés de Guérande, leur centre paroissial, avaient élevé une chapelle dédiée à la sainte Vierge, et choisi la Visitation pour fête patronale. On en ignore l’origine, mais on sait qu’elle était en grande vénération. Les marins du pays la visitaient régulièrement au départ et à l’arrivée. En mer, quand grondait la tempête, ils invoquaient leur puissante patronne et lui faisaient des vœux. Pas un navire ne passait en vue de la chapelle, que les matelots ne saluassent pieusement la madone de Brandu : Dans les nécessités publiques, soit maladies, soit dérangement des saisons, les paroisses voisines, mais surtout Guérande, y venaient processionnellement solliciter l’intervention de Notre Dame. Les habitants du pays rappellent encore, avec une fierté mêlée de tristesse, que leur chapelle reçut en mème temps jusqu’à sept bannières de paroisses différentes. Beaucoup de personnes allaient aussi en particulier s'y recommander à la Mère de Dieu.
Comme tous les lieux de pèlerinage, Brandu avait sa fontaine et son calvaire, que l’on y vénère toujours. Ce dernier porte une date à sa base, 1625.
Il semble pourtant que, dès cette époque, l’étoile de Brandu commençait à pâlir. Peut être faut-il en chercher la cause dans le voisinage des Protestants. On sait que l’hérésie avait à Piriac de nombreux adhérents, excités et soutenus par un ministre fort entreprenant ; de plus, le sire de Tournemine, baron de Campzillon, dont dépendait notre village, avait aussi embrassé la réforme, et ne pouvait manquer d’exercer, du manoir de Kerjean où il résidait, une puissante et néfaste influence sur ses vassaux.
A la fin du XVIIe siècle (1698), les habitants de la frairie résolurent de construire une autre chapelle plus centrale. Ils choisirent comme emplacement au tertre isolé de toute habitation, afin d’éviter, semble-t-il, les compétitions intéressées des différents villages. Toutefois, s’ils se montraient infidèles a Brandu, ils ne l’étaient pas à Notre Dame, et la chapelle de Trescallan, tel était son nom, fut aussi dédiée à la sainte Vierge, sous le vocable de N. D. de Miséricorde.
Le sanctuaire de Brandu subsista néanmoins, et les pieux fidèles ne cessèrent point d’y faire des pèlerinages. Ils y trouvaient toujours la vieille madone tant vénérée. C’était une statue en bois doré représentant la Vierge Marie avec l’Enfant Jésus dans ses bras. Elle avait les traits forts et accentués des femmes du pays, sans rien cependant de ridicule et d’inconvenant. Le socle portait une inscription : « Notre Dame de la Délivrance ». Pourtant la chapelle et la statue elle-même n’étaient guère désignées que par le nom de Notre-Dame de Brandu.
Les anciens racontent que, pendant les dévastations sacrilèges de la Révolution, leurs pères, voulant soustraire la sainte image à la profanation, l’avaient enlevée de la chapelle et cachée dans la demeure de l’un d’eux ; et la légende, brodant sur une translation très naturelle sans doute et opérée secrètement, ajoute que la Bonne Mère, ne trouvant pas ce lieu convenable, alla d’elle-même prendre domicile chez un autre habitant du village.
La paix enfin revenue, l’antique statue reprit sa place dans la chapelle de Brandu, et continua d’y recevoir les hommages de ses fidèles. Parmi ceux-ci, en remarqua, durant plusieurs années, un personnage mystérieux dont nul ne sut jamais le nom, peut-être un ancien religieux chassé de son monastère par la Révolution, et qui poursuivait dans cette solitude les méditations auxquelles jadis il se livrait dans le cloître.
Cependant les pèlerins de Brandu devenaient de moins en moins nombreux. Le village n’était plus qu’un hameau insignifiant ; d‘un autre côté la chapelle de Trescallan avait son desservant et ses offices réguliers ; la désormais se dirigeait la foule, la désormais devait être honorée Notre Dame. De plus c’était assez, pour cette population pauvre, d’entretenir une église ; la chapelle de Brandu ne fut bientôt plus qu’une ruine. On se résolut à transporter l’antique statue dans l’église de Trescallan. Elle y est encore, vénérée des fils comme autrefois des pères. Quant à Brandu, il pleure toujours sa madone et sa chapelle, dont il ne reste pas pierre sur pierre. Les derniers débris en ont été transportés à la Turballe et sont entrés dans la construction des premières maisons de ce bourg. Peut-être verra-t-on quelque jour, dans cette importante agglomération, chef-lieu de la commune dont le centre paroissial reste à Trescallan, surgir une nouvelle chapelle, qui certes répondrait à un besoin pressant. Ne serait-il pas juste de lui donner pour patronne Notre-Dame de la Délivrance ?
Le vocable que nous venons d’étudier doit nous rappeler tout naturellement les derniers mots de la sublime prière que Jésus-Christ lui-même a placée sur nos lèvres : « Libera nos à malo, Délivrez-nous du mal ». Tous les commentateurs de l’Oraison dominicale disent que, par ces paroles, nous demandons à Dieu de nous délivrer des maux du corps, mais surtout de ceux qui menacent les âmes. Nous supplions le Seigneur d’écarter de nous le péché et de nous délivrer de la puissance du diable. Beaucoup traduisent, en effet, « libera nos à malo », par délivrez-nous du méchant, c'est-à-dire, du démon. Or, ce que nous demandons directement à Dieu, nous pouvons prier Marie de le solliciter pour nous : sa prière, toujours bien accueillie, obtient infailliblement son effet, et c’est ainsi qu’elle mérite d’être appelée Notre-Dame de la Délivrance. Continuons donc de demander à la sainte Vierge de nous délivrer de la tempête, des intempéries, de la contagion, des accidents qui nous guettent, de tous les maux temporels qui nous menacent. Demandons-lui plus instamment encore de nous délivrer du péché, et de nous donner la main pour nous aider a traverser les fanges de la terre sans souiller notre robe d'innocence. Demandons-lui enfin de nous délivrer de la puissance du démon. Beaucoup de gens, surtout à la campagne, voient du diable partout, dans leurs étables, dans leurs laiteries, même dans leurs demeures, et sollicitent des bénédictions et des prières pour se délivrer de ses maléfices. Bien de mieux assurément, à condition que l’on sache se garder des exagérations et des pratiques superstitieuses. Mais on néglige de voir le démon la surtout où il se trouve, dans le monde, rôdant autour de nous pour nous dévorer. Le Maître a dit : « Le monde est tout entier sous l’influence du malin esprit ». La parole divine se justifie tous les jours : c’est le diable qui mène le monde. Demandons à Marie de nous défendre contre lui, nous, nos familles, nos paroisses, notre pays, et, dans cette intention, répétons avec confiance : « Notre-Dame de la Délivrance , priez pour nous ».
Note de la rédaction: L'image de Notre Dame de Délivrance de la rue des Carmes a été transférée, au début du 20e siècle, dans la Cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Nantes, ou l'on peut toujours l'y vénérer en la chapelle Saint Jean-Baptiste.
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Vingt-neuvième jour
Notre Dame de Contratacion
ou du Commerce
Je voudrais vous parler ce soir d‘un vocable de la très sainte Vierge à Nantes, inconnu sans doute à la plupart d’entre vous. Du XVe au XVIIIe siècle, il fut cher a beaucoup d’habitants de cette paroisse et, de nos jours, il conviendrait encore à bon nombre des paroissiens de Saint Nicolas. C’est Notre Dame de la Contratacion, ou en français, car le mot contratacion est espagnol, Notre Dame du Commerce.
Mais comment une dévotion nantaise pouvait-elle avoir un nom espagnol ? À l’époque dont j’ai parlé, il y avait un très grand nombre d’Espagnols à Nantes ; et l’on peut affirmer qu’ils avaient en mains une grande partie du commerce de cette ville. Ils étaient, suivant l'expression, commune alors et que j'ai déjà employée, marchands à la Fosse, c’est-à-dire, armateurs et riches armateurs, car la plupart des terrains de ce quartier leur appartenaient. Plusieurs sans doute rentrèrent dans leur pays d’origine avec la fortune qu’ils avaient amassée ; beaucoup aussi devinrent définitivement nos concitoyens. Ils mêlèrent le sang des Hidalgos a celui de nos meilleures familles, et plusieurs d’entre eux arrivèrent aux postes les plus éminents. On en vit s’asseoir dans le fauteuil des Maires de Nantes ou sur les sièges fleurdelisés des présidents de la Chambre des Comptes ou du Parlement de Bretagne.
Isolés sur la terre étrangère, ils éprouvèrent tout d’abord le besoin de se grouper et formèrent une compagnie. qui, composée de commerçants, ne tarda pas a devenir une Bourse. Ils se réunissaient dans la Tenue d'Espagne, dont la rue de ce nom perpétue le souvenir en Saint-Donatien ; ils se réunissaient aussi, pour leurs affaires, tout prés d’ici, dans la maison et le jardin de la « Nation d‘Espagne », que rappelle le Café des Quatre Nations.
