Semaine
Sainte 2010
Lundi
Saint
Extrait
des révélations de Maria Valtorta
le
jour
Jésus
sort de bonne heure de la tente d'un galiléen, là-bas, sur le
plateau de l'Oliveraie où de nombreux galiléens se rassemblent à
l'occasion de la solennité. Le camp dort tout entier sous la clarté
de la lune qui se couche lentement, enveloppant d'une blancheur
argentée les tentes, les arbres, les pentes et la ville qui dort
tout en bas... Jésus passe avec assurance et sans bruit entre les
tentes et, une fois sorti du camp, descend rapidement par des
sentiers à pic vers le Gethsémani, le traverse, en sort, dépasse
le petit pont sur le Cédron, ruban d'argent qui arpège à la lune,
arrive à la porte gardée par des légionnaires. C'est peut-être
une mesure de précaution du Proconsul cette garde de nuit aux portes
closes. Les soldats, au nombre de quatre, parlent assis sur de
grosses pierres qui leur servent de sièges contre le mur puissant,
et se chauffent à un feu de brindilles qui jette une lueur rougeâtre
sur les cuirasses brillantes et les casques sévères de dessous
lesquels émergent des visages si différents, en leur physionomie
italique, de ceux des hébreux. "Qui va là !" dit le
premier qui voit apparaître la haute figure de Jésus de derrière
le coin d'une masure voisine de la porte, et il saisit la hampe de la
lance pointue qu'il tenait appuyée au mur voisin, et imité par les
autres, il se met en position réglementaire. Sans donner à Jésus
le temps de répondre, il dit : "On n'entre pas. Ne sais-tu pas
que la seconde veille est déjà à sa fin ?" "Je suis
Jésus de Nazareth. J'ai ma Mère dans la ville. Je vais la trouver."
"Oh ! l'Homme qui a ressuscité le mort de Béthanie! Par
Jupiter ! Je vais le voir finalement !" Et il s'approche de Lui
pour le regarder avec curiosité, tournant tout autour de Lui comme
pour s'assurer que ce n'est pas quelque chose d'irréel, d'étrange,
mais vraiment un homme comme tout le monde. Et il dit : "Oh !
Dieux ! Il est beau comme Apollon, mais tout à fait comme nous ! Et
il n'a ni bâton, ni barrette, ni aucun insigne de son pouvoir !"
Il est perplexe. Jésus le regarde patiemment en lui souriant avec
douceur. Les autres qui sont moins curieux — peut-être ils ont
déjà vu Jésus d'autres fois — disent : "Cela aurait été
un bonne chose qu'il eût été ici au milieu de la première veille,
quand on a porté au tombeau la belle jeune fille morte ce matin.
Nous l'aurions vue ressusciter..."
Jésus
répète doucement : "Puis-je aller trouver ma Mère ?" Les
quatre soldats se secouent. Le plus âgé parle : "Vraiment
l'ordre serait de ne pas laisser passer, mais tu passerais quand
même. Celui qui force les portes de l'Hadès peut bien forcer les
portes d'une ville fermée. Et tu n'es pas homme à provoquer des
soulèvements. La défense tombe pour Toi. Fais en sorte de n'être
pas vu par les rondes à l'intérieur. Ouvre, Marcus Gratus. Et Toi,
passe sans bruit. Nous sommes soldats et nous devons obéir..."
"Ne craignez pas. Votre bonté ne se changera pas pour vous en
punition." Un légionnaire ouvre avec précaution un portillon
ouvert dans le portail colossal et dit : "Passe vite. La veille
finit d'ici peu et nous sommes remplacés par ceux qui vont arriver."
"Paix à vous." "Nous sommes des hommes de guerre..."
"Même dans la guerre la paix que je donne demeure, car c'est la
paix de l'âme." Et Jésus s'engouffre dans l'obscurité de
l'arcade ouverte dans l'épaisseur des murs. Il passe en silence
devant le corps de garde qui par la porte ouverte laisse passer la
lumière tremblante d'une lampe à huile, une lanterne ordinaire,
suspendue à un crochet du plafond bas, qui permet de voir des corps
de soldats endormis sur des nattes étendues sur le sol, enveloppés
dans leurs manteaux, les armes à leurs côtés. Jésus est dans la
ville désormais... et je le perds de vue pendant que je regarde
rentrer deux des soldats de tout à l'heure qui regardent si Lui
s'est éloigné avant d'entrer pour éveiller ceux qui dorment pour
la relève. "On ne le voit déjà plus... Qu'aura-t-il voulu
dire par ses paroles ? J'aurais voulu le savoir" dit le plus
jeune. "Il fallait le Lui demander. Il ne nous méprise pas.
L'unique hébreu qui ne nous méprise pas et ne nous étrangle pas en
aucune façon" lui répond l'autre qui est dans toute la force
de l'âge. "Je n'ai pas osé. Moi, paysan de Bénévent, parler
à quelqu'un que l'on dit Dieu ?" "Un dieu sur un âne ? Ah
! Ah ! S'il était ivre comme Bacchus, il pourrait. Mais il n'est pas
ivre. Je crois qu'il ne boit même pas du mulsum. Tu ne vois pas
comme il est pâle et maigre ?" "Et pourtant les
hébreux..." "Eux, oui, ils boivent, bien qu'ils affectent
de ne pas le faire !
Et
ivres des vins forts de ces terroirs et de leur sicera, ils ont vu un
dieu dans un homme. Crois-moi : les dieux, c'est une fable. L'Olympe
est vide, et la Terre n'en a pas." "S'ils t'entendaient
!..." "Tu es encore enfant au point de n'être pas candidat
et de ne pas savoir que César lui-même ne croit pas aux dieux, et
que n'y croient pas les pontifes, les augures, les aruspices, les
arvales, les vestales, ni personne ?" "Et alors
pourquoi..." "Pourquoi les rites ? Parce qu'ils plaisent au
peuple et sont utiles aux prêtres et servent à César pour se faire
obéir comme s'il était un dieu terrestre tenu par la main par les
dieux de l'Olympe. Mais les premiers à ne pas y croire sont ceux que
nous vénérons comme ministres des dieux. Je suis pyrrhonien. J'ai
fait le tour du monde. J'ai fait beaucoup d'expériences. Mes cheveux
blanchissent aux tempes et ma pensée a mûri. J'ai comme règle
personnelle trois principes : Aimer Rome, unique déesse et unique
certitude, jusqu'au sacrifice de ma vie. Ne rien croire puisque tout
est illusion de ce qui nous entoure, exceptée la Patrie sacrée et
immortelle. Nous devons aussi douter de nous-mêmes car il n'est pas
certain même que nous vivons. Les sens et la raison ne suffisent pas
pour nous donner la certitude d'arriver à connaître la Vérité, et
la vie et la mort ont la même valeur car nous ne savons pas ce que
c'est que la vie et ce que c'est que la mort" dit-il en
affectant un scepticisme philosophique d'un être supérieur...
L'autre le regarde, hésitant. Puis il dit : "Moi, au contraire,
je crois. Et j'aimerais savoir... Savoir de cet Homme qui est passé
tout à l'heure. Lui certainement connaît la Vérité. Il sort de
Lui quelque chose d'étrange. C'est comme une lumière qui vous
pénètre !" "Qu'Esculape te sauve ! Tu es malade ! C'est
depuis peu que tu es monté à la ville de la vallée, et les fièvres
surgissent facilement chez ceux qui font ce voyage et ne sont pas
encore acclimatés à cette région. Tu délires. Viens. Il n'y a
rien de tel que le vin chaud et les aromates pour faire sortir en
sueur le venin de la fièvre jordanique..." et il le pousse vers
le corps de garde. Mais l'autre se dégage en disant : "Je ne
suis pas malade. Je ne veux pas de vin drogué. Je veux veiller là,
en dehors des murs (il montre l'intérieur du bastion) et attendre
l'homme qui s'est nommé Jésus." "Si cette attente ne
t'ennuie pas... Je vais réveiller ceux-ci pour la relève. Adieu..."
