Le Mois du Coeur Agonisant de Jésus
Le Mois du Cœur agonisant de Jésus
Père Blot
Vingt-deuxième jour
Le Cœur agonisant
Pour la fête de l'oraison de Notre Seigneur sur le mont des Oliviers, l'introït de la messe commence ainsi : « Cor meum conturbatum est in me, mon Cœur s'est troublé en moi, et la crainte de la mort est tombée sur moi » (Psaume 37, 11). C'est donc spécialement au Cœur, que se rapportent les souffrances de Jésus agonisant.
Méditation
I. Le Cœur du bon Maître endura seul des souffrances plus nombreuses et plus acerbes, que toutes les autres parties de son corps prises ensemble ; l'état de ce Cœur adorable, livré à toutes les sévérités de la justice divine, était bien plus lamentable que l'état de ce corps mortel, déchiré par la cruauté des bourreaux ; la passion intérieure fut plus poignante que la passion extérieure. Voyez ce Cœur délaissé, abandonné de tous, chargé de tous les péchés des hommes. Il est réduit à dire au Père céleste : « Vous avez détourné de moi votre face, et j'en suis tout troublé » (Psaume 19, 8). Dieu semble en effet s'être éloigné, il livre à lui-même ce Cœur innocent devenu victime pour nous, il ne lui donne ni vues, ni lumières, ni goûts. Tout rebute ce pauvre Cœur, tout contribue à lui faire sentir le poids de sa peine. En quel abattement il tombe ! Quel ennui le saisit et le désole ! Quelles sombres réflexions l'inquiètent et le tourmentent ! Il a beau prier, le ciel est fermé pour lui ; la nature et les sens ne cessent de lui dire : « Où donc est ton Dieu ? » (Psaume 41, 4). Il éprouve toutes les agonies, il ressent toutes les souffrances morales, pour nous aider à les sanctifier. Hâtons-nous donc de prendre tous ses sentiments. Il faut que le Cœur agonisant du divin Maître batte en quelque sorte dans mon cœur affligé, pour que je participe à sa soumission, à son énergie, à son dévouement. Cœur admirable, soyez mon modèle, mon amour et mon soutien !...
II. Jésus s'était séparé de la plus grande partie de ses amis, et de sa Mère elle-même, en quittant le cénacle ; il s'était séparé de huit apôtres, en entrant dans Gethsémani ; enfin dans le jardin, il se sépare des trois disciples qu'il aime le plus. Ils s'endorment, pendant que Judas veille pour le trahir, et que nous veillons tous pour l'offenser. Nos péchés sans nombre, de hideux fantômes, de cruels démons peuplent seuls sa solitude. Son Cœur devient le confluent de toutes les souffrances, à cause des iniquités qui débordent de tous nos cœurs. Dans le Cœur agonisant du Sauveur tombent tous les crimes du monde, comme les fleuves entrent dans la mer avec la fange qu'ils charrient : de là des tristesses, des angoisses, des agitations, des tempêtes excitées parla colère même de Dieu irrité contre nous. Ah ! que ne puis-je arrêter le torrent de nos iniquités ? D'où vient que je le grossis encore par mes propres péchés ?...
III. De ce même Cœur, de cet océan de douleur et d'amour, sortent des gémissements, des prières, des actes répétés de résignation, des vapeurs sanglantes qui forment des nuages bienfaisants, pour répandre au loin une rosée salutaire. Par un flux et reflux continuel de miséricorde et d'expiation, il bat tous les rivages, il atteint tous nos cœurs, durs, secs, froids, stériles et insensibles comme des rochers ; puis il se replie sur lui-même, en soupirant, mais pour nous bénir encore et préparer notre salut. Voilà jusqu'où va sa douleur, voilà jusqu'où va sa bonté, dans le plus complet isolement. Pauvre Cœur abandonné, votre agonie n'a plus de bornes., et vos souffrances sont sans mesure. L'infinité de nos péchés vous accable, et notre ingratitude y met le comble en vous délaissant. Moi, du moins, je vous tiendrai compagnie, j'essuierai votre sueur, je m'unirai à votre prière, je partagerai vos afflictions et vos peines...
Lisez dans l'Agonie de Jésus, liv. I, ch. VIII, Jésus agonisant chef des pénitents.
Pratique : Résignons-nous à être, autant qu'il plaira au Seigneur, dans le trouble, dans l'inquiétude, dans la tristesse, dans la crainte, dans le dégoût et l'ennui. Ne cherchons pas à échapper à l'agonie du cœur par l'acceptation de l'agonie, en imitant ces âmes égoïstes qui veulent trouver dans leur résignation même quelque goût ou plaisir spirituelle calme, la paix, le contentement. Travaillons avec zèle à l'extension de l'archiconfrérie et de la communauté du Cœur agonisant.
Exemple
On obtient chaque jour de très nombreuses conversions, en invoquant le Cœur agonisant de Jésus, en plaçant son image dans la chambre du malade, sa médaille sur la poitrine ou sous l'oreiller du moribond. Dans presque tous les hôpitaux tenus par des religieuses on pourrait dire, comme les religieuses de Saint Alexis de Limoges : « Depuis que nous ayons embrassé la dévotion au Cœur agonisant de Jésus et au Cœur compatissant de Marie, elle a été une source de grâces précieuses et abondantes, d'abord pour nous-mêmes, ensuite pour les pauvres malades de notre vaste hôpital, que nous n'avons plus la douleur de voir mourir sans recevoir les derniers sacrements. Avons-nous affaire aux âmes les plus endurcies, dès que nous implorons pour elles les Cœurs sacrés de Jésus et de Marie, nous sommes exaucées ». On obtient de même des guérisons. Le 26 mai 1872, on écrivait de Lavaur (Tarn) : « Marie Cany, épouse de Jean Raynaud, en proie à d'atroces souffrances et abandonnée des médecins, appliqua une médaille, le 7au matin, sur le point le plus douloureux. Aussitôt la douleur se calma, et à deux heures le bien était complet ; il s'est maintenu. Nous espérons que cette faveur excitera de plus en plus la dévotion au Cœur agonisant, et ranimera le zèle des associés ». La pieuse médaille préserva de la mort un grand nombre de soldats, durant la guerre de1870-1871.
Vingt-troisième jour
Agonisons avec Jésus
De la grotte de l'agonie, l'Homme-Dieu nous dit : « Mon Cœur n'a attendu que des outrages et de la misère, improperium expectavit Cor meura et miseriam. J'ai été dans l'attente de quelqu'un qui s'affligerait avec moi, et il n'y en a point eu ; j'ai espéré des consolateurs, et je n'en ai point trouvé » (Psaume 78, 21). Voulons-nous le consoler ? Partageons ses souffrances et son agonie, avant de partager sa gloire et sa couronne (Romains 8, 17).
Méditation
I. La première manière d'agoniser avec le Sauveur, c'est de souffrir avec lui. Mais qui se présente pour partager l'état de Jésus agonisant dans Gethsémani ? Qui veut éprouver comme lui la crainte, l'ennui, le dégoût, la tristesse mortelle ? Qui veut suer sang et eau ? Qui se plaît à rencontrer un Judas parmi ses amis ? Qui est heureux d'adresser au Seigneur de longues prières, sans les voir exaucées ? Il est surtout un trait que nous n'imitons guère : c'étaient les péchés des hommes qui mettaient Jésus à l'agonie. Or, nous n'avons aucun empressement à partager cette agonie de douleur et de confusion, pour nos propres péchés, moins encore pour les péchés des autres. Il faut ordinairement que Dieu frappe à coups redoublés, que son bras s'appesantisse sur nous, pour que nous nous décidions à expier nos fautes ; encore nous bornons-nous alors à faire des afflictions qui nous sont envoyées une salutaire expiation. Mais nous n'allons pas au-devant, comme le divin Maître, comme les religieux pénitents ou contemplatifs qui embrassent volontairement un genre de vie, qu'ils savent être la plus large participation aux agonies du Sauveur. Quand donc serons-nous les compagnons de Jésus dans ses humiliations et ses souffrances !...
II. Une autre manière de lui tenir compagnie, d'agoniser avec lui, c'est d'avoir patience avec nous-mêmes, c'est de nous résigner aux tourments que nous causent notre imagination et notre sensibilité. N'est-ce pas exprès, tout exprès, que le Fils de Dieu a voulu s'abandonner à l'excès de sa sensibilité, comme aux sombres prévisions de son imagination ? A-t-il donc failli ? Non, il nous a sauvés par ces souffrances intérieures recherchées à dessein, autant que par les tortures extérieures infligées par ses bourreaux. Réduit à l'agonie par la vivacité de son imagination qui prévient les événements, et par la sensibilité de son Cœur qui aime éperdument des ennemis, il console et rassure ces âmes pieuses, qui s'entendent reprocher souvent de porter dans leur cœur la cause de leurs afflictions. Et ne portons-nous pas dans notre corps la cause de nos maladies ? Nos infirmités corporelles n'en peuvent pas moins être très-méritoires, si nous savons faire de nécessité vertu. Lors donc qu'une âme est torturée par la prévision ou l'exagération de ses maux, par l'excès de sa délicatesse ou de sa sensibilité, qu'elle laisse mille personnes la charger de reproches ou de mépris, et qu'elle considère Jésus-Christ seul en son agonie. Jésus lui reste, et c'est assez ; car il lui reste avec la force, avec la lumière, avec la consolation de ses souffrances et de ses exemples
III. Une troisième manière d'agoniser avec le Sauveur, c'est d'endurer comme lui notre dernière agonie, c'est de prier, d'agir, de souffrir pour sanctifier l'agonie des autres. Qu'elles sont affreuses les angoisses des pauvres moribonds, lorsque le remords de la conscience, la crainte du jugement qui s'approche et l'incertitude du salut éternel se réunissent, pour remplir leur âme de trouble et de frayeur ! L'enfer, qui n'a plus qu'un peu de temps (Apocalypse 12,1 2), redouble sa rage et fait un effort suprême, pour saisir au passage cette proie qui va lui échapper. Pour ce dernier combat, le démon qui d'ordinaire tendait des embûches à l'âme durant son pèlerinage, ne se contente pas de venir seul à la charge, mais il appelle à son aide des légions innombrables d'esprits infernaux. L'Église a donc bien raison de convoquer ses fidèles et ses ministres, d'appeler même les anges du ciel, auprès du plus humble agonisant qui va quitter la terre, pour opposer les saintes phalanges de la lumière et de l'amour aux infernales phalanges des ténèbres et de la haine. Secondons-nous de tous nos efforts les pieux desseins de notre mère ? Invoquons-nous Jésus agonisant pour chaque moribond, comme fait le prêtre qui l'assiste ?...
Lisez dans l'Agonie de Jésus, liv. I, ch. VII, Jésus agonisant, soutien des affligés.
Pratique : Laissons le Seigneur nous immoler en paix et sans bruit, sur le calvaire du cœur ou dans le jardin de l'agonie. Confortons les affligés, comme l'ange consolateur conforta Jésus. Engageons les cœurs qui souffrent à recourir au Cœur agonisant du divin Maître, pour qu'il sanctifie leur agonie par l'exemple et le mérite de la sienne. Prions tous les jours pour les mourants.
Exemple
On raconte de saint André Avellin, qu'au moment de sa mort son lit fut entouré de milliers de démons, et que pendant son agonie il eut un combat si terrible à soutenir contre l'enfer, que tous les religieux qui l'assistaient en furent saisis d'épouvante. On vit le visage du saint se décomposer, et prendre une couleur livide ; il tremblait de tous ses membres ; les larmes coulaient de ses yeux en abondance : autant d'indices du violent assaut qu'il avait à repousser. Un pareil spectacle arrachait des pleurs à tous les assistants : chacun redoublait de prières, chacun tremblait pour soi en voyant qu'un saint mourait de la sorte. Une seule chose consolait ces religieux ; c'était que le moribond tournait souvent ses regards vers une image de la très sainte Vierge, comme pour demander du secours. On se souvenait qu'il avait dit plus d'une fois, durant sa vie, que Marie serait son refuge à l'heure de la mort : « Ora pro nobis, in hora mortis ». Ce fait est cité par Saint Alphonse de Liguori.
Vingt-quatrième jour
La sueur sanglante
Durant son agonie et sa longue prière, Jésus sua du sang, sudor ejus sicut guttœ sanguinis decurrentis in terram (Luc 22, 44). Le sang et la sueur ordinaire ayant paru presque en même temps sur son corps, le sang s'y figea bientôt, et fut entraîné jus- qu'à terre par la fluidité de la sueur, qui lui servait comme de véhicule ; ou bien la sueur de sang étant très abondante coula jusqu'à terre, aidée à prendre ce cours par l'humidité que la sueur laissa sur la peau.
Méditation
I. Le péché se forme dans le cœur, avant de se consommer à l'extérieur par l'action, et il consiste dans la détermination de la volonté, plutôt que dans l'acte matériel. Il faut donc que le pécheur, avant d'offrir à Dieu le sacrifice de son corps au moyen de la satisfaction, lui offre le sacrifice de son cœur au moyen de la contrition. Caution des pécheurs, Jésus allait offrir le sacrifice de son corps sur le Calvaire, en satisfaisant surabondamment à la justice divine ; mais il commence par offrir, au jardin des Oliviers, le sacrifice de son Cœur par une indicible contrition. Sur le Calvaire la présence des bourreaux, faisant violence au Sauveur, empêchera les Juifs de croire que cette mort sanglante soit libre et volontaire du côté de la victime. Mais au jardin, la sueur de sang met en évidence cette liberté du sacrifice, qui importe tant à notre salut. Ici point de tourments ni de coups ; aucune blessure extérieure ne force le sang à jaillir des veines. Ici le Fis de Dieu, tout à la fois prêtre, autel et victime, ouvre lui-même, par son propre vouloir, ses veines sacrées. Profitons-nous aussi de notre liberté, pour multiplier nos sacrifices, les rendre plus saints et plus complets ?...
II. Quel supplice ne cause pas à toutes les parties du corps de Jésus agonisant, la rupture subite de tant de fibres délicates, dont le moindre dérangement nous cause de si excessives douleurs ! Mon sacrifice serait imparfait, disait le Fils de Dieu, s'il n'était celui d'un esprit abattu et d'un cœur brisé, spiritus contribulatus, cor contritum (Psaume 50, 19). Et mon âme, plus excellente que mon corps, doit être plus accablée par la crainte et la douleur, que mon corps ne le sera par les coups redoublés qui tomberont sur lui. Je ne trouve donc maintenant d'autre consolation que de consentir à m'affliger, puisque vous voulez que je souffre, ô mon Père ! Cette nuit est pour moi aussi douloureuse que le sera ma croix. Tous mes os sont comme arrachés de leur place, tous mes nerfs sont mis à la torture, mon Cœur est devenu semblable à la cire qui se fond (Psaume 21, 15), et mes artères sont agitées par un mouvement si violent, qu'elles s'entr'ouvrent et répandent du sang par tous mes pores. Avons-nous souffert, avons-nous combattu, avons-nous seulement résisté jusqu'au sang ?...
III. J'ai foulé le pressoir, avait dit le Sauveur par la bouche du prophète, je l'ai même foulé seul, car personne n'était avec moi, et mon vêtement a été couvert de sang (Isaïe 63, 3). Dans Gethsémani, qui signifie pressoir, sa chair a été foulée comme sous un pressoir, et le sang en est sorti, comme le suc sort du raisin en rougissant les habits de ceux qui le pressent. C'était Jésus lui-même qui, sans le secours d'aucun bourreau, pressait ainsi sa chair très sainte pour en exprimer le sang. Il pouvait dire : « Aucun homme de cœur n'est avec moi », car aucun gentil, aucun juif ne partageait son agonie, ne le soutenait dans cette lutte, n'essuyait sa sueur. Exposé à cette juste colère de Dieu, qui est comparée à un pressoir (Apocalypse 19, 15), et pour ainsi dire vendangé par le Seigneur (Thren. 1, 12) en punition de nos crimes, le Cœur du bon Maître ressemblait à un raisin foulé avec violence sous le pressoir, pour qu'un vin généreux en jaillisse de toutes parts. Jésus, c'est moi qui ai mis votre Cœur sous le pressoir pour en faire jaillir le sang. Puisse une goutte de ce sang tomber sur mon cœur refroidi, pour l'animer, l'échauffer, et le rendre tout brûlant du feu sacré de votre amour !...
Lisez dans l'Agonie de Jésus, liv. XI, ch. X, Fins et significations de la sueur de sang.
Pratique : Voulons-nous satisfaire à Dieu pour nos péchés ? Prenons pour modèle Jésus suant sang et eau, et implorons son secours. Mon Sauveur, qui avez sué volontairement du sang pour moi, changez la délicatesse de mon cœur en un vif désir de souffrir quelque chose pour vous.
Exemple
Sainte Madeleine de Pazzi éprouvait une indicible compassion pour le Sauveur en sa sueur de sang. Un jour, dans une extase, l'ayant vu tout sanglant au jardin des Oliviers, elle en conçut tant de douleur que de moment en moment elle tombait par terre, comme si elle eût été morte. Puis poussant les soupirs les plus enflammés, elle s'écria : « Mon Jésus, vous avez sué du sang ! Ah ! que ne puis-je enchaîner toutes les volontés des créatures, et les amener à vous !... Je ne puis plus, ô mon amour, vous appeler le plus beau des enfants des hommes, comme faisait le prophète (Psaume 44, 3), puisque je vois tout votre visage plein de sang. Tous vos apôtres dorment ; je m'étonne qu'ils ne se lèvent pas pour considérer votre face ensanglantée... » La sainte voyait tomber des gouttes de sang du visage de Jésus-Christ jusqu'à terre ; elle s'écriait avec une grande stupeur : « Il sue du sang ! mon amour, ne suffit-il pas que vous suiez du sang de tous les membres de votre corps ? Faut-il encore que je vous voie répandre par vos yeux des gouttes de sang, au lieu de larmes ? mon amour, que n'ai-je été moi-même la terre qui recevait ce sang !... Oh ! Si je pouvais recevoir quelques gouttes de votre sang, qui sont comme autant de rubis précieux tombant sur la terre ! Oh ! Si mon cœur était cette terre qui les reçoit, qu'il serait riche, qu'il serait heureux ! Il aurait en lui-même un trésor suffisant pour acheter mille mondes ».
Vingt-cinquième jour
Le sommeil
Durant sa prière, Jésus agonisant se leva plusieurs fois pour visiter ses apôtres privilégiés ; mais il les trouva toujours dormants, invenit eos dormientes (Matthieu 26, 40). Combien ce lâche sommeil fut poignant pour le Cœur du bon Maître ! Combien notre cœur à nous-mêmes ne souffre-t-il pas du sommeil ou de l'indifférence de nos amis, pendant que le vent de l'adversité souffle sur nous !
Méditation
I. Dans le présent Jésus lisait l'avenir, et il se disait : Ce sommeil de mes disciples m'est plus dur que la cruauté de mes bourreaux. Je vois que mon corps mystique, par la somnolence de mes pontifes et de mes prêtres, sera dans la suite assailli et maltraité, autant de fois que les successeurs des apôtres les imiteront dans leur sommeil, plus que dans leur courage. On verra dans les champs de l'Évangile, ensemencés par ma parole, arrosés par mon sang, croître les germes funestes de l'ivraie ou de la zizanie, les doctrines licencieuses, les hérésies manifestes, parce que mes apôtres dorment et que leurs successeurs dormiront encore. On verra les églises non respectées, les sacrements non fréquentés, les autels sans ornements, les mœurs sans pureté, la religion sans prestige,parce que mes apôtres dorment et que leurs successeurs dormiront encore. Ah ! mon Cœur en éprouve une agonie de tristesse et de dégoût ! Ne contribuons-nous point a endormir dans la tiédeur et la mollesse quelques âmes, des fidèles et même des prêtres ?...
II. Le sommeil de nos amis était aussi représenté dans le sommeil des amis de Jésus. Quel désappointement cruel pour nous, quand nous sommes forcés, durant nos épreuves, de comparer nos amis à ces oiseaux de passage, qui ne s'arrêtent en nos climats qu'autant que l'air en est doux et tempéré, et qui s'envolent aussitôt que l'hiver approche ! Alors notre sensibilité se retourne contre elle-même, et le développement qu'elle avait acquis par l'amitié, ne sert plus qu'à augmenter notre tourment. Heureux, mille fois heureux, Seigneur, l'homme qui tend vers vous les bras de son affection, et qui met en vous seul tout son amour, toute sa confiance ! Car vous seul peuplez réellement pour lui toutes les solitudes, vous seul ne lui manquez jamais, vous seul lui êtes un appui toujours prêt et toujours puissant, vous seul faites refleurir pour lui les sentiers de la vie, vous seul lui ouvrez à la mort les portes du ciel. Vous seul, ô Dieu fait homme, Jésus agonisant, victime du sommeil de vos amis, vous êtes pour nous un ami qui jamais ne sommeille réellement...
III. Dieu lui-même semble dormir quelquefois à notre égard : sommeil apparent, mais néanmoins douloureux pour nous, qui nous écrions alors avec David : Quare obdormis, Domine ? pourquoi dormez-vous, Seigneur ? Pourquoi oubliez-vous notre indigence et notre tribulation ? (Psaume 43, 23-26) ? Il nous répond : « Je dors, mais mon Cœur veille, Cor meum vigilat » (Cantique 5, 2). Mon sommeil ne ressemble-t-il pas à celui d'une mère, auprès du berceau de son enfant ? Lors même que ses sens paraissent le plus endormis, son cœur veille, et le moindre cri poussé par l'objet de son amour, la retrouve prête à lui prodiguer ses soins. Ainsi, malgré mon sommeil apparent sous le voile des espèces sacramentelles, mon Cœur eucharistique est toujours veillant et priant pour vous. Oui, mon Dieu, vous êtes l'ami qui veille pour les amis mêmes qui s'endorment ; vous êtes celui qu'au sortir de leur sommeil, interrompu parle malheur, ils trouvent toujours prêt à leur prodiguer ses conseils, ses secours et son sang. Ai-je recouru à ce Cœur divin qui veille nuit et jour près de moi, toutes les fois que je me suis senti malheureux et délaissé ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. IX, ch.I, Le sommeil de nos amis.
Pratique : Rougissons d'abandonner nos amis dans le malheur, ou de nous montrer indifférents à leurs souffrances. Si nous sommes nous-mêmes abandonnés de nos amis, ne nous en plaignons qu'à Dieu, et versons toutes les tristesses de notre cœur dans le Cœur agonisant ou dans le Cœur eucharistique de Jésus, en attendant de lui seul notre meilleure consolation.
Exemple
Saint Jean Eudes, fondateur des prêtres de Jésus et Marie, et des Religieuses de Notre-Dame de charité, vit ses meilleurs amis s'éloigner de lui, tant sa réputation fut attaquée par d'atroces calomnies. Ceux mêmes qui l'avaient exhorté à entreprendre l'établissement de sa Congrégation, l'abandonnèrent dans le malheur, à l'exception de trois; la reine-mère refusa de l'admettre à se justifier ; le vertueux baron de Renty fut lui-même ébranlé. Mais le P. Eudes ne se montra jamais plus tranquille et plus satisfait, que lorsqu'on le traita plus indignement. Un jour, dans les rues de Caen, une femme applaudie par la populace le chargea des injures les plus grossières. Il ne songea seulement pas à se dérober aux insultes, et on ne s'aperçut qu'il avait senti cette brutalité, que lorsqu'étant rentré au séminaire il dit à celui qui l'accompagnait : « Allons, mon frère, allons remercier Notre-Seigneur de la grâce qu'il nous a faite, de vouloir bien partager avec nous ses humiliations ». Dans ce même temps il écrivit : « Où trouvera-t-on un ami fidèle ? C'est la chose du monde la plus facile. Aimons Jésus fils de Marie, et Marie mère de Jésus ; mettons toute notre confiance en eux, et ils feront paraître leur puissance et leur bonté ». Ces deux amis célestes lui ramenèrent, en effet, la confiance et l'estime de tous, avec le succès de ses œuvres.