Leur compagnie, dont faisaient déjà partie plusieurs commerçants nantais existait depuis de longues années quand, le 29 décembre 1493, le roi Charles VIII, mari de notre duchesse Anne, la rétablit dans tous ses droits. Ses membres nantais jouissaient de précieux privilèges à Bilbao et dans d’autres villes d’Espagne ; en revanche, les commerçants espagnols avaient aussi des privilèges à Nantes.
Fidèles aux traditions de leur pays, où la foi est profonde et le culte de la sainte Vierge plus développé que partout ailleurs, les fondateurs de la société de Contratacion en firent une confrérie, et la placèrent sous le patronage de Notre Dame.
C’est dans l‘église des Cordeliers, dont les ruines lamentables se voient encore, à droite du choeur, que se trouvait la chapelle de la Nation d'Espagne, centre de notre confrérie. Ses membres, tous opulents et dévoués à Marie, se plaisaient à enrichir leur sanctuaire national. Partout, sculptées sur les murailles ou peintes dans les vitraux, étincelaient les armes de Castille, de Léon, d‘Aragon, de Biseaye ; partout, sur les riches mausolées dont son enceinte était encombrée, se lisaient des noms espagnols, francisés parfois, reconnaissables toujours, des Darrande, des Ruys, des Myrande, des Complude, des Despinoze, d‘autres encore, tous connus à Nantes comme en Espagne, tous marchands à la Fosse. La petite chapelle était comme un coin, comme une vision de la patrie lointaine.
Les opérations commerciales de la Contratacion avaient lieu dans la maison de la Nation d’Espagne ; ses réunions pieuses dans la chapelle des Cordeliers. La confrérie était présidée par un consul, encore un mot qui sent le négoce élu chaque année par les confrères, et dans la liste de ces présidents on trouve, non seulement les noms les plus notables de la colonie espagnole, mais aussi ceux des plus célèbres commerçants nantais de cette époque. Chaque nouveau membre fait, en entrant, serment « d’honneur et de probité » ; prend l'engagement de se trouver « ès-jours de festes ordonnées à la chapelle des Cordeliers, aux processions et offertes » ; remet quatre écus au trésorier de la compagnie ; enfin donne une « aumône aux pauvres et à Sainte Clère » à la manière accoutumée, selon sa volonté.
A la mort d'un confrère, le lendemain de son enterrement, l'association faisait célébrer aux Cordeliers une messe de Requiem « à haulte voix ». Pour cela elle avait fait la dépense d'un drap de velours, que l'on devait rapporter fidèlement, après le service, « au logeix de Monsieur le Consul ».
Un accord avait été passé avec les Cordeliers pour le service de la confrérie : les marchands espagnols étaient pieux et sans doute mais du faste, aussi les cérémonies étaient nombreuses et devaient être solennelles.
Il y avait trois processions chaque année, celles de la Chandeleur et des deux fêtes-Dieu. Les confrères y devaient assister, sous peine de payer un écu de soixante sols. Aux processions des fêtes-Dieu, tous les religieux devaient être « chappés », et tenir à la main un cierge. Le Saint Sacrement devait être porté d’abord autour du cloître où un reposoir était dressé, puis dans les deux cours de la maison, et revenir, par la rue, dans l’église. Une seconde bénédiction était donnée à l’autel de la chapelle espagnole, et le Saint Sacrement était reporté au maître-autel.
Les religieux devaient en outre chanter vingt grand’messes solennelles, avec diacre et sous-diacre, chantres et enfants de choeur. Le jour du Sacre et de son octave, qui étaient évidemment les deux principales fêtes de la confrérie, la messe devait être célébrée avec plus de pompe : aux ministres des fêtes ordinaires s’ajoutaient un prêtre assistant, un maître des cérémonies, quatre chantres chappés, et tous les religieux de la communauté devaient être présents au grand choeur.
Les membres de la confrérie assistaient fidèlement à ces fêtes ; ils devaient, en outre, aller six fois par an à « l’offerte » ; le consul donnait un écu au célébrant de l’Epiphanie, ordinairement le religieux qui avait été roi « à la cérémonie du gâteau ».
Deux fois par an, le jour du Sacre et celui de l’octave, les confrères se réunissaient dans un déjeûner commun. Ils avaient à leur disposition, pour cette fin, une des salles de la communauté, et, pendant longtemps, ce fut une salle particulière qui portait leurs armes au plafond.
Comme tant d’autres, la confrérie tomba au XVIIIe siècle, en 1733. Depuis longtemps déjà, elle ne comptait plus d’Espagnols. On a au même décidé, en 1662, de ne plus admettre aucune personne qui ne fût « originaire de la ville ou faubourgs, ou marié avec femme ou fille de ladite ville ou faubourgs ». En outre, pour y être admis, il fallait l’avis favorable de douze membres et du consul. La confrérie n'était plus espagnole ; en revanche, elle était bien nantaise.
Jésus-Christ, en nous apprenant à prier, a mis ces paroles sur nos lèvres : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour ». Il ne nous interdit donc point de lui demander les biens temporels, et l'Eglise, par les usages et les prières de sa liturgie, nous en donne l’exemple. Nos ancêtres le savaient bien; ils ne manquaient point d’intéresser les saints à leurs affaires et d’appeler la bénédiction de Dieu sur toutes leurs entreprises. Aussi, quand nos « marchands » nantais construisirent une Bourse pour leur commerce, ils voulut y joindre une chapelle et y attacher un aumônier. Ces riches armateurs qui, le soir, s’en allaient fièrement à la Bourse, en habit de soie et l’épée au côté, ne rougissaient pas de s’agenouiller le matin dans leur chapelle de Saint Julien, pour recommander au maître de la tempête les bateaux chargés de richesses, qu’ils expédiaient sur les océans. Les mêmes motifs et la même confiance les conduisaient aux autels de Notre-Dame, et les portaient à s'enrôler dans ses confréries. Vous donc, mes Frères, qui cherchez à acquérir, dans le commerce ou l’industrie, l’aisance et même la fortune, et vous qui demandez simplement à un travail plus modeste le pain de chaque jour, suivez ces exemples, priez Dieu et la Vierge de vous bénir.
Toutefois, n’oubliez pas ceci : les commerçants d’autrefois respectaient Dieu. ses mystères, son nom et ses commandements. Alors, on ne violait pas la sainte loi du dimanche par un travail maudit ; alors, à l'exemple de notre Jacques Cassard, qui imposait, même à des flibustiers, sous peine « de perdre leur part » de prise, l’engagement de ne pas « jurer le nom de Dieu », on ne souffrait pas dans les magasins ou les ateliers les impiétés et les blasphèmes ; alors, on s’agenouillait à la table sainte, et bien rares étaient ceux qui ne remplissaient pas « leurs devoirs ». De même, si vous voulez que Dieu écoute vos prières, il ne faut pas insulter à son nom, attaquer ses mystères, fouler aux pieds ses lois ; si vous voulez que la Mère vous protège, il ne faut pas crucifier a nouveau le Fils.
Les membres de notre confrérie faisaient serment « d‘honneur et de probité ». Ils savaient le tenir. À cette époque, la probité commerciale était intacte, la parole du marchand valait un contrat, la fraude était inconnue, la marchandise toujours de bon aloi. Tous aujourd’hui, parmi ceux qui se livrent au commerce ou à l‘industrie, seraient-ils dignes d’un tel éloge ? Peut-être serait-il imprudent de l’affirmer. Pour vous, mes Frères, si vous voulez que Marie vous protège, et que Dieu vous bénisse, vous marcherez sur les traces de vos pères, vous tiendrez votre « serment d‘honneur et de probité ».
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Vingt-huitième jour
Notre Dame de Bon Garant
La contrée qui s’étend au nord-ouest de Nantes, et qu’occupait jadis la vaste forêt dont j’ai parlé déjà, compte beaucoup de sanctuaires consacrés à Marie et dont l’origine se perd dans la nuit des temps. (le culte y fut-il porté par les premiers chrétiens que la persécution forçait à s‘y réfugier ? Fut-il un moyen employé pour vaincre les druides dont les pratiques superstitieuses y trouvaient un asile impénétrable ? Nul ne le sait, nul sans doute ne le saura jamais. Ce qui est certain, c’est que Marie possède sur ce territoire plusieurs chapelles vénérées depuis de longs siècles : à Nantes, N. D. de Miséricorde ; à Orvault, N. D. des Anges ; à Treillières, N. D. des Dons ; à Grandchamp. N. D. des Fontaines ; au Temple, N. D. de Toutes Vertus ; à Sautron, N.-D. de Bon Garant. Et une légende populaire prétend que jamais le tonnerre ne tombe dans le triangle formé par N. D. des Anges, N. D. des Dons, et N.-D. de Bon Garant. C‘est de celle-ci que je viens vous parler ce soir.
Les druides ont habité ce pays, et les monuments en témoignent. Les Romains y sont venus après eux et ils y avaient porté le culte de leurs fausses divinités. Où le diable avait été honoré, les chrétiens voulurent honorer le vrai Dieu.