Et
il entre bruyamment dans le corps de garde pour éveiller ses
compagnons, en criant : "Déjà l'heure est sonnée. Allons,
fainéants paresseux ! Je suis las !..." Il baille bruyamment et
maugrée parce qu'ils ont laissé éteindre le feu et ont bu tout le
vin chaud "si nécessaire pour essuyer la rosée
palestinienne..." L'autre, le jeune légionnaire, adossé au mur
que la lune effleure du couchant, attend que Jésus revienne sur ses
pas. Les étoiles veillent son espoir... Jésus, pendant ce temps,
est arrivé à la maison de Lazare sur la colline de Sion, et il
frappe. Lévi Lui ouvre. "Toi, Maître ? ! Les maîtresses
dorment. Pourquoi n'as-tu pas envoyé un serviteur si tu avais besoin
de quelque chose ?" "Ils ne l'auraient pas laissé passer."
"Ah ! c'est vrai ! Mais Toi, comment es-tu passé ?" "Je
suis Jésus de Nazareth, et les légionnaires m'ont laissé passer.
Mais il ne faut pas le dire, Lévi." "Je ne le dirai pas...
Eux sont meilleurs que beaucoup de nous !" "Conduis-moi où
dort ma Mère et ne réveille personne d'autre dans la maison."
"Comme tu veux, Seigneur. Lazare a donné l'ordre à tous ceux
qui dirigent les maisons de t'obéir en tout, sans discussion ni
retard. C'était depuis peu l'aurore quand cet ordre a été apporté
par un serviteur, par plusieurs serviteurs, à toutes les maisons.
Obéir et se taire. Nous le ferons. Tu nous as rendu le maître..."
L'homme trottine en avant à travers les couloirs vastes comme des
galeries du splendide palais de Lazare sur la colline de Sion, et la
lampe qu'il a dans la main illumine d'une manière fantastique le
mobilier et les tapisseries qui ornent ces larges couloirs. L'homme
s'arrête devant une porte fermée : "C'est là qu'est ta Mère."
"Tu peux disposer." "Et la lampe ? Ne la veux-tu pas ?
Je puis retourner dans l'obscurité. J'ai l'habitude de la maison.
J'y suis né." "Laisse-la et n'enlève pas la clef de la
porte. Je sors tout de suite." "Tu sais où me trouver. Je
vais fermer par précaution, mais je serai prêt à t'ouvrir la porte
quand tu viendras." Jésus reste seul. Il frappe légèrement,
un coup si léger que seulement quelqu'un de bien éveillé peut
entendre. Un bruit dans la pièce, comme celui d'un siège qu'on
déplace, un léger bruit de pas, et une voix basse : "Qui
frappe ?"
"Moi,
Maman. Ouvre-moi." La porte s'ouvre de suite. La lumière de la
lune est la seule lumière qui éclaire la pièce tranquille et étend
ses rayons sur le lit intact. Un siège est près de la fenêtre
grande ouverte sur le mystère de la nuit. "Tu ne dormais pas
encore ? Il est tard !" "Je priais... Viens, mon Fils.
Assieds-toi où j'étais" et elle indique le siège près de la
fenêtre. "Je ne puis m'arrêter. Je suis venu te prendre pour
aller chez Élise,
dans le quartier d'Ophel. Annalia est morte. Vous ne le saviez pas
encore ?" "Non. Personne... Quand, Jésus ?" "Après
mon passage." "Après ton passage'. Tu as donc été pour
elle l'Ange libérateur ?! Cette Terre était pour elle une telle
prison ! Elle est heureuse ! Moi, je voudrais être à sa place !
Elle est morte... naturellement ? Je veux dire : pas par suite d'un
malheur ?" "Elle est morte par la joie d'aimer. Je l'ai su
que j'étais déjà sur la montée du Temple. Viens avec Moi, Maman.
Nous ne craignons pas de nous profaner pour consoler une mère qui a
eu dans ses bras sa fille morte d'une joie surnaturelle... Notre
première vierge ! Celle qui vint à Nazareth, à toi, pour me
trouver et me demander cette joie... Jours lointains et sereins."
"Avant-hier elle chantait comme une mésange énamourée et
m'embrassait en disant : "Je suis heureuse !" et elle était
avide de savoir tout de Toi. Comment Dieu t'a formé. Comment Il m'a
choisie. Et mes premières palpitations de vierge consacrée...
Maintenant je comprends... Je suis prête, Fils." Marie, tout en
parlant, a épinglé ses tresses qui étaient retombées sur ses
épaules et qui la faisaient paraître si jeune, et elle a pris son
voile et son manteau. Ils sortent en faisant le moins de bruit
possible. Lévi est déjà près du portail. Il explique : "J'ai
préféré... A cause de mon épouse... Les femmes sont curieuses.
Elle m'aurait posé cent questions. Ainsi, elle ne sait pas..."
Il ouvre, il va fermer. Jésus dit : "Avant la fin de cette
veille, je reconduirai ma Mère." "Je veillerai tout près.
Ne crains pas." "Paix à toi."
Ils
s'en vont par les rues silencieuses, désertes, desquelles la lune se
retire lentement éclairant encore le sommet des hautes maisons de la
colline de Sion. Plus éclairé est le faubourg d'Ophel aux
maisonnettes plus humbles et plus basses. Voilà la maison d'Annalia,
fermée, sombre, silencieuse. Il y a encore des fleurs fanées sur
les marches de la maison, peut-être celles jetées par la vierge
avant de mourir, ou celles qui sont tombées de son lit funèbre...
Jésus frappe à la porte. Il frappe de nouveau... Le bruit d'une
fenêtre ouverte en haut. Une voix accablée : "Qui frappe ?"
"Marie et Jésus de Nazareth" répond Marie. "Oh ! Je
viens !..." Une brève attente et puis le bruit des verrous que
l'on pousse. La porte s'ouvre montrant le visage défait d'Élise qui
s'appuie péniblement aux montants de la porte, et quand Marie en
entrant lui ouvre ses bras, elle tombe sur son sein avec les faibles
sanglots de qui a tant pleuré que ses pleurs ne se font plus
entendre. Jésus ferme la porte et attend patiemment que sa Mère
calme cette désolation. Il y a une pièce près de la porte. Ils y
entrent, Jésus portant la lampe posée par Élise sur le pavé de
l'entrée avant d'ouvrir la porte. Les pleurs de la mère semblent ne
pas pouvoir finir. C'est entre des sanglots rauques qu'elle parle à
Marie. La mère parle à la Mère. Jésus, debout contre un mur, se
tait... Élise ne peut se résigner à cette mort, arrivée ainsi...
Et dans sa souffrance, elle en fait retomber la cause sur Samuel, le
fiancé parjure : "Il lui a brisé le cœur, ce maudit ! Elle ne
le disait pas, mais certainement elle souffrait qui sait depuis quand
! Et dans la joie, dans un cri, s'est ouvert son cœur. Qu'il soit
maudit pour toujours." "Non, ma chérie. Non. Ne maudis
pas. Ce n'est pas cela. Dieu l'a tant aimée qu'il l'a voulue dans sa
paix. Mais même si elle était morte à cause de Samuel — ce qui
n'est pas, mais supposons-le un instant — pense à la mort de joie
qu'elle a eue, et dis que l'action mauvaise lui a procuré une mort
heureuse." "Je ne l'ai plus ! Elle est morte ! Elle est
morte ! Tu ne sais pas ce que c'est que de perdre une fille ! Moi,
j'ai deux fois goûté cette douleur. Car déjà je la pleurais morte
quand ton Fils l'a guérie. Mais maintenant... Mais maintenant... Lui
n'est pas revenu ! Il n'a pas eu pitié... Je l'ai perdue ! Perdue !
