Les
Sept Vendredis de Notre Dame des Douleurs
Depuis
plusieurs siècles les Fidèles se sont empressés de pratiquer la
Dévotion des sept Vendredis dans tous les lieux où elle est
répandue; voulant la faire embrasser à ceux qui l'ignorent, nous
chercheront, en la leur faisant connaître, de leur apprendre les
principaux avantages qu'ils peuvent en retirer. Dès la semaine de la
Septuagésime, ils doivent s'appliquer, tous les Vendredis Jusqu'à
la fête de la Compassion, aux pieux exercices de cette dévotion,
qui leur fourniront un moyen facile de satisfaire leur tendre piété
pour la très Sainte Vierge en partageant ses douleurs, et un
puissant secours pour se sanctifier pendant le Carême. Chacun des
Vendredis dont nous avons parlé, les Fidèles doivent, autant qu'il
sera possible, observer la méthode suivante: 1° Lire au
commencement de la journée la méditation du Mystère; 2° Réciter
le Chapelet des sept Douleurs, ou au moins sept Notre Père et sept
je Vous salue Marie; 3° Visiter une chapelle ou une statue de Notre
Dame des Douleurs, y réciter le Stabat, et s'ils ne le savent pas,
au moins un Notre Père et un je Vous salue Marie; 4° Approcher avec
ferveur des Sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Les Pratiques
de cette dévotion peuvent servir utilement dans le courant de
l'année, pour obtenir quelque grâce par l'intercession de la
très-Sainte Vierge.
Premier
Vendredi
Le
Glaive qui perça le cœur de Marie dans la prophétie de Syméon
Jérusalem renfermait,
à cette époque, un juste nomme Syméon, plus charge de mérites que
d'années, quoiqu'il fût d'un âge avancé. Pendant que Marie et
Joseph entraient dans le temple, Syméon y arrive au moment même où
ils présentaient le Messie nouveau-né. Eclairé d'une lumière
supérieure, il regarde la mère, il admire le divin Enfant avec des
yeux étincelants et d'un visage enflammé, il prend Jésus dans ses
bras, le presse sur son cœur, et dans une douce extase, il bénit
Dieu d'une si haute faveur, et lui fend de vives et solennelles
actions de grâces d'avoir exaucé ses longs désirs à ce sujet.
Ensuite, s'adressant à Marie, par l'inspiration du Saint-Esprit, il
lui fait cette célèbre prédiction: « Cet enfant est pour la
ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël, et pour être
en butte à la contradiction des hommes ». Qui pourrait
exprimer la douloureuse impression que fit cette triste prophétie
sur le cœur maternel de Marie? Malgré les lumières qu'elle avait
déjà reçues, elle vit alors encore plus clairement se dérouler à
son esprit le sombre tableau des souffrances que son Fils devait
endurer; elle connut plus que jamais qu'entre toutes les mères elle
était la seule qui rachetait son premier-né pour peu de temps,
puisqu'il était destiné aux douleurs, aux opprobres et aux
supplices. Dès lors, au sentiment de Saint Jérôme, l'âme de Marie
eut à subir un martyre plus dur que celui de tous les martyrs
ensembles; martyre qui, selon Saint Bernard, dura trente-trois ans,
pendant lesquels Marie vécut en mourant sans cesse, parce que son
cœur souffrait une douleur pire que la mort, sans remède et sans
adoucissement. Comme les eaux des fleuves, en entrant dans l'Océan,
deviennent salées et amères, les consolations de Marie, depuis ce
jour mémorable, se changeaient pour elle en violentes amertumes. De
là, elle ne pouvait arrêter ses yeux sur l'admirable humanité du
Sauveur, sans penser aussitôt aux mépris, aux tortures, à la croix
qui l'attendaient. Déjà Marie croyait voir les blessures de ses
pieds, de ses mains et de son côté toutes couvertes de sang!...
Mère infortunée, ce ne fut pas seulement pendant la vie de son Fils
qu'elle souffrit ce dur martyre, la plaie que lui fit la prophétie
de Syméon ne se ferma jamais tant qu'elle vécut: « Cette-douleur
dit-elle un jour à Sainte Brigitte, affligea mon cœur jusqu'au
moment où je fus élevée en corps et en âme dans le Ciel ».
O glaive douloureux! O peine sans égale!
Colloque
O
mère affligée! quel cœur ne se fondra pas de douleur et de
componction en considérant le vôtre percé du glaive que lui
annonça Syméon! Ah! quel cruel martyre pour vous, de penser que
votre divin Fils, après une vie entière de souffrances, après une
mort cruelle et ignominieuse, serait encore déchiré et crucifié de
nouveau, avec plus d'impiété que jamais, par les monstrueux péchés
des hommes! Non de semblables tortures n'étaient point faites pour
votre beau cœur; elles me convenaient bien mieux à moi qui suis
coupable de fautes graves! Vous savez d'ailleurs que j'ai lancé
contre vous, non pas un seul glaive, mais cent, mais mille traits
meurtriers, autant de fois que j'ai eu le malheur de pécher.