Vingt-sixième jour
Le réveil
Les deux premières fois que le Sauveur visita ses apôtres endormis, il leur adressa des reproches pour les réveiller : « Est-ce donc ainsi que vous tenez vos promesses ? Quoi ! vous n'avez pu veiller une heure avec moi ! » Mais dans la troisième visite il leur dit : « Dormez maintenant et reposez-vous » (Marc 14, 41). Néanmoins il ajouta aussitôt : « C'est assez, levez-vous ! »
Méditation
I. Le bon Maître réveille ou corrige ceux qu'il aime le plus parmi ses disciples, et c'est même au premier d'entre eux qu'il adresse d'abord ses reproches : « Simon, dormis ! Simon, tu dors ! » (Marc 14, 37). Il avait plus promis que les autres, il était leur chef ; n'était-il pas plus obligé à veiller ? Pour qu'il sente mieux sa faute, il reçoit ici le nom du vieil homme, le nom de l'humble et obscur pêcheur, Simon ; il ne reçoit pas du tout le nom de l'homme nouveau, du pontife suprême, du fondement de l'Église, Pierre. De même après notre conversion, après des jours de ferveur, si nous commençons à nous endormir, la voix de notre conscience nous adresse de légers reproches, et nous rappelle aussi notre humiliant passé. L'écoutons-nous ? Secouons-nous notre torpeur ?...
II. Jésus agonisant dit ensuite aux trois apôtres ensemble : « Sic non potuistis una hora vigilare mecun ? Ainsi vous n'avez pu veiller une heure avec moi ? » (Matthieu 26, 40). Ainsi se rapporte à ce que tous avaient dit après leur chef : « Quand même il me faudrait mourir avec vous, je ne vous nierai point » (Matthieu 26, 35). Voilà donc, leur dit le Sauveur, voilà donc comme vous êtes préparés à mourir avec moi, vous qui n'avez pas même pu veiller avec moi pendant une heure ! Une heure signifie ici un moment, par une figure dont le Maître se sert, pour faire ressortir toute la négligence de ses disciples. Par sa brièveté ce reproche unit la force à la douceur. Avec moi rend le reproche plus grave Jésus veillait lui-même, il veillait pour ses disciples, il veillait en présence de ses disciples, il gardait ses disciples comme un père garde ses petits enfants, comme un pasteur arde ses timides brebis : les trois disciples n'avaient donc point à s'effrayer de leur solitude, et, sous les yeux du divin Maître, leur indolence ou leur lâcheté devenait moins excusable et plus honteuse. Nous-mêmes nous ne sommes jamais seuls, le Seigneur est toujours avec nous, comme le prêtre nous le souhaite et l'affirme souvent. Dominus vobiscum ! Pourquoi donc sommes-nous si facilement découragés, abattus ?...
III. Les apôtres préférés, et pourtant si faibles, fie savaient que répondre aux justes reproches que le Fils de Dieu leur adressait, ignorabant quid responderent ei (Marc 14, 40). Les yeux de leur âme étaient appesantis, comme ceux de leur corps, leur intelligence était elle-même obscurcie par la sensualité, par le péché. L'ignorance est un sommeil. L'ignorance volontaire, causée par la paresse de l'esprit, est parfois en nous un sommeil coupable, dont nous rendrons un compte sévère. Les disciples écoutèrent avec une humble confusion les reproches du Maître, et ne cherchèrent point à se justifier. Ce silence est digne d'éloges : l'imitons-nous, nous qui sommes toujours si prompts à trouver des excuses ? Mais ils n'en retombèrent pas moins dans le sommeil : combien nous aussi nous profitons peu des avertissements qui nous sont donnés ! Combien nous restons endormis au service de Dieu !...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. IX. ch. IV, Le repos permis.
Pratique : Réveillons-nous à l'approche du carême, et par nos prières, nos actes, nos exemples, faisons en sorte que la sainte parole réveille les âmes endormies. Venons nous-mêmes toujours, et amenons les autres au pied de la chaire de vérité, afin de produire cette édification du nombre, qui est un réveil et un entraînement pour toute une paroisse.
Exemples
Dans l'histoire des Saints, on voit quelles admirables industries le Seigneur leur inspire pour réveiller les âmes. Saint François-Xavier, après avoir vainement exhorté un grand pécheur à se confesser, l'invite à faire avec lui une promenade sur une montagne voisine. Dès qu'ils sont seuls et à l'écart, l'apôtre saisit des chardons, s'en fait une discipline, se dépouille et se frappe rudement, en répétant à son compagnon : « C'est pour vous, c'est pour apaiser la colère de Dieu qui va tomber sur vous ! » Le sang qui sort des épaules de l'innocent rejaillit sur le coupable ; vaincu par un tel exemple de charité, le pécheur tombe aux pieds du saint, se confesse et se corrige.
Du vivant de saint Ignace, un Frère de la Compagnie de Jésus, fort tenté sur sa vocation, résolut de quitter Dieu pour retourner au monde. Le saint fondateur, ayant découvert que la cause de ce trouble venait d'un péché dont ce Frère ne voulait pas se confesser, alla le trouver et lui raconta toute sa vie passée, combien il avait été acharné au faux amour des créatures, afin de lui ôter la honte, et de lui donner une meilleure impression de la miséricorde divine. Heureux l'homme qui, dans la voix terrible des révolutions et des malheurs publics ou privés, reconnaît la voix du divin Maître lui donnant une leçon sur la vanité des choses humaines, pour le réveiller de son assoupissement et rattacher on cœur à Dieu !
Vingt-septième jour
N'entrons pas dans la tentation
Aux reproches, Notre-Seigneur ajouta un précieux conseil : « Veillez et priez, dit-il aux trois apôtres, afin que vous n'entriez point en tentation » (Marc 14, 38). De quelle tentation parle-t-il ? de toute tentation, principalement de la tentation de l'abandonner lui-même, comme les apôtres vont le faire dans sa passion, parce qu'ils n'ont ni assez veillé ni assez prié.
Méditation
I. Nous sommes tous éprouvés par quelque espèce de tentation. L'Homme-Dieu fut tenté, et sa tentation s'étend à tous les chrétiens ; elle se fit sentir aux apôtres et se fait sentir à chacun de nous, elle se fera sentir à ceux qui viendront après nous. Aussi ne dit-il pas : « Veillez et priez pour n'être point tentés » ; il dit seulement : « Veillez et priez pour ne pas entrer dans la tentation, ut non intretis in tentationem » (Matthieu 26, 41), pour n'être pas vaincus par la tentation, pour qu'elle ne vous prenne ni ne vous retienne dans ses filets. Nous ne pouvons pas empêcher le démon de nous tendre des pièges, des filets, des embûches, mais nous pouvons ne jamais y tomber ; nous sommes tentés malgré nous, mais nous n'entrons dans la tentation que de notre gré. Tenons-nous donc sur nos gardes, et prévoyons le danger, l'occasion, la tentation, pour n'y pas entrer...
II. Qu'est-ce que d'entrer dans la tentation ? C'est entrer dans les sentiments qu'elle suggère, en suivre l'attrait, en subir la violence ; c'est entrer dans le courant de nos passions, et nous laisser entraîner ou submerger. Entrer en tentation, c'est appliquer notre esprit à ce qui nous est subitement suggéré de mauvais, c'est nous en occuper. On veut voir ce que c'est, on s'entretient quelque temps avec le serpent, on ne veut pas le chasser sans savoir ce qu'il dit, et l'on pénètre ainsi plus ou moins rapidement dans la tentation, où l'on ne tardera pas à périr. Car toutes les tentations ont un commencement, qui mène fort loin quand il est négligé. Mais il serait aisément vaincu, si on ne lui laissait pas le temps de se fortifier, soit par une espèce d'engourdissement et de paresse, soit par une mauvaise curiosité, soit par une présomption téméraire. Nous entrons d'autres fois dans la tentation par plaisir ou par faiblesse, parce que nous négligeons la prière, et que nous nous laissons amorcer par le moindre appât, comme le poisson qui entre dans le filet ou mord à l'hameçon. N'est-ce point là l'explication de nos chutes ?...
III. En disant tous les jours à Dieu : « Et ne nos inducas in tentationem, ne nous induisez point en tentation, ne nous laissez pas succomber à la tentation (Matthieu 6 , 13), nous ne refusons pas d'être tentés, nous demandons la force de résister aux tentations, une force qui soit proportionnée au péril. Nous prions notre Père céleste de régler tellement, à notre égard, tous les événements dont il est le maître absolu, qu'aucun ne devienne pour nous une tentation trop forte, subite ou imprévue. Nous demandons qu'il nous inspire la vigilance et la fidélité, pour réprimer les plus légers commencements de la séduction ou de la crainte ; nous demandons qu'il fasse cesser la tentation, avant que notre patience et notre fermeté soient abattues. Si néanmoins nos tentations se multiplient, tâchons de nous en consoler et de nous en réjouir. Comme la fumée précède le feu, la tentation précède la gloire : et comme l'or s'épure dans le creuset, l'homme se perfectionne dans les épreuves. Ne nous laissons-nous point aller, au contraire, à la tristesse et au découragement ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. XI, ch. IX, N'entrez pas dans la tentation.
Pratique : Pour ne point entrer dans la tentation ou pour en sortir victorieux, veillons par la pratique des bonnes œuvres, prions par la fréquentation des sacrements. Augmentons même souvent alors nos charités, nos oraisons et nos austérités. Pour faire de toutes nos tentations autant de sources de grâces, demandons instamment à Dieu la prudence et le courage.
Exemple
Au temps de saint Vincent de Paul, un célèbre docteur en théologie fut soumis à une terrible épreuve. Son esprit s'obscurcit, sa foi s'ébranla, la prière sur ses lèvres se changea en blasphème, et le désespoir lui soufflait de continuelles tentations de suicide. Après de vains efforts pour le guérir, Vincent s'offrit à Dieu en victime, et consentit à prendre sur lui la tentation du docteur. Cet héroïque sacrifice fut accepté dans toute son étendue. Pendant que la lumière, l'espérance et l'amour affluaient dans l'âme du docteur, le saint était cruellement tenté, malgré ses larmes et ses bonnes œuvres. Alors il écrivit son Credo, et l'appliqua comme un remède sur son cœur. Puis, il convint avec Dieu que sa main, posée sur ce papier, serait un désaveu de la tentation et un acte de foi. De plus, il se fit une loi de contredire en tout les suggestions de l'ennemi, dans ses pensées, ses paroles et ses actes, s'appliquant à suivre toujours l'esprit de foi, à ne proférer que son langage, et à ne produire que les œuvres de la divine charité. Ce fut alors qu'il multiplia ses visites et ses services dans les hôpitaux. Cependant trois ou quatre années se passèrent dans ce rude exercice, et la tentation durait toujours. Dieu voulait encore quelque chose de son serviteur. Un jour qu'il était plus désolé que de coutume, il tomba à genoux et voua a vie à Jésus Christ dans la personne des pauvres. Il se releva libre et consacré apôtre de la charité.
Vingt-huitième jour
Promptitude et faiblesse
En recommandant la vigilance et la prière, Jésus en donna ce motif : « Spiritus quidem promptus est, caro autem infirma » (Matthieu 26, 41), parce que l'esprit est prompt à s'élever vers l'avenir, et à former de beaux projets, mais la chair est faible à les réaliser, et à tenir nos meilleures résolutions. Une trop grande confiance dans la promptitude de l'esprit, doit nous faire craindre d'autant plus la faiblesse de la chair.
Méditation
I. Le Verbe incarné, pendant sa vie mortelle, avait eu la promptitude de l'esprit, et il avait vivement désiré sa passion ; mais à peine l'heure de souffrir est-elle venue, qu'il éprouve la faiblesse de la chair et tombe en agonie. De même nous concevons dans la joie, mais nous enfantons dans la douleur, et peut-être ne participons-nous jamais mieux à l'agonie du Sauveur, qu'au moment d'accomplir, comme lui, ce qui doit contribuer à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Si notre esprit est généreux, comme le sien, à vouloir ce qui est saint et utile, prompt à trouver les moyens de le faire, notre chair est faible dans l'exécution ; elle sent la peine et la fatigue, elle nous force à dire quelquefois : ah ! Qu'il en coûte pour faire le bien ! Sommes nous alors courageux, comme Jésus, pour aller au-devant des difficultés ?...
II. Les apôtres avaient prouvé la promptitude de leur esprit, quand ils avaient dit : « Nous mourrons avec vous » (Marc 14, 31) ; maintenant ils prouvent l'infirmité de leur chair, en se livrant au sommeil précurseur du renoncement ou de l'abandon. Nous-mêmes ne prouvons-nous pas cette promptitude de l'esprit dans les moments de ferveur ? par exemple, lorsque, dans la joie d'une première communion, nous renouvelons nos promesses du baptême ? Mais vienne l'adversité, vienne la tentation, nous ne montrons plus que la faiblesse de la chair. Cette promptitude et cette faiblesse, en un même sujet, nous causent parfois une sorte d'agonie. L'agonie est un abaissement de la vie : notre vie ne s'abaisse-t-elle pas par la faiblesse de la chair ? L'agonie est un combat : le combat, ne se ranime-t-il pas en nous par la promptitude de l'esprit ? Chacun de nous peut dire : Il y a deux hommes en moi, l'homme de l'esprit et l'homme de la chair ; et ces deux hommes se font souvent la guerre. Puisse cette lutte intérieure m'apprendre à être plus indulgent pour le prochain, plus miséricordieux dans mes jugements !...
III. Le tour de phrase dont se servit le divin Maître, attirait l'attention de ses disciples sur la faiblesse de là chair, plus que sur la promptitude de l'esprit, et la leur présentait comme ce qui les exposait le plus à entrer dans la tentation ; car l'esprit est prompt à la vérité, mais la chair est bien faible. Saint Paul insistera aussi davantage sur cette infirmité de la partie animale de notre être, puisqu'il en gémira souvent dans ses épîtres. Le principal motif de cette insistance est, sans doute, que la faiblesse de la chair n'est pas une simple absence de forces, quelque chose de purement négatif, mais une résistance positive à l'esprit par la violence des désirs contraires. Cette faiblesse de la chair n'est point semblable à la débilité d'un malade ou d'un enfant, qui n'est capable d'aucun effort ; on doit la comparer à la résistance d'un homme sain et robuste, d'un athlète ferme et vigoureux, combattant contre un autre qui prétend l'assujettir. Que faisons-nous pour diminuer cette résistance de la chair aux mouvements de l'esprit ? Nous imposons-nous des privations ou quelques macérations, comme le grand apôtre qui châtiait son corps pour le réduire en servitude (1 Corinthiens 9, 27) ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. IX,ch. XI, Promptitude de l'esprit et faiblesse de la chair en nous-mêmes.
Pratique : Gardons-nous d'accroître la fragilité de la chair, en prenant les habitudes d'un siècle sensuel, où chacun cherche ses aises et veut trouver partout le confortable. Défions-nous de l'ardeur même de l'esprit, qui peut devenir pour nous un danger, parce qu'elle naît quelquefois de l'orgueil et engendre la présomption. A la mortification unissons toujours l'humilité.
Exemple
Saint Thomas d'Aquin, à peine âgé de seize ans, s'enfuit de sa famille qui s'opposait à sa résolution d'entrer chez les dominicains. Surpris en route, il fut ramené au château d'Aquin et resserré dans une étroite prison. Une courtisane fut même introduite dans sa chambre. Aussitôt, prenant un tison enflammé, il repousse et poursuit la misérable. Puis, avec le même tison, il trace une croix sur le mur, tombe à genoux et renouvelle le vœu qui le consacrait entièrement au Seigneur. Pendant qu'il priait, un doux sommeil s'empara de lui. Les anges le visitèrent dans cette extase de la virginité, et ceignirent ses reins d'une ceinture, en lui disant : « Nous venons à toi, de la part de Dieu, te conférer le don de virginité perpétuelle ». Le cordon miraculeux que Thomas avait reçu des anges, et qu'il porta jusqu'à la fin de sa vie, fut donné à la maison des dominicains de Verceil, en Piémont. Sur ce modèle furent faits d'autres cordons semblables, qui devinrent la marque distinctive d'une nouvelle association, nommée la Milice Angélique, dont le but était de conserver ou de reconquérir le trésor de la pureté. Cette légion sainte, armée pour le triomphe de l'esprit sur la chair, se répandit avec une merveilleuse rapidité dans toutes les contrées de l'Europe, et s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Les riches et les pauvres, les rois et les reines se firent gloire, pendant plus de cinq siècles, de porter le cordon de saint Thomas et de la sainte Vierge ; il devint surtout en usage parmi les étudiants de toutes les universités.
Vingt-neuvième jour
Prière répétée
Jésus agonisant se tourna trois fois vers son Père pour demander grâce, et trois fois il parut repoussé. Il s'approcha trois fois de ses plus chers disciples, comme pour en recevoir un peu de consolation, et trois fois il les trouva endormis. Comment cette réitération des mêmes efforts, toujours infructueux en apparence, n'aurait-elle pas aggravé l'agonie du chef, puisqu'elle aggrave tous les jours l'agonie des membres, nos luttes et nos souffrances morales ?
Méditation
I. Le Sauveur au jardin des Olives fit trois fois la même prière, oravit tertio eumdem sermonem dicens (Matthieu 26, 44). Il répéta les mêmes choses, et presque les mêmes paroles. Cette répétition peut se rapporter au transeat, au calice dont il demandait l'éloignement, et dans ce cas l'identité des termes n'excluait point la variété des intentions. Par ce calice, le divin agonisant ne pouvait-il pas indiquer tantôt une chose, tantôt une autre ? Cette répétition peut s'entendre du fiat, c'est-à-dire de la résignation qui, dans l'expression comme dans le sentiment, était générale et s'étendait à tout, mais qui pouvait admettre quelque variété dans les termes : « Que votre volonté soit faite et non la mienne (Luc 22, 42), non ce que je veux, mais ce que vous voulez (Marc 14, 36), comme vous voulez et non pas comme je veux (Matthieu 26, 39). Toutes les prières ne sont-elles pas résumées ou renfermées dans celles-là? Et n'est-ce pas cette partie de sa prière que Notre-Seigneur répéta surtout ? Est-ce aussi ce que nous aimons à répéter le plus, fiat ! Fiât !? D'ordinaire nous ne répétons volontiers que le transeat de la répugnance : loin de moi cette épreuve, loin de moi ce mépris, loin de moi cette douleur ! Notre parfait modèle l'a dit en son agonie, mais en ajoutant chaque fois le fiat de la soumission. L'imitons-nous ?...
II. Cette répétition se rapporte à l'ensemble, et s'entend de toute là prière de Notre-Seigneur. Il la répéta plusieurs fois intégralement, et voulut nous apprendre ainsi à persévérer dans nos demandes, à les renouveler même avec une constance toujours plus grande. Car notre insistance finit par obtenir ce qui pourrait être refusé à notre indignité. Cette importunité réjouit merveilleusement notre Père céleste. S'il diffère de nous accorder ses dons, son motif ordinaire est de nous les faire demander lus souvent et plus instamment. La foi, l'humilité, le respect et la confiance préparent les grâces, mais c'est la persévérance qui nous les obtient. Nous obstinons-nous dans la même prière, dans la même demande ?...
III. Le bon Maître voulait aussi nous montrer qu'une première résignation, une première acceptation du calice, ne suffit pas de notre part, et que nous devons réitérer souvent les protestations de notre obéissance, avec les prières qui peuvent seules nous obtenir cette conformité. Le Fils de Dieu ne s'était-il pas pleinement soumis dès la première fois, et son sacrifice n'avait-il pas été sans réserve ? Cependant il réitère les mêmes instances, pour s'entretenir dans ces heureuses dispositions. Pourquoi donc nous, qui sommes si changeants et si faibles, ne réitérerions- nous pas les mêmes exercices de piété, la méditation, l'examen, la confession, la visite et la communion ? L'Église le fait, comme son divin Époux. C'est la manne qui tombe toujours la même dans le désert de cette vie, mais qui a tous les goûts et toutes les délices (Sagesse 16, 20). Sommes- nous fidèles à la recueillir ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. IX, ch. XIV, Répétition des mêmes prières.
Pratique : Combattons la paresse de l'esprit, qui met obstacle à notre persévérance dans les mêmes prières, à nos progrès dans l'oraison, à notre perfection dans la vie contemplative. Tenons-nous en garde contre la manie de changer ou de multiplier les pratiques de dévotion, parce qu'elle n'est qu'une pure impatience de notre nature, qui veut toujours courir à cent choses, et qui n'aime rien tant que la nouveauté.
Exemple
La charité de saint Paul était un vaste et profond océan ; il donnait quelque soulagement à l'impétuosité de ses flots, en multipliant ses prières, en réitérant ses instances pour les enfants d'Israël. Pour eux l'affection de mon cœur, écrivait-il. et pour leur salut ma prière à Dieu (Romains 10, 1).La charité divine fut toujours le foyer du plus ardent patriotisme, et, en vivant ou en mourant pour Jésus-Christ, les saints priaient très souvent pour leur patrie. Ils prient encore pour elle comme pour leur famille, comme pour lEghse, et ils ajoutent à la prière le sacrifice. Pour décider le Seigneur à donner des grâces de choix, les religieuses du Cœur agonisant réitèrent chaque jour leur vœu d'immolation. Il les oblige au jeûne hebdomadaire et cette pratique extérieure de mortification a pour but de leur rappeler abattement corporel, auquel la sueur de sang réduisit le divin Maître. Il les oblige à l'exercice quotidien d'intercession, et cet exercice répond à la prière prolongée que fit l'Homme-Dieu dans le jardin des Oliviers. Quoi de plus éloquent que le cri de miséricorde poussé par toutes ces épouses du Sauveur, qui viennent au pied de l'autel s'associer à son sacrifice, unir leur prière à sa Prière, leur agonie à son agonie ! Des faits nombreux ont prouvé qu'elles obtiennent les grâces variées et puissantes, surtout des pensons inespérées, des conversions sincères, des morts édifiantes. Mais elles laissent à Dieu le soin de révéler ces faits. Leur vif désir est de rester elles-mêmes dans l'ombre et l'oubli, pour mieux imiter Jésus agonisant, dont la prière et le sacrifice sur le mont des Oliviers se firent dans le silence de la nuit.
Trentième jour
Les prévisions
Après avoir réveillé une troisième fois ses disciples, le divin Maître leur dit : « Il suffit, l'heure est venue, voici que le Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs, Ecce Filius hominis tradetur. Levez-vous donc et allons. Voici que celui qui va me livrer est proche » (Marc 14, 41-42). Ces mots nous révèlent en Notre Seigneur cette prévision des épreuves, qui est souvent en nous une cause d'agonie, de souffrance, d'accablement.
Méditation
I. Les dernières paroles de Jésus agonisant à ses trois apôtres préférés, nous apprennent l'efficacité d'une résignation parfaite secondée de la grâce : il n'est rien de si pénible qu'elle ne nous fasse endurer ou entreprendre avec intrépidité ; elle réveille et fortifie toutes les puissances de L'âme. Notre Seigneur avait tremblé, avait été accablé de tristesse, s'était étendu sur la poussière et avait répandu une sueur de sang ; mais depuis qu'il s'est résigné pleinement à la volonté de son Père, il est plein d'ardeur pour affronter les redoutables épreuves qu'il prévoit, et il s'écrie lui-même : « En avant ! Venit hora », voici l'heure attendue depuis tant de siècles, voici l'heure que j'ai toujours regardée depuis le premier instant de ma vie, voici l'heure de ma détention et de votre affranchissement. Voici l'heure d'offrir aux hommes un suprême exemple de courage et de force, afin que, dans les occasions où ils se verront assaillis de difficultés, ils se souviennent de moi et surmontent tout généreusement, comme ils m'auront vu faire. Et pour qui va-t-il le faire ? pour qui court-il au-devant des souffrances prévues ? pour des indifférents, pour des ingrats, pour ses bourreaux eux-mêmes. Le Cœur agonisant de Jésus est un immense brasier d'amour ; le vent de l'ingratitude en rend la flamme plus vive et plus ardente. Ah ! Je veux en approcher mon cœur, pour qu'il s'embrase aussi et lui devienne semblable...