Elle est déjà dans la tombe, mon enfant ! Sais-tu ce que c'est que
de voir agoniser un enfant ? Savoir qu'il doit mourir ? Le voir mort
quand on le croyait guéri et fort ?
Tu
ne sais pas. Tu ne peux pas en parler... Elle était belle comme une
rose éclose au lever du soleil pendant qu'elle se parait ce matin.
Elle avait voulu revêtir le vêtement que je lui avais fait pour ses
noces. Elle voulait même se couronner comme une épouse. Puis elle
préféra défaire la guirlande déjà faite et effeuiller les fleurs
pour les jeter à ton Fils, et elle chantait ! Elle chantait ! Sa
voix emplissait la maison. Elle était gracieuse comme le printemps.
La joie faisait briller ses yeux comme des étoiles, et elles étaient
empourprées comme la pulpe de la grenade ses lèvres ouvertes sur la
blancheur de ses dents, et elle avait des joues roses et fraîches
comme des roses nouvelles embellies par la rosée. Elle est devenue
blanche comme le lys à peine éclos. Elle s'est affaissée sur mon
sein comme une tige brisée... Plus de paroles ! Plus de soupirs !
Plus de couleurs ! Plus de regard ! Tranquille, belle comme un ange
de Dieu, mais sans vie. Tu ne sais pas, toi qui te réjouis du
triomphe de ton Fils et le vois sain et fort, ce qu'est ma douleur !
Pourquoi n'est-il pas revenu en arrière ? En quoi Lui avait-elle
déplu, et moi avec elle, pour ne pas avoir pitié de ma prière ?"
"Élise ! Élise ! Ne parle pas... La douleur te rend aveugle et
sourde... Élise, tu ne connais pas ma souffrance. Et tu ne connais
pas la mer profonde que deviendra ma souffrance. Tu l'as vue
tranquille et belle se raidir dans la paix. Dans tes bras. Moi... Moi
cela fait plus de six lustres que je contemple mon Fils, et par delà
la peau lisse et pure que je contemple et caresse, je vois les plaies
de l'Homme des douleurs que deviendra mon Fils. Sais-tu, toi qui dis
que je ne sais pas ce que c'est que de voir un enfant s'en aller deux
fois vers la mort, et y entrer une fois et y demeurer en paix,
sais-tu ce que c'est de voir, pendant tant d'années, cette vision,
pour une mère ? Mon Fils ! Le voilà. Il est déjà vêtu de rouge
comme s'il sortait d'un bain de sang. Et bientôt, dans peu de temps,
alors que ne sera pas devenu sombre le visage de ta fille dans le
tombeau, je le verrai revêtu de la pourpre de son Sang innocent, de
ce Sang que je Lui ai donné. Et si tu as reçu sur ton cœur ta
fille, sais-tu quelle sera ma douleur de voir mourir mon Fils comme
un malfaiteur sur le bois ? Regarde-le, le Sauveur de tous ! Dans
l'esprit et dans la chair, car la chair de ceux qu'il aura sauvés
sera incorrompue et bienheureuse dans son Royaume. Et regarde-moi !
Regarde cette Mère qui heure après heure accompagne et conduit —
oh ! je ne le retiendrais pas d'un seul pas ! — son Fils au
Sacrifice ! Moi, je puis te comprendre, pauvre maman. Mais toi,
comprends mon cœur ! Ne hais pas mon Fils. Annalia n'aurait pas
supporté l'agonie de son Seigneur.
Et
son Seigneur l'a rendue heureuse en une heure d'allégresse."
Élise a cessé de pleurer devant la révélation. Elle fixe Marie,
au pâle visage de martyre mouillé de larmes silencieuses, regarde
Jésus qui la regarde avec pitié... et glisse aux pieds de Jésus en
gémissant : "Mais elle est morte ! Elle est morte, Seigneur !
Comme un lys, un lys brisé. Les poètes disent de Toi que tu es
celui qui se plaît parmi les lys ! Oh ! vraiment, Toi, né du
Lys-Marie, tu descends souvent dans les parterres fleuris, et des
roses pourpres tu fais des lys blancs, et tu les cueilles en les
enlevant au monde. Pourquoi ? Pourquoi, Seigneur ? N'est-il pas juste
qu'une mère jouisse de la rose qui est née d'elle ? Pourquoi en
éteindre la pourpre dans la froide blancheur de mort du lys ?"
"Les lys ! Ils seront le symbole de celles qui m'aimeront comme
ma Mère a aimé Dieu. Le blanc parterre du Roi Divin." "Mais
nous, les mères, nous pleurerons. Nous, les mères, nous avons droit
à nos enfants. Pourquoi les enlever à la vie ?" "Ce n'est
pas ce que je veux dire, femme. Les filles resteront, mais consacrées
au Roi comme les vierges dans les palais de Salomon. Rappelle-toi le
Cantique... Et elles seront épouses, les bien-aimées, sur la Terre
et au Ciel." "Mais ma fille est morte ! Elle est morte !"
Ses pleurs reprennent déchirants. "Je suis la Résurrection et
la Vie. Celui qui croit en Moi, vit même s'il vient à mourir, et en
vérité je te dis qu'il ne meurt pas pour l'éternité. Ta fille
vit. Elle vit pour l'éternité parce qu'elle a cru dans la Vie. Ma
mort sera pour elle la Vie complète. Elle a connu la joie de vivre
en Moi avant de connaître la douleur de me voir arraché à la vie.
Ta douleur te rend aveugle et sourde. Ma Mère a raison de le dire.
Mais bientôt tu diras ce que je t'ai envoyé dire ce matin :
"Vraiment sa mort a été une grâce de Dieu". Crois-le,
femme. L'horreur attend ce lieu. Et viendra un jour où les mères
frappées comme toi diront : "Louange à Dieu qui a épargné
ces jours à nos enfants". Et les mères qui n'auront pas été
frappées crieront au Ciel : "Pourquoi, ô Dieu, n'as-tu pas tué
nos fils avant cette heure ?" Crois-le, femme. Crois à mes
paroles. N'élève pas entre toi et Annalia la vraie clôture qui
sépare : celle de la différence de foi. Tu vois ? Je pouvais ne pas
venir. Tu sais combien je suis haï. Que ne t'illusionne pas le
triomphe d'une heure !... Chaque recoin peut cacher une embûche pour
Moi. Et je suis venu seul, de nuit, pour te consoler et te dire ces
paroles. Je compatis à la douleur d'une mère.
Mais
pour la paix de ton âme, je viens te dire ces paroles. Aie la paix !
La paix !" "Donne-la-moi, Toi, Seigneur ! Moi, je ne peux
pas ! Je ne peux pas dans ma souffrance me donner la paix. Mais Toi,
qui donnes la vie aux morts et la santé aux mourants, donne la paix
au cœur déchiré d'une mère." "Qu'il en soit ainsi,
femme. La paix pour toi." Il lui impose les mains en la
bénissant et en priant en silence sur elle. Marie s'est agenouillée
à son tour près d'Élise en l'entourant de son bras. "Adieu,
Élise. Je m'en vais..." "Nous ne nous verrons plus,
Seigneur ? Je ne sortirai pas de la maison pendant plusieurs jours et
tu t'en iras après les fêtes pascales. Toi... tu es encore un peu
quelque chose de ma fille... parce que Annalia... parce que Annalia
vivait en toi et pour Toi." Elle pleure, plus calme, mais
combien elle pleure ! Jésus la regarde... Caresse sa tête chenue.
Il lui dit : "Tu me verras encore." "Quand ?"
"D'ici huit nuits." "Et tu me réconforteras encore ?
Tu me béniras pour me donner de la force ?" "Mon cœur te
bénira avec toute la plénitude de mon amour pour ceux qui m'aiment.