Purifiez maintenant, par votre douloureux martyre, tout mes
sentiments impurs; blessez si profondément la dureté de mon cœur,
qu'il soit pénétré de la plus vive douleur d'avoir renouvelé, par
mes péchés, la dure Passion de Jésus, et d'avoir de nouveau percé
son cœur adorable.
Deuxième
Vendredi
Souffrances
de la très Sainte Vierge dans la fuite en Egypte
Après
la cérémonie de la Purification de Marie et de la Présentation de
son Fils au temple, la sainte Famille retourna à Nazareth. Or,
Hérode, roi des Juifs, ayant appris des Mages la naissance d'un
nouveau prince, et déjà instruit par la voie publique de ce qui
s'était passé au temple quand le divin Enfant y avait été
présenté, il n'en fallut pas davantage à ce roi soupçonneux pour
craindre que ce rejeton de David ne lui enlevât la couronne. Il prit
donc, sans délai, des mesures pour affermir son trône, qu'il jugea
en péril, et il forma le dessein de mettre à mort le nouveau-né.
Misérable orgueil humain! La Mère et le nourricier de Jésus
n'étaient occupés, dans leur chétive demeure, qu'à contempler le
Fils de Dieu qui croissait en grâce chaque jour. Contents de leur
état en vue de Dieu, ils travaillaient et dormaient en paix. Une
nuit, entre autres, dans laquelle, plus fatigué qu'à l'ordinaire,
Joseph dormait profondément, un Ange lui dit à l'oreille de se
lever promptement et de fuir en Egypte, avec son épouse et le divin
Enfant, attendu qu'Hérode cherche à faire mourir Jésus. Docile à
la voix de l'Ange, Joseph, étonné, va réveiller Marie et lui
communique l'ordre du Ciel. Tendre Mère! quelle triste nouvelle!
dans quelle fâcheuse situation elle se trouve! faible, délicate,
avec un tendre nourrisson et un époux âgé et fatigué, que
fera-t-elle? Ah! je la vois dans une véritable agonie; son cœur
tombe en défaillance en pensant au danger que court le divin
Enfant!.. Mais à quoi servent les délais? elle se prépare à
exécuter au plus tôt les ordres du Ciel. Elle s'approche en
tremblant du berceau où l'Enfant Jésus dormait paisiblement; elle
le lève, le prend entre ses bras, l'enveloppe promptement de ses
langes, le couvre de son mieux pour le défendre des injures de l'air
rigoureux de la saison; et sans tarder davantage, sans dire adieu à
ses voisins et à ses amis, sans dire un seul mot, ne portant aucune
provision, mais seulement quelques hardes, elle part dans le silence
de la nuit, sous la protection des ténèbres, appuyée du côté
gauche sur le bon vieillard Joseph, et de sa main droite pressant
l'Enfant Jésus sur son cœur. C'est en soupirant, qu'elle part et
fuit en Egypte. Au moindre bruit qu'elle entend, elle frémit, son
cœur palpite, son sang se glace dans ses veines, elle craint que les
émissaires du roi inhumain ne viennent dans l'ombre arracher son
Fils de son sein, et le massacrer. Si l'on considère ensuite la
longueur et la difficulté du chemin, que n'eut pas à souffrir cette
Vierge sainte! Il lui a fallu marcher pendant trente jours au moins;
traverser des déserts; gravir des montagnes, et passer dans des
forêts inhabitées. Pendant combien de jours n'aura-t-elle eu pour
toute nourriture que des herbes crues et des racines sauvages?
combien en aura-t-elle passé sans boire ni manger? combien de nuits,
dans cette saison froide, a-t-elle dû passer couchée sur la pierre?
Mais quel Surcroît de douleur pour elle de sentir l'Enfant Jésus
souvent tout glacé, malgré les soins qu'elle prenait de le couvrir,
de le presser sur son sein, et de l'échauffer par ses soupirs
enflammés! combien de fois pour apaiser ses pleurs, lui aura-t-elle
donné, en l'allaitant, son cœur fondant de douleurs? O souffrances
universelles! ô peines incompréhensibles!
Colloque
O
Vierge affligée! que votre exemple me confond. Dans un âge si
tendre, vous fuyez en Egypte avec tant de peines, foulant aux pieds
les aises et les plaisirs du monde; modèle accompli de résignation,
d'obéissance, de charité, de confiance en Dieu; tandis que
non-seulement je ne fuis pas le danger d'offenser Dieu, mais encore
je m'y expose souvent de propos délibéré, m'abandonnant à ma
présomption, à ma négligence, à mon esprit d'indépendance, à
mon orgueil! O Mère de miséricorde! rendez-moi semblable à vous,
je vous en supplie; daignez aussi m'accorder votre puissant secours
dans le voyage terrible que je fais maintenant vers l'Eternité.
Faites que j'évite les dangers de l'Egypte de ce monde, afin que je
partage un jour votre bonheur dans la céleste Jérusalem.