II. Les pécheurs désignés par la parole de Notre-Seigneur, in manus peccatorum, sont les Romains idolâtres, les Juifs déicides et Judas le traître. Cette connaissance anticipée de la trahison, de l'arrestation, de tous les détails de la passion, rendit plus douloureuse pour son Cœur toute sa vie mortelle, et en particulier son agonie. Dès son entrée en ce monde, il était homme pour sentir cette peine dans toute son étendue, et Dieu pour la prévoir dans toutes ses circonstances. Durant la passion, il y eut peu d'intervalle entre les différents supplices, à peine lui donnait-on le loisir de respirer ; néanmoins il ne les souffrit pas tous à la fois, au lieu qu'au jardin ces maux vinrent en foule assaillir son âme désolée : elle découvrit d'une seule vue toute cette longue et tragique histoire. Or tel qui pourrait résister en détail à tous ces malheurs, est accablé par la multitude. Le Sauveur fut d'abord abattu, mais avec quelle énergie il se releva ! Ainsi la grâce corrige et complète la prévision naturelle, qui souvent exagère les maux à venir, et nous abat plus qu'elle ne nous relève ; la grâce en fait la prévoyance chrétienne, qui prie avec Jésus, se mortifie avec Jésus, et se relève avec Jésus en face des difficultés réelles, pour les affronter de grand cœur...
III. Notre âme a deux facultés qui multiplient pour nous les douleurs et les épreuves. La mémoire et la prévoyance ne sont-elles pas en nous comme deux échos, qui répètent tous les sons lamentables, ou comme deux miroirs qui réfléchissent toutes les images sombres et attristantes ? Nous oublions plus facilement nos joies que nos douleurs, et nous sommes plus prompts à prévoir la peine que le plaisir. Cette prévision nous sert-elle toujours à augmenter nos mérites, en multipliant nos actes de résignation ? C'était dans sa prière que le Fils de Dieu prévoyait et acceptait toutes ses épreuves ; le temps de nos exercices de piété n'est il pas aussi le plus favorable à la prévoyance, et à l'acceptation de nos croix ? L'oraison du matin et la retraite annuelle sont des actes de prévoyance pour toute une journée, pour toute une année. La vie spirituelle est une continuelle prévoyance, et les saints furent les plus prévoyants de tous les hommes. Sous ce rapport, sommes-nous les enfants des saints ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. XI, ch. I, Prévoir les épreuves.
Pratique : Étendons notre prévoyance jusqu'au dernier instant de notre vie, afin que la mort ne puisse nous surprendre, quand même elle serait subite. Propageons la confrérie de la Bonne-Mort, et les associations de prières pour les défunts. Si nous le pouvons, consacrons un jour par mois à l'exercice de la préparation à la mort.
Exemple
Mademoiselle de Saint-Légier de la Sauzaye avait le zèle des malades. Ce fut à leur chevet qu'elle reçut l'inspiration d'établir une œuvre spéciale pour les aider à bien mourir, et pour préparer l'habitation de l'indigent à la visite du suprême consolateur. Bientôt, avec le concours d'une autre pieuse demoiselle, vouée comme elle au service de Notre-Seigneur dans la personne des pauvres, elle fonda l' Œuvre du Saint-Viatique. Elle put en constater les heureux fruits, mais elle mourut avant de la voir érigée en archiconfrérie. Cette érection date du 13 avril 1874, et le siège de l'archiconfrérie est la basilique de Saint Pierre à Saintes (Charente Maritime, France). Les associés commencent par remplir auprès des malades le ministère d'anges de paix, de bon conseil et de pieuse assistance ; ils leur inspirent des sentiments de foi et de confiance en Dieu, ils les disposent à se confesser, puis à communier ; ils ornent la chambre, et y portent toute une petite chapelle. Ils accompagnent le Saint-Viatique, et après que le prêtre s'est retiré ils n'abandonnent pas le mourant : ils l'exhortent à unir ses souffrances à celles du Sauveur, et prient avec lui et pour lui. « Quelle consolation pour le prêtre, écrivait-on, de trouver des chrétiennes au cœur brûlant d'amour pour Jésus, qui mettent leur bonheur à préparer les âmes, et à faire oublier aux pauvres le dénuement de leur mansarde, lorsque Dieu vient les visiter ! Aussi je désire vivement que l'OEuvre s'établisse partout ».
Trente-et-unième jour
Le Cœur compatissant de Marie
On croit que la Vierge-Mère eut le privilège de savoir ce que son Fils endurait, et d'unir son Cœur compatissant au Cœur agonisant de l'Homme-Dieu. Plusieurs âmes d'élite ont même pensé que Marie fut corporellement présente auprès de Jésus agonisant dans le Jardin, comme elle se tint debout auprès de Jésus mourant sur le Calvaire.
Méditation
I. La prévoyance avait fait de la vie de la Mère, comme de la vie du Fils, une longue agonie, et tout ce que les prévisions de Jésus avaient de plus douloureux, s'était réfléchi dans les prévisions de Marie, comme dans un miroir fidèle, afin d'augmenter sa participation aux souffrances qui devaient nous sauver. Marie fut ainsi, après Jésus, le plus parfait modèle de la résignation dans la prévoyance, et afin que sa résignation fût plus méritoire, sa prévoyance s'étendait au delà de ses maux personnels, à tous les maux de celui qu'elle aimait plus qu'elle-même. Elle n'aurait pu supporter un tel poids de douleurs, s'il n'avait été tempéré par de fréquentes consolations. Le Cœur agonisant de Jésus appelait donc le Cœur compatissant de Marie, et comme c'est au jardin que l'un fut le plus agonisant, c'est alors que l'autre fut le plus compatissant. L'agonie du Fils causa l'agonie de la Mère, et celle-ci à son tour rendit celle-là plus cruelle. Les honorons-nous toutes deux, par un pieux souvenir et une efficace compassion ?...
II. Pour aller du cénacle au jardin des Oliviers, pour courir à la mort, le Sauveur avait dû s'éloigner de sa Mère ; mais il ne s'en était séparé que de corps : il lui laissa tout entier son Cœur, et demeura toujours avec elle par la pensée et l'affection. L'amour qu'il avait pour sa Mère, fut un clou qui lui perça le Cœur, et l'attacha à une croix intérieure. Il voyait Marie présente à tous les mystères de sa passion, il voyait toutes les plaies de son corps se réunir et se ramasser dans le Cœur virginal de cette Mère bien-aimée : la compassion qu'elle avait ainsi de sa mort, le faisait plus souffrir que sa mort même. Voilà comment, rapprochés par un amour sans bornes, les Cœurs sacrés de Jésus et de Marie s'embrasaient de plus en plus l'un pour l'autre, et leurs flammes en s'unissant rendaient plus ardente la compassion réciproque pour leurs communes douleurs. Chaque coup qui frappait l'un ou l'autre de ces deux Cœurs, loin de trancher le nœud de leur amour, le resserrait davantage. En est-il ainsi de nous ?...
III. Venez donc, ô Marie, venez essuyer la sueur sanglante de Jésus. Et si vous n'avez pas de linge, essuyez, comme Madeleine, avec vos propres cheveux (Luc. vu, 38). Que de fois, lorsqu'il était encore enfant, vous avez essuyé ses larmes, en lui témoignant un souverain respect et une singulière dévotion ! Que de fois, le Cœur débordant de tendresse, vous lui avez donné un baiser ! Ce soir encore essuyez-le, baisez-le ! Non, vous ne pouvez être de corps auprès de lui, vous savez seulement ce qu'il endure dans son agonie. Mais cette connaissance suffit à déchirer votre Cœur, autant que si vous éprouviez vous-même ses angoisses. Votre Cœur est aussi brûlant que s'il était dans une ardente fournaise, et le feu de l'affliction vous pénètre tout entière. Durant cette triste nuit quelles paroles jaillirent de votre Cœur comme des étincelles ! « Ô mon Fils, disiez-vous, qui me fera la grâce de souffrir tous vos tourments, de mourir en votre place ? Ô Jésus, unique consolation de mon Cœur pourquoi ne me permet-on pas du moins de mourir avec vous ?... »N 'oublions-nous point ces gémissements de notre Mère ? (Eccle. 7, 29) Sommes-nous dans les sentiments où était Jésus (Philip, II, 5), où était Marie ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. XII, ch. VI, L'agonie de Marie.
Pratique : Imitons Notre-Dame du Mont des Oliviers, et invoquons son Cœur compatissant pour les affligés, les pécheurs et les moribonds. Dans le même but, répandons cette série non interrompue d'hommages, qu'on nomme Supplication perpétuelle au Cœur compatissant de Marie.
Exemple
Une noble veuve, très-zélée à répandre en Angleterre la dévotion qui nous occupe, offrait à Dieu tous ses efforts comme une prière pour des grâces nouvelles, comme un témoignage de reconnaissance pour les faveurs déjà obtenues. Une de ses parentes, ayant reçu une grande grâce par l'intercession de Notre-Dame des Victoires, voulait envoyer à Paris un riche ex-voto en métal. « N'y dépensez plutôt qu'une somme modique, lui dit la pieuse veuve, et faites offrir beaucoup de messes en action de grâces, en priant les prêtres que vous en chargerez, d'en remettre les mérites aux mains de la très sainte Vierge, pour qu'elle en fasse elle-même l'application aux âmes des agonisants, qui devront ce jour-là paraître devant Dieu. Ces âmes sauvées par la vertu du saint sacrifice, seront un ex-voto vivant et éternel, qui sera plus agréable au Cœur agonisant de Jésus et au Cœur compatissant de Marie ». Ce conseil fut suivi, comme on peut le voir dans les Annales de l'archiconfrérie du très saint et immaculé Cœur de Marie, numéro de décembre 1872. Combien de prêtres et de fidèles reconnaissants voudront aussi contribuer, par l'oblation du sacrifice de la messe, au salut des agonisants de chaque jour ! Les âmes ainsi sauvées deviendront dans le ciel autant d'ex-voto vivants, qui rendront éternellement témoignage de notre gratitude, pour les grâces dont nous sommes comblés ici-bas. Adressons-nous donc au Cœur compatissant de Marie, pour qu'il applique aux moribonds tous nos mérites et les mérites du sang de Jésus-Christ.
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Père Blot
Quinzième jour
La paternité divine
Le premier mot de la prière du Sauveur est, Mon Père, Pater mi (Matthieu 26, 39). Ce doux nom de Père excite en Jésus, au milieu même de ses plus poignantes douleurs, une confiance vraiment filiale : il n'hésite pas à se jeter entre les bras de Dieu, tant il est sûr d'en être exaucé comme un fils par un bon père. Pour la manière et la mesure, il s'en repose absolument sur sa providence paternelle.
Méditation
I. Jamais avant l'ère chrétienne, l'homme malheureux, l'homme suppliant, en s'adressant à la Divinité, n'avait osé lui donner le nom de Père. Mais le Sauveur le lui prodigue, même quand il en est le plus abandonné. Au jardin des Oliviers, il est accablé sous le poids d'une mortelle tristesse, et il dit : « Mon Père, que ce calice passe loin de moi » (Matthieu 26, 39). Sur le Calvaire, il est attaché à la croix, et quelle est sa première parole ? « Père, pardonnez-leur » (Luc 23, 34). Quelle est sa dernière parole ? « Père, je remets mon âme entre vos mains (Luc 23, 46). Voilà cet amour filial qui est le propre de la loi nouvelle. Que d'amour le Cœur agonisant met dans ces deux mots : « Mon Père » ! Que d'amour les saints, au milieu des plus grandes tribulations, n'ont-ils pas mis dans chacune des prières qu'ils faisaient à leur Père céleste ! Quel amour y mettons-nous ?...
II. C'était comme homme que Notre-Seigneur adressait à Dieu une prière proprement dite, et c'était comme homme qu'il disait : « Le Père est plus grand que moi » (Jean 14, 28). Alors le nom de Père désignait la Trinité entière. Mais dans la prière il pouvait désigner seulement la première personne, Jésus pouvait la prier seule, comme nous la prions nous-mêmes souvent, comme nous prions aussi la seconde et la troisième. On peut croire que, durant son agonie, le Sauveur pria tour à tour la Trinité entière et la première personne seulement ; qu'il désignait toute la Trinité, quand il disait simplement : « Père, Pater » ; mais qu'il s'adressait à la première personne, lorsqu'il disait en spécifiant : « Mon Père, Pater mi ». Or, comme les fleuves retournent à l'Océan d'où ils sont sortis, ainsi Jésus agonisant, par le sentiment filial qui correspond à cette double expression, retournait dans le sein de son Père, pour y trouver un abri contre les maux qui le poursuivaient. De même Isaac avait appelé Abraham son père, Pater mi, au moment où il allait être sacrifié par lui (Genèse 22, 7). Est-ce aussi dans le malheur et l'affliction, que nous faisons éclater notre piété filiale envers Dieu ?...
III. Trois témoignages, la soumission, les larmes et la sueur sanglante, se réunissent dans le jardin des Oliviers, pour attester la piété filiale de Jésus, et l'immensité de la douleur à laquelle il s'abandonne, afin de mieux glorifier son Père. Quand Pierre tirera le glaive pour le défendre, il l'arrêtera par ces mots : « Ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m'a donné ? » (Jean 18, 11) La souffrance est le don d'un Père, la persécution est une coupe d'honneur, que Jésus nous apprend à recevoir avec reconnaissance et amour. Hélas ! Nous voulons presque toujours un autre calice, que celui qui a été choisi pour nous par notre Père céleste. Nous ne voudrions aucune épreuve, ou du moins nous ne voudrions que celle de notre choix...
Lisez dans L'Agonie de Jesus, Liv. VII, ch. V, La paternité de Dieu dans nos épreuves.
Pratique : Souffrons patiemment, dans un silence d'adoration, en baisant la main divine et paternelle qui nous frappe. Il faut vingt vertus pour ne point abuser des charmes de la prospérité ; il n'en faut qu'une seule pour profiter des coups de l'adversité, la résignation à la volonté de notre Père qui est dans les cieux.
Exemple
Dieu prend un soin paternel des innocents persécutés ; sa sollicitude va jusqu'au miracle. Saint Macaire d'Egypte vit un jour se réfugier, dans sa pauvre cellule, un homme accusé de meurtre, et poursuivi par ceux qui avaient ordre de l'arrêter. Le saint demanda où l'on avait enterré le mort, s'y rendit avec les accusateurs, pria quelques instants, puis appela le mort par son nom et lui dit : « Je vous conjure par Jésus-Christ de déclarer si cet homme qu'on accuse, est celui qui vous a ôté la vie ? » Du fond du sépulcre, le mort répondit d'une voix fort intelligible : « Non, ce n'est pas lui qui m'a tué! » Les assistants se jetèrent aux pieds du saint, et l'innocent fut sauvé. Un autre jour, sciant du blé, Macaire. vit une pauvre femme, qui glanait après lui et pleurait continuellement. Il voulut savoir la cause de ses larmes, « On avait confié, dit-elle, un trésor en dépôt à mon mari, et parce qu'il est mort subitement sans dire où il l'avait mis, celui auquel il appartenait veut nous avoir pour esclaves, mes enfants et moi ». Le saint se fait conduire à l'endroit où le mari est enterré, appelle le mort et l'invite à déclarer où est le trésor dont il était dépositaire. « Il est dans ma maison, répond-il, on le trouvera caché au pied du lit ». La veuve l'y trouva en effet, le rendit au créancier et dégagea ses enfants.
Seizième jour
Que ce calice passe !
Jésus agonisant dit à son divin Père : « Que ce calice passe loin de moi, transeat a me calix iste ! » (Matthieu 26, 39). L'expression de calice est une figure qui désigne les souffrances, les ignominies, toute la passion du Sauveur. Elle paraît empruntée à l'usage de présenter, à tous les convives, une même coupe pleine de vin, dont chacun buvait à son tour.
Méditation
I. Le pronom démonstratif « iste », employé par les trois évangélistes, prouve que le divin Maître ne refuse pas tous les calices, mais seulement une espèce particulière. Il en repousse un, à cause de ses lamentables conséquences ; mais il en demande tacitement un autre, plus amer peut-être, afin d'opérer un bien plus universel ; il demande à souffrir en lui-même et en nous, dans son corps réel et dans son corps mystique, pour notre plus grand bien, comme pour la plus grande gloire de Dieu. Jusqu'à la fin des temps le calice de l'agonie, le calice de la douleur, fera donc le tour delà table, au banquet de la grâce, et s'arrêtera devant chacun des convives, pour que nous en buvions tous à la ronde. C'est notre Père céleste qui nous le présente, et l'impression des lèvres de Jésus y demeure. Ah ! buvons-en généreusement notre part, à l'exemple des grandes âmes qui se sont enivrées du vin de la croix...
II. Le mot calice signifie parfois un grand bonheur (Psaume 15, 5 ; 22, 5), et il peut désigner ici la coupe désirée par celui qui est prêt à tout souffrir, pour sauver l'objet de son amour. Parce qu'une charité infiniment libre lui faisait prendre notre place, Jésus agonisant regardait comme une coupe délicieuse, comme un calice enivrant, tout ce qu'il lui faudrait souffrir pour nous réconcilier avec son Père. N'avait-il pas déjà exprimé le désir de recevoir au plus tôt le sanglant baptême de sa passion ? (Luc 12, 50) Son amour n'était-il pas le plus cruel et le plus impatient de ses bourreaux ? Trois heures de retardement sont pour le Rédempteur un supplice, tant il est pressé d'accomplir son œuvre. Ah ! S'écrie-t-il, je veux éloigner ce calice en le vidant, en le vidant promptement, en le vidant jusqu'à la lie. Viens vite, ô calice tant désiré, approche-toi de mes lèvres, et passe ensuite rapidement loin de moi ! Avons-nous cette soif de souffrances, pour gagner des âmes à Dieu ?..
III. Quand il considérait notre intérêt, le Sauveur demandait que chacun de nous bût généreusement, après lui, le calice des peines et des afflictions de cette vie. Selon saint Hilaire, il disait : « Que ce calice passe loin de moi, non sans que je le boive, mais après que je l'aurai bu; qu'il soit bu par tous les autres, après avoir été bu par moi ». Que tous les convives assis comme moi au banquet de la douleur, dans la suite des siècles, boivent après moi cette coupe d'honneur avec courage et confiance. Du moins, ô mon Père, pour que les hommes profitent de ma passion, transmettez-leur une partie de mes souffrances, faites que l'horreur que j'ai de leurs péchés passe de mon Cœur innocent dans leurs cœurs coupables, et pour que ce calice leur soit plus salutaire, faites qu'ils le boivent avec moi ! Avons-nous la sainte ambition de souffrir, pour expier nos péchés et les péchés d'autrui ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. VII, ch. IX. Le calice d'amertume.
Pratique : Nous pouvons conjurer notre Père céleste de faire passer le calice de la mort, loin de ceux dont la vie est précieuse à la famille, à la patrie, à l'Église. Mais prions-le plus encore d'éloigner des âmes qui nous sont chères la mort spirituelle du péché. Imitons ces mères vertueuses qui, à la pensée du péché mortel où leur enfant pouvait tomber, s'écriaient : « Que ce calice d'amertume passe loin de moi ! Mon Dieu, plutôt la mort de mon enfant que la perte de son innocence ! »
Exemple
Souvent une personne pieuse et dévouée offrit à Dieu sa propre vie, pour la conservation d'une vie qui lui paraissait plus importante ; souvent aussi le Seigneur accepta cette offrande, et réalisa cet échange. Dans la nuit du 23 au 24 décembre 1823, le pape Léon XII était mourant, et venait même de recevoir le saint Viatique. Près de lui se tenait debout le vénérable Vincent Strambi, passionniste, ancien évêque de Macérata et de Tolentino. Il était environ une heure après minuit. Tout à coup ce prélat, inspiré de Dieu, demande au souverain Pontife la permission d'aller offrir le saint sacrifice de la messe, pour le rétablissement de sa santé. Il l'obtient, et en se retirant il dit : « Courage, Saint Père ! Il y a une personne qui présente à Dieu l'immolation de sa vie, pour la conservation de la vôtre ». La messe fut célébrée avec une ferveur, qui toucha profondément les assistants, et Dieu agréa l'offrande de Vincent ; car il rendit presque instantanément la santé à l'auguste malade, au grand étonnement de tous ceux qui se trouvaient présents. Vincent, à quelques jours de là, le 1er janvier 1824, payait son tribut à la mort. Combien de retours à Dieu, à la santé de l'âme, sont dus à l'immolation volontaire d'une personne, qui offre ses larmes et sa vie à cette intention, comme avait fait sans doute la mère de l'enfant prodigue, comme fit Monique pour Augustin !
Dix-septième jour
Que Votre Volonté soit faite
Notre-Seigneur nous avait appris à dire à notre Père céleste : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Matthieu 6, 10). Lui-même nous en donne l'exemple dans son agonie : « Mon Père, s'écrie-t-il, si vous voulez, éloignez de moi ce calice (Luc 22, 42). Mais s'il ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite, fiat voluntas tua » (Matthieu 26, 42). On ne demande pas que Dieu fasse ce qu'il veut : car qui pourrait s'opposer à lui pour l'empêcher de le faire ? Mais nous demandons sa grâce et son secours, pour faire nous-mêmes ce qu'il veut.
Méditation
I. La volonté du Seigneur est miséricordieuse : il veut que tous les hommes soient sauvés (1 Timothée 2, 4), il ne veut pas qu'un seul des plus petits périsse (Matthieu 18, 14). Sa volonté réunit toutes les perfections, par conséquent l'amour et la providence qui s'étendent à tout. Elle nous est cachée en certains détails, et suit parfois des routes qui nous paraissent contraires à ce qu'elle prétend, soit afin de ne point nous rebuter dès le commencement, soit afin de nous faire attendre plus patiemment l'issue. Mais soyons convaincus que, tant que nous serons en cette vie, tout ce qui nous arrivera par la volonté ou la permission de Dieu, n'arrivera que pour notre bien, même les persécutions, les injures, la pauvreté ou la maladie. N'est-il pas écrit qu'il fallait que Jésus lui-même souffrît pour entrer dans sa gloire (Luc 24, 26) ? Prenez donc mon cœur, ô mon Dieu, comme vous prîtes le Cœur agonisant de Jésus, pour le presser fortement par diverses épreuves, ainsi qu'un fruit mûr et choisi, afin d'en exprimer le suc délicieux de la résignation !...
II. Le plus souvent, la volonté de Dieu est médiate, se manifeste et nous atteint par des intermédiaires. Comme pour nous donner l'existence et le bonheur, il se sert du ministère des créatures ; de même pour nous envoyer des épreuves, il emploie ordinairement des messagers. Dans le second cas, notre soumission doit descendre à tous ses intermédiaires, comme dans le premier cas notre reconnaissance doit monter jusqu'à lui-même. En se cachant ainsi, il resserre les liens de la société humaine, il rend plus méritoires notre obéissance et notre gratitude, il fait de nos douleurs autant d'acheminements au tombeau. Savons-nous, comme le Verbe fait chair, descendre chaque jour par la soumission, et monter par la reconnaissance ?...
III. Jésus agonisant voit la volonté de son Père jusque dans la volonté de ses ennemis, il étend la volonté de Dieu jusqu'à la volonté des hommes. C'est le traître Judas, c'est le lâche Pilate, ce sont les Juifs, que le Père éternel a chargés d'exécuter sur son Fils incarné les arrêts de sa divine justice. Que votre volonté soit faite signifie donc, dans la bouche du Rédempteur : « Que la volonté de Judas, que la volonté de Pilate, que la volonté de mes persécuteurs et de mes bourreaux soit accomplie ! Que ce qu'ils veulent soit fait, que tout se passe comme ils l'entendent ! » Mon doux Maître, quelle opposition entre ma conduite et la vôtre ! Pour vous soumettre à la mort, aux plus horribles supplices, par amour pour moi, il vous suffit que les plus méchants des hommes le veuillent. Et pour me soumettre au plus petit mal, à la plus faible contrariété, à l'inégalité d'humeur des personnes chères qui vivent avec moi, il ne me suffit pas toujours que Dieu l'ordonne !...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. VIII, chap. IV, La résignation.