Viens, ma Mère." "Mon Fils, si tu le permets, je voudrais
rester encore avec cette mère. La douleur est un flot qui revient
après que s'est éloigné Celui qui donne la paix... Je rentrerai à
l'heure de prime. Je n'ai pas peur d'aller seule, tu le sais. Et tu
sais que je passerai à travers toute une armée ennemie pour
réconforter un frère en Dieu." "Que ce soit comme tu
veux. Je m'en vais. Dieu soit avec vous." Il sort sans faire de
bruit, en fermant derrière Lui la porte de la pièce et celle de la
maison. Il revient vers les murs, à la Porte d'Ephraïm ou
Stercoraire, ou du Fumier, car plusieurs fois j'ai entendu indiquer
ces deux portes voisines avec ces trois noms, peut-être parce que
l'une s'ouvre sur le chemin de Jéricho qui est au fond, chemin qui
mène à Ephraïm, et l'autre parce qu'elle est proche de la vallée
de Hinnom où l'on brûle les ordures de la ville, et elles se
ressemblent tant que je les confonds. Le ciel commence à blanchir du
côté de l'orient tout en étant encore criblé d'étoiles. Les
chemins sont enveloppés dans une pénombre plus pénible que
l'obscurité de la nuit que la lune tempérait de sa blanche clarté.
Mais le soldat romain a de bons yeux, et voyant Jésus s'avancer vers
la porte, il va à sa rencontre.
"Salut.
Je t'ai attendu..." Il s'arrête hésitant. "Parle sans
crainte. Que veux-tu de Moi ?" "Savoir. Tu as dit : "La
paix que je donne demeure même dans la guerre car c'est une paix
d'âme". Je voudrais savoir quelle est cette paix et ce que
c'est que l'âme. Comment l'homme qui est en guerre peut-il être en
paix ? Quand on ouvre le temple de Janus, on ferme celui de la Paix.
Les deux choses ne peuvent exister ensemble dans le monde." Il
parle adossé au muret verdâtre d'un petit jardin, dans une ruelle
étroite comme un sentier dans des champs, humide, sombre, obscur, au
milieu de pauvres maisons. A part une légère lueur que fait voir le
casque bruni, on ne voit rien des deux qui parlent. L'ombre enveloppe
les visages et les corps dans une unique obscurité. La voix de Jésus
résonne douce et lumineuse dans sa joie de jeter une semence de
lumière chez le païen : "Dans le monde, en vérité, la paix
et la guerre ne peuvent exister ensemble. L'une exclut l'autre. Mais
dans l'homme de guerre peut exister la paix même s'il fait une
guerre commandée. Il peut exister ma paix. Parce que ma paix vient
du Ciel et elle n'est pas blessée par le fracas de la guerre et la
férocité des massacres. Elle, chose divine, envahit la chose divine
que l'homme a en lui-même, et que l'on appelle l'âme. "Divine
? En moi ? César est divin. Moi, je suis fils de paysans. Maintenant
je suis un légionnaire sans aucun grade. Si je suis brave je pourrai
peut-être devenir centurion. Mais divin, non." "Il y a en
toi une partie divine : c'est l'âme. Elle vient de Dieu, du vrai
Dieu. Aussi elle est divine, perle vivante dans l'homme, et elle se
nourrit de choses divines et vivantes; la foi, la paix, la vérité.
La guerre ne la trouble pas. La persécution ne la blesse pas. La
mort ne la tue pas. Seul le mal, faire ce qui est mauvais, la blesse
ou la tue, et la prive aussi de la paix que Moi je donne. Car le mal
sépare l'homme de Dieu." "Et qu'est-ce que le mal ?"
"Être dans le paganisme et adorer les idoles quand la bonté du
vrai Dieu nous a fait connaître qu'existe le vrai Dieu. Ne pas aimer
son père, sa mère, ses frères et le prochain. Voler, tuer, être
rebelle, être luxurieux, être faux. C'est cela le mal." "Ah
! alors, moi je ne peux pas avoir ta paix ! Je suis soldat et on nous
commande de tuer. Pour nous alors, il n'y a pas de salut ? !"
"Sois juste dans la guerre comme dans la paix.
Accomplis
ton devoir sans férocité et sans avidité. Pendant que tu combats
et que tu conquiers pense que l'ennemi est semblable à toi, et que
toute ville a ses mères et ses jeunes filles comme ta mère et tes
sœurs, et sois un preux sans être une brute. Tu ne sortiras pas de
la justice et de la paix et ma paix restera en toi." "Et
ensuite ?" "Et ensuite ? Que veux-tu dire ?" "Après
la mort ?Qu'advient-il du bien que j'ai fait et de l'âme dont tu dis
qu'elle ne meurt pas si on ne fait pas le mal ?" "Elle vit,
elle vit ornée du bien que tu as fait, dans une paix joyeuse, plus
grande que celle dont on jouit sur la Terre." "Alors en
Palestine, un seul avait fait le bien ! J'ai compris." "Qui
?" "Lazare de Béthanie. Son âme n'est pas morte !"
"En vérité, c'est un juste. Pourtant beaucoup lui sont
semblables et meurent sans ressusciter, mais leur âme vit dans le
Dieu vrai. Car l'âme a une autre demeure, dans le Royaume de Dieu.
Et celui qui croit en Moi entrera dans ce Royaume." "Même
moi, romain ?" "Même toi, si tu crois à la Vérité."
"Qu'est-ce que la Vérité ?" "Je suis la Vérité, et
le Chemin pour aller à la Vérité, et je suis la Vie et je donne la
Vie car celui qui accueille la Vérité accueille la Vie." Le
jeune soldat réfléchit... se tait... Puis il lève son visage : un
visage encore pur de jeune homme et il a un sourire limpide, serein,
et il dit : "J'essayerai de me rappeler cela et d'en savoir plus
encore. Il me plaît..." "Comment t'appelles-tu ?"
"Vital, de Bénévent. Des campagnes de la ville." "Je
me souviendrai de ton nom. Rends vraiment vital ton esprit en le
nourrissant de Vérité. Adieu. On ouvre la porte. Je sors de la
ville." "Salut !" "Jésus va rapidement vers la
porte et prend en hâte le chemin qui conduit au Cédron et au
Gethsémani et de là au Camp des Galiléens. Dans les oliviers de la
montagne, il rejoint Judas de Kériot qui monte lui aussi vers le
camp qui s'éveille. Judas fait un geste presque d'épouvante en se
trouvant en face de Jésus. Jésus le regarde fixement, sans parler.
"Je suis allé apporter la nourriture aux lépreux.
Mais...
j'en ai trouvé deux à Hinnom, cinq à Siloan. Les autres : guéris.
Encore là, mais si bien guéris qu'ils m'ont prié d'avertir le
prêtre. J'étais descendu au point du jour pour être libre ensuite.
La chose va faire du bruit. Un si grand nombre de lépreux guéris
ensemble après que tu les as bénis en présence de tant de gens !"