Troisième
Vendredi
Tristesse
de la très Sainte Vierge lorsqu'elle perdit Jésus dans le temple
La sainte Famille avait
demeuré sept ans en Egypte par l'ordre exprès du Seigneur, et avait
beaucoup souffert dans ce long exil, lorsqu'un Ange signifia à Saint
Joseph de retourner en Israël. Le retour fut plus pénible encore
que n'avait été le voyage précédent. Quand il fallut fuir,
l'Enfant Jésus pouvait se porter au bras; mais à l'âge de sept
ans, dit Saint Bonaventure, il était trop grand pour être porté,
et trop petit pour faire à pied un si long voyage. Le cœur de Marie
était donc plus affligé qu'auparavant en cette circonstance, et par
rapport à son cher Fils, et par la peine de Joseph devenu plus âgé.
Dans la fuite, la très-Sainte Vierge éloignait son Fils de ses
ennemis; en retournant en Judée, elle leur allait au-devant et
conduisait Jésus à la mort; car elle savait qu'il serait un jour la
victime de leur barbarie. Enfin, de retour à Nazareth, Jésus, Marie
et Joseph y vécurent dans le travail et avec beaucoup de peine; ils
n'en sortaient qu'aux jours de fêtes, où, suivant la loi, ils
allaient au temple de Jérusalem, pour écouter les divins oracles
des livres saints, participer aux sacrifices, et célébrer les
solennités légales. Ils avaient toujours eu l'Enfant Jésus avec
eux, et rien de fâcheux ne leur était encore arrivé dans ces
voyages; mais lorsque le Sauveur eut atteint l'âge de douze ans, ils
le conduisirent, selon leur coutume, à Jérusalem, pour y faire la
Pâques. Ils assistèrent pieusement aux sacrifices de la solennité,
pendant sept jours,dans le temple. Lorsqu'ils retournèrent à
Nazareth, le divin Enfant demeura à Jérusalem sans qu'ils y fissent
attention, et ils ne s'en aperçurent qu'après une journée de
chemin. Quelle douleur pour Marie et pour Joseph! Ils étaient
arrivés dans l'asile où ils devaient passer la nuit, et ne virent
point leur bien-aimé. Jésus s'était caché ou rendu invisible à
leur départ de Jérusalem. Sa tendre Mère et son fidèle gardien,
par une disposition admirable de la Providence, pensèrent que Jésus
s'était joint à d'autres familles de Nazareth, également venues à
la fête. Mais quelles furent les angoisses de Marie quand elle vit
que son divin Fils ne s'y trouvait pas! Joseph dit: nous l'avons donc
perdu! que sera devenu ce cher Fils? Puis-je vivre sans lui!
retournons sur le champ sur nos pas; demandons-le; cherchons-le...
non, mon cœur ne pouvait être frappé plus douloureusement; allons,
ne perdons pas un moment; hâtez-vous... de grâce, hâtez-vous....
En effet, Marie se met en marche quoiqu'il soit dejà nuit, elle
cherche Jésus parmi les parents et les connaissances qu'elle
rencontre, et retourne à Jérusalem. Ses larmes sont plus nombreuses
que ses pas; ses soupirs continuels embarrassent sa respiration; et à
tout instant, elle dit aux passants comme l'épouse du Cantique:
« Avez-vous vu le bien-aimé de mon âme? » Mais, hors de
Jérusalem comme dans Jérusalem, personne ne lui en donne des
nouvelles. Elle s'écrie dans sa douleur: « Saints Anges, qui
accompagnez ce Fils adorable; éléments, qui lui obéissez; soleil,
qui éclairez son séjour; montrez-le-moi! Cette Vierge désolée
pleure le jour et la nuit; inconsolable, son amertume va toujours
croissant, elle ne peut prendre ni nourriture ni repos, parce qu'elle
a perdu à la fois son Fils, son père, son époux, son trésor, son
Dieu. L'esprit agité de mille lugubres pensées, le cœur déchiré
par une séparation si inattendue et si douloureuse, elle se meurt:
Père Eternel, ayez pitié de cette mère désolée, sa vie est en
danger; de grâce faites-lui trouver son. Fils!... Mais non, elle en
sera privée pendant trois jours... Elle court, elle revient, elle
demande encore Jésus dans les maisons et dans les rues; peine
inutile! son deuil augmente, ses angoisses n'ont plus de bornes!...
Enfin, au bout du troisième jour, elle vient au temple toute
éplorée, et en y entrant elle voit son divin Fils assis au milieu
des Docteurs? les écoutant et leur proposant des questions sur la
loi de Moïse... La douleur de Marie avait été si vive pendant ces
trois jours, son cœur en avait été oppressé à un tel point,
qu'en revoyant Jésus elle ne put s'empêcher de lui faire cette
douce plainte: « Mon fils, pourquoi en avez-vous usé ainsi
envers nous? Nous vous cherchions, votre père et moi, étant fort
affligés ».