Pratique : Dans nos souffrances et nos malheurs, ne considérons et n'accusons ni l'avarice de ce parent, ni l'inconstance de cet ami, ni l'infidélité de ce serviteur, ni la méchanceté de ce concurrent. Mais allons jusque dans le sein de la divinité chercher le principe de nos peines. Car, encore que Dieu ne soit pas l'auteur du péché commis dans l'injustice qui nous est faite, il permet et il veut que nous en tirions un grand profit spirituel.
Exemples
Saint Vincent de Paul, dans toutes ses lettres, ne recommandait rien tant aux supérieurs de sa congrégation que la conformité au bon plaisir de Dieu. Il disait que Notre-Seigneur est une communion continuelle aux âmes vertueuses, qui se tiennent fidèlement et constamment unies à sa très sainte volonté, qui ont un même vouloir et un même non-vouloir avec lui. Il ajoutait que se conformer en toutes choses à la volonté de Dieu, et y prendre tout son plaisir, c'est vivre sur la terre d'une vie tout angélique, et même de la vie de Jésus-Christ.
Un des plus illustres otages de la Commune reconnut et bénit la volonté divine, qui faisait pour lui de la captivité une grâce de conversion. Le président Bonjean se confessa au P. Clerc, jésuite, le jour même où ils furent fusillés ensemble, le 24 mai 1871. Quelques instants auparavant il avait dit : « La crise que nous traversons me rappelle les dangers que j'ai courus sur mer. J'ai vu, dans la violence de la tempête, le gouvernail échapper aux mains du pilote, et le navire se balancer sur les abîmes. La main seule de Dieu le soutenait, et l'empêchait de sombrer. Voilà notre situation pour le moment. Qu'il fait bon alors s'abandonner à la conduite de Dieu, qui dirige tout à sa gloire et pour notre bien ! Comme cette pensée repose le cœur ! Comme elle me console quand je songe à l'affliction de ma famille ! ».
Dix-huitième jour
« Non ma volonté »
« Non ma volonté, non mea voluntas ! » (Luc 22, 42), s'écrie le Sauveur en sa prière, pour redresser notre volonté trop souvent tortueuse. Il commence par exprimer nos sentiments propres, et finit par nous faire exprimer les siens. En soumettant sa volonté en mon nom, il m'a mérité la grâce de soumettre aussi la mienne et de dire : « Ni ce que je veux, ni comme je veux, mais ce que vous voulez et comme vous voulez, ô mon Père ! »
Méditation
I. Pendant que la volonté supérieure ou de raison, en Jésus agonisant, adorait la volonté du Père céleste et s'y soumettait sans réserve, la volonté inférieure éprouvait une répugnance extrême à souffrir, parce qu'elle envisageait seulement ce que les souffrances avaient de contraire à la nature. Notre-Seigneur montrait ainsi une certaine volonté particulière d'homme, dans laquelle il figurait la nôtre, parce qu'il est notre chef. De même ses disciples ont parfois une volonté particulière, ils veulent quelque chose qui convient à leur intérêt, à l'affaire du moment. Mais dès qu'ils ont compris et reconnu que Dieu veut autre chose, ils préfèrent à leur volonté, à leurs désirs, à leurs répugnances, la volonté de celui qui est meilleur que nous tous; ils s'empressent de dire : « Non quod ego volo, sed quod tu, non ce que je veux, mais ce que vous voulez » (Marc 16, 36). Avons-nous cet Empressement à préférer la volonté de Dieu à la nôtre ?...
II. Notre-Seigneur s'attristait d'une mort, que Dieu voulait et ordonnait ; néanmoins il ne péchait pas, il ne cessait pas même d'être parfait. En lui, tous les mouvements de la volonté humaine qui ne tendaient pas à ce que Dieu voulait, n'étaient que des velléités ; de même qu'ils ne sont en nous que des velléités, quand nous disons : « Je voudrais bien que tel malheur ne m'arrivât pas, mais que la volonté de Dieu soit faite ! » De telles velléités ne sont pas des péchés, parce qu'elles ne nous font pas sortir du cercle, que le divin vouloir a tracé autour de nous ; on n'en sort, on ne pèche qu'en désirant, parlant ou agissant contre cette auguste volonté, parfaitement connue et déclarée par un précepte. Nous pouvons donc demander à Dieu le retour à la santé pour un malade, le retour à la paix et à la joie pour un affligé. Nous pouvons même faire de ces désirs et de ces prières des actes méritoires, en pratiquant la chanté ou la piété filiale. Il suffit que nous disions alors à notre Père céleste, comme son Verbe fait chair : Pourtant, non comme je veux, mais comme vous voulez, verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu » (Matthieu 26. 39). Le disons-nous sincèrement et du fond du cœur ?...
III. Rien n'est fort comme la volonté de l'homme unie à celle de Dieu. L'Écriture ne dit-elle pas : « Vir obediens loquetur victoriam (Proverbes 21, 28) ? L'homme qui obéit, c'est-à-dire qui soumet et conforme sa volonté à celle de Dieu, aura toujours des victoires à raconter, victoires sur l'enfer et sur le monde, victoires sur la fragilité de la chair et sur la paresse de l'esprit. Mais la volonté n'est jamais qu'avec l'amour, nous voulons ce que nous aimons, ce qui nous fait plaisir, et nous avons ordinairement en horreur ce qui nous cause quelque peine. D'où donc viendra la générosité dans nos actes, et la sublimité dans nos sentiments ? De l'amour de Dieu, et de la soumission à sa très sainte volonté. Le bon Maître souffrait comme le malade, qui consent à être amputé ou brûlé pour guérir, et qui supporte courageusement l'opération, bien qu'il n'aime ni l'amputation ni la brûlure, qu'il en ait même une grande frayeur. Mais Jésus agonisant aurait voulu souffrir plus encore, tant il désirait prouver à son Père son obéissance, et aux hommes son désir de leur salut. De même les martyrs ont souffert contre leur volonté naturelle les douleurs et les tourments ; mais ils étaient heureux de vaincre cette répugnance par amour pour Notre Seigneur, et d'accroître ainsi leurs mérites. Foulons donc aux pieds toutes les répugnances, pour nous soumettre à la volonté de Dieu ; nous nous élèverons plus haut dans la perfection et la félicité...
Lisez dans l'Agonie de Jésus, Liv. VIII, ch. V, La conformité.
Pratique : Goûtons le repos du cœur, en voulant tout ce que Dieu veut. Tâchons de connaître, en tout ce qui nous regarde, la volonté divine, et d'y conformer la nôtre. Pour nous consoler et nous soutenir dans nos épreuves, disons souvent : « Dieu l'a voulu ! ».
Exemples
Saint Ignace de Loyola avait un si ardent désir de voir Dieu, qu'il pleurait de joie en pensant à sa mort. « Néanmoins, disait-il, si on me donnait le choix de sortir à l'instant de ce monde, et d'aller au ciel jouir de Dieu, ou de rester sur la terre sans être assuré de persévérer dans la vertu, mais en rendant un service notable à la majesté divine, je préférerais demeurer en cette vie, ne regardant que Dieu, sans me soucier du péril » . Sainte Catherine de Sienne s'écriait : « Seigneur, il serait bon pour moi que tous lussent sauvés, et que moi seule, en gardant toujours votre charité, j'endurasse les peines de l'enfer, parce qu'il y aurait là pour vous un plus grand honneur et une plus grande gloire. Et si, en vous restant unie par l'amour, j'étais placée sur la bouche de l'enfer, pour fermer cet abîme de telle sorte que personne n'y tombât plus, j'en aurais une très-grande joie ». Durant trente-huit ans, pauvre, seule, abandonnée, en proie à toutes les maladies et à toutes les afflictions, sainte Lidwine ne demandait rien à Dieu, si ce n'est qu'il augmentât ses douleurs pour épargner les coupables et les convertir.
Dix-neuvième jour
Le Fiat dans le sacrifice
Jésus agonisant dit à son divin Père : « Fiat, fiat (Matthieu 26, 42 ; Luc 22, 42). Il avait déjà dit, et chacun de nous peut répéter après lui : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé » (Jean 4, 34). Un fiat sera donc pour les disciples, comme pour le Maître, un aliment aussi délicieux que fortifiant. Il embaume la bouche qui le prononce, il nourrit l'âme qui le médite, il est le pain quotidien de tout cœur qui tend à la perfection.
Méditation
I. Un seul fiat dans nos peines vaut mieux que mille actions de grâces dans nos joies. C'est le plus grand hommage que nous puissions rendre à Dieu, parce que c'est l'aveu le plus significatif de sa souveraineté sur toutes les créatures. Immoler notre volonté, ce n'est pas seulement un sacrifice plus excellent, parce qu'elle l'emporte en dignité sur notre corps, autant que celui-ci sur les biens extérieurs ; mais c'est encore un sacrifice plus étendu, un sacrifice universel, un holocauste, puisque c'est par la volonté que nous nous servons de tout le reste, et que donner notre volonté c'est tout donner. C'est donner l'écorce, c'est donner la moelle, c'est donner l'arbre entier avec ses fruits ; c'est offrir et sacrifier à Dieu tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes. Étendons-nous jusque là notre fiat ?...
II. L'incarnation du Verbe exposait la Vierge-Mère aux plus rudes épreuves. Son fiât généreux l'éleva en dignité, répara la désobéissance d'Eve, et donna au monde un Sauveur. Ce qui nous élève aussi et ce qui nous sauve, c'est le fiât répété dans la souffrance et le sacrifice. Combien de fois même une épreuve, supportée avec résignation, a-t-elle préparé une conversion, enfanté Jésus dans une ou plusieurs âme ? Dans la maladie, nous pensons parfais à ce que nous ferions pour Dieu et pour le prochain, si nous étions en santé. Unissons plutôt nos douleurs aux douleurs de Jésus-Christ, notre volonté à la volonté de Dieu. Cette union vaudra mieux que toutes les mortifications, que toutes les pratiques de piété, que toutes les œuvres de zèle. On ne glorifie jamais plus le Seigneur, qu'en faisant mieux sa volonté. Pour cela même on le sert plus sûrement en souffrant qu'en agissant. En sommes-nous convaincus ?...
III. Aux approches de la mort surtout, un fiat qui l'accepte avec ses rigueurs et ses suites, est l'acte d'une charité très parfaite, qui suffit certainement pour effacer tous les péchés de la vie. et pour mériter la gloire du ciel. Jésus agonisant n'est-il pas le modèle de tous les moribonds ? En éprouvant notre répugnance naturelle à mourir, il voulut la sanctifier ; en la surmontant il voulut nous communiquer sa résignation. Lorsque de pieux moribonds sont tranquilles et souriants en face du trépas, c'est que le Cœur agonisant du bon Maître les fait participer aux merveilleux effets de sa prière et de son fiât. mon Dieu, dès aujourd'hui j'accepte la mort, comme mon Sauveur l'accepta, produisant par sa grâce, et en union avec lui, cet acte d'obéissance entière et de soumission parfaite, dont il me donna l'exemple. Vous me commandez de mourir en punition de mes fautes, j'obéis, je meurs, et je meurs content parce que je meurs obéissant comme mon Jésus....
Lisez dans l'Agonie de Jésus, Liv. VIII, ch. VII, Le fiat de l'agonie.
Pratique : Ne souhaitons notre sanctification même que dans la mesure de la grâce, que le Seigneur a résolu de nous donner, Faisons plus de cas de son bon plaisir et de sa divine volonté, que de toute la perfection et de toute la sainteté possible. Pour les malades et les mourants que nous visitons, faisons en sorte que le fiât revienne sans cesse dans leur cœur et sur leurs lèvres. Invoquons pour eux le Cœur agonisant de Jésus, et tâchons qu'ils en prennent tous les sentiments.
Exemples
Saint François de Sales, frappé d'apoplexie et mourant, entendit un religieux lui faire cette question : « Si telle était la volonté de Dieu, ne voudriez-vous pas bien mourir en ce moment ? » « Si Dieu le veut, répondit le saint malade avec un doux sourire, je le veux aussi ». « Monseigneur, lui dit le Père Maniglier, jésuite de ses amis, qui était accouru près de lui dès qu'il avait appris l'accident, dites : Transeat a me calix iste, que ce calice passe à côté de moi sans que je le boive ». « Oh ! Non, répondit-il, il vaut mieux dire : « Mon Dieu, que votre volonté se fasse et non la mienne ».
Le roi Louis XIII, près d'expirer au château de Saint-Germain-en-Laye, demandait à Vincent de Paul quelle était la meilleure manière de se préparer à la mort. « Sire, répondit le saint, c'est d'imiter celle dont Jésus-Christ se prépara à la sienne, et de se soumettre entièrement et parfaitement, comme il fit, à la volonté du Père céleste : Non mea minutas, sed tua fiat ! » « Jésus, reprenait le religieux monarque, je le veux aussi de tout mon cœur. Oui, mon Dieu, je le dis et le veux dire jusqu'au dernier soupir de ma vie : Fiat voluntas tua ! » Puis il parlait gaiement de son dernier voyage. Un de ses médecins lui ayant dit qu'il avait encore tout au plus deux ou trois heures à vivre, le prince joignit les mains, regarda le ciel, et s'écria sans montrer d'altération : « Eh bien, mon Dieu, j'y consens et de bon cœur ».
Le 19 mai 1818, le pape Pie VII accorda une indulgence de cent jours à la récitation de cet acte de conformité une fois le jour : « Fiat, Que la très juste, la très haute et très aimable volonté de Dieu soit faite, louée et éternellement exaltée en toutes choses ».
Vingtième jour
L'ange qui fortifie
Durant, son oraison, Notre-Seigneur vit un ange du ciel lui apparaître pour le conforter, angélus de cœlo confortans eum (Luc 22, 43). N'est-ce pas aussi durant la prière, n'est-ce pas souvent par le ministère d'un ange, ou d'une âme qui en a l'innocence et la charité, que les fidèles malheureux reçoivent la force et la consolation ?
Méditation
I. L'Évangile ne dit pas que l'ange ait consolé Jésus ; il dit seulement qu'il le fortifia, confortans eum. Il fut comme l'écuyer céleste du divin chevalier, il l'arma en quelque sorte pour cette lutte, pour ce combat, pour ce duel terrible qui devait se terminer par une complète victoire de la miséricorde et de la vie, par le salut du monde. Nous, hélas nous n'estimons la consolation qu'autant qu'elle peut nous soustraire à la lutte, à la fatigue, à l'ennui, à la douleur, à la croix, à la mort du vieil homme, ou du moins apporter à la partie inférieure un peu d'adoucissement et de relâche. Cœur agonisant de Jésus, apprenez-nous à n'estimer, à ne désirer, à n'accepter que la consolation qui accroît notre patience en proportion de nos épreuves, et qui nous donne des forces nouvelles pour nous préparer à de nouveaux combats !...
II. L'ange ne fortifie pas Notre-Seigneur en lui communiquant quelque vertu, ou quelque force, qui ne fût pas auparavant en lui ; toute la force divine est toujours restée dans le Dieu fait homme. Mais la partie inférieure de l'âme du Sauveur était, dans sa passion, comme abandonnée de la supérieure et privée de ses influences, afin de souffrir tout ce qu'elle pouvait souffrir. C'est pourquoi l'ange le fortifie, en faisant à cette partie inférieure de son âme une vive représentation du grand fruit de sa passion et de son sang, en lui mettant devant les yeux tant d'âmes dont il serait le salut et la vie, en le relevant par là de l'abattement où l'avait mis la vue de tant d'autres âmes, qui rejetteraient le prix de son sang, dont il serait par leur faute la perte et la ruine. L'envoyé céleste l'encourage et le conforte, en lui faisant voir toute la gloire qui suivra sa mort, la conversion des peuples, l'établissement de l'Église, la joie et le courage de tant de millions de martyrs, l'innocence de tant de justes, la pénitence de tant de coupables. Cœur agonisant de mon Sauveur, n'êtes- vous pas en effet consolé et ranimé par la joie, que vos anges eux-mêmes vous témoignent de la conversion des pécheurs ? Et toi, mon âme, pauvre enfant prodigue, par ton retour as-tu consolé ton Sauveur et ton Père ?...
III. Outre les consolations dont le motif nous est personnel, n'y a-t-il pas des consolations dont le motif se puise dans un généreux dévouement ? Un père, à la mort, se console en pensant à l'heureux avenir de ses enfants, lorsqu'il lui est donné de l'entrevoir. Moïse put s'affliger pour lui-même, mais il se réjouit certainement pour son peuple. De même Jésus goûta des consolations vraiment paternelles, pendant que l'ange déroulait devant lui le tableau de l'heureuse et sainte postérité, qui naîtrait de ses souffrances et de sa mort. Le céleste esprit lui montrait les fruits de sa passion, pour lui donner de la force, et non pour lui ôter l'amertume de sa douleur. Une telle consolation suffirait-elle à notre égoïsme ? Sommes-nous réjouis et fortifiés au récit, ou à la vue du bien accompli par d'autres ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. X, ch. IV, Les fruits de l'apparition.
Pratique : Ne cherchons pas notre consolation dans les nouveautés même pieuses ; mais soyons réservés à l'égard des apparitions et des prophéties, que l'autorité ecclésiastique n'a point encore approuvées. Que Jésus seul soit toujours pour nous l'ange des grandes consolations ; puisons les dans son Cœur agonisant ou dans son Cœur eucharistique.
Exemple
En l'honneur de l'ange consolateur, les Religieuses du Cœur agonisant ont un exercice spécial, où elles font cette prière : « Jésus, qui avez voulu être triste jusqu'à la mort au jardin des Oliviers, et qui, dans cet excès d'abattement, n'avez pas craint d'être soutenu et fortifié par un ange, ne rejetez pas le faible soulagement que vous offre, avec tout le respect, et tout l'amour dont elle est capable, la plus indigne de vos servantes. Permettez qu'après avoir uni ma prière à votre prière, mon sacrifice à votre sacrifice, pour expier mes ingratitudes et pour sauver les âmes des pauvres mourants, je me joigne, pour vous consoler, à l'auge consolateur de votre agonie. Permettez-moi de rester avec vous dans cette grotte solitaire, d'être témoin de vos angoisses, d'y compatir, de les partager, de boire avec vous jusqu'à la lie le calice d'amertume, que vous envoie votre Père céleste.
Glorieux ministre du Très-Haut, qui avez eu la sublime mission de consoler, de réconforter un Dieu, souffrez qu'avec vous je tienne fidèlement compagnie à mon Sauveur. Ah ! Que ne puis-je comme vous apporter quelque soulagement aux tristesses profondes de sa sainte âme, à l'agonie mortelle de son aimable Cœur ! Donnez-moi votre force, votre courage, votre amour, pour que je puisse prier avec Jésus, souffrir avec Jésus, mourir avec Jésus. Ainsi soit-il ».
Vingt-et-unième jour
La crise ou l'agonie
Depuis qu'il est au jardin des Oliviers, notre Libérateur n'a cessé de combattre pour nous par la prière et la souffrance. Mais un messager de son divin Père est venu lui montrer les fruits de la victoire : aussitôt il engage la lutte suprême, factus in agonia (Luc 22, 43), et entre dans une agonie qu'on a comparée souvent à une crise.
Méditation
I. Le mot crise signifie au propre l'effort que fait la nature dans les maladies, effort lui est d'ordinaire indiqué par une sueur ou par quelque autre symptôme, et qui produit un changement subit et marqué en bien ou en mal. Il signifie au figuré le moment périlleux ou décisif d'une affaire, n'est-ce pas ce que nous voyons dans l'Agonie du Sauveur, après qu'un ange est venu le fortifier ? Tous les mouvements des passions contraires, réprimés les uns par les autres, se brisent dans le Cœur agonisant de Jésus, et y font comme une crise d'amour qui lui fait rejeter le sang, que la crainte lui envoie pour le soutenir dans sa défaillance. La sueur de sang fut plutôt une suite de la crise, que la crise elle-même. Ce mot convient d'autant mieux ici, qu'employé seul il est ordinairement pris en bonne part, et restreint à signifier les crises salutaires. Ce n'est pas le Fils de Dieu qui est malade, c'est la pauvre humanité ; mais il daigne éprouver en soi la crise qui doit nous sauver tous. Avons-nous une telle charité ? Au moment décisif, pour assurer une conversion, redoublons-nous nos macérations et nos actes de patience ?...
II. Cette agonie, cette crise était entièrement libre en Jésus-Christ. Nous, nous entrons en agonie sans le vouloir, et c'est à contre-cœur que nous traversons une crise, un temps où la nature va faire effort pour produire un changement, qui sera peut-être notre ruine et notre perte. L'Homme-Dieu ne fut point saisi par l'agonie ; il entra plutôt en agonie, comme le soldat se présente au combat, après l'avoir désirée, après l'avoir cherchée. Tout homme a dans sa vie des moments plus pénibles, des moments plus périlleux, des moments plus décisifs et plus critiques. Quelquefois même, pour que nous ayons une plus grande ressemblance avec Jésus agonisant, le symptôme de cette crise, de cette lutte intérieure, est l'insomnie, l'agitation, la pâleur du visage, la sueur qui coule de tous les membres. Si alors nous ne ressemblons pas au Sauveur par la liberté, ressemblons-lui du moins par l'assiduité à la prière. Il priait davantage, prolixius orabat (Luc. 22, 43) : prolongeons aussi nos prières, aux heures de crise ou d'agonie de l'âme. Le faisons-nous ?...
III. Plus il priait et souffrait librement, plus notre divin Sauveur exprimait vivement et méritoirement en lui notre dernière agonie, cette crise suprême que nous subirons tous, et qu'il voulait tout à la fois adoucir et sanctifier. Comme cette crise est la plus importante, puisqu'elle va décider de notre éternité, c'est elle principalement qu'il veut représenter en soi, de manière à vérifier cette parole de saint Paul : Pour nous tous Jésus a goûté la mort, gustaret mortem (Hebreux, 9). Les autres agonisants, comme si leurs sens étaient déjà morts, ne peuvent plus goûter l'amertume du trépas. Mais au jardin des Oliviers, les sens du divin agonisant étaient pleins de vie, et les facultés de son âme avaient toute la liberté de leur exercice. Voulons-nous comme lui goûter, sentir, savourer toute l'amertume de la souffrance, pour qu'elle soit aux autres plus douce et plus profitable ?..
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. XI, ch. V, La crise.
Pratique : Pour mener une vie nouvelle, commençons par recevoir un baptême de souffrances, et prenons un bain d'humiliations, un bain de douleurs et d'épreuves. Ayons le courage d'agoniser pour la conversion d'un pécheur, pour la sanctification d'un juste, pour la conservation de la foi dans notre patrie, pour la prospérité de l'Église universelle.
Exemples
Sainte Madeleine de Pazzi, pour hâter le retour des enfants prodigues, aurait voulu souffrir et ne pas mourir, être immortelle dans la souffrance. Elle demandait instamment les infirmités corporelles les douleurs morales, les persécutions du dehors, et même tous les châtiments que les pécheurs avaient mérités par leurs fautes, sans en excepter toutes les peines du purgatoire. Par zèle pour le salut des âmes, elle s'offrit même à rester en enfer, au milieu des tourments, à la seule condition de ne haïr ni blasphémer jamais la divine majesté. On l'entendit s'écrier : « Quelle souffrance pour moi que de ne pas souffrir ! Je voudrais mourir mille fois dans les tourments, pour donner mille fois ma vie. Que ne puis-je à toute heure et à tout instant endurer le martyre, pour ramener les âmes à leur Créateur ! Mais ce ne serait plus pour moi un martyre, ce serait un paradis. Verbe de Dieu, pourquoi ne me faites-vous pas goûter les peines de l'enfer, afin d'apaiser, au moins en partie, la colère de votre Père ! ».