Jésus ne parle pas. Il le laisse parler. Il ne lui dit ni : "Tu
as bien fait", ni autre chose ayant trait à l'action de Judas
et au miracle, mais s'arrêtant à l'improviste et regardant fixement
l'apôtre, il lui demande : "Eh bien ? Qu'est-ce que cela a
changé de t'avoir laissé la liberté et l'argent ?" "Que
veux-tu dire ?" "Ceci : je te demande si tu t'es sanctifié
depuis que je t'ai rendu la liberté et l'argent. Et tu me
comprends... Ah ! Judas ! Souviens-toi ! Souviens-toi toujours : tu
as été celui que j'ai aimé plus que tout autre, en recevant de toi
moins d'amour que tous les autres m'en ont donné. En recevant même
une haine plus grande, car c'était la haine de quelqu'un que je
traitais en ami, que la haine la plus féroce du plus féroce
pharisien. Et rappelle-toi encore ceci : que Moi, même maintenant je
ne te hais pas mais, pour autant que cela dépend du Fils de l'homme,
je te pardonne. Va, maintenant. Il n'y a plus rien à se dire entre
toi et Moi. Tout est déjà fait..." Judas voudrait dire quelque
chose, mais Jésus, d'un geste impérieux, lui fait signe d'aller en
avant... Et Judas, tête basse comme un vaincu, s'en va... A la
limite du Camp des Galiléens les apôtres et les deux serviteurs de
Lazare sont déjà prêts. "Où as-tu été, Maître ? Et toi,
Judas ? Vous étiez ensemble ?" Jésus devance la réponse de
Judas : "J'avais quelque chose à dire à des cœurs. Judas est
allé chez les lépreux... Mais ils sont tous guéris, sauf sept."
"Oh ! pourquoi y es-tu allé ? Je voulais venir moi aussi !"
dit le Zélote. "Pour être libre maintenant de venir avec nous"
dit encore Jésus. "Allons. Nous entrerons dans la ville par la
Porte du Troupeau. Faisons vite." Il va en avant, en passant par
les oliveraies qui conduisent du Camp, à moitié route entre
Béthanie et Jérusalem, à l'autre petit pont qui passe le Cédron
près de la Porte du Troupeau. Des maisons de paysans sont éparses
sur les pentes, et tout en bas, près des eaux du torrent, un figuier
ébouriffé se penche sur la rivière.
Jésus
se dirige vers lui et il cherche si dans le feuillage fourni et gras
il y a quelque figue mûre. Mais le figuier est tout en feuilles,
nombreuses, inutiles, mais il n'a pas un seul fruit sur ses branches.
"Tu es comme beaucoup de cœurs en Israël. Tu n'as pas de
douceurs pour le Fils de l'homme, et pas de pitié. Qu'il ne puisse
plus jamais naître de toi un seul fruit et que personne ne se
rassasie de toi à l'avenir" dit Jésus. Les apôtres se
regardent. La colère de Jésus pour la plante stérile, peut-être
sauvage, les étonne. Mais ils ne disent rien. Ce n'est que plus
tard, après avoir passé le Cédron, que Pierre Lui demande : "Où
as-tu mangé ?" "Nulle part." "Oh ! Alors tu as
faim ! Voici là-bas un berger avec quelques chèvres qui paissent.
Je vais demander du lait pour Toi. Je fais vite" et il s'en va à
grands pas et revient doucement avec une vieille écuelle pleine de
lait. Jésus boit et il rend le bol au pastoureau qui a accompagné
Pierre, en le caressant... Ils entrent dans la ville et montent au
Temple, et après avoir adoré le Seigneur, Jésus revient dans la
cour où les rabbis donnent leurs leçons. Les gens l'entourent et
une mère, venue de Cintium, présente son enfant qu'un mal a rendu
aveugle, je crois. Il a les yeux blancs comme s'il avait une vaste
cataracte sur la pupille ou un albugo. Jésus le guérit en
effleurant les orbites avec les doigts. Et puis de suite il commence
à parler : "Un homme acheta un terrain. Il y planta des vignes,
construisit une maison pour les fermiers, une tour pour la
surveillance, des celliers et des endroits pour presser le raisin, et
en confia l'entretien à des fermiers en qui il avait confiance. Puis
il s'en alla au loin. Quand arriva le temps où les vignes purent
donner des fruits, les vignes ayant poussé au point de donner des
fruits, le maître de la vigne envoya ses serviteurs chez les
fermiers pour retirer le revenu de la récolte. Mais les fermiers
entourèrent ces serviteurs, ils en frappèrent une partie à coups
de bâtons, en lapidèrent une partie avec de lourdes pierres en les
blessant grièvement, et en tuèrent une partie. Ceux qui purent
revenir vivants chez le maître, racontèrent ce qui leur était
arrivé. Le maître les soigna et les consola, et il envoya d'autres
serviteurs encore plus nombreux. Les fermiers les traitèrent comme
ils avaient traité les premiers. Alors le maître de la vigne dit :
"Je vais leur envoyer mon cher fils.
Certainement
ils respecteront mon héritier". Mais les fermiers, l'ayant vu
venir et ayant su que c'était l'héritier, s'appelèrent l'un
l'autre en disant : "Venez, réunissons-nous pour être
nombreux. Entraînons-le dehors, dans un endroit écarté, et
tuons-le. Son héritage nous restera". Ils l'accueillirent avec
des honneurs hypocrites, l'entourèrent comme pour lui faire fête.
Ensuite ils le ligotèrent après l'avoir embrassé, le frappèrent
fortement et avec mille moqueries, ils l'amenèrent au lieu du
supplice et le tuèrent. Maintenant, vous, dites-moi. Ce père et
maître s'apercevra un jour que son fils et héritier ne revient pas,
et découvrira que ses fermiers, auxquels il avait donné la terre
fertile pour qu'ils la cultivent en son nom, en jouissant de ce qui
était juste et en donnant à leur seigneur ce qui était juste, ont
tué son fils. Alors que fera-t-il ?" et Jésus darde ses iris
de saphir, enflammés comme par un soleil, sur ceux qui sont venus et
spécialement sur les groupes des juifs les plus influents,
pharisiens et scribes répandus dans la foule. Personne ne parle.
"Dites donc ! Vous au moins, rabbis d'Israël. Dites une parole
de justice qui persuade le peuple de la justice. Moi, je pourrais
dire une parole qui ne serait pas bonne, d'après votre pensée.
Parlez donc vous, pour que le peuple ne soit pas induit en erreur."
Les scribes, contraints, répondent ainsi : "Il punira les
scélérats en les faisant périr d'une manière atroce, et il
donnera sa vigne à d'autres fermiers pour qu'ils lui la cultivent
honnêtement, en lui donnant le revenu de la terre qui leur est
confiée." "Vous avez bien parlé. Il est écrit dans
l'Écriture : "La pierre que les constructeurs ont rejetée est
devenue pierre angulaire. C'est une œuvre faite par le Seigneur et
c'est une chose admirable à nos yeux". Puisque donc ceci est
écrit, et vous le savez, et vous estimez juste que soient punis
atrocement ces fermiers meurtriers du fils héritier du maître de la
vigne, et qu'elle soit donnée à d'autres fermiers qui la cultivent
honnêtement, voilà que pour ce motif, je vous dis : "Le
Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à des gens qui
en produisent des fruits. Et celui qui tombera contre cette pierre se
brisera, et celui sur lequel la pierre tombera sera écrasé"."
Les chefs des prêtres, les pharisiens et les scribes, par un acte
vraiment... héroïque, ne réagissent pas. Si forte est la volonté
d'atteindre un but !
Pour
beaucoup moins d'autres fois ils l'ont contré, et aujourd'hui où le
Seigneur Jésus leur dit ouvertement que le pouvoir leur sera enlevé,
ils n'éclatent pas en reproches, ils ne font pas d'actes de
violence, ils ne menacent pas, faux agneaux patients qui sous
l'apparence hypocrite de douceur cachent l'immuable cœur du loup.
