Le Mois de Marie à la Grotte de Lourdes
Le Mois de Marie à la Grotte de Lourdes
Treizième jour
Les Secrets
Le lendemain, mardi 23 février, avait lieu la septième Apparition. Interrogée sur ce que la Dame lui avait dit, Bernadette répondait qu'elle avait reçu trois secrets, mais que ces secrets ne regardaient qu'elle seule. La voyante ajoutait que les confidences qui lui avaient été faites ne pouvaient être communiquées à personne, pas même à son confesseur. Des indiscrets ont cherché bien souvent, soit par insinuation, soit par ruse, soit par des promesses, à arracher à l'enfant les révélations de la Vierge. Toutes les tentatives ont échoué, et Bernadette a emporté avec elle ses secrets dans la tombe. Les Apparitions avaient fait de la voyante un disciple du Surnaturel ; les dépositions en avaient fait un témoin ; les contrariétés, une éprouvée ; les secrets en firent une initiée. Ainsi le voulait la logique progression de l'oeuvre : on est élu, on parle, on souffre : dès avant l'entrée définitive dans la lice, on est récompensé par l'initiation.
Or, l'initiation, nécessairement mystérieuse, revêt toujours la forme du Secret. Ce qu'il y a au monde de plus vital et de plus captivant est ce qui est le plus caché. Aussi, innombrables sont les secrets, et les ausculteurs de la curiosité sont sans cesse en éveil. Il y a les secrets de la nature, les secrets de la religion, les secrets du génie ; les secrets de l'intelligence : les secrètes pensées ; les secrets du cœur : les secrètes amours; les secrets d'état, les secrets professionnels ; les secrets de société : les sociétés secrètes Seuls, les intimes, sont les initiés. En latin, le mot secret est synonyme de sacrement : « Sacramenta regis abscondere bonum est : il est bon de cacher les secrets du roi, disait l'archange Raphaël à Tobie ». Le secret pourrait être défini le sacrement de l'amitié : signe sensible institué par le cœur pour produire, comme autant de grâces naturelles, les initiations et les intimités. Bernadette, recevant des secrets de la Dame, devenait une amie intime, une initiée...
Or, le secret, qu'apporte-t-il ? Il apporte, toujours une révélation de haute estime. Avant de s'ouvrir, quand on a le souci de sa dignité et qu'on ne veut pas s'exposer aux mécomptes, on sonde le terrain, on étudie, on tâte ceux en qui on pourra s'épancher. Et l'on ne se décide aux aveux, enveloppés jusque-là d'ombres épaisses, que lorsqu'on a acquis la certitude d'être bien compris, mieux aimé. Le secret communiqué est alors, non une expectoration d'enfant, une prurition de vanité maladroitement satisfaite, mais un hommage judicieux rendu à l'intelligence, à la délicatesse de celui, de celle à qui nous le livrons. Sur cette estime intellectuelle, morale, se greffe la confiance qu'on ne sera point trahi. Et l'estime et la confiance font éclore, selon les circonstances et les personnes, l'amour ou l'amitié.
Ainsi agit la Dame envers Bernadette : elle la juge prête aux communications confidentielles, et lui témoigne la plus haute estime avec le plus profond attachement ! Le secret apporte, quelquefois, la révélation d'une joie. Une bonne aubaine, depuis longtemps désirée, arrive enfin : on réserve la primeur de la nouvelle aux amis : joie individuelle. La famille nourrit l'espoir d'un prochain rejeton, un héritage est sur le point d'échoir, une amélioration notable de situation se prépare : on en prévient les amis : joie familiale. Mis au courant des arcanes de la diplomatie, des élaborations de la politique, on est, dès la veille, renseigné sur l'événement, coup de bourse, coup d'état, vrai coup de baguette magique, qui rendra plus riant l'aspect des lendemains : on en cause, à mots couverts mais suffisamment compréhensibles, avec ses amis : joie sociale. Le projet d'une fête a été conçu, une décision importante pour le fonctionnement de la paroisse, pour la dignité et l'indépendance de l'église, pour la prospérité d'une congrégation, là où la liberté permet aux congrégations de fleurir, va être prise : on le sait, on en parle aux amis : joie religieuse.
Les secrets de la Dame renfermèrent sûrement une part de joie pour Bernadette : pendant l'Apparition, ses yeux eurent les étincellements, ses lèvres les sourires, ses traits la grâce que nous avons décrits. Il fallait que l'enfant fût d'une pureté, d'une humilité, d'une efflorescence d'âme bien agréable à Dieu, pour que la Vierge, se confiant à elle, lui ménageât ces jubilations, ces transports de céleste bonheur. La Dame est-elle aussi contente de nous ? Ses secrets, pour nous, seraient-ils un écho de sa joie maternelle ? Heureuses les âmes qui inspirent à Marie un tel contentement !
Le secret apporte, souvent la révélation d'une grande souffrance. On n'en peut plus ; à l'insu du voisinage, parce qu'on a des coquetteries de pudeur, on est martyrisé en son âme, sinon en son corps ; on mugira comme un torrent, si l'on n'a pas l'occasion de murmurer comme un ruisseau ; on a trouvé le consolateur, la consolatrice, et les sons qu'on exhale ressemblent à des glas. Le mystère de la plupart des existences humaines est fait de larmes que les yeux se refusent à verser devant les yeux d'autrui : on nous voyait sourire, on nous entend gémir... Les notes tristes ne manquèrent certes point aux secrets de la Dame : à la fin de l'extase, on vit Bernadette se traîner à genoux, jusque sous l'églantier, se recueillir, baiser terre et retourner, toujours sur ses genoux, à la place momentanément abandonnée. Cette souffrance de Marie ne pouvait venir que des pécheurs pour lesquels déjà elle avait conseillé de prier.