Colloque
O Vierge admirable! que
de larmes vous répandîtes pendant les trois funestes jours où vous
fûtes privée de votre souverain bien! Ah! combien ce cruel martyre
m'apprend à connaître et à pleurer l'aveuglement et la dureté de
mon cœur! Vous étiez l'innocence même, par une grâce spéciale
vous étiez impeccable, et vous gardiez Jésus dans votre cœur comme
sur un trône ou il prenait ses complaisances; et cependant vous
pleurates amèrement jour et nuit sa perte, et vous le cherchâtes
sans délai et sans relâche. Et moi, j'ai eu le malheur de le perdre
volontairement tant de fois, et de le chasser de mon cœur par tant
de péchés et avec une si noire ingratitude!... Toute autre perte,
dit Saint Augustin, plonge les imprudents dans la tristesse,
l'abattement et le désespoir... Mais bêlas! en perdant Jésus, je
perds mon Dieu, et néanmoins, par une indifférence qui tient du
sacrilège, je mange, tranquillement, je vis content, et j'ose goûter
les douceurs du repos! Quelle folie! et qui me donnera une fontaine
de larmes intarissable pour pleurer mon, âme privée de son Dieu? O
sainte Mère! apprenez-moi à chercher Jésus, puisqu'en le perdant
je perds tout à la fois, mon âme, mon Dieu, ma félicité, le Ciel.
O Mère de miséricorde, faites que je le cherche avec ardeur et
constance, de peur qu'après ne l'avoir pas cherché, maintenant que
je puis le trouver, je ne le cherche en vain dans la suite. O Marie !
faites-moi trouver Jésus pendant ma vie et à l'heure de ma mort, en
me faisant trouver sa grâce; mais surtout faites qu'après ma mort
je retrouve Jésus dans sa gloire. Et vous, ô mon Dieu! qui voulûtes
peut-être vous cacher pour que Votre tendre Mère vous retrouvât
par le mérite de ses larmes, de grâce exaucez sa prière tandis que
je vous adresse ces désirs du chartreux Lodolphe: « Seigneur
Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, que vos parents cherchèrent
pendant trois jours, et qu'ils trouvèrent enfin dans le temple,
faites que ma pauvre âme vous désire, qu'en vous désirant elle
vous cherche, qu'en vous cherchant elle vous trouve, qu'en vous
trouvant elle vous aime, qu'en vous aimant elle rachète ses péchés,
et qu'en les rachetant elle n'y retombe jamais. Ainsi soit-il.
Quatrième
vendredi
Douleur
de la sainte Mère de Jésus quand elle le rencontra portant sa
croix, et en l'accompagnant au Calvaire
A peine le faible et
inique gouverneur eut-il abandonné le divin agneau à la fureur du
peuple déicide, que la croix fut préparée et que le funèbre
cortège se mit en marche. Tendre Mère! qui aura l'attention de vous
éloigner d'un pareil spectacle? O Madeleine! Salomé! Marie de
Cléophas! et vous, disciple bien-aimé, empêchez à la très Sainte
Vierge de voir son Fils chargé du bois infâme, hors d'haleine,
déchiré, tout sanglant, à demi mort, et de chute en chute se
rendant au Calvaire..., Hélas! cette vue ne lui sera pas épargnée;
rien ne l'arrête, ni sa timidité virginale, ni la multitude des
assistants, ni l'horreur du supplice. Marie, en proie elle-même à
des angoisses mortelles, accourt pour faire le dernier adieu à
Jésus, et le voir pour la dernière fois. Il va passer, le bruit des
armes, le son de la trompette funèbre se font entendre et annoncent
le prochain supplice du Sauveur du monde; déjà apparaît le drapeau
noir, suivi d'un peuple en délire et transporté d'une joie
infernale; on voit les ennemis de Jésus applaudissant dans les
groupes à leur barbare triomphe; et, au milieu de cette troupe
furieuse, Marie voit son doux Jésus, elle le distingue aux cordes et
aux chaînes tient il est inhumainement garrotté, à la lourde croix
dont il est chargé, et aux coups que ses bourreaux féroces ne
cessent de lui porter. Marie voit Jésus, mais quelle vue déchirante!
quelle rencontre mortelle! Elle le voit couvert de sang de la tête
aux pieds, inondé de sueur, de boue et de crachats: les yeux du Fils
et de la Mère se rencontrent; Marie, les yeux fixés sur Jésus,
s'élance vers lui, et lui tend les bras; mais elle ne peut ni
l'atteindre, ni lui parler. Les archers la repousse avec cruauté, et
la foule, la rapidité de la marche n'ont pas permis l'échange d'un
seul mot entre Jésus et Marie! mais quelle expression dans leur
rapide regard! quel langage ineffable entre leurs cœurs! Marie
reçoit dans le sien, comme dans un miroir fidèle, toutes les
douleurs et les amertumes de Jésus, qui est accablé de ses peines
et de celles de sa Mère; et du cœur de Marie viennent se refléter,
dans le cœur de Jésus, les douleurs de sa Mère et les siennes
propres. O mon Dieu! quel cruel moment pour Jésus et pour Marie! son
cœur maternel succombe à une si dure épreuve; elle pâlit et tombe
en défaillance. Ah! si les femmes juives furent touchées de
compassion jusqu'à ne pouvoir retenir leurs larmes, si la pieuse
Véronique, n'écoutant que son émotion, courut appliquer un Suaire
à Jésus, pour lui essuyer le visage, que dut éprouver le cœur de
la Mère du Sauveur? Revenue un peu de sa langueur mortelle, elle
lance un regard de douleur sur le chemin du Calvaire, et voit qu'un
nouvel achoppement précipite à terre le Sauveur mourant sous le
fardeau de la croix, et que le sang divin coule des blessures qui
sont rouvertes par le choc. A cette vue, ses pleurs redoublent; et
cependant, sans s'arrêter, elle porte plus loin ses pas chancelants.