Ils se bornent à s'approcher de Lui qui a repris sa marche en avant
et en arrière en écoutant tel et tel des nombreux pèlerins qui
sont rassemblés dans la vaste cour, et desquels beaucoup Lui
demandent conseil pour des questions qui intéressent l'âme ou pour
des situations familiales ou sociales, en attendant de pouvoir Lui
dire quelque chose après l'avoir écouté donner un jugement à un
homme sur une question embrouillée d'héritage : elle a produit
division et rancœur entre les différents héritiers à cause d'un
fils du père qu'il a eu d'une servante de la maison mais qu'il a
adopté. Les fils légitimes ne le veulent pas avec eux, ni comme
héritier dans le partage des maisons et des terres. Ils ne veulent
plus avoir rien en commun avec le bâtard et ils ne savent pas
comment résoudre la question car, avant sa mort, le père a fait
jurer que comme toujours il avait partagé le pain entre le fils
illégitime et les légitimes dans la même mesure, ainsi ils
devaient partager l'héritage dans la même mesure. Jésus dit à
celui qui l'interroge au nom des trois autres frères : "Sacrifiez
tous une parcelle de terre pour la vendre de façon à réunir une
somme d'argent équivalente au cinquième de la fortune totale et
donnez-le au fils illégitime en lui disant : "Voilà ta part.
Tu n'es pas frustré de ce qui t'appartient et on n'a pas fait tort à
la volonté de notre père. Va et que Dieu soit avec toi". Et
soyez généreux en lui donnant même davantage que la valeur stricte
de sa part. Faites-le avec des témoins qui soient justes et personne
ne pourra sur la Terre, ni au-delà de la Terre, élever une voix de
reproche et de scandale. Et vous aurez la paix entre vous et en vous,
n'ayant pas le remords d'avoir désobéi à votre père et n'ayant
pas parmi vous celui qui, vraiment innocent, a été pour vous une
cause de trouble plus que si on avait mis un voleur parmi vous."
L'homme dit : "Ce bâtard, en vérité, a enlevé la paix à
notre famille, la santé à notre mère qui est morte de chagrin, et
une place qui ne lui appartient pas." "Ce n'est pas lui le
coupable, homme. C'est celui qui l'a engendré. Lui n'a pas demandé
à naître pour porter la marque de bâtard, Ce fut la convoitise de
votre père qui l'engendra pour lui donner la douleur et pour vous
donner la douleur. Soyez donc justes envers l'innocent qui paie déjà
durement une faute qui n'est pas la sienne.
N'ayez
pas d'anathème pour l'esprit de votre père. Dieu l'a jugé. Il
n'est pas besoin des foudres de vos malédictions. Honorez le père,
toujours, même s'il est coupable, non pour lui-même, mais parce
qu'il a représenté sur la Terre votre Dieu, vous ayant créés par
ordre de Dieu et étant le seigneur de votre maison. Les parents
viennent immédiatement après Dieu. Rappelle-toi le Décalogue, et
ne pèche pas. Va en paix." Les prêtres et les scribes
s'approchent alors de Lui pour l'interroger : "Nous t'avons
entendu. Tu as dit ce qui était juste. Un conseil plus sage n'aurait
pu le donner Salomon. Mais dis-nous, Toi qui opères des prodiges et
donnes des jugements tels que seul le sage roi pouvait en donner, par
quelle autorité fais-tu ces choses ? D'où te vient un tel pouvoir
?" Jésus les regarde fixement. Il n'est ni agressif ni
méprisant, mais très imposant. Il dit : "Moi aussi, j'ai à
vous poser une question, et si vous me répondez, je vous dirai par
quelle autorité, Moi, homme sans autorité de charges et pauvre —
car c'est cela que vous voulez dire — je fais ces choses. Dites :
le baptême de Jean,
d'où venait-il ? Du Ciel ou de l'homme qui le donnait ?
Répondez-moi. Par quelle autorité Jean le donnait-il comme rite
purificateur et pour vous préparer à la venue du Messie, puisque
Jean était encore plus pauvre, plus ignorant que Moi, et sans charge
d'aucune sorte, ayant passé sa vie dans le désert depuis son
enfance ?" Les scribes et les prêtres se consultent entre eux.
Les gens, les yeux grands ouverts et les oreilles attentives, sont
prêts à protester et à acclamer si les scribes disqualifient le
Baptiste et offensent le Maître, ou s'ils paraissent déconfits par
la question du Rabbi de Nazareth, divinement sage, se serrent autour
d'eux. Il est frappant le silence absolu de cette foule qui attend la
réponse. Il est si profond que l'on entend la respiration et les
chuchotements des prêtres ou des scribes qui communiquent entre eux
quasi sans parler, et observent pendant ce temps le peuple dont ils
devinent les sentiments prêts à exploser. Enfin, ils se décident à
répondre. Ils se tournent vers le Christ qui, appuyé à une
colonne, les bras croisés, les scrute sans jamais les perdre de vue,
et ils disent : "Maître, nous ne savons par quelle autorité
Jean faisait cela ni d'où venait son baptême. Personne n'a pensé à
le demander au Baptiste pendant qu'il était vivant, et lui ne l'a
jamais dit spontanément." "Et Moi non plus je ne vous
dirai pas par quelle autorité je fais de telles choses." Il
leur tourne le dos en appelant à Lui les douze et, fendant la foule
qui l'acclame, il sort du Temple.
Quand
ils sont déjà dehors, au-delà de la Probatique, Barthélemy Lui
dit : "Ils sont devenus très prudents tes adversaires.
Peut-être vont-ils se convertir au Seigneur qui t'a envoyé et te
reconnaître pour le Messie saint." "C'est vrai. Ils n'ont
pas discuté ta question ni ta réponse..." dit Matthieu. "Qu'il
en soit ainsi. C'est beau que Jérusalem se convertisse au Seigneur,
son Dieu" dit encore Barthélémy. "Ne vous faites pas des
illusions ! Cette partie de Jérusalem ne se convertira jamais. Ils
n'ont pas répondu autrement parce qu'ils ont craint la foule. Je
lisais leur pensée bien que n'entendant pas leurs paroles dites à
voix basse." "Et que disaient-ils ?" demande Pierre.
"Ils disaient cela. Je désire que vous le sachiez pour les
connaître à fond et que vous puissiez donner une exacte description
à ceux qui viendront plus tard des cœurs des hommes de mon temps.
S'ils ne m'ont pas répondu, ce n'est pas qu'ils se convertissent au
Seigneur, mais parce qu'ils disaient entre eux : "Si nous
répondons : 'Le baptême de Jean venait du Ciel" le Rabbi
répondra : "Et alors pourquoi n'avez-vous pas cru à ce qui
venait du Ciel et enseignait la préparation au temps messianique ?"
, et si nous disons : "De l'homme" alors ce sera la foule
qui se rebellera en disant : "Et alors pourquoi ne croyez-vous
pas à ce que Jean, notre prophète, a dit de Jésus de Nazareth ?"
Il vaut donc mieux dire : "Nous ne savons pas". Voilà ce
qu'ils disaient. Ce n'était pas parce qu'ils étaient revenus à
Dieu, mais par un lâche calcul, et pour ne pas avoir à reconnaître
par leurs bouches que je suis le Christ et que je fais ces choses que
je fais parce que je suis l'Agneau de Dieu dont a parlé le
Précurseur. Et Moi non plus, je n'ai pas voulu dire par quelle
autorité je fais les choses que je fais. Déjà, de nombreuses fois,
je l'ai dit dans ces murs et dans toute la Palestine, et mes prodiges
parlent encore plus que mes paroles. Maintenant je ne le dirai plus
par mes paroles. Je laisserai parler les prophètes et mon Père, et
les signes du Ciel, car le moment est venu où tous ces signes vont
être donnés. Ceux qui ont été dits par les prophètes et marqués
des symboles de notre histoire, et ceux que j'ai dits : le signe de
Jonas; vous vous souvenez de ce jour à Cédés? C'est le signe
qu'attend Gamaliel. Toi, Etienne, toi, Hermas, et toi, Barnabé qui
as quitté tes compagnons aujourd'hui pour me suivre, certainement
plusieurs fois vous avez entendu le rabbi parler de ce signe. Eh
bien, bientôt le signe sera donné." Il s'éloigne en montant à
travers les oliviers de la montagne, suivi des siens et de nombreux
disciples (des soixante-douze) en plus d'autres, comme Joseph Barnabé
qui le suit pour l'entendre parler encore.