Sœur Madeleine Orsini trouvant ses tribulations trop longues, Jésus crucifié lui apparut. « Ah ! Lui dit-elle, vous n'avez été que trois heures en croix, tandis que je suis dans la peine depuis plusieurs années ». « Ignorante, repartit le Sauveur, depuis le premier moment de ma conception, je souffris dans mon Cœur tout ce que j'endurai plus tard sur la croix ! ».
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Le Mois du Coeur Agonisant de Jésus
Le Mois du Cœur agonisant
Huitième jour
« Mon âme est triste ».
« Mon âme est triste, tristis est anima mea » (Matthieu 26, 38), dit le bon Maître à Pierre, Jacques et Jean, pour les réhabiliter à leurs propres yeux. En l'entendant lui-même parler de sa tristesse, ils n'ont plus honte d'éprouver une telle tristesse, que saint Luc l'alléguera bientôt comme excuse à leur sommeil, dormientes prœ tristitia (Luc. XXII, 45).
Méditation
I. Comment peut-il être éclipsé par la tristesse ce soleil divin, qui fait briller de célestes splendeurs et surabonder de joies ineffables toute âme qui s'attache à lui ? Sa tristesse vient de sa charité. On s'attriste de ce qui est désavantageux à celui qu'on aime, et dans le cœur des hommes le poids de l'affliction est égal au poids de l'amour. Plus le Cœur de Jésus nous aime, plus il s'attriste de nos fautes, plus il s'attriste de nos maux. Notre aimable Sauveur n'est-il pas un médecin charitable ? Au chevet d'un malade chéri, auquel il donne les meilleurs remèdes, il s'attriste de l'indocilité de ce malheureux, qui rend tous les remèdes inutiles. N'est-il pas un père compatissant ? A côté de son enfant coupable, condamné mais impénitent, il se désole doublement et à cause du crime et à cause du supplice. N'est-il pas un époux tendre et jaloux ? En face de nos âmes, ses épouses bien-aimées, dont il voit toutes les infidélités, il est rempli de dégoût pour le présent, et de crainte pour l'avenir. stérilité de l'agonie de mon Maître, que tu es déchirante pour son Cœur si tendre et si aimant ! Quelle est mon affliction des péchés d'autrui ?...
II. Jésus s'attriste pour ses disciples, qu'il chérit plus qu'une mère ne chérit ses enfants, et qu'il va laisser comme des brebis sans pasteur, dispersés, exposés au scandale, livrés à la tentation. Il s'attriste plus encore pour la Vierge Marie, dont l'insondable douleur vient de la sienne, et reflue sans cesse vers son Cœur filial. Il s'attriste pour ses persécuteurs eux-mêmes, dont il voit déjà les châtiments terribles, et pour sa patrie aussi aveugle qu'obstinée. divin Sauveur des sociétés et des âmes, sur la pente de cette même montagne des Oliviers, avant de faire votre entrée triomphale dans Jérusalem, vous vous étiez arrêté pour considérer cette grande capitale, pleurer sur elle et en prédire la complète destruction (Luc. 19, 37-44). Quelle doit être votre tristesse en ce même lieu, à l'heure où vous savez qu'on va venir vous prendre, pour vous entraîner dans cette ville coupable, impatiente de consommer le déicide qui causera sa ruine! Et moi, comment ai-je prouvé mon amour à ma patrie malheureuse ?...
III. Le Cœur de Jésus fut crucifié sur le mont des Oliviers, avant que son corps le fût sur la colline du Calvaire ; la croix du jardin fut même plus rigoureuse, pour lui, que celle du Golgotha. Car la compassion est proportionnée à l'amour, à la connaissance, à la sensibilité. Qui sentit comme Jésus ? Qui connut comme Jésus ? Qui aima comme Jésus ? Il sent, il goûte, il savoure toutes nos peines ; il prend sur lui le détail des douleurs de chacun, la somme des douleurs de tous ; il endure à la fois toutes les croix des apôtres, tous les tourments des martyrs, toutes les mortifications des confesseurs et des vierges, toutes les austérités des religieux, toutes les afflictions des justes calomniés ou persécutés. Âmes délaissées, cœurs ulcérés, pauvres moribonds, Jésus agonisant jette sur vous un regard plein d'amour et de tendresse ; son Cœur est plus attristé de vos maux, que la Vierge-Mère n'était émue des douleurs de son Fils unique. Ai-je un peu de cette compassion pour le prochain ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. v, ch.VIII. Motifs de la tristesse de Jésus
Pratique : Si nous sommes tristes, ne parlons pas davantage aux hommes par nos plaintes, mais parlons davantage à Dieu par la prière. Aimons notre patrie, comme Jésus-Christ aimait la sienne, jusqu'à nous offrir en victimes pour en préparer le salut ou la conversion.
Exemple
Saint Paul éprouva l'agonie du patriotisme, en voyant les Juifs refuser l'Évangile, et courir ainsi à leur perte. C'est pour moi, dit-il, une grande tristesse tristitia mihi magna, c'est pour mon cœur une douleur continuelle, continuus dolor cordi meo, à tel point que j'eusse désiré devenir anathème, à l'égard de Jésus-Christ, pour les Israélites qui sont mes frères selon la chair (Romains 9, 1-4). Que dites-vous, ô grand apôtre ! S'écrie Saint Jean Chrysostome ? Vous demandez maintenant à être séparé de ce Christ tant désiré, dont vous affirmiez que rien ne vous séparerait jamais (Romains 8, 35-39). N'avez-vous plus le même désir ? Je vous entends me répondre : Mon désir n'est que plus ardent. C'est parce que je suis brûlant d'amour pour Jésus-Christ, que je demande d'en être séparé, non pas séparé de son amour, mais seulement de sa jouissance et de sa gloire. J'y consentirais pour que mon Maître ne fût pas blasphémé, pour qu'on ne dise plus : Il a promis aux uns et donné aux autres. Oui, volontiers, pour que l'on ne parlât point ainsi, bien que ce soit injustement, je renoncerais au royaume des cieux et à l'ineffable gloire, j'endurerais toutes les souffrances, estimant une grande consolation dans mes peines, de ne plus entendre blasphémer celui que j'aime si ardemment.
Neuvième jour
« Jusqu'à la mort ».
« Jusqu'à la mort », dit Notre-Seigneur, « mon âme est triste, usque ad mortem » (Matthieu 26, 38.) Cet aveu nous rappelle et le royaume sans fin qu'un ange lui avait prédit (Luc 1, 33), et l'amour qu'il nous témoigna jusqu'à la fin (Jean 13, 1). Son règne commencé par la mort s'accroîtra par la mort ; des douleurs sans limites et un dévouement sans réserves seront une semence de nouveaux sujets.
Méditation
I. Jusqu'à la mort, c'est la rigueur de la justice. Pour satisfaire surabondamment à la justice de Dieu, le Sauveur veut s'attrister, à cause de la mort qu'il doit subir en expiation de nos crimes, mort ignominieuse et cruelle, mort précédée de mille affronts et de mille tourments. Il aura beau prier son Père, il aura beau suer du sang, il devra bientôt s'humilier et obéir jusqu'à la mort, jusqu'au crucifiement ; il devra passer entre toutes les hontes et toutes les douleurs, comme une victime expiatoire, jusqu'à ce qu'il embrasse la croix et meure entre ses bras. Quelles répugnances en son humanité il lui faudra dompter auparavant ! « Mon âme sera triste, dit- il à ses trois apôtres privilégiés, jusqu'à ce que j'aie vaincu mes répugnances naturelles, jusqu'à ce que ma volonté soit morte à elle-même et ne vive plus qu'à Dieu ». Sommes-nous tristes, nous aussi, jusqu'à la mort de la nature ? Ne cherchons-nous de vraie joie que dans la mortification parfaite des appétits et des passions ?...
II. Jusqu'à la mort, c'est l'excès de l'amour. Un prodigieux amour fait que Jésus s'attriste de tous les délais, de tous les retards apportés à sa mort, parce que retarder son supplice c'est retarder notre Rédemption. « Oh ! que je souffre, s'écrie-t-il, jusqu'à ce que ce grand mystère soit accompli, quomodo coarctor usque dum perficiatur ! » (Luc 12, 50) ! Combien ce retardement me cause d'anxiété, d'impatience et de tristesse ! N'est-ce pas ainsi qu'un vaillant soldat s'afflige de voir retarder le signal de la bataille ? Ne pouvant plus tolérer ce délai, notre charitable Rédempteur s'abandonne lui-même à une si profonde tristesse, que tous les efforts de ses ennemis n'eussent jamais pu lui en causer une pareille, parce que la haine qu'ils ont contre lui, ne peut égaler l'amour qu'il a pour nous. Avons-nous cette sainte impatience de nous signaler au service de Dieu, de l'Église et de l'humanité ?...
III. Jusqu'à la mort, c'est la mesure de l'intensité. Suivant l'Écriture, un esprit triste dessèche les os (Proverbes 17, 22), et il est une tristesse qui fait mourir (2, Corinthiens 7, 10.) Incomparablement plus intense, plus accablante, plus excessive que toutes les autres, la tristesse de Jésus agonisant aurait dû mille fois lui donner la mort. « Mon âme est aussi triste, disait-il, que si je mourais déjà, que si j'expirais en ce moment. Cette tristesse serait même capable de m'ôter la vie, si je ne faisais un miracle e toute-puissance pour soutenir ma vie, jusqu'à ce qu'il me plaise de la sacrifier au milieu des tourments extérieurs, sur le Calvaire. Je puis dire encore que mon âme est triste, comme on est triste dans la mort éternelle ou dans l'enfer, non pas avec une rigoureuse égalité, mais avec une juste proportion. Je ressens la perte de chaque réprouvé, comme la perte d'un de mes membres, et je conçois une indicible tristesse de son malheur éternel ! » Sommes-nous disposés à faire pénitence pour les âmes, que nous voyons courir à leur damnation ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. v, chap. VII « Jusqu'à la mort »
Pratique : Ne nous attristons jamais comme ceux qui n'ont point d'espérance ; mais faisons de notre tristesse même, comme le Sauveur en agonie, une expiation féconde. Sachons renoncer aux consolations, accepter la douleur et le sacrifice, pour la délivrance de nos chers défunts, pour le salut éternel des mourants de chaque jour.
Exemple
Les religieuses du Cœur agonisant de Jésus forment, à Lyon, une communauté contemplative et cloîtrée, qui ressemble d'autant plus au jardin des Oliviers, qu'on s'efforce d'y représenter matériellement, moralement et mystiquement l'agonie du divin Maître. Aux trois vœux ordinaires de religion, on ajoute le vœu particulier d'immolation, c'est-à-dire le vœu de s'offrir en sacrifice à Dieu le Père, en union avec le Cœur agonisant du Sauveur, pour le salut des moribonds. Il oblige chaque religieuse à l'offrande quotidienne de sa vie, et cette offrande sincère et formulée extérieurement fait écho à celle que le divin agonisant réitéra plusieurs fois, en s'attristant et en obéissant jusqu'à la mort pour notre salut. Voici cette formule abrégée :
« Dieu éternel et tout-puissant, quoique je sois très-indigne de paraître devant vous, me confiant néanmoins en votre infinie bonté, je m'offre très-humblement en victime à votre divine Majesté, en l'honneur et union du Cœur agonisant de votre très cher Fils Jésus. Daignez disposer de ma vie, de mes prières et de mes souffrances, selon votre bon plaisir, pour le salut de tous les mourants, spécialement des mourants de ce jour. Ainsi soit-il ».
De saints prêtres ont demandé et obtenu de mourir aussitôt après avoir dit la messe, afin que le sacrifice de leur vie, uni à celui de l'Agneau sans tache présent en eux, fût plus agréable au Seigneur.
Dixième jour
« Veillez en priant ».
Dès le début, le Sauveur dit aux trois disciples choisis : « Veillez et priez » (Matthieu 24, 38 ; Luc, 22, 40) ; dans le cours de son agonie, il le leur répéta (Matthieu 26, 41 ; Marc 14, 38). Il nous le répète aussi, parce que la vigilance et la prière forment tout le fond de la conduite chrétienne, sont un remède et un préservatif, conviennent à tous les âges et à toutes les conditions.
Méditation
I. Le divin Maître ne veut pas que la veille qu'il recommande à ses disciples, soit un temps employé à des choses profanes ; il veut qu'elle soit consacrée à la prière, à l'oraison, aux élévations de l'âme vers Dieu ; il veut qu'à sa passion ses apôtres les plus aimés unissent leur vigilante compassion, leur instante prière, vigilate et orate. Cet exemple apprend aux supérieurs à ne pas dédaigner le secours, si faible qu'il soit, que peut leur procurer la prière de leurs inférieurs, quand même ceux-ci sont visiblement imparfaits. Sans doute la pressante exhortation du Sauveur parut d'abord être sans effet sur Pierre, Jacques et Jean, puisqu'ils s'endormirent presque aussitôt ; mais plus tard elle porta son fruit pour eux, comme pour les vrais fidèles, en leur faisant prendre l'habitude de veiller avec Jésus et de veiller en priant. Avons-nous cette habitude ?...
II. Ce n'est pas la première fois que Notre-Seigneur exige cette union de la vigilance et de la prière ; car nous voyons dans saint Marc qu'il avait déjà dit : « Veillez et priez » (Marc13, 33), et dans saint Luc : « Veillez donc en priant toujours, vigilate itaque omni tempore orantes » (Luc 21, 36). Partout il met la vigilance avant la prière, parce qu'on prie mieux et plus volontiers, quand on sait veiller. La vigilance est une préparation à la prière, et on retrouve avec plaisir dans l'oraison les yeux du Maître, à qui l'on vient de donner par la vigilance une marque éclatante de fidélité. Pour aimer à prier, il faut veiller ; dans les entretiens avec Dieu, les goûts et les consolations ne sont accordés qu'au recueillement, et aux sacrifices de la vigilance. D'où vient ma sécheresse fréquente dans l'oraison ? N'est-ce point de mes égarements et de mes distractions volontaires ?...
III. Cette fois « Vigilate mecum, veillez avec moi et priez », est une harangue brève et militaire, que Jésus adresse à ses soldats, avant de livrer le dernier combat. C'est le discours d'un général, qui dispose à une grande bataille sa petite armée, affaiblie, fatiguée, vaincue par le sommeil et la tristesse, avant de l'être par l'ennemi. Il ranime son courage et lui promet la victoire, mais à la condition de faire, par la vigilance, tout ce qu'elle peut, et d'obtenir de Dieu par la prière ce qu'elle ne pourrait pas. Toute la tactique du combat spirituel est là. Qui arme l'esprit ? La prière. Qui désarme la chair ? l vigilance. Le soin de veiller sur nos pensées entretient la pureté du cœur, qui produit une prière enflammée ; à son tour, l'oraison rend l'esprit plus prudent à se garder lui-même. Prier sans veiller, c'est présumer de la grâce ; veiller sans prier, c'est présumer de ses propres forces. Cette double présomption n'a-t-elle pas préparé mes défaites ?...
Lisez dans « L'Agonie de Jésus », Liv, IX. chap. VI Union de la vigilance et de la prière.
Pratique : Cultivons la vertu de prudence, et accusons-nous d'y avoir manqué. Soyons fidèles à la pratique quotidienne de l'examen de conscience, général ou particulier. Que notre vigilance mette tout en œuvre, afin que les secours de la religion soient offerts aux mourants et aux malades ; que notre prière s'efforce d'obtenir que ces secours soient acceptés avec empressement.
Exemple
Après avoir tout repoussé, un moribond sort d'un profond assoupissement et s'écrie : « Quelqu'un a prié pour moi, car je suis tout changé ; amenez-moi un prêtre ! » Sa petite-fille avait prié au pied de son lit, et s'était offerte à tout souffrir pour son salut. À Lyon un fervent laïque, qui visitait souvent un vaste hôpital, faisait circuler chaque semaine une liste des personnes qui s'y trouvaient en danger de mort, afin qu'on priât à leur intention : aucune ne mourut sans être convertie. A Paris un curé disait : « Depuis que j'ai établi sur ma paroisse cette sainte ligue de la prière et de la vigilance, pour le salut des agonisants, personne n'y est mort, à moins que ce ne fût subitement, sans être réconcilié avec Dieu ». Formons partout de semblables ligues, redoublons de vigilance et de prière pour nos chers moribonds. Récitons même souvent, pour les quatre-vingt mille mourants de chaque jour, cette courte invocation qui, comme un germe précieux fécondé par la bénédiction du Pontife suprême en 1850, a été répandue par le souffle divin dans le monde entier, pour y faire croître et s'épanouir la dévotion au Cœur agonisant du Sauveur, et qui maintenant monte sans interruption vers le ciel, de tous les points du globe et en toutes les langues :
« Très Miséricordieux Jésus, plein d'amour pour les âmes, je vous en conjure par l'agonie de votre sacré Cœur, et par les douleurs de votre Mère immaculée, purifiez dans votre sang tous les pécheurs de la terre qui sont maintenant à l'agonie, et qui aujourd'hui même doivent mourir. Ainsi soit-il ».
« Cœur agonisant de Jésus, ayez pitié des mourants ! »
Onzième jour
Les séparation du Cœur
Notre-Seigneur s'avança dans le jardin des Oliviers, en laissant derrière lui, à la distance d'un jet de pierre, les trois apôtres qu'il aimait. Il s'en écarta par charité; mais cette séparation, prélude et présage de tant d'autres, fut si douloureuse pour son Cœur, qu'il fut comme arraché, et ipse avulsus est ab eis (Luc 22, 41).
Méditation
I. Combien plus douce est l'expression employée par l'Évangile, en parlant de la mort du Sauveur qu'en parlant de sa séparation ! S'il meurt, c'est lui-même qui rend son esprit, emisit spiritum (Matthieu 27, 30), qui donne son âme ou sa vie, pono eam a me ipso (Jean 10, 18) ; on n'a pas besoin de les lui arracher. S'il se sépare, ce n'est qu'en faisant effort pour s'arrachera ses disciples et aux hommes, avulsus est. Aussi le disciple bien-aimé ne dit pas l'heure de la mort, mais l'heure de la séparation, hora ejus ut transeat ex hoc mundo (Jean 13, 1). I1 avait reposé sur le Cœur du divin Maître, il était entré dans ce Cœur, il avait vu quelle place y tenait chacune de ces deux affections, chacun de ces deux amours, l'amour de la vie et l'amour des hommes, la crainte de la mort et la crainte de la séparation. Cette heure suprême était incomparablement plus dure au Sauveur du monde, comme heure de la séparation, que comme heure de la mort. Ce qui nous sépare de Dieu, le péché mortel, nous est-il aussi plus amer que le trépas ?...
II. Nous séparer des créatures nous est parfois, comme à Jésus, une dure agonie. Notre cœur ne tient-il pas à ses affections, comme notre corps à ses membres ? Quand le vaisseau qui nous porte, veut quitter le rivage du temps, pour nous déposer sur la rive inconnue de l'éternité, notre cœur se sent retenu à la terre par de suaves et fortes affections ; il s'y rattache par tous ses membres. Une lutte s'engage entre nos attachements et nos devoirs, nous avons une heure, plusieurs heures peut-être d'agonie. Il faut que le maître du vaisseau, l'arbitre de la vie, Dieu même, frappe un coup de hache qui coupe les membres de notre cœur, nous détache du rivage, et mette par la mort un terme à notre agonie. Ah ! N'attendons pas cette heure décisive, pour trancher dans le vif, pour rompre des liens coupables ou dangereux ; arrachons de suite notre cœur aux affections terrestres, excessives et despotiques...
III. Survivre à la séparation, survivre à un être uniquement aimé, devient parfois une agonie et une tentation. C'est une agonie, parce que c'est un rapide abaissement de la foi contre ces émotions et ces souvenirs, qui nous plongent dans la tristesse et nous noient dans les larmes. C'est une tentation, parce que le vide qui se fait autour d'un cœur, accoutumé à se sentir aimé et appuyé, l'expose à se refroidir pour son Dieu, à murmurer contre la Providence, à trancher même le faible et dernier fil de sa vie. Cette épouse, cette mère, qui a perdu tous les siens, ne sent-elle pas que son existence n'est plus qu'une lente agonie ? Son cœur est sans élan, sa piété sans joie, et sa vie considérablement abaissée se consume et s'éteint, dans d'obscurs combats, pour rester fidèle à la vertu. Avons-nous du moins profité de cette agonie de la séparation, comme le bon Maitre, pour prier davantage, prolixius orabat (Luc 22, 43) ?...
Lisez dans « L'Agonie de Jésus », Liv. I, chap. III L'agonie du Jardin
Pratique : Me conduire en homme convaincu que d'être appelé au christianisme, c'est être appelé à la séparation, et que toute vocation à l'apostolat ou à la perfection religieuse, est une vocation à une séparation plus complète. M'estimer heureux et me montrer empressé d'adoucir, pour les moribonds et les survivants, toutes les douleurs de la séparation.
Exemple
Les religieuses du Cœur agonisant savent, par expérience, qu'en se séparant de leurs familles, elles obtiennent à leurs parents une fin plus chrétienne. La Mère Supérieure écrivait : « Ici c'est un vieillard qui se réjouit de l'espoir que sa fille, religieuse dans notre communauté, lui obtiendra la grâce d'une sainte mort. En effet, il conserve jusqu'à la fin, avec le parfait usage de sa raison, les dispositions les plus chrétiennes. Là c'est un homme encore dans la force de l'âge, modèle de droiture et de délicatesse, mais infidèle, malgré ses convictions de foi, à la pratique de la religion, Dès qu'il tombe malade, une de ses parentes qui vit parmi nous, nous fuit partager à toutes son anxiété ; et, comme elle, nous demandons instamment au Cœur agonisant de Jésus cette âme qui lui est si chère. Dès les premiers jours, le malade demande le prêtre pour se réconcilier avec Dieu ; et, dans toutes les phases d'une maladie rapide et douloureuse, il exprime les plus admirables sentiments de résignation et de patience. Il expire, après avoir baisé avec amour le crucifix, et en prononçant le nom de Jésus. Du reste, je crois que ce serait faire injure au Cœur du divin Maître que de douter qu'en se dévouant, pour le salut des mourants, on obtienne de sa bonté des grâces particulières à ceux qu'on n'a quittés que pour lui ». Oui, tous les religieux, par la vertu de leur holocauste, parle mérite de leur séparation volontaire, ouvrent souvent le ciel à un parent, à tin frère, à un oncle, à un père dont la vie s'écoula loin de Dieu.
Douzième jour
La solitude du Cœur
Le Sauveur voulut être seul dans une grotte, sous un rocher, pour avoir la liberté de dire, de faire et de souffrir, durant sa prière, tout ce qui conviendrait aux saints mouvements dont son Cœur était agité. Fixons nos regards sur cette grotte de l'agonie, pour apprécier les avantages de la retraite, ou de la solitude chrétienne.
Méditation
I. Solitude signifie un lieu éloigné de la vue ou delà fréquentation des hommes, et l'état d'une personne qui vit seule, qui est retirée du monde. Le lieu doit nous servir de passage pour arriver à l'état. Il ne serait pas solitaire, au sens chrétien du mot, celui qui, vivant en un lieu écarté, porterait dans son cœur tout un monde profane. La vraie solitude du cœur nous fait participer à la vie de Dieu en lui-même ; car elle est l'image de cette solitude éternelle, que le Verbe goûte dans le sein du Père. Bornée au dehors, l'action de Dieu au dedans est infinie, action de l'intelligence par la connaissance, action de la volonté par l'amour : se connaître et s'aimer lui-même, c'est sa vie. Le plus grand désir d'un cœur solitaire n'est pas non plus de faire beaucoup au dehors, mais de vivre intérieurement de la connaissance et de l'amour de Dieu. Cette vie d'union le rend très-utile aux autres, par les grâces qu'il leur obtient et les bénédictions qu'il leur attire. L'estimons-nous ?...