Les traditions rapportent que de pieux ermites s‘y sanctifièrent : ce qui les confirme, c’est que, dans le champ de l‘Ermitage, les paysans heurtent encore du sec de leur charrue les débris d'un très antique monument, et que, dans la chapelle actuelle on vénère toujours la tombe anonyme d'un ermite, mort, il y a bien des siècles, en odeur de sainteté.
Les Normands, vous le savez, avaient saccagé Nantes. Au milieu du XIe siècle, leurs ravages n’étaient pas tous réparés. L'église de Saint Cyr et de Sainte Julitte, située entre la préfecture et le cours Saint-André, restait en ruines. Pour la relever, Budic, comte de Nantes, et sa femme Adoïs donnèrent aux religieuses qui vivaient à l’ombre de ce sanctuaire désolé la terre de Bois Garant. Bientôt Saint-Cyr et Bois Garant passèrent entre les mains des religieuses de N.-D. du Ronceray, à Angers ; le second devint un prieuré.
Une chapelle, si elle n’existait déjà, y fut fondée, et un chapelain ne tarda pas à y accueillir le peuple chrétien. Celui-ci, en effet, aimait la petite chapelle ; le Bois Garant était devenu le Bon Garant, et, encouragé par ce nom plein de promesses, on y venait prier Notre Dame. Marie récompensa par d’éclatants et nombreux miracles, c’est un duc de Bretagne qui en témoigne, la confiance de ses fidèles, et le concours s’en accrut encore. Mais la chapelle était antique, trop étroite et maltraitée parle temps, indigne de Marie par conséquent. Un plus bel édifice allait lui succéder.
Non loin de Sautron, dans le bourg même de Couëron, s’élevait le château ducal de la Gazoire, où François II aimait à résider. La forêt voisine de Sautron était aussi propriété des ducs, et François, ami des fêtes et des plaisirs, y déployait souvent le luxe de ses chasses princières. À deux pas de Bon Garant, il possédait un rendez-vous de chasse, l’antique manoir de Bois-Thoreau. J’ai dit déjà qu’il était très religieux ; non content d’avoir rebâti quelques années auparavant N. D. des Dons, il voulut aussi relever de ses ruines la chapelle de Bon Garant. Était-ce à la suite d’un vœu, comme le rapporte la tradition, et pour remercier Marie de l’avoir garanti à la chasse d’un terrible danger ; et faut-il croire que le taureau sauvage auquel il échappa, grâce à la protection de la Vierge, donna son nom au manoir voisin ? Était-ce, connue l‘affirme un vieil auteur, messire Vincent Charron, pour obtenir de la Vierge qu’elle garantit sa Bretagne contre les entreprises des Français ? Ce qui est incontestable, c’est qu'il fit les choses princièrement. Il rebâtit la chapelle en belles pierres de granit, et il y ajouta, pour le prêtre chargé de la desservir, un manoir qui existe encore. La dédicace de l’église se fit solennellement : le duc, la duchesse, toute la cour étaient la, déployant leurs riches costumes sous les yeux de la foule émerveillée ; et l’évêque de Sinople, coadjuteur de Rennes, procéda à la consécration.
Après ces fêtes, le pèlerinage prit un essor plus grand. Le duc allait a Bon Garant entendre la sainte messe avant de partir pour la chasse : c’était la chapelle ducale, et la tribune réservée à la cour, ainsi que les armoiries et les hermines bretonnes, en témoignent encore. François d‘ailleurs l’aimait beaucoup et lui-même, dans un acte qui subsiste, parle de sa « singulière dévotion » pour elle.
Les pèlerins y accouraient en grand nombre et laissaient de généreuses offrandes. Le chapelain, messire Jehan Charette, les recueillait et, dans sa charité, il voulut en faire bénéficier les pauvres. Il construisit un vaste asile pour héberger les pèlerins et recevoir gratuitement les pauvres gens qui venaient de fort loin invoquer Marie. Le duc lui-même ne dédaignait pas d’y descendre avec les seigneurs de sa suite « toutes et quantes fois » qu’il venait à sa chère chapelle, et le chapelain s’empressait à honorer le prince bienfaiteur. Aussi François, à sa prière sans doute, pour aider les pèlerins « qui y affluent et abondent » à cause des merveilleux et innumérables miracles qui s’accomplissent en ces lieux ; « pour l‘honneur et révérence de Dieu et de la benoiste Vierge Marie Notre Dame » ; pour participer « aux mérites, oraisons, pèlerinages et prières » de la foule chrétienne ; et aussi pour la « singulière dévotion » qu’il éprouve envers ce petit sanctuaire, exempte d'impôts à perpétuité l'asile charitable bâti par le bon prêtre.
Après l’avoir assidûment visitée durant les jours de sa prospérité, François put saluer encore sa chère chapelle a la veille de mourir. Vieilli parle chagrin plus que par les années, attristé par les menaces de la France, et les inquiétudes de l'avenir, le prince s'était retiré avec ses deux filles au château de la Gazoire. Bien que malade et épuisé, il chassait encore dans la forêt de Sautron. Un jour, sans doute, suivant sa coutume, il avait entendu la messe à Bon Garant, il fit une chute de cheval. On le transporta dans son manoir du Bois-Thoreau, d’où il put jeter un dernier regard sur sa chapelle tant aimée, et de là à la Gazoire. Quelques jours plus tard, il y mourait chrétiennement.
Bon Garant ne devait plus voir de ducs ni de cortèges princiers à ses fêtes. Marie cependant continua d’y recevoir les hommages de ses fidèles. Chaque année, le 2 juillet, fête de la Visitation, les paroisses d’alentour s’y rendaient en procession, et l’on comptait ordinairement plus de 15 000 pèlerins. Malheureusement des désordres s’y glissèrent et l’évêque les interdit. Les voisins du moins ne cessèrent pas de visiter la chapelle ; la paroisse de Sautron garda l’usage d’y faire la procession du mois, et chaque vendredi on y célébrait la sainte messe.
Au XIVe siècle, la première chapelle avait essuyé sans dommage le feu des canons anglais (1381) ; et les paysans avaient accumulé dans un Coin du monument, comme un singulier ex-voto, les boulets recueillis aux alentours. La Révolution les transporta à l’arsenal de Nantes, mais là se bornèrent ses déprédations. Et si l’antique pèlerinage n’a plus l’éclat d’autrefois, si le chapelain n’occupe plus son manoir, si l’asile charitable n’est plus ouvert aux pauvres gens, la chapelle subsiste cependant, soigneusement restaurée dans le goût du XVe siècle, et les chrétiens du voisinage y vont toujours prier Notre Dame de Bon Garant.
Le chanoine Vincent Charron écrivait au XVIIe siècle : « Cette chapelle commença dés lors à être fréquentée des peuples non seulement circonvoisins, mais aussi des lieux les plus éloignés de la province, et fut nommée Nostre-Dame de Bon Garant, tant pour ce que le duc François demandait à la Vierge qu’elle le garantit des courses des Français, contre lesquels il avait guerre pour lors, que parce qu’elle garantissait et défendait tous ceux qui la réclamaient sous ce nom-là ».
Marie, gardienne de la patrie, Marie, bouclier des chrétiens contre les dangers qui les menacent, voilà ce que signifiait autrefois Notre Dame de Bon-Garant, voilà à quels titres nous devons encore l’invoquer aujourd’hui. Vous connaissez, mes Frères, le texte du Psalmiste : « Si le Seigneur ne protège un état, c'est en vain qu’ils veillent ceux qui sont chargés de sa garde ». C’est la religion qui est la sauvegarde des Etats ; c’est Dieu seul qui est capable de les sauver. Marie partage cette charge avec lui, et elle protège les peuples qui se réclament de sa protection. Il en est un qu’elle aime par dessus tous les autres. Nous sommes toujours les fils aimants de la Bretagne ; mais nous sommes aussi les fils de la France : et c’est la France qui est la plus aimée de Marie, la France dont on a dit qu’elle est sur terre le royaume de la très sainte Vierge, regnum Galliæ, regnum Mariæ. Ne l’oublions pas, mes Frères, et dans ces jours inquiets, jours de transformations sociales, de dangers extérieurs, de dissensions intimes, aimons à invoquer, comme autrefois François Il, le père d’Anne de Bretagne, deux fois reine de France, Notre Dame de Bon Garant.
Si la patrie court des dangers, nous aussi nous sommes exposés parfois à des malheurs, à des accidents terribles et de toute nature. Pourquoi n'imiterions-nous pas nos pères ? Quand grondait le tonnerre, ils invoquaient sainte Barbe ; quand la peste jetait partout l’épouvante, ils se vouaient à Notre Dame des Langueurs, à Saint Roch, ou bien encore à Saint Sébastien d’Aigne ; dans les dangers de toute sorte, ils recouraient a Notre Dame de Bon Garant : et souvent leur confiance naïve était récompensée. La foudre gronde toujours et, malgré nos paratonnerres, elle fait de nombreuses victimes ; la contagion sévit très souvent encore, et les sérums ne suffisent pas à la rendre inoffensive ; les chemins de fer et les automobiles n’ont pas supprimé les périls des voyages ; la vapeur n’a guère diminué le nombre des naufrages; les fusils n’ont fait qu’augmenter les dangers de la chasse... Comme autrefois, nous courons des dangers, comme autrefois nous sommes exposés à des accidents, comme autrefois mettons notre confiance en Notre-Dame de Bon-Garant.