La
nuit
Jésus
est encore, le soir, dans l'oliveraie et il y est avec ses apôtres.
Et de nouveau il parle. "Et encore un autre jour est passé.
Maintenant la nuit et puis demain, et puis un autre demain, et puis
la cène pascale." "Où la ferons-nous, mon Seigneur ?
Cette année il y a aussi les femmes" demande Philippe. "Et
nous n'avons encore pourvu à rien, et la ville est pleine, bondée.
Il semble que cette année Israël tout entier, jusqu'aux plus
lointains prosélytes, soit accouru au rite" dit Barthélémy.
Jésus le regarde et comme s'il récitait un psaume, il dit :
"Rassemblez-vous, hâtez-vous, accourez de tous côtés vers ma
victime que j'immole pour vous, vers la grande Victime immolée sur
les monts d'Israël, pour manger sa Chair et boire son Sang."
"Mais quelle victime ? Quelle victime ? Tu sembles quelqu'un qui
est possédé par une folie fixe. Tu ne parles que de mort... et tu
nous affliges" dit avec véhémence Barthélemy. Jésus le
regarde encore en quittant des yeux Simon qui se penche sur Jacques
d'Alphée et sur Pierre et parle avec eux, et il dit : "Comment
? Tu me le demandes ? Tu n'es pas un de ces petits qui pour être
instruits doivent recevoir la lumière septiforme. Tu étais déjà
instruit en l'Écriture avant que je t'appelle, par l'intermédiaire
de Philippe, dans cette douce matinée de printemps. De mon
printemps. Et tu me demandes encore quelle est la victime immolée
sur les monts, celle vers laquelle viendront tous les gens pour s'en
nourrir ? Et tu m'appelles fou d'une folie fixe parce que je parle de
mort ? Oh ! Bartholmaï ! Comme le cri des sentinelles, dans votre
ténèbre, qui jamais s'est ouverte à la lumière, j'ai lancé une
fois, deux fois, trois fois le cri annonciateur. Mais vous n'avez
jamais voulu le comprendre. Vous en avez souffert sur le moment, et
puis...
Comme
des enfants, vous avez vite oublié les paroles de mort et vous êtes
retournés joyeux à votre travail, sûrs de vous et pleins de
l'espérance que mes paroles et les vôtres persuaderaient de plus en
plus le monde de suivre et d'aimer son Rédempteur. Non. C'est
seulement après que cette Terre aura péché contre Moi, et
rappelez-vous que ce sont des paroles du Seigneur à son prophète,
après seulement que le peuple et non seulement celui-ci en
particulier, mais le grand peuple d'Adam commencera à gémir :
"Allons vers le Seigneur. Lui qui nous a blessés nous guérira".
Et le monde des rachetés dira : "Après deux jours,
c'est-à-dire deux temps de l'éternité, durant lesquels il nous
aura laissés à la merci de l'Ennemi, qui avec toutes ses armes nous
aura frappés et tués comme nous avons frappé et tué le Saint —
et nous le frappons et le tuons parce que toujours il y aura la race
des Caïns qui tueront par leurs blasphèmes et leurs œuvres
mauvaises le Fils de Dieu, le Rédempteur, en décochant des flèches
mortelles non sur son éternelle Personne glorifiée, mais sur leur
âme rachetée par Lui, pour la tuer, et pour le tuer par conséquent
dans leurs âmes — c'est seulement après ces deux temps que
viendra le troisième jour et que nous ressusciterons en sa présence
dans le Royaume du Christ sur la Terre et que nous vivrons en sa
présence dans le triomphe de l'esprit. Nous le connaîtrons, nous
apprendrons à connaître le Seigneur pour être prêts à soutenir,
grâce à cette vraie connaissance de Dieu, la dernière bataille que
Lucifer livrera à l'homme avant la sonnerie de l'ange de la septième
trompette qui ouvrira le chœur bienheureux des saints de Dieu, au
nombre parfait pour l'éternité — et ni le plus petit enfant, ni
le vieillard le plus âgé ne pourra jamais être ajouté au nombre —
le chœur qui chantera; "Il est fini le pauvre royaume de la
Terre. Le monde est passé en revue avec tous ses habitants devant le
Juge victorieux. Et les élus sont maintenant entre les mains de
notre Seigneur et de son Christ, et Lui est notre Roi pour toujours.
Louange au Seigneur Dieu Tout Puissant qui est, qui était et qui
sera, parce qu'il a pris son grand pouvoir et qu'il est entré en
possession de son royaume". Oh ! qui parmi vous saura rappeler
les paroles de cette prophétie qui résonne déjà dans les paroles
de Daniel, avec un son voilé, et qui maintenant retentit par la voix
du Sage devant le monde étonné et devant vous, plus étonnés que
le monde ? ! "La venue du Roi — continuera le monde gémissant
dans ses blessures et enfermé dans son tombeau, après avoir mal
vécu et être mal mort, enfermé par son septuple vice et par ses
hérésies sans fin, l'esprit agonisant du monde enfermé, avec ses
derniers essais, à l'intérieur de son organisme, mort lépreux à
cause de toutes ses erreurs
La
venue du Roi est préparée comme celle de l'aurore et elle viendra à
nous comme la pluie du printemps et de l'automne". L'aurore est
précédée et préparée par la nuit. C'est la nuit. Celle de
maintenant. Et que dois-je te faire, Ephraïm ? Et que dois-je te
faire, Ô Juda ?... Simon, Bartholmaï, Judas, et mes cousins, vous
plus instruits dans le Livre, reconnaissez-vous ces paroles ? Ce
n'est pas d'un esprit fou, mais de quelqu'un qui possède la Sagesse
et la Science qu'elles viennent. C'est comme un roi qui ouvre avec
assurance ses coffres forts, parce qu'il sait où est la gemme donnée
qu'il cherche, après l'avoir mise de sa main à l'intérieur, que je
cite les prophètes. Je suis la Parole. Pendant des siècles, j'ai
parlé par des lèvres humaines, et pendant des siècles je parlerai
par des lèvres humaines. Mais tout ce qui est dit de surnaturel est
ma parole. L'homme ne pourrait pas, même le plus docte et le plus
saint, monter avec une âme d'aigle au-delà des limites du monde
aveugle, pour saisir et dire les mystères éternels, L'avenir n'est
"présent" que dans la Pensée divine. C'est une sottise
chez ceux qui ne sont pas élevés par Notre Volonté, de prétendre
faire des prophéties et des révélations. Et Dieu les démentit et
les frappe parce qu'Un seul peut dire : "Je suis" et dire :
"Je vois" et dire "Je sais". Mais quand une
Volonté qu'on ne mesure pas, qu'on ne juge pas, qu'il faut accepter
en inclinant la tête, en disant : "Me voici", sans
discuter, dit : "Viens, monte, écoute, vois, répète"
alors, plongée dans l'éternel présent de son Dieu, l'âme, appelée
par le Seigneur pour être "voix", voit et tremble, voit et
pleure, voit et jubile; alors l'âme, appelée par le Seigneur pour
être "parole", écoute, et arrivant à des extases ou à
une sueur d'agonie, dit les paroles redoutables du Dieu Éternel.
Parce que toute parole de Dieu est redoutable, venant de Celui dont
le verdict est immuable et la Justice inexorable, et tournée vers
les hommes dont trop peu méritent amour et bénédiction et non pas
foudre et condamnation. Maintenant cette parole, qui est donnée et
méprisée, n'est-elle pas la cause d'une faute redoutable et d'une
punition pour ceux qui l'ayant entendue la repoussent ? Elle l'est.
Et que dois-je encore vous faire, ô Ephraïm, ô Juda, ô monde, que
je n'ai pas fait ? Je suis venu pour t'aimer, ma Terre, et ma parole
a été pour toi une épée qui tue parce que tu l'as exécrée. Oh !