Pâle, languissante, ne cessant de soupirer, à l'aide des saintes
femmes et du disciple chéri, elle suit son Fils, portant elle-même,
suivant l'expression d'un Père, une croix meurtrière dans son cœur;
et lorsqu'elle apercevait la voie douloureuse toute arrosée du sang
précieux du Sauveur, qui pourrait dire les impressions qu'elle en
recevait? qui pourrait imaginer ses soupirs et ses larmes?
Colloque
O
Marie! quel affreux supplice pour vos yeux très-purs, de voir votre
divin. Fils sur le chemin du Calvaire, meurtri, déchiré et tombant
sous le poids de la croix! Ah! jetez sur moi un regard de compassion,
brisez la dureté de mon cœur, afin qu'il compatisse à vos douleurs
et que je conçoive une vive contrition de mes péchés, qui furent
la véritable cause des souffrances de Jésus et des vôtres. Ah!
puissé-je, docile à la grâce, imiter votre patience sur le chemin
du Calvaire, votre fidélité inviolable à suivre Jésus souffrant,
et votre générosité à mépriser les insultes de ce peuple
insolent et barbare! De grâce, obtenez-moi la force de suivre
l'exemple de Jésus et le vôtre, en supportant mes peines avec
patience, et d'alléger à mon Sauveur le fardeau de sa croix, en
renonçant aux péchés qui la lui rendirent si pesante, et qui
mirent le comble à votre douleur quand vous le rencontrâtes.
Cinquième
Vendredi
Crucifiement
du cœur de Marie au crucifiement de son Fils
Le
cœur du divin Rédempteur étant uni au cœur de sa sainte Mère par
le sang et par l'amour, il s'ensuit nécessairement que les
souffrances de l'un étaient communes à l'autre. Il y a plus, Marie
aimant son divin Fils beaucoup plus qu'elle ne s'aimait elle-même,
elle devait ressentir les douleurs de Jésus plus vivement que si
elle les avait endurées dans son propre corps. Qui pourrait donc, je
ne dis pas expliquer mais seulement imaginer ses angoisses mortelles,
lorsqu'arrivée à la cime du Calvaire, elle vit les Juifs dans la
jubilation et la lie du peuple, se livrant aux transports d'une joie
satanique, parce que le Dieu de Nazareth allait être crucifié? O
Ciel! quels furent les déchirements de son cœur, en voyant étendre
la croix à terre, préparer les clous, approcher les marteaux,
dépouiller de nouveau l'agneau divin avec tant de violence que les
plaies de tout son corps en furent toutes rouvertes; le jeter d'un
seul coup sur l'instrument du supplice; en voyant Jésus se collant à
la croix avec un amour infini, et comme une victime volontaire,
entendant les bras et offrant volontiers ses mains et ses pieds pour
être cloués? Quel spectacle pour Marie! quel océan de douleurs
pour elle, comme elle le révéla à Saint Anselme! Les bourreaux
étendent cruellement la main droite du Sauveur, et, ouvrant la
paume, ils y placent un clou. meurtrier que l'un d'entre eux enfonce
d'un coup de marteau si violent, que le fer déchire les tendons,
perce les os et le bois de part en part. O atroce barbarie! O tendre
Mère! le coup retentit dans son cœur déchiré, elle tombe et
demeure quelque temps hors de ses sens! Le crucifiement continue, et
quand il est terminé on élève la croix sur la cime du Golgotha, et
en ce moment les cris de la multitude furieuse rappellent Marie de
son évanouissement: elle se lève tremblante sur ses pieds, elle
lève les yeux, et voit son. amour crucifié, dont le corps pose sur
ses plaies, la tête baissée, n'ayant que son sang pour tout
vêtement; couvert de la pâleur de la mort, et presque expirant dans
les convulsions et les angoisses du supplice. Marie l'aperçoit au
milieu de deux voleurs crucifiés avec lui, exprès pour mettre le
comble à son ignominie. Elle voit le sang qui coule à flots de ses
mains et de ses pieds cloués, sa tête qui ne peut s'appuyer sur le
bois meurtrier sans que la couronne d'épines ne s'enfonce davantage
dans sa tête auguste; elle voit... ô mon Dieu! elle finit par
baisser les yeux, car elle ne peut plus tenir à une vue si horrible.
Cependant, elle force la nature à se taire, et s'élevant au-dessus
d'elle-même, du fond de l'autel secret de son cœur, elle offre à
la fois au Père Eternel, la victime de son Fils sacrifié, et celle
du martyre de son propre cœur.