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
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Abbé Ricordel
Vingt-septième jour
Notre Dame de la Victoire
Notre Dame de la Victoire, le vocable que nous allons étudier ce soir, nous reporte aux dernières années du seizième siècle, alors que la France se débattait en des luttes terribles, et que l’on se demandait si le royaume très chrétien, revendiqué par un prince protestant, allait cesser d‘être Catholique. Mais il nous rappelle en même temps que la vraie foi finit par triompher chez nous, et que la tête de l’infernal serpent, qui se dressait pour nous infuser son venin, fut une fois encore écrasée par Marie.
Nantes faisait partie de la Sainte Union, et le duc de Mercœur y tenait haut et ferme le drapeau de la foi. On a critiqué l'ambition de ce prince, on a dit qu’il visait à mettre sur sa tête la couronne de Bretagne, qu’il revendiquait du chef de sa femme, héritière des Penthièvre. Je ne le nie point ; mais s’il avait des défauts, il avait des qualités aussi: il a vaillamment combattu pour la foi, et sa piété, louée par saint François de Sales, n’a jamais été contestée.
Dans ses luttes contre l’hérésie protestante, Mercœur avait recours a la force des armes ; mais il n’oubliait pas la prière, et, quand le succès avait couronné ses efforts, il était reconnaissant à Dieu et à Notre Dame.
C’est ainsi qu’en action de grâces de la victoire de Châteaugiron, remportée sur le comte de Soissons, il avait fondé aux Jacobins de Nantes une procession du Saint Sacrement le premier jeudi de chaque mois.
C’est ainsi que, par acte du 4janvier 1592, il avait aussi fondé un curieux salut de la Vierge à la Collégiale. Il devait être solennellement chanté tous les dimanches, aux quatre grandes fétes de l’année et aux huit fêtes de Notre Dame. Après les vêpres, un chanoine et le sous-chantre, tous deux en chape, se rendaient au pied de l’autel. Devant eux, deux enfants de chœur, revêtus de leurs aubes et dalmatiques, portaient chacun un flambeau, garni d‘un cierge de cire jaune du poids de deux livres, l'un aux armes du duc, l'autre a celles de Marie de Luxembourg, sa femme. Arrivés au bas des degrés, ils entonnaient le Sub tuum, continué en musique par le chœur. Suivait le Magnificat, exécuté en faux bourdon. Après le psaume, on répétait l’antienne, puis venait le verset, et enfin l’oraison dans laquelle on demandait pour Philippe Emmanuel de Lorraine la victoire contre les ennemis de Dieu ; et en même temps pour la Bretagne et particulièrement pour la ville de Nantes et la Collégiale elle-même, la protection divine. Et « aftin d‘inciter le peuple a se trouver à ceste solennité et dévotieulx service, la grosse cloche de ladite église sonnera douze gobbetz, qui connnanceront après le son du Magnificat des vespres ordinaires, et finiront auparavant le commancement dudict service ».
Quelques mois plus tard, le 23 mai 1592, un triomphe, plus éclatant que tous les autres, fournit a Mercœur une occasion nouvelle de témoigner sa reconnaissance à Marie. La ville de Craon, qui tenait pour la Ligue, fut attaquée soudain par le prince de Dombes, chef des partisans du Béarnais en Bretagne. Mereœur courut à sa défense. Beaucoup de Nantais combattaient sous ses ordres ; on y voyait notamment le sire de Goulaine et son frère, ainsi que toute la noblesse du duché de Retz conduite a la bataille par le marquis de Belle-Isle. La victoire des Ligueurs fut complète et les rendit maîtres incontestés du pays. Le vainqueur fit porter aussitôt à Nantes onze canons, vingt-quatre enseignes de gens de pied, deux cornettes de cavalerie, ainsi que plusieurs prisonniers d’importance. Ceux-ci furent enfermés au château, et les drapeaux suspendus aux galeries du triforium dans la Cathédrale.
Quelques semaines après, le duc revint à Nantes et le peuple lui lit une entrée triomphale. Il fut conduit solennellement a la Cathédrale où le Chapitre le complimenta ; puis le Te Deum retentit en action de grâces pour les succès obtenus, pendant que les cloches annonçaient au loin la joie de la cité. Le dévoué serviteur de Marie voulut faire davantage et perpétuer sa reconnaissance envers la puissante protectrice qui lui avait donné la victoire.
Il habitait alors, ainsi que sa belle-mère, la duchesse douairière de Martigues, l’hôtel de Briord, bâti par Pierre Landais, et dont nous pouvons admirer encore la belle architecture gothique : il était donc, comme la plupart des grands seigneurs de. cette époque, paroissien de Saint Vincent. La famille Landais s'était montrée généreuse pour cette église et y avait construit, du côté de l’épître, la chapelle de Briord, dont j’ai déjà parlé ; Mercœur voulut surpasser le puissant ministre, son devancier. Il acheta une partie de la cour de l'hôtel de Portric, dont le Mont de Piété nous marque aujourd’hui l’emplacement, fit percer le mur de l‘église, du côté de l’évangile, et bâtit (1593) une Chapelle qui faisait pendant à celle de Briord. Il la dédia à Notre Dame de la Victoire. L’extérieur du monument, du moins à en juger par ce qui nous en reste, était d’une architecture assez simple ; mais l’intérieur en était richement décoré. Sur l’autel, on voit, à la place d’honneur, la statue de Notre Dame de la Victoire, entourée de celles de saint Philippe, patron du fondateur, et de saint François d'Assise, pour lequel il avait une particulière dévotion ; dans le riche vitrail qui éclaire la chapelle, brillent orgueilleusement le blason du duc et celui de la duchesse douairière de Martigues ; a la muraille, est suspendu le portrait de Mercœur, « en peinture d’environ deux pieds de hauteur, et d’un pied et demi de largeur ; il y est représenté à mi-corps, cuirassé, ayant la belle écharpe rouge que lui envoya Philippe ll, roy d'Espagne, en 1595, transpassée sur les épaules de droite a gauche ». Un choeur a été ménagé dans la chapelle neuve et contient dix stalles semées de croix de Lorraine. C’est la qu'au son de la cloche qui porte elle_même sur ses flancs le nom du prince, le recteur de Saint Vincent et' les quatre chapelains, institués par Mercœur, viennent chanter l’office. Le duc, en effet, ne s’est pas contenté d’élever un nouveau sanctuaire à Marie ; il y a joint une importante fondation, au capital de 4,500 livres. Quatre chapelains doivent chanter tous les jours avec le Recteur l’office entier de Notre-Dame, dans la chapelle de la Victoire. Après nones, on célèbre au même autel une messe basse de Beatà. Mais le samedi et les jours de fête de la Vierge, la messe est chantée, et le célébrant est assisté d'un diacre et d’un sous-diacre : de plus, tous les samedis, le saint sacrifice est précédé d'une procession autour de l‘Eglise. Enfin, chaque jour, après complies, on chante le salut de la Vierge.
Notre Dame de la Victoire sourit encore à notre pays : bientôt ce fut la paix définitive, la paix dans la gloire et la prospérité. Le rêve trop humain de Mercœur s‘était évanoui sans doute, et sa femme, la fille des Penthièvre, avait du renoncer pour toujours au trône tant convoité ; mais l’hérésie était vaincue chez nous et la foi triomphante ; Marie conservait son beau royaume terrestre, le plus beau après celui du ciel ; et la France restait, pour de longs siècles encore, la grande nation catholique.
La foi de la Bretagne allait aussi refleurir. L’ignorance religieuse et le désordre des mœurs, conséquences des discordes civiles, avaient réduit cette belle province a un état lamentable. Marie lui donna des apôtres : à nos frères du Léon et de la Cornouailles, Le Nobletz, Quintin et Maunoir ; à ceux de Vannes, les fondateurs de la Retrait ; à ceux de Saint Brieuc, le P. Leuduger ; à nous, le Bienheureux Grignion de Montfort. Ils s'en allèrent, comme les apôtres des temps lointains, jetant partout, sur cette terre féconde, la bonne semence ; et la semence leva magnifique, et l'ignorance religieuse disparut, et la vertu refleurit, et les sanctuaires de granit revirent leur splendeur d’autrefois, et des calvaires se dressèrent au long de tous les sentiers, et les communautés retrouvèrent leur ferveur, et les tiers ordres enrôlèrent partout des sujets, et l'on vit se multiplier les saints : la Bretagne était redevenue ce que nous la voyons encore : le coin de France le plus entêté dans sa foi, le plus généreux dans son dévouement.
Vingt ans avant la fondation faite par le duc de Mercœur et que je viens de raconter, le saint pontife Pie V avait institué (1571) la fête de Sainte Marie de la Victoire. C’était à la suite de la bataille de Lépante, pour remercier Marie de ce brillant fait d’armes, du a sa puissante intervention.