II. La solitude du cœur nous fait participer à la vie de Jésus agonisant. Il ne se borne pas à nous offrir l'exemple de la retraite et de la prière, il nous donne l'esprit d'oraison, l'amour de la solitude et une part à ses souffrances morales. Car la solitude a ses peines, la retraite a ses heures d'angoisses, et les âmes contemplatives sont les plus exposées à l'agonie. Plus nous nous retirons des créatures, plus le Créateur semble quelquefois prendre plaisir à se retirer lui-même de nous. Il ne nous abandonne jamais réellement ; mais nous sentons une sorte d'absence ou d'éloignement de Dieu. Une nous tient plus sensiblement compagnie, la nuit se fait autour de nous et au-dedans de nous, la tempête éclate et soulève des montagnes de tentations et de difficultés dans notre solitude, comme un vent violent soulève des montagnes de sable dans le désert. Ainsi le Sauveur fut éprouvé dans la grotte. Savons-nous souffrir et résister comme lui ?...
III. Les profanations et les impuretés, les calomnies et les rapines, Les violences et les injustices, affluent de tous les pays et de les siècles vers ce Cœur solitaire et abandonné : elles s'y ramassent comme des eaux fangeuses, qui rendent sa contrition grande comme la mer (Thren. II, 13). De même que les torrents et les fleuves, par une pente naturelle, se précipitent vers l'océan pour s'y déverser et en grossir les flots ; ainsi tous les crimes du monde, tous les torrents du vice et de l'impiété, entrent par mille canaux dans le Cœur de Jésus, pour y grossir cette mer de douleurs. Mais en se mêlant dans la mer, les fleuves perdent le nom et la qualité de leurs eaux, tandis que les eaux impures du péché, qui enflent et qui noient le Cœur agonisant, y demeurent distinctes : chaque crime y est marqué de sa laideur particulière, chaque faute y conserve sa propre difformité. Ô mes péchés, vous lui étiez donc distinctement présents, pour le tourmenter !...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. VI, ch. III. Ce que la solitude est pour nous.
Pratique : Pénétrons-nous bien de cette pensée : La solitude évangélique consiste dans l'éloignement de tout ce qui est de la terre, du monde et des hommes, et dans le rapprochement du ciel et de Dieu. Bénissons le Seigneur de tous ces abandons de nos proches et de nos amis, qui font souffrira notre cœur l'isolement et l'agonie.
Exemple
La bienheureuse Françoise d'Amboise avait gardé la virginité avec son mari, Pierre II, Duc de Bretagne. Devenue veuve, elle vit se liguer son père, ses oncles et le roi Louis XI, pour la contraindre à se remarier ; ils résolurent même de l'enlever, et gagnèrent à cet effet tous ses gens. C'était au printemps de 1462, dans la ville de Nantes. Enfermée, gardée à vue, Françoise mesura le danger ; mais quelle ressource lui restait-il ? une seule, celle qui ne manque jamais à l'homme abandonné, la prière. S'agenouillant donc, l'infortunée offrit à Dieu son isolement cruel, et son cœur brisé se répandit en supplications ardentes et résignées, comme autrefois le Cœur de Jésus au jardin des Oliviers. Elle priait avec tant de larmes et d'angoisses, qu'elle perdit beaucoup de sang par les narines, et se trouva plusieurs fois toute pâmée de douleur, à ce point que ses gardiens s'en effrayèrent, craignant qu'elle ne mourût. Ils lui rendirent donc la liberté. Mais le lendemain on prépara une litière pour l'y déposer de vive force, et des bateaux sur la Loire pour l'emmener à la cour de France. Elle se mit de nouveau en prière, et après minuit la glace couvrit le fleuve, depuis Nantes jusqu'à Mauves, liant ou brisant toutes les barques. Ainsi Dieu fit triompher de la violence des hommes une femme seule et délaissée. (E. de Kersabiec, La B. Françoise d'Amboise).
Treizième jour
La prière du Cœur Agonisant
Durant toute sa vie, la veille même de sa mort, en son agonie, Notre-Seigneur pria beaucoup pour lui-même et pour les autres. C'était une prière véritable et proprement dite, qu'il adressait ainsi à son divin Père. Il priait comme homme, mais d'une manière digne d'un Dieu, et son oraison était un moyen de nous obtenir de grandes grâces, comme sa mort en croix fut le moyen choisi pour nous racheter.
Méditation
I. Telle fut l'application du Sauveur à la prière, qu'il entra en agonie et sua du sang ; pour soutenir ou accroître encore son attention, il voulut prier du cœur et de la voix en même temps, orans et dicens (Matthieu 26, 39). Jésus prie du cœur : comme l'agonie a labouré, déchiré, brisé tout son Cœur, l'encens de la prière s'exhale de tout son Cœur. Nous, au contraire, nous avons souvent dans notre cœur des plis et des replis, d'où le parfum de la prière ne s'échappe pas, mais où le monde pénètre et avec lui ce qui nous distrait, l'amour des plaisirs et des vanités. Jésus prie de la voix ; mais ce n'est point par un effort de mémoire, c'est par l'effet d'une forte émotion qu'il prie vocalement. La prière vocale est-elle toujours, pour nous, le pied de l'échelle qui sert à monter vers Dieu, le moyen de recueillir et d'exciter notre âme, de produire par l'extérieur une émotion plus grande à l'intérieur ? Nous y recourons quelquefois par paresse, parce qu'elle exige moins. d'application. Quand donc comprendrons-nous que les exercices spirituels, comme les exercices militaires, veulent de l'attention, de la vigueur et de la persévérance ?...
II. Durant la prière, l'amour pour Dieu jaillit du Cœur agonisant de Jésus, comme une flamme impétueuse. Pourquoi demande-t-il à son Père ce qu'il pourrait avoir ou faire par lui-même ? parce que l'amour se plaît à demander, comme il se plaît à accorder, parce qu'il lui est doux de tout devoir à l'être aimé. Pourquoi soumet-il à la volonté de son divin Père tous ses désirs et toutes ses demandes ? pour lui prouver plus d'amour, en abandonnant tout à son bon plaisir. Dans nos prières, il nous faut aussi l'amour, un amour tout embaumé d'abandon et de conformité ; il nous faut vouloir uniquement ce qui plaît au Seigneur. Dieu travaillait à la gloire de son Fils, en n'éloignant pas le calice d'amertume ; ne travaille-t-il pas à notre vrai bonheur, en ne nous exauçant pas comme nous l'entendons quelquefois ?...
III. La charité pour le prochain, une charité active et pleine de sollicitude, accompagne aussi la prière de Jésus agonisant, puisqu'il l'interrompt trois fois, pour visiter ses disciples et les exhorter. Que les devoirs de la vie contemplative ne nous fassent donc pas négliger les devoirs de la vie active, les obligations et les vertus de notre état. L'aumône et le jeûne, la bienfaisance et la mortification, voilà quelles sont les mains de la prière : elle doit les lever toutes deux vers le ciel, pour être plus sûrement exaucée. L'Homme-Dieu, en son oraison, s'offrait comme victime pour le salut du monde ; que notre prière soit aussi vivifiée par des sacrifices, intérieurs ou extérieurs, pour l'Église et les âmes !...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. VII, ch. I, Utilité de la prière dans l'agonie.
Pratique : Chaque jour récitons l'oraison dominicale, dans le même esprit et avec les mêmes sentiments, que le Sauveur en agonie fit ta prière, parce qu'elles ont toutes deux de nombreux rapports. Chaque année, le mardi de la septuagésime, fête de l'oraison de Notre-Seigneur sur le mont des Oliviers, examinons nos prières et nos oraisons, pour les rendre de plus en plus conformes à celles du Cœur agonisant de Jésus.
Exemple
La prière du soir est un souvenir de la prière du divin Maître au jardin des Oliviers. En beaucoup d'endroits, les fidèles se réunissent pour la faire à l'église, et les familles chrétiennes la font en commun, ainsi que les apôtres auraient dû la faire. Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, établit dans son diocèse, en 1572, le pieux usage de prier tous les soirs, après la première heure de nuit, au signal donné par la cloche de l'église. Les personnes de la même maison étaient invitées à se réunir, et à prier ensemble pendant un quart d'heure. Le célèbre cardinal enseigna lui-même la manière de s'occuper durant cette oraison, et il obtint du Pape Grégoire XIII des indulgences, pour toutes les personnes qui prendraient cette louable habitude. Dans son homélie sur la passion, il rappelait à ses ouailles qu'il avait établi cette pratique, en mémoire de la prière de Jésus agonisant : « Ce fut selon sa coutume que le Sauveur alla, après la cène, prier sur le mont des Oliviers (Luc 22, 39). Milanais, mes chers fils, qu'elle est belle l'institution dont vous jouissez, lorsque le soir, à la seconde heure de nuit ou à peu près, au son de la cloche, en mémoire de cette très sainte coutume du Fils de Dieu, vous êtes invités à prier ! Certes, ceux qui veulent prouver qu'ils sont enfants de Dieu, et qui désirent avoir un même esprit avec Jésus-Christ, manquent à leur devoir, s'il n'adoptent pas cette sainte pratique, ou s'ils l'abandonnent ».
Quatorzième jour
La Face contre terre
Pour prier, Jésus agonisant mit les deux genoux en terre, positis genibus (Luc 22, 41). Ensuite saint Mathieu nous apprend qu'il tomba sur sa face, procidit in faciem suam (Matthieu 26, 39), et saint Marc qu'il tomba sur la terre, super terrain (Marc 14, 35). Il se prosterna donc et s'étendit sur la poussière.
Méditation
I. Le Sauveur en agonie prosterna tout à la fois son corps, son esprit et sa prière. Il tomba sur la face, sur la terre, en signe de la plus profonde vénération, pour fortifier par la posture de son corps les mouvements de son âme, pour lutter contre la tristesse, l'ennui et le dégoût dont elle était remplie, pour offrir à Dieu cette posture modeste et respectueuse, comme une compensation de ses répugnances et de ses frayeurs. Sa prière fut longue, il la recommença trois fois, il y fut soumis à toutes les épreuves intérieures ; néanmoins il resta constamment prosterné, comme un criminel, devant la majesté d'un Dieu irrité. Quelle condamnation de nos maintiens, qui favorisent presque toujours et la mollesse du corps et la mobilité de l'esprit ! Le Fils de Dieu garde l'attitude du dernier des hommes, et cette humilité attire sur lui une rosée de bénédictions, une pluie de grâces, qui font produire à l'opprobre et à la mort la gloire et l'immortalité. Mais quand notre céleste médecin se prosterne ainsi jusqu'à terre pour prier, nous, pauvres malades, nous daignons à peine nous incliner !...
II. Jésus tombe devant Dieu, comme représentant de tous les criminels, comme chargé de toutes les iniquités du monde. Ce poids l'accable, l'écrase, l'étend par terre, tandis que le pécheur impénitent se redresse, montre une impudence intolérable, et trouve son iniquité légère. Le Sauveur voudrait cacher à tous la honte qui couvre son visage, et il rougit de lever les yeux sur son divin Père. On dirait qu'il prend par avance le plan de sa croix, ou qu'il voudrait se cacher à lui-même la vue de nos péchés, en se faisant un bandeau de toute l'épaisseur de la terre. Mais la justice vengeresse le presse de tous côtés, et montre à ses regards tous les crimes dont il s'est chargé. Il en ressent cet accablement de l'affliction, qui produit une prostration des forces physiques, aussi bien que des forces morales. Et moi je ne me courberais pas sous le poids de mes propres iniquités ? Et moi je ne me tiendrais pas si humblement devant Dieu, que je puisse dire : « Mon âme s'est collée au pavé (Psaume, 25) ?...
III. Notre-Seigneur se penche, s'abaisse jusqu'à terre, afin de mieux apaiser son Père céleste, en cueillant pour lui-même une telle moisson de myrrhe, messui myrrham (Cantique 5,1), c'est-à-dire d'afflictions et d'épreuves, qu'il n'en reste plus pour nous qu'un bouquet, qu'une poignée, fasciculus myrrhae (Cant. i, 12). Comme le moissonneur se baisse, pour couper les épis plus près de terre, Jésus se prosterne pour faire plus complète cette moisson d'amertumes, de tristesses et de tourments. Et toutes ces gerbes de souffrances il les embrasse, il les étreint, il les presse sur son Cœur, il les baise comme il baisera Judas ! Que sont toutes nos mortifications et nos peines ? une poignée d'épis. Ah ! ne craignons pas de glaner après Jésus dans le champ de la douleur. Glanons-y en souvenir de lui et par amour pour lui. Dans nos prières prévoyons les épreuves, faisons provision de courage et redisons à Dieu : « Je suis prêt à souffrir, in flagella paratus sum » (Psaume 37, 18)...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. VI, ch. V, Jésus tombe la face contre terre.
Pratique : Prosternons nos prières (Jérémie, 38, 36 ; 42, 9 ; Daniel 9, 18, 20) ; expression de l'Écriture tout à la fois énergique et naturelle, qui signifie que l'esprit doit être aussi prosterné que le corps, et la prière aussi humble que l'un et l'autre. Tout appel de Dieu à élever les autres, est un appel à descendre soi-même. Avec les prêtres et les religieux prosternés la face contre terre, abaissons-nous donc comme le Sauveur, pour élever comme lui les âmes.
Exemple
Au Bréviaire romain nous lisons, le 17 mars, que saint Patrick, apôtre de l'Irlande, fléchissait les genoux trois cents fois par jour pour adorer Dieu, et qu'il le faisait encore deux cents fois durant la première partie de la nuit. Nous y lisons de même, le 10 octobre, que saint François de Borgia, général de la Compagnie de Jésus, se mettait chaque jour cent fois à genoux, pour offrir à Dieu ses adorations. On sait que des personnes pieuses et mortifiées ont l'habitude de ne s'appuyer jamais, durant les plus longues oraisons, ni sur le prie-Dieu, ni sur le dossier de la chaise qui est devant elles. D'autres, quand elles ne peuvent être vues, aiment à tenir les bras élevés ou étendus en croix, durant la prière, comme faisait saint Antoine, patriarche des cénobites. Des religieux, pour la moindre faute, comme sous le poids d'un péché énorme, se prosternent et s'étendent sur la terre, pour que d'autres leur passent sur le corps, les foulent aux pieds. Ainsi se prosternèrent saint François d'Assise, le bienheureux Thomas de Cori, la fondatrice des Filles de la Charité, etc, etc...
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Le Mois du Coeur Agonisant de Jésus
Le Mois du Cœur agonisant
En guise d'introduction
Le temps de la Septuagésime
Le temps de la Septuagésime est une période de trois semaines qui précède l’ouverture du carême. Le temps de la Septuagésime commence toujours la neuvième semaine avant Pâques et compte trois dimanches qui sont respectivement appelés dimanches de la Septuagésime, de la Sexagésime et de la Quinquagésime.
Ces appellations proviennent du système de comptage en usage dans l’antiquité et désignent la décade dans laquelle tombe chacun de ces dimanches : si en effet l’on divise les neufs semaines qui précèdent Pâques en séries de dix jours, on constate que le premier de ces neuf dimanches tombe dans la septième dizaine, le deuxième dimanche dans la sixième dizaine, le troisième dimanche dans la cinquième dizaine ; de là viennent leurs noms respectifs de dimanches in Septuagesima, in Sexagesima et in Quinquagesima.
Symboliquement, on fait correspondre ces (presque) septante jours aux septante années de la captivité à Babylone. Dans le symbolisme biblique et liturgique, Babylone représente la cité terrestre corrompue, opposée à Jérusalem, la cité de Dieu. La captivité à Babylone fut un châtiment : Dieu a permis que son peuple – vaincu et asservi – soit déporté en terre païenne. C’était la conséquence de ses infidélités répétées ; mais ce fut aussi le moyen radical d’une guérison car le peuple élu ne retomba plus ensuite dans l’idolâtrie.
Ainsi nous est rappelée la gravité du péché et ses conséquences dramatiques. Ainsi nous est montrée la nécessité de lutter contre les séductions du mal. Ainsi nous est enseigné à désirer ardemment de quitter la terre de l’exil – le péché -, pour revenir vers la patrie véritable – la grâce divine! L’existence de la liturgie septuagésimale est attestée au VIème siècle par un lectionnaire conservé à la bibliothèque de l’université de Wurtzbourg : ce manuscrit montre qu’à l’époque de Saint Grégoire le Grand, les épîtres et les évangiles du temps de la Septuagésime étaient ceux que nous avons aujourd’hui encore dans nos missels (pour la forme extraordinaire du rite romain, bien entendu).
Les lectures de ces trois dimanches sont particulièrement importantes : elles ont été choisies avec un très grand soin. Ce choix, leur répartition et leur progression manifestent une pédagogie remarquable tant par le sens que par son équilibre :
a) le dimanche de la Septuagésime nous fait entendre une épître fameuse rappelant la nécessité du combat spirituel (1 Cor. IX, 24-27; X, 1-5), tandis que l’Evangile nous fait méditer sur les ouvriers de la onzième heure (Matth. XX, 1-16) : de la sorte l’Eglise nous rappelle dans un même temps que nous avons à combattre avec une véritable pugnacité pour accéder au salut, mais que ce dernier sera toujours un don gratuit de Dieu, et qu’aucun homme ne pourra l’attribuer à ses mérites personnels.
b) dans l’épître du dimanche de la Sexagésime (2 Cor. XI, 19-33 ; XII, 1-9), nous entendons Saint Paul faire le résumé de toutes les épreuves qu’il a endurées mais au terme de cette énumération retentit cette sublime assurance : « Ma grâce te suffit, car Ma puissance s’accomplit dans la faiblesse ». L’Evangile de ce jour (Luc. VIII, 4-15) est celui de la parabole de la semence qui tombe en des sols variés avec l’explication donnée par Notre-Seigneur Lui-même : les hommes n’accueillent pas tous la Parole salvifique de Dieu de la même manière, ils ne sont pas égaux dans la façon dont ils lui font porter du fruit. Ces deux textes mis en parallèle nous redisent que si la toute puissante grâce de Dieu peut faire en nous des choses qui sont bien au-delà des capacités réelles de notre nature, nous ne sommes cependant pas dispensés de l’effort pour amender le terrain de notre âme si nous voulons que cette grâce y produise la plénitude de ses fruits.
c) au dimanche de la Quinquagésime, est proclamé l’hymne à la charité (1 Cor. XIII, 1-13) ; puis dans l’Evangile (Luc. XVIII, 31-43) Jésus fait l’annonce solennelle de Sa Passion et de Sa Résurrection – « Voici que nous montons à Jérusalem » – avant de guérir l’aveugle de Jéricho. Par là, l’Eglise nous engage à crier comme cet aveugle : « Fils de David, aie pitié de moi! » afin que soit guérie la cécité de nos coeurs, et pour que nous nous engagions résolument, en pleine liberté et intelligence (pas comme les apôtres dont cet Evangile nous dit qu’ils ne comprirent rien aux paroles de Jésus), dans les pas du Sauveur qui va accomplir le mystère pascal : or ce ne sont pas des déterminations, des qualités ou des prouesses humaines qui nous permettront de le faire, mais la seule charité surnaturelle.
On a pu dire du temps de la Septuagésime qu’il est le « vestibule du carême » : en effet, ces trois dimanches sont comme trois paliers qui nous conduisent, par une gradation très étudiée, jusqu’au seuil du grand temps liturgique où seront dispensées en abondance les grâces de la pénitence, de la conversion, de l’intériorité, de l’approfondissement de notre vie chrétienne et du salut... Cet « avant-carême » nous prédispose donc non seulement à y entrer mais surtout à y bien entrer. Ce n’est pas au matin du mercredi des cendres que nous devrons tout à coup nous mettre à penser aux efforts de conversion et de pénitence qui nous sont les plus nécessaires ; ce n’est pas le jour de l’entrée en carême que, de manière impromptue, nous devrons réfléchir à l’ascèse qui devra être la nôtre pendant ce temps et en déterminer les résolutions! Procéder ainsi serait le meilleur moyen de rater notre carême. Et voilà pourquoi l’Eglise – en Mère réaliste et en excellente pédagogue – a institué ce temps de la Septuagésime.
En nous mettant en face des enjeux de notre vie et de nos responsabilités, le temps de la Septuagésime nous invite à une réflexion – raisonnable, méthodique et posée – sur la stratégie qui s’impose à chacun de nous pour faire progresser notre propre conversion à l’amour divin en vérité, en profondeur et avec efficacité.
Pendant le temps de la Septuagésime il n’y a pas encore d’obligation du jeûne, mais déjà les ornements sont violets ; les chants joyeux (Gloria in excelsis et Alleluia) sont supprimés. Aux Messes de semaine, seul le graduel est récité ; le dimanche et les jours de fête, il est suivi d’un trait qui remplace l’Alleluia. Aux Messes solennelles du temps, le diacre et le sous-diacre portent encore la dalmatique et la tunique, et l’on peut toucher l’orgue. Avant le code des rubriques de 1960, qui a aboli cet usage, le « Benedicamus Domino » remplaçait l’ « Ite, missa est » à toutes les Messes de férie.
À l’Office divin, l’Alleluia qui suit l’introduction « Deus, in adjutorium », est remplacé par « Laus tibi, Domine, Rex aeternae gloriae ». À la fin de Matines, le Te Deum est remplacé par un simple répons.
La veille de la Septuagésime, à la fin des vêpres, les chantres ajoutent deux Alleluia au « Benedicamus Domino » et le choeur deux Alleluia au « Deo gratias ». C’est la déposition de l’Alleluia, que nos pères appelaient «Clausum Alleluia» (Voir le texte de Dom Guéranger sur les adieux à l’Alléluia : http://leblogdumesnil.unblog.fr/2013/01/26/2013-12-les-adieux-a-lalleluia/)
Un chant particulier au temps de la Septuagésime est le répons « Media vita« , (dont vous pouvez – si vous le voulez – entendre un enregistrement par le moyen de la vidéo ci-dessous).
En voici la traduction :
Dès le milieu de la vie, nous voici à la mort : quel aide chercher, si ce n’est Vous, ô Seigneur? Vous, que nos péchés irritent avec raison : * ô Dieu Saint, ô Saint Fort, ô Saint Sauveur miséricordieux, ne nous livrez pas à l’amertume de la mort!
En Vous ont espéré nos pères : ils ont espéré et Vous les avez délivrés : * ô Dieu Saint…
Vers Vous crièrent nos pères : ils ont crié et ils n’ont pas été confondus : * ô Dieu Saint…
Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit. * Ô Dieu Saint…
Texte extrait du site http://leblogdumesnil.unblog.fr
La Fête de l'Oraison de Notre Seigneur
Mardi de la Septuagésime
Jésus étant sorti s'en alla suivant, sa coutume au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent; et arrivé en ce lieu il leur dit « Priez afin de ne point entrer en tentation ». Et il s'éloigna d'eux de la distance d'un jet de pierre, et s'étant mis à genoux, il priait disant : « Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice, cependant que votre volonté se fasse, et non la mienne ». Alors un ange du ciel lui apparut qui le fortifiait, et étant tombé en agonie il priait encore plus. Il eut une sueur, comme de gouttes de sang qui tombaient à terre.
L'Eglise consacre un jour de chacune des semaines qui précèdent la Passion à honorer d'un culte spécial une des parties de ce douloureux et ineffable mystère. Aujourd'hui, c'est l'oraison de Notre-Seigneur au jardin des Oliviers, qu'elle offre à la vénération et à la méditation de ses enfants. Ce qui émeut jusqu'au fond de l'âme dans le spectacle que nous offre la Passion, c'est la douceur inaltérable, le calme surhumain du Sauveur en présence de ce qui briserait le cœur le plus ferme.