Monde qui tues ton Sauveur en croyant faire une chose juste,
tellement tu es insatanisé au point de ne même plus comprendre quel
est le sacrifice que Dieu exige, sacrifice du péché personnel et
non pas d'une bête immolée et consommée avec l'âme souillée !
Mais
que t'ai-je donc dit pendant ces trois années ? Qu'ai-je prêché ?
J'ai dit : "Connaissez Dieu dans ses lois et dans sa nature".
Et je me suis desséché comme un vase d'argile poreuse exposé au
soleil en vous répandant la connaissance vitale de la Loi et de
Dieu. Et tu as continué de faire des holocaustes sans jamais
accomplir l'unique chose nécessaire : l'immolation au Dieu vrai de
ta volonté mauvaise ! Maintenant le Dieu éternel te dit, cité
pécheresse, peuple parjure — et à l'heure du Jugement, on se
servira pour toi d'un fouet dont on ne se servira pas pour Rome et
Athènes, qui sont hébétées et ne connaissent pas la parole et le
savoir, mais qui, d'éternels enfants mal soignés par leur nourrice
et restés comme des animaux dans leurs capacités, passeront dans
les bras saints de mon Église, mon unique sublime Épouse qui
m'enfantera d'innombrables enfants dignes du Christ, deviendront
adultes et capables et me donneront des palais et des troupes, des
temples et des saints de quoi peupler le Ciel comme avec des étoiles
— maintenant le Dieu éternel te dit : "Vous ne me plaisez
plus et je n'accepterai plus de don de votre main. Il est pour Moi
pareil à des excréments et je vous le rejetterai à la face et il y
restera attaché. Vos solennités, toutes extérieures, me dégoûtent.
Je supprime le pacte avec la race d'Aaron et je le passe aux fils de
Lévi parce que, voilà, celui-ci est mon Lévi, et avec Lui pour
toujours j'ai fait un pacte de vie et de paix et Lui m'a été fidèle
dans les siècles des siècles, jusqu'au sacrifice. Il a eu la sainte
crainte du Père et il a tremblé à cause de son courroux d'offensé,
au seul son de mon Nom offensé. La loi de la vérité a été sur sa
bouche, et sur ses lèvres il n'y a pas eu d'iniquité, il a marché
avec Moi dans la paix et l'équité, et il en a retiré beaucoup du
péché. Le temps est venu où en tout lieu, et non plus sur l'unique
autel de Sion, car vous ne méritez pas de l'y offrir, sera sacrifiée
et offerte à mon Nom l'Hostie pure, immaculée, agréable au
Seigneur' '. Les reconnaissez-vous les éternelles paroles ?"
"Nous les reconnaissons, notre Seigneur. Et crois-le, nous
sommes abattus comme si on nous avait frappés. N'est-il pas possible
de dévier le destin ?" "Tu l'appelles destin, Bartholmaï
?" "Je ne saurais quel autre nom..." "Réparation.
Voilà le nom. On n'offense pas le Seigneur sans que l'offense doive
être réparée. Et Dieu Créateur a été offensé par le Premier
qui a été créé. Depuis lors, l'offense n'a pas cessé de croître.
Et
elle n'a pas servi l'inondation du Déluge, ni la pluie de feu sur
Sodome et Gomorrhe à rendre l'homme saint. Pas l'eau et pas le feu.
La Terre est une Sodome sans limite où passe, libre et roi, Lucifer.
Alors que vienne une trinité pour la laver : le feu de l'amour,
l'eau de la douleur, le Sang de la Victime. Voici, ô Terre, mon don.
Je suis venu pour te le donner. Et maintenant je me déroberais à
son accomplissement ? C'est Pâque, on ne peut fuir." "Pourquoi
ne vas-tu pas chez Lazare ? Ce ne serait pas fuir, mais chez lui, on
ne te toucherait pas." "Simon parle bien. Je t'en supplie,
Seigneur, fais-le !" crie Judas Iscariote en se jetant aux pieds
de Jésus. A son geste répond un déluge de larmes de Jean, et bien
que plus maîtres de leur douleur, les cousins pleurent ainsi que
Jacques et André. "Tu me crois le "Seigneur" ?
Regarde-moi !" et Jésus transperce de son regard le visage
angoissé de l'Iscariote, car il est réellement angoissé, ce n'est
pas une feinte. C'est peut-être la dernière lutte de son âme avec
Satan, et il ne sait pas triompher. Jésus l'étudie et suit la lutte
comme un homme de science pourrait étudier une crise d'un malade.
Puis il se lève brusquement et si violemment que Judas, appuyé sur
ses genoux, se trouve repoussé et retombe assis par terre. Jésus
recule aussi, le visage bouleversé, et il dit : "Pour faire
arrêter aussi Lazare ? Double proie et double joie par conséquent.
Non, Lazare se garde pour le Christ à venir, pour le Christ
triomphant. Un seul sera jeté au-delà de la vie, et il ne reviendra
pas. Moi, je reviendrai. Mais lui ne reviendra pas. Mais Lazare
reste. Toi, toi qui sais tant de choses, tu sais aussi celle-là.
Mais ceux qui espèrent avoir double profit en capturant l'aigle avec
l'aiglon, dans leur nid et sans difficulté, peuvent être sûrs que
l'aigle a les yeux sur tous, et que par amour pour son petit il ira
loin du nid pour être pris Lui seul, en le sauvant. Je suis tué par
la haine et pourtant je continue à aimer. Allez. Moi, je reste à
prier. Jamais comme à l'heure où je vis, je n'ai eu besoin d'élever
mon âme au Ciel." "Laisse-moi rester avec Toi"
supplie Jean. "Non. Vous avez tous besoin de repos. Va-t'en."
"Tu restes seul ? Et s'ils te font du mal ? Tu semblés
souffrant aussi... Moi, je reste" dit Pierre. "Toi aussi,
va avec les autres. Laissez-moi oublier les hommes pour une heure !
Laissez-moi en contact avec les anges de mon Père ! Ils remplaceront
ma Mère, qui s'épuise en larmes et en prière, que je ne puis
charger de ma douleur désolée. Allez."
"Tu
ne nous donnes pas la paix ?" demande son cousin Jude. "Tu
as raison. Que la paix du Seigneur se pose sur ceux qui ne sont pas
opprobre à ses yeux. Adieu" et Jésus pénètre en montant un
talus au milieu des oliviers. "Et pourtant... ce qu'il dit c'est
vraiment dans l'Écriture ! Et quand on l'entend de Lui on comprend
pourquoi et pour qui c'est dit" murmure Barthélemy. "Moi,
je l'ai dit à Pierre dans l'automne de la première année..."
dit Simon. "C'est vrai... Mais... Non ! Moi vivant, je ne le
laisserai pas prendre. Demain..." dit Pierre. "Que feras-tu
demain ?" demande l'Iscariote. "Ce que je ferai ? Je parle
avec moi-même. C'est un temps de conjuration. A l'air même je ne
confierai pas ma pensée. Et toi, qui es puissant, tu l'as dit tant
de fois, pourquoi ne cherches-tu pas protection pour Jésus ?"
"Je le ferai, Pierre. Je le ferai. Ne vous étonnez pas si je
suis parfois absent. Je travaille pour Lui. Ne le Lui dites pas,
pourtant". "Sois tranquille, et que tu sois béni. Parfois
je me suis défié de toi, mais je m'en excuse. Je vois que tu es
meilleur que nous au bon moment. Tu agis... moi, je ne sais que
parler à vide" dit Pierre, humble et sincère. Et Judas rit
comme si la louange lui plaisait. Ils s'éloignent du Gethsémani
vers la route qui va à Jérusalem.
Texte
extrait de l'Evangile tel qu'il m'a été révélé, Tome 9, chapitre
11 et 12