Notre Dame de la Victoire, c‘est donc Marie sauvant l'Eglise universelle des attaques musulmanes et conservant à l'Europe la foi Catholique. Notre Dame de la Victoire , nous l’avons dit aussi, c’est Marie sauvant l’Eglise de France des attaques de l’hérésie protestante, et gardant à la grande Nation, ainsi qu‘à notre petite Bretagne, la foi catholique. Reconnaissance donc, pour le passé, à Notre Dame de la Victoire; et confiance pour l’avenir.
Marie ne peut pas être vaincue, et quand elle prend une cause en mains, cette cause est assurée du triomphe. Confions-lui donc la foi de notre France, la foi de notre chère Bretagne. Vous savez a quel point elle est actuellement menacée. Depuis plus d'un siècle et je puis bien le dire, depuis vingt ans surtout, l‘Enfer et ses suppots lui livrent de terribles assauts. Notre Bretagne n'est pas épargnée, que dis-je ? elle est en butte à de plus violentes attaques : il semble que les impies aient deviné qu’elle constitue la réserve de la France chrétienne, qu’elle est cette forteresse presque inaccessible, dans laquelle se réfugient les derniers défenseurs après la prise de la cité, et ils en font le siège avec une rage et une habileté sataniques. Restons fidèles à Marie, dont le bienheureux Père Montfort nous à dit le rôle ici-bas et chanté les grandeurs ; comme aux jours lointains des luttes contre l’hérésie, multiplions les hommages a son nom, les appels à son invincible puissance, et elle sera pour nous, aujourd’hui comme hier, Notre Dame de la Victoire.
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Vingt-sixième jour
Notre Dame du Rosaire
Je viens vous parler, ce soir, de Notre Dame du Rosaire. Ce titre nous rappelle une dévotion dont on peut dire, assurément, qu’elle est catholique plus qu’aucune autre, puisqu'elle est répandue partout et que les Papes ne se lassent pas de la recommander ; on peut dire aussi pourtant que c’est une dévotion bretonne, et j'espère vous le démontrer.
Vous savez que le rosaire nous vient de Saint Dominique, qui le reçut de la Vierge elle-même. Or, ce saint est venu en Bretagne et passa quelques jours dans notre ville de Nantes. Il y venait voir la duchesse Alix, femme de Pierre de Dreux. Cette princesse lui demanda des religieux de son ordre. Le baron de Vitré leur offrait son hôtel « Scitué près l'hôpital de la ville et le chasteau, sur le bord de la Loire, entre les portes nommées alors Drouin Lillard et la porte Briand-Maillard ». Saint Dominique accepta ; mais c'est seulement dix ans plus tard, en 1228, que les dominicains arrivèrent à Nantes. Ils s’établirent dans l'hôtel de Vitré et, sous le nom de Jacobins, ils occupèrent ce couvent jusqu’à la Révolution. Vous avez tous connu les restes de leur église que l’on achève de démolir. La confrérie de N. D. du Rosaire y était établie et y tenait ses registres : peut-être faut-il faire remonter sa première origine, ou du moins la pratique du rosaire chez nous, jusqu’à cette époque. Une légende, plus ou moins fondée, affirmait qu‘un prince de la maison de Bretagne, qui s'en était allé guerroyer en Espagne contre les Wisigoths, avait mêlé son sang a celui des Guzman dont descendait Saint Dominique. Nos ducs étaient fiers de cette parenté problématique et ils favorisèrent toujours les dominicains, ainsi que les dévotions dont leur chapelle était le centre.
En 1416, saint Vincent Ferrier vint à Nantes, où il fut accueilli avec enthousiasme. Il résidait au couvent de son ordre et prêchait en ville : il donna la station de l'Avent à la cathédrale et se fit entendre au cimetière de Saint-Nicolas.
Plus tard, il alla prêcher également au Croisic et à Guérande. Saint Vincent Ferrier était un fervent du Rosaire : il avait donné un pauvre chapelet de bois a la duchesse Jeanne, fille du roi de France et femme de Jean V. Celle-ci le remit en mourant (1433) a Françoise d’Amboise, sa future belle-fille, qui le conserva précieusement et le laissa a ses religieuses des Couëts. Sauvé de la Révolution, il fut donné par Madame de la Salmonière, ancienne carmélite des Couéts, au couvent de la Grande Providence, où il se trouve encore.
La dévotion au saint Rosaire subsistait donc chez nous. Mais elle était tombée en oubli presque partout ailleurs. Marie se servit d’un dominicain breton, Alain de la Roche, pour la remettre en honneur. Sur l‘ordre même de la sainte Vierge, le moine se mit en route ; il parcourut une partie de l’Europe, prêchant partout sa chère dévotion. Il était à Nantes en 1479. La bienheureuse Françoise d’Amboise le fit prier de se rendre à son couvent des Couëts. « Il y vint et prescha des excellences de la Mère de Dieu et de son saint Rosaire ; et, après plusieurs conférences spirituelles, la receut, elle et toutes ses religieuses, en la confrérie dudit saint Rosaire ». La croisade d'Alain de la Roche à travers le monde avait suscité bien des oppositions, et l‘on persécutait le bon Père. Françoise d'Amboise pria le duc, son neveu, de le prendre sous sa protection. François II et Marguerite de Foix, sa seconde femme, se laissèrent aisément persuader. Ils écrivirent a Sixte IV, pour lui demander l’approbation de la nouvelle confrérie. Le pape condescendit a leur désir, il approuva « cette façon de prier Dieu », et il « accorda des indulgences a ceux qui en useraient, par Bulle donnée à Rome, à 1’instance des Duc et Duchesse de Bretagne, le 9 de may l‘an 1479, le huitième de son Pontificat ». Ainsi la bulle qui remettait le Rosaire en honneur, après de longues années d'oubli, la première qui ait accordé des indulgences au simple chapelet, était donnée au monde, sur les instances des princes de la Bretagne, en résidence à Nantes. N'ai-je pas raison de dire que le Rosaire est bien une dévotion bretonne et même une dévotion nantaise ?
Deux siècles plus tard, un autre apôtre du Rosaire faisait refleurir cette antique dévotion. C‘était encore un fils de la Bretagne, et une grande partie de sa carrière apostolique s'écoula dans le diocèse de Nantes. Vous avez tous, avec moi, nommé le bienheureux Père Grignion de Montfort. Il aimait a dire, dans son langage familièrement imagé, que « jamais pécheur ne lui avait résisté, lorsqu'il lui avait mis la main sur le collet avec son rosaire ». Aussi chaque jour, durant le cours de ses missions, il le faisait réciter publiquement tout entier ; dans les processions qu’il organisait pour aller planter triomphalement la croix, il faisait porter quinze étendards, représentant les mystères, dont il donnait lui-même l’explication au peuple ; enfin partout il établissait la confrérie du Rosaire, ainsi que la pratique du chapelet en commun, chaque soir, dans les familles.
Mais c'est surtout à Pontchâteau et à Saint Similien qu’il a exalté le Rosaire. Pendant qu’il élevait la montagne artificielle, sur laquelle il voulait dresser la croix, il le faisait réciter par les travailleurs qui lui arrivaient de dix et vingt lieues a la ronde. Puis il voulut que la montagne elle-même prêchât le Rosaire. Dans le pourtour, qui formait à la base un cercle de 400 pieds, il lit planter 150 sapins, figurant les Ave Maria, et 15 cyprés indiquant les Polar. Sur le chemin en spirale qui conduisait à la plate-forme, il marqua la place de quinze petites chapelles dans chacune desquelles devait être représenté un des mystères ; enfin la plate-forme elle-même était ceinte d’un gigantesque rosaire, long de 80 mètres, et dont les grains, supportés par des piliers, étaient gros comme des boulets de canon.
A Nantes, il n’érigea pas sans doute la confrérie, puisqu’elle y existait depuis fort longtemps et avait son siège chez les Jacobins ; mais il fit connaître davantage le Rosaire. C’était vers 1708, pendant la mission qu’il prêchait à Saint Similien, Montfort résolut d’ouvrir un petit sanctuaire, qui fût le centre de sa dévotion favorite. J’ai mentionné déjà la Cour Cattuy, vieux manoir du XVe siècle, délabré mais intact, que l’on voit sur les Hauts-Pavés, et dont le peuple dit volontiers qu’il appartint jadis aux ducs de Bretagne. C’est de cette maison que Montfort fit choix pour réaliser son projet. Une chambre haute, qui déjà peut-être servait d’oratoire, devint la chapelle du Rosaire et le saint missionnaire y groupait les pieux fidèles qu‘il avait enrôlés. La dévotion inaugurée par le Bienheureux persista dans ce lieu jusqu’à la Révolution. Chaque dimanche, ou s‘y réunissait et, sous la présidence d'un vicaire de la paroisse, on récitait le chapelet. Le grand missionnaire, suivant sa coutume, pour parler au cœur en frappant les yeux, avait fait peindre en noir, sur les murs intérieurs de sa chapelle, un immense rosaire. En 1840, on l'y voyait encore, et, si la piété nantaise avait l'heureuse pensée de rendre au culte le pauvre oratoire sanctifié par notre Bienheureux, peut-être l'y retrouverait-on.