Colloque
O
sainte Mère! je suis saisi d'horreur en pensant au martyre de votre
cœur sur la cime du Calvaire, auprès de la Victime si chère à
votre âme, qui s'immolait pour le salut des hommes. O mon Dieu! vous
voyiez les marteaux lancés dans l'air, vous en entendiez les coups
redoublés, vous considériez les clous meurtriers qui attachèrent
Jésus au bois infâme, le sang divin qui coulait de nouveau de ses
plaies rouvertes, les convulsions, le tremblement, les angoisses de
l'Agneau de Dieu, vous pûtes voir tout cela, et vous n'en mourûtes
pas! Mais je comprends que le prodige qui vous soutint dans cette
épreuve sans pareille, ce fut votre volonté constante, invincible
et héroïque qui vous fit souscrire d'une manière admirable au
décret du Père céleste, et à la volonté de son Fils pour la
rédemption désirée du genre humain. Le Père adorable voulut
donner son Fils unique pour le salut du monde, et vous, la mère de
ce Sauveur selon son humanité, vous offrîtes ce même Fils pour la
même fin. Ainsi Jésus offrait son corps adorable en holocauste, et
du fond de votre cœur vous immoliez votre esprit et vous ne vous
appliquiez à ne vouloir que ce qui était écrit dans le Ciel, soit
sur votre Fils, soit sur vous, pour que les hommes fussent rachetés.
O bonté! ô amour inexprimable! Mais, ô tendre coopératrice de
notre rédemption ! puisque vous avez tant souffert pour cette grande
œuvre, faites au moins que je n'en perde jamais le souvenir!
Sixième
vendredi
Gémissements
de la très Sainte Vierge à la descente de la Croix
Joseph d'Arimathie et
Nicodème, disciples secrets de Jésus, munis de la permission de
Pilate, s'empressèrent de remplir eux-mêmes le pieux et charitable
devoir de descendre de la croix le corps mort du Sauveur, en face de
Jérusalem et sous les yeux d'un peuple nombreux, ne comptant pour
rien le grave déshonneur qu'il y avait pour eux à se montrer les
disciples d'un homme crucifié. Ils arrivèrent au pied de la croix,
avec les outils et les échelles, pour en détacher Jésus. Ils y
trouvent sa mère désolée, et impatiente de recueillir le corps de
son Fils dans ses bras. Elle les pria avec larmes d'agir promptement,
pour soustraire ce corps adorable à de nouveaux outrages. Les pieux
disciples, les larmes aux yeux, appuient les échelles à la croix,
ils y montent, ils arrachent avec force, mais respectueusement, les
clous: en ce moment Marie redouble ses soupirs en voyant les bras
pendants du Sauveur, sa tête sacrée tombe sur la poitrine, et enfin
le corps entier sur les épaules des disciples! Anges de paix, qui
pleurez amèrement, suspendez vos larmes! Hâtez-vous de venir
fortifier Marie maintenant qu'elle reçoit dans son sein les membres
froids de son cher Fils! O mon Dieu! quel spectacle! quels tourments!
quel palpitement! quelle immense douleur! Ah! c'est ici qu'on peut
dire avec raison que Marie passe d'une croix à l'autre, ou plutôt
qu'elle est une croix vivante d'angoisses et de déchirements. Dans
le Cénacle, le Sauveur avait dit aux Apôtres qu'il était sorti du
sein de son Père pour entrer dans le monde, et qu'il allait bientôt
y retourner; mais il put dire, ajuste titre, quand il fut rendu à
Marie sur le Calvaire: « Je suis sorti du sein de ma Mère pour
venir sur la croix, et je quitte maintenant la croix pour retourner à
ma Mère ». Mais quelle douleur inexprimable pour Marie que ce
retour! Elle presse, il est vrai, ces divins membres contre son cœur,
mais ils sont gelés et défigurés. Au lieu d'entendre l'aimable
voix de Jésus, au lieu de voir le plus beaux des enfants des hommes,
et de contempler ses grâces ravissantes, elle n'a sous les yeux que
des plaies sanglantes et d'horribles blessures! A la vue de ses
épines qui ont percé cette tête auguste, elle s'écrie: « O
cruelles épines! êtes-vous rassasiées maintenant du sang d'un
Dieu? Elle sonde la profondeur des blessures et surtout de celle du
divin côté, et parcourant des yeux tous ces membres déchirés »,
elle dit, comme autrefois Jacob affligé à l'occasion du jeune
Joseph: « Hélas! une bête féroce à dévoré mon Fils! O mon
Dieu! vit on jamais plus de barbarie exercée sur l'innocence même?
O Père Eternel! ce n'est plus qu'un squelette et la victime de la
cruelle mort; je vous offre cette adorable humanité de votre Fils,
telle qu'elle est à ce moment, toute déchirée et toute sanglante!
Voyez, ô Père saint! si c'est la tunique de votre Fils bienaimé!
Et vous , pécheurs, approchez et voyez les suites funestes de vos
péchés! Qui a blessé cette tête auguste? qui a percé ces pieds
et ces mains? qui a ouvert ce sein divin? Ah! voilà le fruit de vos
crimes et de vos infamies! » Suivant Saint Augustin, Marie,
l'âme sur les lèvres,couvrit de ses baisers et de ses larmes le
visage divin, les mains augustes et les membres ensanglantés de son
divin Fils; et si, comme Saint Germain l'assure, Marie, à force de
pleurer, finit par répandre des larmes de sang, il s'en suit que la
Mère arrosa de ses larmes vermeilles le corps de son Fils, et que
réciproquement le Fils teignit du sang de ses plaies le visage
éclatant de Marie. Parmi tant d'angoisses et tant de sang, cette
Mère accablée aurait voulu mourir en embrassant son Fils mort,
comme Féclie, mère du saint martyr Calliope, expira en embrassant
son fils crucifié. Mais Marie ne l'obtint pas, parce que la mesure
des tourments que la Providence lui réservait n'était pas épuisée.