Jamais on ne verra rien de semblable. C'est le sublime de la grandeur, le plus haut point d'élévation auquel l'homme puisse atteindre ; « s'en rapprocher, quoique toujours de loin, sera désormais le travail de ceux qui aspirent avec le plus d'ardeur à la perfection. Et néanmoins, comme pour les soutenir, comme pour encourager leurs efforts, cette perfection leur est montrée sous les conditions de la lutte, du combat intérieur inséparable de notre nature infirme. Aux approches de l'épreuve dernière, Jésus n'hésite pas certes, sa volonté n'est pas ébranlée un moment, mais le trouble envahit la partie inférieure de son être, il est triste jusqu'à la mort ; en proie à des angoisses, à une agonie plus terrible que le supplice même qui suivra, il ne le cache point, ne le dissimule point il veut au contraire que ses disciples en soient témoins, qu'ils en gardent le souvenir, afin d'y trouver un appui dans les involontaires défaillances de la chair, lorsque pour eux aussi viendra le jour du sacrifice ».
Le sacrifice se rencontre à chaque pas sur notre chemin. Les angoisses et les souffrances sont notre partage sur la terre le malheur est le roi d'ici-bas; et tôt ou tard, tout mortel finit par être atteint de son sceptre. Qui n'a pas ici-bas sa part aux infirmités humaines, sa croix à porter ? Toute créature est en travail, la vie humaine n'est qu'une longue plainte dont les échos montent vers le ciel. Jésus a voulu nous apprendre que la force pour supporter et souffrir se trouve dans la prière. A son exemple, adressons-nous à Dieu, il est le Tout-Puissant qui dirige tous les événements de ce monde il est la souveraine lumière qui éclaire toute intelligence.
Dieu est un bon Père, qui ne peut entendre les plaintes de ses enfants sans prêter l'oreille à leurs voix et sans apporter un soulagement à leurs misères. Mais n'oublions pas que s'il prie, que s'il arrose la terre de ses larmes et de son sang, c'est à cause des outrages dont nous nous sommes rendus coupables envers Dieu. Ce sont nos péchés qui rendent son âme triste jusqu'à la mort ; ce sont nos iniquités qui remplissent cette coupe qu'il demande à son Père d'éloigner de lui. Songeons à ne pas rendre ses souffrances inutiles, et disons-lui aujourd'hui avec l’Église : « Seigneur, qui, dans le jardin des Oliviers, nous avez appris, par votre parole et par votre exemple, à prier pour triompher des périls de la tentation, faites, dans votre bonté, qu'à travers les dangers et les obstacles de tout genre qui nous environnent, toujours appliqués à la prière, nous méritions d'en obtenir un fruit abondant, et par là, de parvenir sûrement au royaume du ciel ».
(Extrait des Petits Bollandistes, Abbé Guérin, Volume XVI)
Préface
Préparée à Paris, éclose à Vais près Le Puy, la dévotion au Cœur agonisant du Sauveur fut approuvée par le pape Pie IX, alors en exil ; le 2 février 1850, Sa Sainteté enrichit d'indulgences une prière rédigée par le R. P. Lyonnard, de la Compagnie de Jésus. Des confréries se formèrent bientôt en plusieurs villes ; celle de Jérusalem fut érigée en 1864, et transformée en archiconfrérie le 23 août 1867.
Plusieurs publications sont venues en aide à cette pieuse association, en ont expliqué les pratiques et entretenu l'esprit. Dans ce but, nous publiâmes nous-même plusieurs volumes,. « L'Agonie de Jésus » et « Le Cœur Agonisant » ; nous publions aujourd'hui un livre moins gros et plus populaire, en adoptant la forme d'un de ces Mois, qui sont si chers aux fidèles et si utiles aux âmes.
Toute époque où l'on se sent plongé dans l'affliction, est favorable pour faire le Mois du Cœur Agonisant. Le mois de juin, qui est le mois du sacré Cœur, paraît convenir aussi. Mais le mois de février convient mieux encore, parce qu'il devient ainsi une heureuse transition, entre les plaisirs du renouvellement de l'année et les austérités du carême. Nous conseillons même fortement de se régler sur la sainte quarantaine, de commencer ce Mois le quatrième jeudi avant le carême, le second avant la septuagésime, de manière que la fête de l'archiconfrérie du Cœur agonisant, l'oraison de Notre-Seigneur sur le mont des Oliviers, qui ne tombe jamais plus tôt que le 20 janvier, ni plus tard que le 24 février, toujours le mardi de la septuagésime, se rencontre le treizième jour, et que ces pieux exercices servent à s'y préparer, au moins durant une neuvaine. Ils se termineront le premier samedi de carême, par un hommage rendu au Cœur compatissant de Marie.
Chrétiens dévoués au Cœur agonisant de Jésus, méditez-en les angoisses, partagez-en les souffrances, et laissez votre cœur devenir un autel et un calvaire. La dévotion n'est-elle pas l'embonpoint spirituel d'une âme engraissée de charité ? Pendant un mois engraissez-vous d'amour, de compassion, de générosité, de dévouement et de patience, pour continuer l'œuvre du Cœur sacré du Rédempteur, en nous obtenant l'application des mérites de son agonie. Restez ensuite toute votre vie, comme durant ce mois, à l'école du divin agonisant, pour apprendre à compatir efficacement aux douleurs des autres, et à faire de vos propres agonies un apostolat fécond.
Le Mois du Cœur agonisant de Jésus
Veille du premier jour
Lecture préparatoire
La dévotion au douloureux mystère du jardin des Oliviers, et la dévotion au Cœur de Jésus, ont une commune origine, les révélations de Notre-Seigneur à Sainte Marguerite-Marie, qui reçut de lui la pratique de l'Heure Sainte, et la mission de répandre le culte de son divin Cœur. Le Cœur agonisant c'est le Cœur même de l'Homme-Dieu, considéré dans son état passif, dans ses souffrances, ses angoisses, ses tristesses, ses craintes et ses ennuis, L'expression de Cœur agonisant était usitée dès les premières années du XVIIIe siècle.
Les peines intérieures commencèrent et finirent pour Jésus avec sa vie mortelle, et il y fait allusion quand il nous dit par la bouche du Psalmiste : « J'ai été dans le trouble, l'anxiété, les travaux dès ma jeunesse » (Psaume16). Mais il modérait à son gré cette agonie morale, et ce ne fut qu'à Gethsémani qu'il la laissa tourmenter pleinement son Cœur, et même déborder sur son corps. Aussi est-ce au jardin des Oliviers que tous les chrétiens fervents accourent en esprit, pour partager les souffrances de Jésus, pleurer avec Jésus, unir leurs cœurs au Cœur agonisant de Jésus.
Par la dévotion au Cœur agonisant du bon Maître, nous voulons d'abord lui offrir nos hommages et nos réparations, l'honorer dans ses douleurs et réparer les outrages qu'il reçoit. Nous voulons même prévenir ces outrages, les empêcher, en travaillant à convertir les pécheurs qui l'offensent, et surtout ceux que la mort va jeter dans l'éternelle damnation. Préserver de l'enfer, préserver de l'impénitence finale les quatre-vingt mille mourants de chaque jour, voilà l'objet principal de notre intercession, de nos supplications au Cœur agonisant de Jésus. Qui n'en voit l'opportunité ? Autrefois tout chrétien qui se sentait mourir, voulait se réconcilier avec Dieu, et en prenait lui-même les moyens. Mais aujourd'hui beaucoup de malades à l'extrémité ne veulent pas même voir le ministre de la réconciliation ; la société satanique des Solidaires travaille nuit et jour, à réaliser sa devise : Plus de prêtre, ni à la naissance, ni au mariage, ni à la mort. Elle séduit les faibles et les pauvres, par l'appât d'un enterrement civil où le nombre augmente le scandale.
Enfin le Cœur agonisant de l'Homme-Dieu est pour nous un objet d'imitation. Au dernier jour de sa Vie mortelle , le Sauveur voulut endurer trois passions, une passion eucharistique et sacramentelle sur le mont Sion, une passion mystique et intérieure sur le mont des Oliviers, une passion extérieure et sanglante sur la colline du Calvaire. Ces trois passions se continuent ou se réitèrent à travers tous les siècles. Tous les jours dans nos temples et sur nos autels Jésus lui-même continue, par le ministère du prêtre, sa passion eucharistique. Souvent au milieu des peuples civilisés ou barbares, dans les prisons ou sur les places publiques, la sanglante passion du Sauveur a été renouvelée, dans la personne des martyrs, par le ministère des bourreaux. En qui donc se réitérera sa passion intérieure ? En quelques âmes privilégiées, dont le cœur est tantôt un autel et tantôt un calvaire, mais quelquefois aussi une montagne et un jardin des Oliviers, où, sous la pression des épreuves mystiques et des souffrances morales, qui les réduisent à une agonie pire que la mort, coule l'huile de la prière et de la résignation, du renoncement et de la charité.
Le même religieux qui répandit la dévotion au Cœur agonisant de Jésus, publia « L'Apostolat de la souffrance », et propagea la société des victimes volontaires. N'est-ce pas le désir d'imiter le Cœur agonisant du Sauveur, qui a fait naître cette société, pour les besoins actuels de l'Église et des nations catholiques ? Plus un pays est souillé par les iniquités de ses habitants, plus il convient de le purifier et de l'assainir, en y introduisant les plantes salutaires issues du sang de Jésus-Christ, qui répandent autour d'elles une suave odeur de vie et de pureté ; plus il importe d'y établir des paratonnerres, qui détournent loin des têtes coupables les foudres de la divine justice, prête à éclater sur elles. Ces plantes, ces paratonnerres, ce sont toutes les communautés ferventes, ce sont particulièrement les victimes volontaires.
Dieu choisit indistinctement ces victimes spéciales, dans tous les rangs de la société chrétienne, et leur donne une large participation aux souffrances de son Fils unique, par conséquent à son titre de victime, à sa fonction de sauveur. La tendre prédilection qu'il a pour elles, le dispose à leur accorder des miracles de grâce, quand elles lui présentent leurs prières mêlées aux larmes, au sang et aux agonies de Jésus, ainsi qu'à leurs propres larmes et à leurs propres agonies. La Vierge-Mère fut au premier rang dans cette généreuse phalange ; vint ensuite saint Jean, le disciple bien-aimé du Cœur agonisant de Jésus, et l'enfant privilégié du Cœur compatissant de Marie. Puis, à toutes les époques de crise religieuse et sociale, le Seigneur suscita en nombre plus ou moins grand ces victimes cachées, dont l'action latente, comme celle de la grâce en chacun de nous, opère avec elle et par elle d'une manière intime et vitale.
Le but de ce Mois est de faire de nous des apôtres par la souffrance, aussi bien que par la prière. Soyons intercesseurs et suppliants, mais en même temps acceptons patiemment nos peines, nos maladies, toutes nos tribulations, la mort même pour l'Église et pour les âmes. Cet emploi apostolique de nos afflictions nous fera puiser, dans le Cœur agonisant de Jésus, les plus fortes et les plus suaves consolations. Peut-on mieux se consoler dans ses propres agonies, qu'en méditant les agonies d'un Dieu, et en soulageant les agonies des hommes ?
Premier jour
L'agonie continuelle
La continuité de l'agonie du Cœur en Jésus-Christ, depuis le premier instant de sa conception jusqu'à son dernier soupir, est attestée par les auteurs les plus graves, qui s'appuient sur le titre d'homme de douleurs donné au Messie parle prophète (Isaïe. 53, 3), et sur plusieurs paroles du psalmiste (Ps. 30, 11 ; 37, 18 ; 87, 16). Au jardin des Oliviers, il éprouva toute l'intensité de cette agonie.
Méditation
1. Pendant que les anges chantaient au-dessus de sa crèche : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. 2, 14), Jésus disait en son Cœur ce qu'il devait redire sur le mont des Oliviers : « Mon Père, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne (Luc 23, 42). Anges du ciel, pouvait-il ajouter, vous applaudissez à mon humiliation volontaire pour la gloire de Dieu et la paix des hommes. Vous êtes les avant-coureurs du céleste esprit, qui viendra me visiter dans une humiliation plus grande encore, dans la lutte de ma nature humaine contre ma volonté divine, lorsque je serai prosterné sur la terre, en proie à l'agonie et tout sanglant. En pensant à vous, je ne puis m'empêcher de penser à lui ». De même voyait-il des victimes ? Il savait qu'elles étaient la figure du sacrifice, qu'il consommerait par son immolation sur le Calvaire. Voyait-il Jérusalem ? Il savait que dans cette ville il perdrait la vie, au milieu des opprobres et des tourments. Regardait-il sa Mère bien-aimée ? Il s'imaginait la voir déjà debout au pied de sa croix. C'était pour son Cœur une continuelle torture. Pourquoi la vue d'un jardin, d'une fleur, d'un bouquet, ne vous ferait-elle pas aussi penser à ce jardin des Oliviers, à cette fleur des champs, à ce bouquet de myrrhe (Cant. 1, 12 ; 2, 1), tout arrosés de sueur et de sang ?...
II. Par la prévision de ses maux, Jésus endura dans son Cœur et pendant trente ans toutes les afflictions à la fois. De tous les organes de sa sainte humanité, son Cœur fut le premier et le dernier à souffrir : toutes les souffrances des autres membres s'y étaient ramassées. Il se faisait un flux et reflux continuel des peines de l'esprit au Cœur, et des peines du Cœur à l'esprit. C'était un calice qui se remplissait à tout moment, et que le Sauveur buvait aussi sans relâche et jusqu'à la lie. Ce qui rendait ce calice plus amer, c'était la certitude que ses peines seraient en partie inutiles ; ce qui rendait cette agonie plus poignante, c'était de savoir qu'après tant de combats il ne remporterait pas une victoire plus achevée, Il pensait non-seulement aux idolâtres, aux juifs, aux mahométans, à qui les mérites de sa passion ne seraient point appliqués ; il pensait encore aux chrétiens qui foulent aux pieds le Fils de Dieu, et souillent le sang du Testament (Heb. 10, 29). Ne pensait-il point aussi que, devenu notre juge, il nous demanderait un compte sévère du sang que nous avons profané ?...
III. Notre-Seigneur avait sans cesse sous les yeux les supplices de tous les martyrs, et il en discernait les détails les plus horribles ; il voyait les tribulations de tous les affligés, toutes les indigences et toutes les persécutions. Combien ne souffre pas une mère qui voit souffrir son enfant ! Or, Jésus nous aimait incomparablement plus qu'une mère. Si la tendresse de toutes les mères se réunissait en un seul cœur, ce serait moins qu'une étincelle en comparaison de l'incendie de charité qui dévorait le Cœur de l'Homme-Dieu. Chacune de nos souffrances faisait une plaie à cet aimable Cœur, qui, percé de tant de blessures, ne conservait la vie que par miracle. Il était devenu le confluent de toutes nos douleurs, et le calvaire où toutes nos croix étaient plantées. Jamais l'esprit humain ne comprendra quelle agonie, quel martyre, le Cœur du Fils de Dieu endura, depuis l'incarnation jusqu'à la mort, par sympathie et commisération pour nous. Quand nous sommes affligés, est-ce une consolation de savoir que toutes nos peines ont passé par le Cœur de Jésus, qu'il les a le premier ressenties et portées par amour pour nous ? En sommes-nous plus généreux à les porter par amour pour lui ?...
Lire dans l'Agonie de Jésus du Père Blot, livre I, le chapitre II « L'agonie de Nazareth »
Pratique : Ne nous faisons pas un christianisme mitigé, un christianisme à concessions, un christianisme sans combat. Ne nous plaignons plus de la longueur de nos souffrances et de nos épreuves. Mais consentons que notre vie soit comme celle des saints, comme celle de Jésus, une continuelle agonie.
Exemple
« Je trouve dans la vie de sainte Catherine de Gênes, dit le P. Eudes, qu'un jour Dieu lui fit voir l'horreur du moindre péché véniel, et elle assure que, quoique cette vue ne durât qu'un moment, elle vit néanmoins un objet si effroyable que le sang lui glaça dans les veines, qu'elle tomba dans l'agonie, et qu elle serait morte si Dieu ne l'avait conservée miraculeusement, pour raconter aux autres ce qu'elle avait vu. Ensuite de quo elle disait que, si elle était dans le plus profond d'une mer de feux et de flammes, et qu'il fût en son pouvoir d'en sortir à la condition de voir encore une fois en sortant de là une chose si épouvantable, elle aimerait mieux y demeurer que d'en sortir à cette condition. Or, si la vue du moindre péché véniel a mis cette sainte dans un tel état, que faut-il penser de l'état auquel notre Sauveur a été réduit par la vue de tous les péchés de l'univers ? Car il les avait tous continuellement devant les yeux, et sa lumière étant plus grande infiniment que celle de sainte Catherine, il y avait plus d'horreur infiniment qu'elle n'y en voyait. Tous ces péchés et toutes ces vues navraient son Cœur d'une infinité de plaies ». (Eudes, le Cœur admirable, T. II, liv. VI, ch. 10).
Deuxième jour
Une coutume de Jésus
Accomplissant les figures et les prophéties, Jésus sort de Jérusalem, traverse le torrent et la vallée du Gédron, malgré les ténèbres de la nuit, et va là où il sait qu'on viendra le trahir et le prendre. Pourquoi ? Pour rester fidèle à son habitude d'aller prier Dieu, le soir, sur le mont des Oliviers.
Méditation
1. Notre-Seigneur avait coutume de rendre grâces publiquement, de prier, après chaque repas ; il le fit encore la veille de sa mort, après avoir mangé l'agneau pascal et institué l'Eucharistie. Les religieux l'imitent, en nourrissant leur esprit par une lecture durant le repas, et en visitant aussitôt après le Saint Sacrement ou quelque pieuse image, pour nourrir leur cœur par la prière. Imitons-le aussi, en prenant la nourriture du corps avec tempérance et modestie, afin que l'âme puisse toujours se nourrir d'oraison, afin que nos repas mêmes glorifient le Seigneur. Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, dit l'Apôtre, faites tout pour la gloire de Dieu (1 Cor. 10, 31). Le fait-on d'ordinaire parmi nous ? Parfois ne contentons-nous pas nos sens, de manière que l'excès de la nourriture appesantisse notre âme et l'empêche de prier ? Combien même de chrétiens aujourd'hui qui, comme les païens d'autrefois, ont l'idolâtrie du ventre, adorent le dieu ventre, (Philippiens 3, 19), se montrent plus fidèles à servir leur ventre qu'à servir Jésus-Christ (Romains 16, 18) ?...
II. Sous le coup des plus dures épreuves, le Sauveur n'interrompt ni ne change ses pieuses habitudes. Il n'ignorait rien de ce qui l'attendait au jardin des Oliviers, et saint Jean nous fait remarquer que c'était un lieu bien connu de Judas, parce que le Maître et les disciples s'y étaient fréquemment réunis (Jean 18, 2). La certitude d'y être facilement trouvé, pris, garrotté, ne suffit pas pour que Notre Seigneur manque à une sainte coutume. En est-il ainsi de nous ? Une mince contrariété, une légère fatigue, un malaise imaginaire, la moindre crainte, celle d'une critique, d'une raillerie, d'un regard ou d'un sourire désapprobateur, nous font interrompre nos meilleures coutumes, omettre nos exercices de dévotion, quelquefois même nos devoirs de religion, comme l'assistance à la messe, la communion, l'abstinence...
III. Les habitudes du divin Maître venaient d'une conviction si profonde et d'une volonté si ferme, qu'il allait, sortait, entrait, priait selon sa coutume, et non point par coutume. Nous, au contraire, que de choses nous faisons par simple habitude, par routine, machinalement, sans élan ni entrain, sans esprit intérieur ni générosité spirituelle ! Si nos lèvres récitent une formule, notre mémoire seule y prend part, notre cœur est loin de Dieu (Matthieu 15, 8). N'est-ce pas même parce que notre piété est comme un corps sans âme, que nous sommes souvent renversés par le choc de la tentation, ou du moins arrêtés dans notre marche Vers la perfection ? Cœur agonisant de Jésus, venez combattre le sensualisme et la mollesse de notre siècle ; venez nous aider à prendre des habitudes austères et viriles, qui nous fassent avancer encore, comme par la force d'une vitesse acquise, quand les résistances de la nature et du monde voudraient nous ralentir et nous entraver !...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. IV, chap. II, Le passage du Cédron.
Pratique : Mettons autant de régularité à nourrir notre âme qu'à nourrir notre corps. Durant l'agonie morale, le trouble et l'obscurité, ne faisons aucun changement à nos bonnes résolutions, mais changeons-nous courageusement nous-mêmes. Soyons fidèles à passer chaque année un mois au jardin des Olives, à faire l'Heure Sainte chaque semaine, malgré les dégoûts, les contradictions, les ennuis et les tristesses.
Exemple
La pratique de l'Heure Sainte, dont le parfum suave et discret embaume aujourd'hui toute l'Église, nous vient de Sainte Marguerite-Marie Alacoque, religieuse de la Visitation, à laquelle Notre-Seigneur confia le soin de cette plante bénie. Elle rapporte ainsi le commandement qu'il lui donna : « Toutes les nuits du jeudi au vendredi, je te ferai participer à cette mortelle tristesse, que j'ai bien voulu ressentir au jardin des Oliviers, et cette participation à ma tristesse te réduira à une espèce d'agonie plus rude à supporter que la mort. Tu m'accompagneras dans cette humble prière, que je présentai alors à mon Père parmi toutes mes angoisses, et pour cela tu te lèveras entre onze heures et minuit, et tu demeureras prosternée avec moi pendant une heure la face contre terre, tant pour apaiser la divine colère, en demandant miséricorde pour les pécheurs, que pour honorer et adoucir en quelque façon l'amertume que je sentis alors de l'abandon de mes apôtres ; ce qui m'obligea de leur reprocher qu'ils n'avaient pu veiller une heure avec moi. Tu feras pendant cette heure-là ce que je t'enseignerai ». (Mémoire de Sainte Marguerite-Marie, n° 37).
Troisième jour
Le Mont des Oliviers
Où se rend le divin Maître, en sortant de Jérusalem, suivi de ses disciples ? Sur le mont des Oliviers. Comme l'olive sous le pressoir, son Cœur veut y être serré, pressé, torturé par toutes les douleurs morales, pour répandre plus abondamment l'huile de la miséricorde et de la paix, l'huile de l'espérance et de l'amour.
Méditation
I. Pourquoi le Sauveur choisit-il une montagne, pour en faire le lieu de sa prière ? Il nous avertit de rechercher dans nos prières ce qui est haut et sublime, c'est-à-dire de faire des biens célestes, des intérêts éternels, l'objet principal de nos demandes. A mesure qu'il gravit la hauteur sur laquelle il va prier durant trois heures, il nous crie : « Les cœurs en haut ! Ne permettez pas que vos cœurs soient appesantis ou abaissés par le soin des choses inférieures ; mais que la sainte prière soit toujours pour vous une ascension de l'âme vers Dieu, une élévation des pensées et des désirs ! Hélas ! combien de fois nos prières ont-elles été boiteuses, ou se sont-elles traînées sur la terre ?...
II. Pourquoi l'Homme-Dieu choisit-il une montagne, pour y commencer sa passion, pour y livrer son Cœur à l'agonie ? Il nous apprend que son corps mystique doit se transfigurer sur le mont des Oliviers, comme son corps réel se transfigura sur le Thabor ; il nous apprend que les lieux où nous souffrons, sont pour nous le chemin de la gloire, et que la douleur prépare nos corps eux-mêmes à l'ascension glorieuse. Car de ces mêmes sommets où ils vont le voir souffrir cruellement, ses disciples le verront bientôt remonter glorieusement dans les deux. Partout où nous souffrons, disons donc avec saint Pierre sur le Thabor : « Il est bon que nous soyons ici » (Matthieu 17, 4). Ne nous tarde-t-il pas, au contraire, de changer de lieu ou d'emploi ? Nous descendons du mont des Olives, où la patience nous aurait transfigurés, nous rampons dans la plaine , nous restons des chrétiens vulgaires, parce que nous ne voulons faire effort ni pour rectifier notre conduite, ni pour élever nos sentiments, ni pour mettre notre cœur en harmonie avec le Cœur agonisant de Jésus...