C‘est à raison de ces grands souvenirs que, après la Révolution, la confrérie du Rosaire fut établie, pour toute la ville de Nantes, dans l’église de Saint Similien. Cette belle dévotion y est toujours en honneur, et, chaque année, pendant les jours qui précèdent le premier dimanche d’octobre, on y célèbre le triduum solennel de Notre Dame du Rosaire. Elle est aussi toujours en honneur dans le diocèse de Nantes : elles sont rares les paroisses qui ne possèdent pas la confrérie du Rosaire ; ils sont rares aussi les foyers de nos paroisses rurales où l’on ne récite pas, au moins durant l'hiver, le chapelet en commun.
La conclusion de ce rapide coup-d‘œil sur l‘histoire du Rosaire dans notre pays, c'est premièrement d‘entrer dans cette confrérie. Il n’en est pas aujourd‘hui de plus répandue dans l'Eglise et qui ait été plus exaltée par les Souverains Pontifes. Il n'en est pas, c'est un fait d‘expérience, qui ait produit de plus abondants fruits de salut, il n'en est pas qui doive aller plus sûrement au Cœur de Jésus et a celui de sa très Sainte Mère qu'elle a pour but d'honorer en même temps. Il n‘en est pas de plus simple et de plus facile. Il suffit, en effet, de se faire enregistrer en un centre canonique de la confrérie, à Saint Similien par exemple, pour les fidèles de Nantes ; de posséder un chapelet rosarié ; enfin, de réciter chaque semaine un rosaire, c’est-à-dire trois chapelets, en méditant tour à tour sur les quinze mystères.
C'est, en second lieu, d’établir dans nos familles, autant qu‘il se peut faire, la pratique du chapelet en commun. Ainsi font, durant les longues soirées d’hiver, la plupart de nos familles chrétiennes de la campagne. Et je ne sais pas de spectacle plus beau que celui d’un père ou d'une mère récitant à haute voix cette prière, au milieu de leurs enfants et de leurs serviteurs qui répondent dévotement, tout en se livrant à de petits travaux. Pourquoi donc, à la ville, n’en ferait-on pas autant ? Le foyer domestique serait de la sorte transformé pour quelques minutes en sanctuaire : alors Dieu le regarderait d’un œil plus favorable, les principes chrétiens s‘enracineraient plus profondément dans les cœurs, la famille deviendrait bientôt plus croyante et plus pure. Je suis persuadé que cette pieuse coutume a largement contribué à graver la foi dans l‘âme de nos paysans bretons et vendéens. À cette heure ou la foi est plus que jamais menacée, prenons ce moyen de. la fortifier chez nous.
C’est, enfin, de posséder personnellement un chapelet, de le porter sur nous et de le dire souvent. Louis XIV se faisait gloire de le réciter ; le célèbre Pasteur, tout grand savant qu’il était, aimait à l’égrener pieusement aux pieds de la madone : ne rougissons pas de suivre leur exemple.
C’est d’ailleurs la plus belle des prières, puisqu'elle nous appelle les principaux mystères de notre foi, puisqu’elle met sur nos lèvres, avec le symbole Catholique : le Pater, dicté par Jésus Christ, et l‘Ave, divinement inspiré à l’archange Gabriel et à sainte Elisabeth. Embrassons ces pratiques, et nous pourrons, avec pleine confiance, dire à la sainte Vierge : « Notre Dame du Rosaire, priez pour nous ».
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Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Vingt-cinquième jour
Notre Dame de Léard
Débarquez à la station Thouaré, franchissez leur beau pont qui met cette commune en communication avec celle de Saint Julien de Concelles, puis descendez la rive gauche de la Loire, en suivant la route qui longe notre beau fleuve. A deux kilomètres environ de l’extrémité du pont, vous trouverez une petite chapelle ; le premier venu vous dira son nom, Notre Dame de Léard, et vous n'aurez pas besoin de frapper à plusieurs portes pour apprendre son histoire : tout le monde la connaît dans le pays.
La légende rapporte qu’à une époque lointaine, si lointaine que la date précise s’en est perdue, on voyait, dans un de ces liards ou peupliers qui frissonnent au moindre souffle de la brise, une toute petite statue de la sainte Vierge.
Rappelait-elle une merveilleuse apparition ? Témoignait-elle simplement de la dévotion de quelque fidèle, voulant mettre sous la protection de la bonne Mère « la rivière de Loire », ainsi que les mariniers qui la remontaient et la redescendaient sans cesse, Nul ne le pourrait dire. Mais ce que la tradition affirme, c’est que les bons chrétiens du voisinage aimaient à prier devant la statuette.
La piété du peuple voulut, a plusieurs reprises, enlever l’image vénérée pour la mettre en un lieu plus décent ; mais, à chaque fois, celle-ci revenait d’elle-même sur son arbre privilégié. On en conclut justement que Marie voulait être honorée a cet endroit, et l’on y construisit un modeste oratoire. Il y avait bien quelqu audace à le faire. La Loire, plus profonde alors qu'aujourd‘hui, avait des tempêtes terribles et des inondations plus terribles encore ; souvent, tous les deux ou trois ans, nous disent les vieilles archives, elle renversait tout ce qu’on élevait sur ses bords. Un seigneur avait bâti son manoir dans une île. Voisine ; bientôt il dut fuir devant le fleuve en furie et abandonner le château, que les vagues démolirent pierre a pierre. Un autre avait construit des moulins productifs à quelques pas de la chapelle : les moulins furent emportés par les eaux et il fallut les reconstruire ailleurs. Les habitants de la vallée, pour défendre leurs riches cultures contre les envahissements de la Loire, avaient élevé d’immenses et solides chaussées : les chaussées, battues en brèche par le courant, étaient emportées connue le reste. Seule la chapelle, dont les murailles pourtant étaient aussi battues par les flots, restait inébranlable. Une année, en février 1778, tout le monde crut sa ruine imminente : la Loire avait fait rage autour d’elle, tout le sol était bouleversé et les fondations mises à jour. Le général de la paroisse s’inquiète et nomme des commissaires. Mais ceux-ci le rassurent bientôt : la chère chapelle est intacte. Seulement il fallait niveler le sol, profondément raviné par le courant ; un batelier s’en chargea, moyennant la somme de 50 livres. Il est à croire qu’il ne s’enrichit pas a ce travail, car il ne fallut pas moins de 50 charretées de pierres pour ramener les abords de la chapelle a leur ancien niveau. Le peuple voyait la une protection visible de la bonne Mère, et la confiance en son intercession s’en accroissait encore.
La présidente Bourgneuf de Cucé, dont la famille possédait, au XVIe siècle, des terres dans la région, signala sa piété envers Notre Dame de Léard en y établissant une fondation, dite de Notre Dame de Consolation, à savoir « une messe basse tous les premiers dimanches du mois et à toutes les fêtes de la Vierge, ainsi qu’à celle de sainte Catherine » et à plusieurs autres. Elle eut des imitateurs qui fondèrent a leur tour deux services et huit messes basses, chaque année.
Si les riches montraient leur dévotion envers notre madone, le peuple manifestait aussi sa confiance. La petite chapelle, située à la fois sur les bords du fleuve et sur la route de Nantes, recevait les hommages des voyageurs de terre et d’eau. Tous les habitants de la région que leurs affaires appelaient à la ville passaient à la porte de Notre-Dame, et ils ne manquaient pas de lui adresser une courte prière ; ainsi faisaient également les mariniers. La Loire, que l’abandon de ces dernières années n‘avait pas encore laissée s‘ensabler, était vivante alors ; c’était à peu prés l’unique chemin des marchandises venant de Nevers, d’Orléans, de Blois, de la Touraine et de l’Anjou a Nantes ; c'était naturellement aussi le chemin suivi par les denrées coloniales et autres que le port de Nantes, si florissant a cette époque, expédiait au centre de la France. Aussi les blanches voiles animaient constamment le paysage, et quand, après une longue attente. le vent d‘Ouest permettait à la
flottille de remonter le fleuve, c’était pittoresque et charmant de voir passer les barques. Les mariniers, rudes travailleurs, étaient de bons chrétiens aussi ; jamais ils ne manquaient de se découvrir et de se signer lorsqu’ils apercevaient la chapelle de Notre Dame.
Ce fut ainsi jusqu’à la Révolution. L'humble chapelle, malgré ses proportions minuscules, était trop en vue pour échapper aux modernes iconoclastes. Les armées patriotes passaient et repassaient parle chemin nantais, et, de plus, le fleuve était sillonné de canonnières. Tout le pays était ravagé, châteaux et chaumières incendiés, habitants jeunes et vieux massacrés ; la chapelle de Léard ne fut pas épargnée. L’incendie détruisit d’abord la toiture, les pierres mêmes les murailles furent dispersées, et une main sacrilège, saisissant la précieuse statuette, la jeta au loin dans la Loire.