Colloque
O
Sainte Mère de Dieu! quel cruel moment pour vous! Le cœur me manque
en vous voyant pleurer sans la moindre consolation sur la mort de
votre divin Fils! Hélas! que mes péchés l'ont défiguré! Si la
justice divine a puni avec tant de rigueur un Fils qui n'avait que
l'ombre et l'apparence du péché, à quoi dois-je m'attendre? Ah!
tendre Mère! Mère désolée, comment pourrais-je réparer un si
grand mal? que voulez-vous que je fasse? que je déteste mes
fautes?je les déteste. Que je fasse pénitence? j'y suis résolu.
Que je compatisse à vos souffrances? Ah! amollissez mon cœur, afin
que je remplisse dignement ce devoir de religion. Enfin, par votre
compassion et votre douleur à la vue de Jésus mort, ne permettez
pas que, par de nouvelles fautes, j'accumule de nouvelles cruautés
sur le corps de votre Fils, et de nouvelles rigueurs sur votre cœur
affligé.
Septième
vendredi
Sanglots
de la très Sainte Vierge pendant la sépulture du Sauveur
Le
pieux Joseph et le vertueux Nicodème attendaient le moment
d'embaumer le corps de leur divin Maître pour le placer ensuite dans
le tombeau, Mais le jour déclinait, ils voyaient que sa Mère
affligée ne pouvait arrêter le cours de sa douleur, et dans la
crainte qu'elle n'expirât sur son Fils mort, après un doux combat
de compassion, ils lui ôtèrent respectueusement cet objet chéri,
et retendirent sur un linge blanc. Marie voulut encore, suivant un
grave auteur, aider à rendre ce dernier devoir. D'une main
respectueuse et tremblante, elle enleva de la tête de Jésus la
couronne d'épines; mais les sanglots lui rendaient la respiration
pénible, elle avait peu de force pour arracher les épines, et à la
vue de ces profondes plaies et des chairs déchirées de toutes parts
et dans les endroits les plus sensibles, elle pleurait amèrement en
fermant les yeux et la bouche de son Fils; elle essuya le sang des
blessures et des plaies, et lui rangea décemment les pieds. Mais,
suivant la révélation de Sainte Brigitte, malgré tous ses efforts,
il lui fut impossible de plier les bras du Sauveur; Jésus voulant
montrer par là qu'il les tient toujours ouverts pour recevoir les
pécheurs repentants. Les disciples environnèrent le corps
d'aromates, suivant l'usage des Juifs, et l'ayant enveloppé d'un
suaire, ils le portèrent dans un jardin, près du Calvaire, où
était un tombeau taillé à neuf dans le roc. La Providence voulut
ainsi que la douloureuse Passion de Jésus-Christ commençât dans un
jardin et finit dans un autre jardin. Le corps de l'Homme-Dieu, au
milieu de l'abjection et de la douleur, porté sur les épaules des
pieux disciples, ouvrait la marche; venait ensuite le disciple
bien-aimé plongé dans la douleur, puis les Maries en pleurs, qui
assistèrent jusqu'à la fin au sacrifice sanglant, et qui tour à
tour se partageaient le soin de soutenir la Vierge désolée, qui, à
demi-morte, voulut, d'un pas mal assuré et tremblant, accompagner
son Fils au tombeau; mais quand elle vit qu'on y déposait le corps
adorable de Jésus, quel coup mortel pour son cœur! Elle se jette
elle-même sur ce corps divin; elle demande avec larmes qu'on lui
découvre encore ce visage sacré; elle veut le voir et lui donner un
dernier baiser; elle l'étend et l'enveloppe de ses propres mains, et
pendant qu'elle l'adore profondément, elle sent défaillir son cœur
maternel par la violence de la douleur Elle ne peut l'en séparer, et
semble demander, par ses soupirs et ses sanglots, d'être ensevelie
avec son Fils bien-aimé. Ce spectacle arrache les larmes des fidèles
disciples et des pieuses Maries qui pleurent d'attendrissement et de
compassion; Saint Jean verse des larmes encore plus abondantes que
les saintes femmes; enfin, la Mère de Dieu, mourante, fait son
dernier adieu, et une grosse pierre ferme le monument. Mais en ce
moment, quel redoublement de sanglots! Marie embrasse étroitement
cette pierre fortunée qui renferme son trésor; elle veut y laisser
son cœur, ou plutôt elle voudrait renfermer le tombeau tout entier
dans son cœur. Ses larmes en ce moment furent si abondantes, que,
suivant Saint Bernard, on en voit encore les vestiges sur le marbre
tumulaire. Au reste, son martyre devait être extrême, puisqu'il ne
reçut de.. soulagement ni divin ni humain
Colloque
Mère
désolée, vous confiez enfin au tombeau le corps sacré du Sauveur.