Ah ! Si, quand le tentateur nous incite au péché, nous prenions l'habitude de songer à la Dame, et de nous écrier en un bond d'indignation : « Non, je ne veux point pêcher : la Dame souffrirait », quel réconfort nous puiserions, pour la lutte, en cette évocation filiale ! Ainsi peut-être, s'il n'est pas inconvenant de risquer une interprétation des intimités de la Vierge avec son initiée, les trois secrets commis à Bernadette furent : le premier, une révélation d'estime ; le second, une révélation de joie ; le dernier, une révélation de douleur. Trilogie sacrée dont nous ne pourrons jamais, profanes, connaître au juste le motif musical et l'harmonie, ici-bas !...
Examen
N'aurions-nous pas aimé recevoir comme Bernadette les secrets de la Dame ? Quelle lumière, quel honneur, quelle sécurité pour cette enfant !... Le secret est créateur d'amitié : on se met toujours un peu, pour quelques minutes au moins, sur un pied d'égalité avec celui, celle à qui on se livre.... Le secret est illuminateur de conduite : ce qui nous manque, c'est de voir les choses de Dieu, et celles de notre âme : l'initiation aux arcanes donne le mot de quelques-unes des énigmes qui entourent notre être.... Le secret est inspirateur d'amour : un lien plus fort unit ceux qui se sont parlé, en excluant les autres du mystère des intimités.... Le secret est sanctificateur de vie quand il émane, directement ou indirectement, de Dieu : voyant mieux, aimant plus, se sentant moins seul, on se sanctifie davantage...
Telle grâce de lumière plus vive, telle impulsion spirituelle plus vigoureuse, n'ont-elles pas été, au cours de notre vie, comme des secrets que nous communiquait la Vierge ?... Je n'ai rien entendu, disait le Père Ratisbonne, mais j'ai tout compris.... De même, sans rien entendre matériellement, nous comprenons tout au fond de notre cœur, comme si nous avions tout entendu.... Il en est beaucoup parmi les dévots de la Vierge à qui sont parvenus de la sorte quelques-uns des célestes secrets...
Etudions-nous, éprouvons-nous nos amis avant de les initier à nos pensées intimes ? On en trouve si peu qui soient capables de porter, de garder, de comprendre un secret !... Trop parler nuit... La parole est d'argent et le silence est d'or... On ne se repent jamais de s'être tu, quand le devoir ne commande pas de parler... Avons-nous été sobres dans nos épanchements de joie ?... La joie est si facilement mauvaise conseillère.... Il faut beaucoup de vertu pour rester Saint, avec un peu de cette joie qu'apporte, par intervalles, la réussite dans la vie.... La prospérité est un vin capiteux pour les petites cervelles.... Le plaisir, rendant très expansif, est surtout redoutable.... La révélation de son secret à Dalila fit de Samson le bouc émissaire et la victime de ses ennemis...
Avons-nous été plus sobres encore de paroles au temps de la douleur ?... C'est alors qu'il faut du flair pour le choix de ses confidentes et de ses confidents.... La souffrance nous incline à mendier la consolation comme des enfants.... On s'affaiblit en s'ouvrant, et par l'ouverture où a passé la compassion passe vite, si l'on n'y veille, le péché... Au deuil du bonheur s'ajoute, en ces occurrences, le deuil plus navrant des vertus... On aurait dû se taire, on a parlé, on s'est découronné... Le secret confié a-t-il été pour nous un dépôt sacré ? Ne nous sommes-nous jamais départis de la discrétion, de la reconnaissance, de la fidélité, que le secret impose ?... Que de fois les petits mots préparent les gros mots !...
Prière
O Notre Dame, nous ne sommes point assez saints pour mériter vos secrètes communications, à l'instar de Bernadette. Mais si vous vous décidiez, malgré notre indignité, à révéler vos impressions sur nous, serait-ce de la joie ou de la tristesse que notre conduite ferait monter de votre cœur à vos lèvres ?... Nous ne sommes pas assez délicats pour vous rendre joyeuse, et nous sommes assez indifférents, je n'ose dire criminels, pour vous faire pleurer... Parlez-moi quand même dans le tête-à-tête, dans le cœur-à-cœur de la grâce dont vous êtes la distributrice... Dites vos secrets mécontentements, je me corrigerai ; vos secrètes angoisses, je les consolerai ; vos secrètes allégresses, je tâcherai de les accroître et les partagerai !...
O Marie, conçue sans péché, Priez pour nous qui avons recours à vous.
Notre-Dame de Lourdes, priez pour nous.
Texte extrait du « Mois de Marie à la Grotte de Lourdes », Abbé Archelet, Librairie P. Lethielleux, Paris, 1908
Pour recevoir les méditations du Mois de Marie, chaque jour, dans votre boite mail, abonnez-vous à la newsletter d'Images Saintes