Mais Marie voulait être encore honorée dans ce lieu. Une femme du village voisin, Fidèle Dubois, femme Jean Gohaud, s’en allait un jour prier sur les ruines de la chapelle. Tout a coup elle aperçoit un objet qui brille à ses pieds. C’était la statuette de faïence, depuis si longtemps vénérée, que le flot avait rapportée sur la rive. Elle la recueillit comme un trésor et la cacha soigneusement dans sa maison pendant tout le règne de la Terreur. Souvent, il l‘approche des massacreurs, qui ne se lassaient pas de tuer, il fallait fuir. Fidèle emportait avec elle sa précieuse statue. Quand ils n’étaient pas surpris par des attaques inopinées, les habitants du voisinage se réfugiaient dans une île du marais de Goulaine. Les pauvres gens attachaient leurs bateaux à la rive et se cachaient dans les broussailles. D’ordinaire, les Bleus se contentaient de décharger de loin leurs fusils ; parfois ils tenaient ces malheureux dans une sorte de blocus. Alors Fidèle Dubois posait sa statue sur un socle improvisé et tous, tombant à genoux, demandaient à Notre Dame de les préserver.
Les jours mauvais passèrent enfin et la statuette resta dans la maison de sa gardienne dévouée. Cependant elle avait encore sa tète, au temps des rogations. Un pan de la chapelle était resté debout, Fidèle y plaçait sa madone, dressait devant elle un autel paré de fleurs et de lumières, et attendait, impatiente, le passage de la procession qui s‘allongeait sur les bords de la Loire. Les bannières s‘arrêtaient au pied de l’autel champêtre, prêtres et fidèles s’agenouillaient, et redisaient une fois encore à la Vierge de Léard l’amour persévérant de son peuple.
Cinquante ans après l'incendie, Fidèle Dubois entreprit de rebâtir la chapelle. Encouragée par son curé, M. Durand, dévot serviteur de Marie, celui-là même qui devait relever plus tard le sanctuaire de Bonne Garde, et aidée d’une pieuse veuve du voisinage, elle se fit la quêteuse de Notre Dame. L’entreprise fut bien accueillie et bientôt les aumônes permirent de mettre la main à l’oeuvre. Toutefois, pendant ce demi-siècle, les lieux s’étaient un peu transformés ; Notre-Dame n’était plus là pour arrêter les flots de la Loire, et les eaux avaient envahi les ruines de l’oratoire. ()n construisit en face, de l’autre côté-de la route. Le 29 mai 1843, tout était prêt pour la bénédiction, elle fut solennelle et digne de celle qu’il s’agissait d’honorer.
Les deux paroisses de Saint Julien et de Basse Goulaine s’y rendirent processionnellement, conduites par leur clergé. A leur arrivée devant le nouveau sanctuaire, les bannières se saluèrent, les deux curés s’embrassèrent et les fidèles, joyeux, confondirent leurs rangs et leurs oriflammes. Le curé de Saint-Julien bénit la chapelle, celui de Basse-Goulaine chanta la grand' messe, et les deux quêteuses de Notre Dame firent la sainte communion.
Trois mois plus tard (27 août), autre cérémonie. La vieille statuette de faïence avait été placée, à l’extérieur, au dessus de la porte d'entrée ; une autre, plus grande, fut achetée pour être posée sur l’autel. Il s’agissait de la transporter de l‘église paroissiale à la chapelle de Léard. Cent cinquante jeunes filles de la Vallée communièrent le matin ; le soir, après vêpres, elles se groupèrent autour de l’image sainte, un étendard à la main. Elles devaient, tour à tour, porter le précieux fardeau. Trois arcs de triomphe avaient été dressés sur le chemin, et trois fois la procession s’arrêta pour y poser un instant la madone. La nouvelle statue fut placée sur l'autel ; on mit à droite et à gauche celles de Sainte Fidèle et de Sainte Apolline, patronnes des deux quêteuses de Notre Dame.
En ces derniers temps (1890), par une sage précaution, on a retiré de sa niche extérieure la statuette vénérée, pour la mettre sous un globe, à l'intérieur de l’oratoire : et une inscription, gravée sur une table de marbre, résume sa touchante histoire.
Deux fois par an, le deuxième jour des rogations, et, au temps de Pâques, le jour fixé pour la communion des infirmes de ce quartier, le saint sacrifice de la messe est célébré dans la chapelle. Mais souvent, dans le cours de l'année, de pieux visiteurs, héritiers de la vénération des siècles écoulés, font à la chère madone leur pèlerinage.
Les dévots serviteurs de Notre Dame de Léard nous apprennent par leur exemple quelle confiance nous devons avoir en Marie. Aux jours de la prospérité, quand ils se rendaient à la ville pour leurs affaires ou quand leurs barques richement chargées sillonnaient le fleuve, ils adressaient leurs hommages et leurs prières à Notre-Dame. Imitons-les dans les jours heureux. Les peuples, fort souvent, lorsqu’ils ont tout à souhait, oublient Dieu et la très sainte Vierge, abandonnent toute pratique religieuse et dédaignent une morale qui désormais leur semble trop austère. C’est un fait triste à constater dans notre pays de France, que les contrées les plus riches sont aussi les moins chrétiennes, les plus empressées au plaisir, les plus dédaigneuses du devoir ; tandis que les régions plus pauvres, comme notre Bretagne et les pays de montagnes, sont restés plus fidèles à la foi et aux pratiques des ancêtres. Gardons-nous de faire comme ces riches oublieux et ingrats, restons dévoués toujours à Dieu et à Notre Dame ; d’abord parce que les richesses spirituelles et les trésors de la vertu l'emportent infiniment sur tous les biens terrestres ; ensuite parce que c'est la protection d‘En-haut qui peut seule nous conserver ceux-ci et nous procurer plus de bien être encore.
Dans les tristesses et les épreuves de la vie, on invoquait également Notre Dame de Léard. Je n’en veux pas d‘autre preuve que cette fondation, en l’honneur de Notre-Dame de Consolation, établie dans sa chapelle par la présidente de Cucé. La femme du riche et puissant magistrat, apparentée à deux évêques de Nantes, avait eu sans doute le cœur endolori par des souffrances et des peines ; mais elle savait où chercher le réconfort. Elle nous montre ce que nous avons à faire sous le coup de l'adversité. Toute consolation humaine est vide et dure peu ; la seule vraie consolation vient du ciel et c’est d'ordinaire Marie qui la donne : Dieu a voulu que nos larmes fussent essuyées par celle qui a tant pleuré.
Enfin, les fidèles amis de N. D. de Léard se confiaient en elle dans le danger, lorsque les massacreurs étaient à leurs portes et que les balles sifflaient sur leurs têtes. Leur espérance ne fut pas trompée, la protection de Marie les sauva. Ainsi l‘ont partout les vrais serviteurs de Notre Dame : s’ils sont exposés au danger des batailles ou aux fureurs de la tempête, si quelque accident met leur vie en péril ou si la maladie les conduit aux portes de la mort, un cri de détresse jaillit de leur cœur et retentit dans le Cœur de Marie. Crions comme eux à notre Mère lorsque surviendra le danger, et sa tendresse ne manquera pas de nous assister. Invoquons-là surtout dans ces périls bien autrement terribles qui menacent nos âmes, et qui pourraient les perdre pour l’éternité. Sa puissance n’est pas moindre contre le démon que contre les massacreurs de la terre, et jamais elle ne refuse l’aide de son bras invincible aux âmes justes qui la supplient de les préserver du péché.
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Abbé Ricordel
Vingt-quatrième jour
Notre Dame des Dons
Le pauvre sanctuaire dont je viens vous entretenir ce soir, et dont le nom n’est peut-être pas même venu jusqu’à vous, peut se glorifier d’une origine princière. Il date des derniers temps de l’indépendance bretonne; il fut construit, en l’honneur de Notre Dame, par François Il, notre dernier duc. Léger, insouciant, trop ami, hélas ! Des plaisirs coupables, ce prince était bon cependant et son peuple l’aimait. Il était aussi, comme tous les ducs de la maison de Montfort profondément religieux et, même au milieu de ses désordres, il multiplia les marques de sa foi et fit un très grand nombre de fondations pieuses. Il eut à cœur surtout d’honorer la très sainte Vierge. Peut-être subissait-il sur ce point l’entraînement des saintes princesses qui l’entouraient. Il y avait alors à Nantes quatre duchesses de Bretagne, et toutes étaient fort pieuses : Marguerite de Bretagne, femme du duc régnant ; Isabeau d’Ecosse, veuve de François 1er ; Catherine de Luxembourg, veuve d’Arthur III, et surtout la sainte veuve de Pierre II, Françoise d’Amboise. Peut-être voulait-il se faire pardonner ses désordres. Peut-être aussi sentait-il son trône menacé et voulait-il ménager la protection du Ciel a sa patrie et à sa race. C’est lui qui fit bâtir l’aile droite de Notre Dame ; c’est lui qui fit élever, dans les jardins de son château ducal, cette belle chapelle de Saint-Antoine de Pade, où vous allez prier maintenant l’Immaculée-Conception ; c’est lui qui releva splendidement Notre Dame de Bois Garant, dont je vous parlerai bientôt ; c’est lui enfin qui fit reconstruire, un fond d'un bocage solitaire, à trois kilomètres du petit bourg de Treillières, la chapelle de Notre Dame des Dons.