Quelle cruelle séparation! Oui, c'est ici le plus dur moment de
votre martyre! Votre tendresse va donc survivre à la mort
douloureuse d'un Fils adoré, sans en contempler même la froide
dépouille! O douleur au-dessus de toute force humaine! Si le doux
Jésus, pendant sa vie, se troubla vivement au tombeau de Lazare,
parce qu'il était son ami, quelle dut être l'émotion de votre cœur
maternel au tombeau d'un Fils infiniment aimable, d'un Fils
Homme-Dieu! Cette seule pensée attriste l'âme et la trouble, elle
glace le cœur! O Vierge désolée! je ne puis vous consoler, car
vous ne pouvez plus recevoir de consolation humaine; mais, par votre
douleur incompréhensible, consolez vous-même mon malheureux esprit
dans ses épreuves; faites-moi mériter de pleurer avec vous auprès
du divin tombeau, pour que j'arrive un jour à une résurrection
glorieuse et immortelle.
Fête
de la Compassion de Marie
Tristesses
de la très Sainte Vierge pendant le reste de sa vie
La très Sainte Vierge
ne pouvant plus voir sur la terre son amour crucifié, depuis sa
glorieuse Ascension au Ciel. espérait qu'elle pourrait trouver
quelque consolation dans la possession des instruments de la Passion
de son divin Fils; elle pensait que leur vue lui aurait rappelé son
bien-aimé. Elle désirait conserver ses clous et la couronne
d'épines consacrés parle sang du Sauveur; mais, suivant Baronius,
cela ne fut pas en son pouvoir, car les Juifs avaient la coutume
d'ensevelir avec le corps des condamnés, les instruments de leur
supplice, comme sujets à la même malédiction. En conséquence, les
clous et les épines furent ensevelis avec Jésus-Christ; et la
croix, qui n'aurait pas pu entrer dans le tombeau, fut enterrée
séparément. Suivant ce même auteur et d'autres encore, la très
Sainte Vierge réussit à recueillir respectueusement et à conserver
un peu du sang précieux et de l'eau mystérieuse qui sortirent du
côté de Jésus. Elle retint aussi de petits linges teints du divin
sang, sans parler des diverses empreintes qu'en avaient conservé ses
habits. Or, ayant presque toujours sous les yeux ces reliques
sanglantes de la cruelle Passion de son Fils, que de soupirs et que
de larmes cette vue a dû lui arracher! On peut donc affirmer, sans
crainte de se tromper, que dès l'instant funeste où son divin Fils
fut mis dans le tombeau, son âme fut dans une affliction
continuelle; et que, non contente de renouveler ses peines par la vue
de ces objets, elle parcourait, tant qu'elle vécut, les lieux
consacrés par le sang de l'Homme Dieu. Cette Vierge sainte se
rappelait ainsi successivement, la noire trahison de Judas, les
divers tribunaux, l'horrible flagellation; elle se représentait les
peines de son Fils, la malice des hommes, la justice sévère du Père
céleste, la voie douloureuse teinte du divin sang; lorsqu'elle était
seule, elle se rappelait sa fécondité par l'opération du
St-Esprit, la longue suite des mépris et des persécutions du Verbe
fait chair parmi les hommes, jusqu'au moment où il scella le
testament de la Rédemption par sa mort sur la croix. Marie pesait
tout et connaissait tout parfaitement. Son imagination lui retraçait
les Apôtres fugitifs et dispersés dans la nuit fatale, et
abandonnant leur Maître dans le danger: elle en exceptait Jean, qui
suivit Jésus sans pouvoir le secourir, et Pierre qui lui fut
infidèle et le renia au foyer du Vestibule. Ensuite Marie jetant au
Ciel un regard qui dit tout sans prononcer un mot; et puis, baissant
le front vers la terre, elle s'écriait avec tristesse: « O
humanité inconsidérée! combien coûte ton crime? » Telles
furent les sombres pensées qui occupèrent Marie le le plus souvent,
jusqu'à ce que son divin Epoux lui lança un trait d'amour plus
ardent, qui la pénétra tout entière et l'enleva à cette vie
pénible et mortelle.
Colloque
Vierge
sainte, votre vie fut un martyre continuel, et les puissances mêmes
de votre belle âme, lui fournirent une ample moisson. Votre mémoire
fut toujours frappée du souvenir déchirant de la Passion de votre
divin Fils. Votre entendement vous donnait les motifs les plus forts
de compatir à ses tourments. Votre volonté était occupée à la
fois des actes les plus ardents d'amour et de douleur. C'est donc à
juste titre qu'un diadème douloureux convient mieux à votre tête
auguste, comme Reine des martyrs, parce qu'il vous rend plus
semblable à Jésus, qui est le Roi des martyrs; et que le sang d'un
Dieu crucifié, dont votre manteau fut arrosé sur le Calvaire, vous
a orné d'une pourpre plus vive et plus éclatante que le manteau
d'or que forme l'astre du jour. Je vous salue, Vierge auguste, je
compatis à vos peines sur la terre, et je vous félicite en même
temps de tout mon cœur, maintenant que vous régnez dans le Ciel,
parce que vous n'avez pas moins de gloire dans les souffrances que
dans les joies. Je vous prie, ô ma bien-aimée Reine! de m'obtenir
une constance chrétienne dans l'adversité, et de me regarder
toujours comme un des sujets les plus fidèles de votre empire.
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