III. Pourquoi encore le mont des Oliviers ? Parce que l'olivier est le symbole de l'espérance et de la paix. Des hauteurs du mont des Oliviers, le Sauveur découvre tout l'univers et l'histoire de tous les siècles, tous les lieux et tous les temps où nous serons agités, battus, brisés par les tempêtes ; il promène ses regards sur la mer orageuse du monde, où il voit tant d'âmes en péril, où il compte tant de malheureux qui ont déjà sombré, par imprudence et par faiblesse. Il leur crie : « Espérance, espérance, ô pauvres naufragés ! Je vous apporte la paix et le pardon, je vous envoie deux planches de salut, qui sont la souffrance et la prière : profitez-en, vous reviendrez tranquillement au port ! En profitons-nous ? Savons-nous espérer, souffrir et prier ?...
Lisez dans L'Agonie de Jésus, liv. III, ch. IX L'Espérance
Pratique : Quels que soient mes troubles, mes tentations, mes adversités, j'espérerai en Dieu quand même. Dans mes prières pour moi et les autres, je demanderai surtout les biens spirituels et célestes. Après mes exercices de piété, si agonisant que soit mon cœur, je montrerai à tous quelque chose de plus pacifique et de plus confiant, aux miens plus d'amabilité, aux malheureux plus de dévouement.
Exemple
L'exercice de l'Heure Sainte fleurit maintenant dans l'Église entière. Il a donné naissance à une archiconfrérie, dont le siège est à Paray-le-Monial, et que le pape Grégoire XVI, en 1831, dota de précieuses indulgences. Chaque semaine, au jour et à l'heure où le Fils de Dieu, prosterné la face contre terre, répandait une sueur de sang, un grand nombre d'âmes pieuses se dérobent aux douceurs du sommeil, pour tenir compagnie à Jésus agonisant, pour appliquer activement toutes leurs facultés à ses souffrances intérieures, et pour échapper au reproche qu'il adressa aux premiers témoins de son agonie : « Quoi ! Vous n'avez pu veiller une heure avec moi ? » (Matth. 24, 40). En certaines paroisses, comme à Bréauté, au diocèse de Rouen, cet exercice se fait collectivement le jeudi soir par les hommes seuls, par les confrères, qui passent une heure devant le saint Sacrement, en prières ou méditations, à genoux ou assis. Ils se proposent, de consoler ainsi le Cœur du bon Maître, et d'obtenir une part de ses miséricordes. Dans plusieurs communautés, comme celle du Cœur agonisant, à Lyon, toutes les religieuses se rendent à la chapelle vers le milieu de la nuit. L'une d'elles lit à haute voix ce que les Évangélistes nous apprennent, sur l'agonie de Notre-Seigneur au jardin des Oliviers. Toutes se prosternent, unissent leur prière à sa prière, leur sacrifice à son sacrifice, et s'offrent avec lui comme victimes à son divin Père. Avant de se retirer, on l'ait une amende honorable au Cœur agonisant de Jésus, qu'on adore dans le tabernacle, comme dans la grotte de Gethsémani.
Quatrième jour
Le jardin de l'Agonie
Sur le mont des Oliviers, Notre-Seigneur laissa huit de ses apôtres dans une ferme nommée Gethsémani, en leur permettant de s'asseoir ; il prit Pierre, Jacques et Jean, leur recommanda de veiller avec lui, et les introduisit dans un jardin, ubi erat hortus (Jn 28, 1). Le premier Adam nous avait fait tomber avec lui dans le jardin de délices : le second Adam nous releva par ses expiations volontaires, dans le jardin de l'agonie.
Méditation
I. Dans le paradis terrestre, nos premiers parents laissèrent s'allumer en eux cette soif de jouissances, qui ne devait plus s'éteindre dans leur postérité ; pour jouir ils foulèrent aux pieds leur devoir, leur bonheur et le nôtre. Jésus-Christ fait du jardin des Oliviers le lieu de sa pénitence, le temple et l'autel de son sacrifice ; il est lui-même le prêtre et la victime de son holocauste. Comme le premier châtiment infligé par le Seigneur à nos coupables parents, fut de les abandonner à eux-mêmes, en sorte qu'ils devinssent leurs premiers bourreaux, et que le remords fût leur première peine : ainsi le divin Réparateur veut paraître abandonné, se tourmenter lui-même, être son propre sacrificateur. N'hésitons pas non plus à nous imposer à nous-mêmes, par esprit de pénitence, des sacrifices et des privations...
II. Dans le jardin de délices, l'homme se cacha et Dieu se montra, l'homme par honte et Dieu par justice. Dans le jardin de l'agonie, c'est l'homme qui se montre et Dieu qui se cache. Dieu se cache, Deus abscondilus (Isaïe 45, 15), pour laisser souffrir son Fils notre Rédempteur ; l'homme se montre, vir dolorum (Isaïe 53, 3), pour endurer toutes les souffrances morales, être garrotté par les bourreaux et conduit au supplice. Quand aurai-je le courage de dire à Dieu : Cachez-vous pour moi, Seigneur ? Retirez-moi vos consolations, vos douceurs, toutes les délices sensibles de la dévotion, le sentiment même de votre assistance, pour que je souffre davantage, pour que mon sacrifice et ma fidélité soient plus méritoires !...
III. Au milieu de l'Éden, nous étions en Adam comme les rameaux dans l'arbre, et il nous communiqua le virus du péché originel. Chacun de nous n'est plus qu'un olivier sauvage, oleaster, suivant l'expression de saint Paul ; Jésus-Christ seul est l'olivier franc, sur lequel il faut que nous soyons entés pour porter de bons fruits (Romains 11, 17, 24). Pourquoi dans le jardin des Oliviers ouvre-t-il toutes ses veines, tous ses pores ? Pour s'unir et s'incorporer par toutes ces ouvertures, pour enter sur sa propre tige, tous ces oliviers sauvages et stériles qui sont les rejetons d'Adam. Il entre en agonie pour nous rendre participants de sa sève vitale, pour nous remplir du suc de sa grâce et de son amour. Demeurons en lui pour porter du fruit, et souffrons avec lui pour en porter plus encore. Cœur agonisant de Jésus, mon âme est devant vous comme une terre sans eau (Psaume 142, 6) ; visitez-la par votre miséricorde, pour l'enivrer de générosité, pour la rendre de plus en plus féconde !...
Lisez dans « L'Agonie de Jésus », Liv. IV, ch v Le jardin de délices et le jardin de l'agonie
Pratique : Me bien convaincre que, si Dieu paraît m'abandonner ou se cacher dans mes épreuves, c'est pour mieux les marquer au coin de son Fils, c'est pour en faire une monnaie qui ait plus de valeur. — Ne jamais blâmer les austérités des saints, mais estimer le droit à la souffrance innocente et libre, en user même quelquefois comme le divin agonisant.
Exemple
Une âme pieuse qui a expérimenté la manière passive défaire l'heure-sainte, écrivait à son directeur : « Je commence par me rendre en esprit au jardin de l'agonie, et je m'offre tout entière à Notre-Seigneur avec mon âme, mon esprit, mon cœur, mon corps, pour éprouver tout ce qu'il voudra pendant cette heure. A peine ai-je fait cette offrande, que mon âme est saisie d'effroi, d'épouvante ; elle se sent comme mourir, à la pensée des tourments qu'elle commence à endurer, et qui ne sont rien pourtant en comparaison de ceux qu'elle aura à souffrir, vers le milieu et vers la fin de cette heure d'angoisses. Le péché universel se montre à ma vue, et Notre-Seigneur me fait comprendre l'outrage qu'en reçoit la Majesté divine. C'est là le plus grand des supplices ; car il nous semble que Dieu nous revêt de ce péché, qu'il est nôtre, et qu'il nous en reste l'expiation. Je ne saurais vous dire ce qui se passe alors. On se sent accablé de tout le poids de ce péché, une sueur froide s'étend sur tout le corps, et l'âme est livrée aune telle torture intérieure que l'enfer semblerait un paradis, s'il était permis d'échanger un instant les tourments de l'enfer, pour ce supplice absolument inexprimable. L'esprit est enveloppé de ténèbres, livré à la crainte, à la tristesse, au dégoût, sans savoir précisément de quoi. On se sent plutôt écrasé par la justice du Père éternel, que sous la dépendance de Notre-Seigneur lui-même, pour partager toute son agonie. Il est rare que, dans ces moments indicibles, j'aie le sentiment de moi-même ; je ne sais plus si j'existe, je suis comme transsubstantiée en douleur ».
Cinquième jour
L'affliction du Cœur de Jésus
Le Cœur de l'Homme-Dieu avait toujours été agonisant ; mais dès qu'il entre au jardin des Oliviers, avec trois disciples choisis, il commence à sentir plus vivement la tristesse et le chagrin, cœpit contristari et mœstus esse (Matthieu 26, 37), parce que rien ne l'y soulage plus de ses ennuis et de ses craintes, de ses dégoûts et de ses douleurs.
Méditation
I. Pourquoi Notre-Seigneur veut-il tant souffrir au jardin des Oliviers, sans même attendre son arrestation ? Victime totale et universelle, il aurait voulu souffrir depuis le commencement du monde jusqu'au dernier jugement, afin d'égaler le plus possible sa souffrance à son amour. Ce vœu ne pouvant être exaucé, il entre volontairement en agonie, pour compenser la durée par l'intensité, pour récapituler en soi toutes les afflictions, et faire de son Cœur le confluent de toutes les douleurs. Il s'enferme dans le jardin comme dans une prison, afin que toutes les tortures morales viennent l'y assaillir, comme les soldats viendront l'y prendre. Nous aussi, quand nous avons moins longtemps à souffrir, désirons-nous souffrir plus violemment ? Ne cherchons-nous pas à diminuer la violence comme la durée de nos peines ?...
II. Si pour cette Agonie le Sauveur choisit le temps, qui précède immédiatement son arrestation, c'est afin de mettre plus en évidence et la générosité de sa conduite, et la liberté de son sacrifice : sa générosité, quand il ira lui-même au-devant de ses persécuteurs ; sa liberté, quand il achèvera sur le Calvaire, au milieu clés bourreaux, le sacrifice qu'il commence lui-même, sans nulle violence du dehors, sur le mont Olivet. Il est le maître des agitations de son Cœur, et tandis que ce sont nos passions qui nous remuent, c'est lui qui remue ce qui dans son Cœur tient lieu de nos passions ; il souffre quand il lui plaît, autant qu'il lui plaît et de la manière qu'il lui plaît. Il s'émeut comme un homme, mais avec la générosité et la liberté d'un Dieu. Nous, au contraire, nous usons le plus souvent de la liberté qui nous est laissée, pour nous soustraire à la peine, à la souffrance...
III. Durant tout le cours de sa vie, le bon Maître avait parlé de sa passion avec joie, comme d'un baptême désiré, Gomme d'une heure impatiemment attendue. Maintenant il avoue que son âme est troublée, il prie son Père de le préserver de cette heure-là (Jean 12, 27). Mais ne faut-il pas qu'il aille à la mort avec tremblement, puisqu'il doit y aller comme un criminel ? Sur la croix il montrera la grandeur de son pouvoir divin ; au jardin il veut montrer la faiblesse de sa nature humaine. Là nous le verrons dans l'acte même de sacrificateur ; ici nous le voyons dans l'état de victime. Aimons-nous cet état de victime ? Pour mieux ressembler à Jésus agonisant, acceptons-nous volontiers d'être victimes des événements, de l'injustice et de la calomnie ?
Lisez dans « L'Agonie de Jésus », liv. Il, chap II Jésus a vraiment souffert intérieurement
Pratique : Baisons quelquefois la terre avec respect, en souvenir de cette terre bénie sur laquelle Notre-Seigneur colla ses lèvres, et répandit la précieuse rosée de son sang : il s'en exhalera un parfum de patience et d'humilité, qui embaumera notre âme et ranimera notre courage. — Pour mieux puiser un surcroît de forces dans le Cœur agonisant, tenons-lui compagnie, veillons souvent avec lui, dans nos joies comme dans nos peines.
Exemple
Plusieurs âmes illustres ont éprouvé dans l'extase les afflictions du Cœur de Jésus, ont fait l'Heure-Sainte d'une manière extatique. Marguerite du Saint-Sacrement, carmélite de Beaune, fut transportée dans un ravissement au jardin des Oliviers, où le Sauveur lui communiqua la tristesse de son âme, ses craintes, sa sueur de sang, son agonie, et les imprima en elle autant qu'elle fut capable de les supporter. Pendant les deux premières heures, elle demeura le visage collé contre terre, versant des larmes avec tant d'abondance que toute la communauté en était vivement émue. Elle se releva ensuite, se tint droite pendant un quart d'heure, les yeux élevés au ciel, tremblante et paraissant fort effrayée ; après quoi elle se prosterna de nouveau. Insensiblement on vit son corps se courber, et sa tête se pencher à terre avec une indicible expression de terreur, jusqu'à ce que ne pouvant soutenir le spectacle déchirant de l'agonie et des douleurs infinies de son Maître, elle retombât la face contre terre, s'abandonnant à Dieu, comme avait fait Jésus-Christ, pour porter sa croix et le fardeau des péchés du monde. Au moment où elle aperçut en esprit la troupe conduite par Judas, elle se leva calme, sereine, avec un front plein de majesté. Peu d'instants après, ses mains se fixèrent Tune sur l'autre, comme si elles eussent été liées avec des cordes, dont les marques s'imprimèrent si fortement dans les chairs, que les carmélites apercevaient très-distinctement deux longues enflures, qui semblaient suivre toutes les sinuosités de la corde et former deux espèces de bourrelets. (Louis de Cissey, Vie de, Marguerite du St Sacrement).
Sixième jour
Les craintes du Cœur de Jésus
Celui que l'Écriture appelle le lion de la tribu de Juda (Apocalypse 5, 5), daigne commencer son agonie par la crainte, cœpit pavere (Marc 14, 33). Tel est l'excès de sa frayeur qu'il en est ébranlé, qu'il implore l'assistance de ceux mêmes dont il n'espère rien. C'est ainsi qu'il expie notre présomptueuse sécurité.
Méditation
I. Si le démon avait connu la divinité du Fils de Marie, s'il avait su que sa mort serait le salut du monde, il n'aurait point poussé les Juifs à le mettre en croix. Mais trompé par les apparences, il crut qu'il ne risquait rien en traînant au supplice un homme, dont la doctrine et les vertus excitaient sa haine. La crainte de Jésus est un appât pour prendre Satan à l'hameçon. Quel est cet hameçon ? la divinité, que le Sauveur cache sous le ver de son corps timide et tremblant. Le démon tout joyeux accourt pour dévorer l'humanité, le ver qu'il voit plongé dans les eaux de la douleur et de la crainte ; mais il est pris lui-même par l'hameçon, par la divinité. En manifestant son effroi, sa crainte de la mort, le Fils de Dieu provoque ses ennemis invisibles à le faire mourir, par un supplice qui anéantira leur empire. Et nous, dans nos combats pour la conquête du ciel, ne négligeons-nous point la prudence, le discernement, l'habileté ?...
II. Pour nous, la crainte et l'abattement du Sauveur sont une lumière et une force, dans toutes nos appréhensions, spécialement à notre dernière heure. N'a-t-on pas vu des saints trembler, comme lui, aux approches de la mort ? Que la crainte qu'il éprouve nous remplisse nous-mêmes d'une sainte frayeur pour ce redoutable passage ; qu'elle nous stimule à mieux nous y préparer, qu'elle nous console de nos répugnances et les sanctifie ! Si la nature en nous craint, tremble, murmure, ne nous en inquiétons pas ; mais que notre cœur, qui seul est en notre disposition, s'unisse au Cœur du divin agonisant, pour s'effrayer avec lui, espérer avec lui, se résigner avec lui. Avons-nous jusqu'ici pratiqué cette union ?
III. Nous ne saurions avoir tant de défaillances au cœur, que Jésus n'en ait ressenti plus encore pour nous obtenir du courage. Il a tremblé, pour que ses martyrs allassent au supplice comme aune fête. L'intrépidité humaine commence par une forcé audacieuse et superbe, mais se termine souvent à la crainte et à la faiblesse. L'intrépidité que la grâce inspire, commence par un abattement de l'âme, par une vive appréhension, par un humble aveu de notre insuffisance. Mais la vraie valeur, la valeur chrétienne, après avoir considéré tous les justes motifs de craindre le péril, passe et s'élève au-dessus de tous les obstacles pour l'affronter. Ainsi Jésus sera d'autant plus courageux qu'il a paru plus timide : après avoir tremblé à la vue d'iniquités qui ne sont pas les siennes, il n'hésitera pas à souffrir la passion la plus ignominieuse et la mort la plus cruelle, pour en faire pénitence. Ah ! prenons, prenons dans son Cœur le courage et l'humilité qu'il nous faut, pour n'hésiter jamais à laisser voir le repentir et la crainte, que nous causent des péchés qui sont les nôtres !
Lisez dans L'Agonie de Jésus, Liv. V chap. III Utilité de cette crainte
Pratique : Combattons la timidité comme la présomption, et ne reculons jamais devant une difficulté à vaincre pour accomplir un devoir. Foulons aux pieds toutes ces vaines terreurs, qui représentent à notre imagination nos plus saints projets comme impraticables. Que la peine ressentie en entreprenant une chose ardue, ne nous fasse pas différer ni remettre au lendemain.
Exemple
Saint Pierre Paschal, né à Valence en Espagne, l'an 1227, religieux de l'ordre de Notre-Dame de la Merci, évoque de Jaën, eut la tête tranchée par les Maures de Grenade, le 6 décembre de l'an 1300. Il se prépara avec joie à ce sacrifice, qu'il avait tant désiré. Son ange gardien l'ayant averti qu'il serait massacré le lendemain matin, il passa toute la nuit en prières ; il offrit sa vie à Dieu pour le salut des esclaves chrétiens, et pria même pour les Maures qui avaient résolu de le faire mourir. Il sentit néanmoins des craintes et des frayeurs en sa partie inférieure, et il souffrit une agonie pareille à celle de Jésus-Christ dans le jardin des Oliviers ; mais il se calma bientôt par un parfait abandon aux dispositions de la divine Providence. Le Sauveur lui apparut alors et lui dit : « Pierre, j'ai été sensible comme toi, et j'ai enduré d'horribles tourments pour ton amour ». Ces paroles répandirent une telle onction dans l'âme du saint, qu'il ne respira que le martyre. Il en reçut la couronne, pendant qu'il faisait son action de grâces après la messe.
Sainte Félicité, se trouvant enceinte au moment de sa condamnation à mort, vit différer l'exécution. Elle avait peur des douleurs de l'enfantement, et nullement des tortures du martyre. Comme le geôlier s'en étonnait, elle 'lui répondit : « Maintenant c'est moi qui souffre ce que j'endure ; mais alors ce sera un autre qui en moi souffrira pour moi, parce que moi aussi je souffrirai pour lui ». Cet autre était Jésus-Christ agonisant dans ses membres.
Septième jour
Les ennuis du Cœur de Jésus
Avec la crainte, le Sauveur éprouva dans le jardin des Oliviers une autre peine, la fatigue, le dégoût, l'ennui, et tœdere (Marc, xiv, 33.) C'est une consolation pour nous tous, qui avons tant de dégoûts et d'ennuis à dévorer : l'Homme-Dieu n'en a-t-il pas eu lui-même sa part ?
Méditation
I. Lorsqu'ils sont à leur comble, les dégoûts et les ennuis nous font haïr et abhorrer toutes choses, notre vie même. Tel est l'état du Fils de Dieu en son agonie. Devant lui une mort ignominieuse et cruelle ; à sa droite un petit nombre d'âmes, qui consentent à être rachetées par le prix infini de ce trépas ; à sa gauche, l'immense multitude des pécheurs endurcis et des damnés, qui ne s'en servent que pour aggraver leurs torts. Son Cœur devient comme une cire fondue, et sa force se dessèche comme la terre cuite au feu (Psaume 21, 15, 16.) La vie lui est à charge, et plus malheureux que Job il redit mieux que lui : « Je m'ennuie de vivre, mon âme est dégoûtée de la vie, tœdet animam meam vitœ meœ » (Job 10, 1.) A la vue de nos péchés, plus que de nos douleurs et de nos épreuves, disons aussi : « Mon âme est ennuyée de ma vie, de ma vie tiède, de ma vie peu chrétienne, de la vie mondaine ou criminelle que je mène depuis longtemps ! »...
II. En éprouvant le dégoût et l'enfui les plus accablants qui furent jamais, le Sauveur expiait les coupables dégoûts des uns, et consolait les autres dans leurs ennuis involontaires. Il se proposait de me réveiller, de secouer mon indolence, de changer ma lâcheté en courage, de rallumer dans mon âme une noble et sainte ardeur, pour tout ce qui est vrai et beau, grand et saint. Il voulait nous donner à tous sa persévérance, sa promptitude, sa vivacité, son empressement à prier, à parler, à agir, à souffrir pour le bien. Plus généreux que saint Martin, le voici qui se dépouille de son manteau tout entier, du manteau de sa gloire et de sa félicité, pour nous revêtir de la plénitude de ses contentements et de ses joies. Il prend pour lui le dégoût et l'ennui suprêmes, afin que son allégresse passe en nous, remplisse et fasse déborder notre âme, comme celle de l'Apôtre qui s'écriait : « Je surabonde de joie en toutes mes tribulations ! » (2 Corinthiens 7 , 4) Quel reproche pour moi qui ne fais rien, ne donne rien, ne souffre rien, dans le but d'épargner aux autres un peu de dégoût et d'ennui !...
III. Suite nécessaire de l'inquiétude d'un cœur qui n'est point à sa place, et qui ne peut l'être tout à fait ici-bas, les ennuis et les dégoûts sont inévitables en cette vie. Parce que notre nature est sujette au caprice et à l'inconstance, parce que la piété contrarie nos anciens goûts et nos premiers penchants, nous éprouvons au service de Dieu des répugnances et des amertumes, qui mettent notre patience ou notre fidélité en péril. Le désir de changement, si commun dans notre siècle, fait que la stabilité même nous ennuie. Tenons ferme, et l'expérience nous apprendra que, dans la piété, les ennuis et les dégoûts sont moins amers qu'on ne se le figure, moins amers que ceux des mondains, qu'ils ont des ressources que ceux-ci n'ont pas, et que la vertu n'a point de peine qui n'ait sa consolation. Mais comment nous conduisons-nous dans l'agonie du dégoût et de l'ennui ?...
Lisez dans l'Agonie de Jésus, Liv. v, ch. v. Le dégoût et l'ennui dans les membres mystiques de Jésus.
Pratique : Ne laissons pas voir aux autres, surtout à ceux qui pourraient en être scandalisés ou refroidis, les ennuis et les dégoûts que nous éprouvons parfois au service de Dieu. Afin de les diminuer, donnons-nous purement en sacrifice au Seigneur, sans en attendre rien d'extraordinaire et de sensible.
Exemple
Sainte Madeleine de Pazzi désirait si vivement souffrir sans aucune consolation, qu'elle conjurait souvent le Seigneur de lui retirer tous les goûts et plaisirs spirituels. Elle fut si bien exaucée qu'elle se comparait à un morceau de bois, à une pierre insensible. Mais jamais son visage ne parut ni troublé ni altéré ; on y vit toujours cette grâce angélique et cette douce paix, qu'elle avait dans le cœur. Néanmoins, pour échapper à toute illusion, pour ne point aggraver par ses négligences son tourment le plus cruel, l'extrême aridité d'esprit, elle redoublait ses macérations et ses efforts, afin de s'exciter à la dévotion, de réveiller en son cœur le goût des choses spirituelles. Pour sauver des âmes en péril, elle s'offrit à rester privée de tout sentiment, dépouillée même de toute grâce, excepté de la grâce principale qui est l'amour de Dieu et la volonté de le servir. Le Seigneur l'exauça encore, en l'éprouvant par de longues et atroces souffrances dans le corps et dans l'âme. Mais plus la sainte souffrait pour le salut des pécheurs, plus elle désirait souffrir.
Vous pouvez retrouver et télécharger les 3 volumes de L'Agonie de Jésus du Père François Blot,
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