Ce n’était, ai-je dit, qu’une reconstruction : le pèlerinage existait depuis longtemps déjà. Depuis quand ? Nul ne le saurait dire ; mais le duc ne fit que relever et embellir un sanctuaire désigné à sa piété parla piété du peuple.
A partir de cette réédification (1460), l’antique pèlerinage devint plus célèbre encore, et l’on vit les princes et les princesses se mêler aux flots du menu peuple pour solliciter les bienfaits de Notre Dame des Dons.
C’est Marguerite de Bretagne, l’épouse délaissée de François ; qui donne la première l'exemple, c’est, du moins, son nom que nous trouvons tout d’abord dans les archives de la chapelle. Que. vient-elle y demander ? Des joies pour son pauvre cœur blessé ? Un sourire du Ciel pour ses yeux lassés de pleurer ? Peut-être ; peut-être aussi des leçons de patience et de résignation a la Mère des douleurs et des larmes.
Un peu plus tard, sans doute en un jour de repentir, c’est la malheureuse, cause première de ces larmes, qui vient s‘agenouiller à son tour là-même où avait prié sa douce et pure victime.
Plus tard encore, c’est François lui-même qui conduit a la petite chapelle, qu’il avait reconstruite, sa nouvelle épouse, Marguerite de Foix. Les archives rapportent que le but de ce pèlerinage fut d’obtenir, par l’intercession de Marie, le don d’une postérité. Le don que leur octroya la sainte Vierge, ce fut Anne, la bonne duchesse, deux fois reine de France.
C'est Pierre Landays, le néfaste favori de François, qui vient aussi lui, comme pour témoigner que tous les grands personnages de la cour de Bretagne devaient s‘agenouiller devant Notre-Dame des Dons.
C’est enfin Anne de Bretagne. Elle était aux débuts de la guerre avec la France, la lutte suprême de l’indépendance. Menacée par l’ennemi, elle quitte Rennes et vient se réfugier à Nantes. Le maréchal de Rieux, voulant la contraindre a un mariage dont elle ne veut pas, s’efforce de soulever la ville contre elle. Anne l’apprend, mais confiante dans l’amour de ses Nantais, poursuit son chemin. Pendant quelques jours, cependant, elle dut s’arrêter à la Pasquelais. C’était tout près de la chapelle des Dons ; la jeune duchesse s’y rendit pour demander aide et protection à Notre Dame. Les desseins de Dieu ne sont pas les nôtres, et il nous accorde souvent autre chose que ce que nous lui demandons: Anne sollicitait la paisible possession de la couronne de Bretagne, Marie lui accorda la couronne de France.
Nantes cessait d’être capitale : la brillante cour du château de la Tour-Neuve s’évanouit ; la gloire du sanctuaire de Notre Dame des Dons s’évanouit du même coup. Cependant, les paysans de la contrée continuèrent d’y invoquer leur puissante protectrice, et, chaque année, le mardi de Pâques, des foules confiantes venaient fidèlement célébrer le pardon de Notre Dame.
Là comme ailleurs, la Révolution a passé, et elle n‘a laissé que des débris. Les biens dépendants de la chapelle furent vendus ; le sanctuaire fut pillé puis délaissé. Désormais, ce n’est plus qu’une ruine lamentable, ouverte à tous les vents, sur. laquelle la nature pieuse a jeté un vert manteau de lierre. C’est à peine si les paysans se rappellent que le petit oratoire, annexé à la grande chapelle, était dédié à sainte Marguerite, la patronne des deux femmes de François II, Marguerite de Bretagne et Marguerite de Foix. C’est a peine si le visiteur peut reconnaître, dans_leurs niches dévastées, les statues de saint François et de sainte Marguerite, les protecteurs célestes des souverains qui élevèrent ces murs aujourd‘hui croulants.
Toutefois l’image de Notre Dame reste à peu prés intacte. Cachée pendant la Révolution, dans le tronc creux d’un des ifs qui ombragent la chapelle, elle y reprit sa place à l‘apaisement, et les fidèles revinrent se prosterner à ses pieds. Plus tard (1815), on la transporta à l’église paroissiale ; mais il fallut attendre la nuit pour commettre ce pieux larcin, et quand les paysans le connurent, leur mécontentement faillit se transformer en émeute. Elle est restée dans cette nouvelle demeure; toutefois, si les habitants viennent l’y vénérer, ils aiment surtout à prier dans la vieille chapelle, et on les voit Souvent a genoux, surtout les soirs du mois de Marie, égrenant dévotement leur chapelet entre ces murailles en ruines qui furent le sanctuaire aimé de Marie. N’ont-ils pas raison de continuer les antiques traditions ? Les murs élevés par un prince s’écroulent lentement ; mais il subsistera longtemps et, il faut l’espérer, toujours le monument élevé, par l’amour, dans les cœurs de ses fidèles, à Notre Dame des Dons.
Le seul pèlerinage dont nous connaissions le motif avait pour but de solliciter une grâce temporelle : François de Bretagne et Marguerite de Foix, son épouse, allèrent demander a N. D. des Dons une postérité : ils obtinrent Anne de Bretagne.
Nous aussi, mes Frères, nous pouvons solliciter de Marie des faveurs temporelles. Dieu est notre Providence, il nous octroie ce qui est nécessaire a nos corps aussi bien que ce qui est nécessaire à nos âmes ; et il ne trouve pas mauvais que nous le lui demandions. Marie est la coadjutrice de la divine Providence : Dieu l’a chargée de dispenser ses faveurs a la terre, et les trésors dont elle dispose sent les biens temporels en même temps que les autres. Rappelons-nous son rôle à Cana : « Vinum non habent, dit-elle, ils n’ont plus de vin ! » et elle obtient de la bonté de son Fils une faveur temporelle pour de pauvres gens dans la peine. Son rôle dans le ciel est identique, et nous pouvons solliciter pour le même objet son intervention, demander la guérison dans la maladie, la joie dans les larmes, le pain dans la pauvreté... Ne craignons donc pas d’exposer nos besoins temporels à Notre Dame des Dons, et soyons sûrs qu’elle ne manquera pas de nous écouter.
Toutefois n‘oublions pas que, s’il nous est permis de demander des faveurs temporelles, nous ne devons jamais perdre de vue nos intérêts éternels, et que les premières ne peuvent être légitimement sollicitées qu‘à condition qu’elles ne soient pas nuisibles aux seconds, mais qu'elles leur soient au contraire utiles. Marie, aux noces de Cana, demandait à Jésus une grâce temporelle, sachant bien qu’elle devait avoir des effets considérables pour les âmes. Et, de fait, le premier miracle de Jésus lui gagna définitivement les disciples qui en furent les témoins, ils crurent en lui. Ne demandons par conséquent à Marie que des choses qui ne soient pas un obstacle à notre sanctification, mais qui puissent au contraire la faciliter. Que de chrétiens, hélas ! qui demandent des faveurs temporelles sans s’inquiéter si elles sont utiles à leur âme ! Que de chrétiens qui demandent des choses dangereuses ! Que de chrétiens même, si triste qu’elle soit, cette aberration n’est point rare , qui demandent des choses nuisibles à leur salut éternel !
Encore une remarque. Au moment de l’invasion française, la duchesse Anne alla prier Notre Dame des Dons. Que lui demanda-t-elle ? Sans doute le succès dans la lutte et l'indépendance de sa chère Bretagne. Marie ne lui accorda point sa demande, car le Ciel ne juge pas à la façon des hommes. Elle jugea plus utile à la Bretagne qu’elle fût unie définitivement à la grande patrie française ; et bientôt Anne montait sur le trône de France. Nous aussi, nous nous méprenons souvent sur nos véritables intérêts, et nous demandons à Marie des faveurs inutiles ou nuisibles. Marie écoute toujours notre prière ; mais souvent et pour notre bien, elle ne nous accorde point ce que nous demandons : elle préfère nous donner à la place des faveurs plus utiles. C’est bien la Mère aimante et sage qui sait, quand il le faut et dans son intérêt, mécontenter son enfant. Nous devrions nous féliciter de cette tendresse vigilante ; combien, hélas ! qui ne comprennent pas ! Combien qui se plaignent et murmurent! Combien qui traitent de marâtre la plus tendre des mères !
Ayons une confiance plus éclairée ; demandons a Marie des faveurs temporelles, mais à condition qu’elles soient utiles pour nos âmes ; ne nous plaignons point de n’être pas exaucés ; acceptons avec reconnaissance ce qu’aura décidé sa maternelle tendresse. Dans ces conditions, nos prières seront toujours les bien venues là haut, et nous serons traités en enfants gâtés par Notre Dame des Dons.
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