Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Le Mois de Marie des Madones Nantaises
Abbé Ricordel
Vingt-troisième jour
Notre Dame de Bonne Garde
Presque à l’entrée de la route de Clisson, sur ce plateau de Saint Jacques, d’où l’on domine les belles vallées de la Loire et de la Sèvre, et d’où l’on voit toute la ville de Nantes à ses pieds, s’élève un élégant sanctuaire dédié à la sainte Vierge, et cher à nos concitoyens depuis déjà deux cent cinquante ans.
Vers le milieu du XVIIe siècle, au rapport des traditions du quartier, plusieurs personnes aperçurent un soir une statue de la sainte Vierge, inconnue jusqu’alors en ces lieux, et qu’environnait une éblouissante clarté. Étonnées et ravies, elles s’empressèrent de recueillir la merveilleuse image et de la placer avec honneur dans leur maison. Hélas ! Marie n’accepta point leur pieuse hospitalité. Le lendemain, l’image avait disparu et on la retrouvait au lieu de l’apparition. Les religieux bénédictins, qui occupaient alors le prieuré de Pirmil, accoururent et transportèrent la statuette dans leur chapelle, actuellement église paroissiale de Saint Jacques. Efforts inutiles, ce n’est pas la que la Vierge voulait être honorée, et, durant la nuit, la statue retourna dans le coin de terre qu’elle avait choisi.
Cette fois, la pensée de la Bonne Mère fut comprise, et son désir rempli : les voisins édifièrent immédiatement une petite grotte et le peuple, instruit du prodige, vint en foule la prier en ce lieu béni.
Quelques années s’écoulèrent, et la vénération pour la statue miraculeuse ne fit que s'accroître. Bientôt une pieuse tertiaire, respectée de tous pour sa vertu ainsi que pour sa charité envers les pauvres malades, et connue dans le quartier sous le nom expressif de Marie de Bonne Garde, entreprit d’élever a la Mère de Dieu un monument plus digne de sa grandeur et de l’amour de son peuple. Elle fit appel aux Voisins, qui entrèrent dans ses vues et se montrèrent généreux. Ses parents lui vinrent en aide les premiers ; et le gouverneur de Nantes, Charles de la Porte, duc de la Meilleraye et maréchal de France,joignit ses largesses aux aumônes des habitants de Pirmil. Le 4 novembre 1657, l’édifice était achevé, et l’on y célébrait, pour la première fois, la sainte messe.
Le sanctuaire bâti, la piété le décora, et bientôt la petite chapelle posséda de beaux ornements, des calices, des ciboires, libéralement offerts par les pèlerins. Ceux-ci accouraient de plus en plus nombreux ; de toute la contrée avoisinante, on venait avec empressement à Notre Dame de Bonne Garde. Le peuple avait récompensé le zèle de la pieuse tertiaire, en donnant son nom à l’oratoire qu’elle avait élevé. Saint-Sébastien s’y rendait chaque année en pèlerinage, et les paroisses voisines l’imitèrent plus d’une fois. Le concours du peuple rendit nécessaire la présence d’un prêtre qui fut attaché au service de la chapelle. Une confrérie y fut établie en l’honneur de la sainte Trinité, et y célébrait solennellement ses fêtes. Chaque soir, au son de l'Angélus, les fidèles aimaient a se réunir aux pieds de la Bonne Mère, et l’on conserve encore, après plus d'un siècle, le souvenir et le nom d’un pieux laïque qui présidait a la récitation du chapelet et au chant du cantique.
Comme tous nos autres sanctuaires, la chapelle de Bonne Garde eut à souffrir de la Révolution ; elle aussi fut dépouillée de toutes ses richesses, elle aussi fut vendue, elle aussi vit sa statue miraculeuse menacée par des mains sacrilèges. Dieu toutefois ne permit pas que la ruine fût complète. Un courageux chrétien sauva la chère statue, et la chapelle ne fut pas détruite.
Les mauvais jours passés, les fidèles continuèrent a visiter Notre Dame de Bonne Garde ; mais les splendeurs de son culte étaient bien amoindries. Un saint prêtre, tout dévoué à Marie, et dont le nom est encore vénéré dans la paroisse de Saint Jacques, M. l'abbé Durand, devait renouveler, par son exemple et par son zèle, cette antique dévotion. Plus d’une fois, en temps de sécheresse, dans les dangers d’une terrible inondation, sous la menace du choléra, il invoqua solennellement par des neuvaines la gardienne de sa paroisse, et Marie justifia toujours les promesses de son nom.
Mais la chapelle tombait en ruines, et les agents de la voirie menaçaient de la faire disparaître. Le zélé pasteur fit appel à ses paroissiens, et bientôt un élégant édifice vint prouver à tous que Marie ne s’était pas trompée en choisissant ce lieu pour sa demeure, et que ce peuple conserve fidèlement dans son cœur l’amour que ses ancêtres portaient à Notre Dame de Bonne Garde.
Chaque année, depuis lors, les habitants de Saint Jacques y célèbrent sa neuvaine de l’Ascension à la Pentecôte ; chaque mois, au temps du moins où règne la liberté, ils s’y rendent en procession ; souvent aussi, malgré l’éloignement de ce faubourg, les fidèles de Nantes vont visiter la gracieuse chapelle, et je ne doute pas que vous tous, qui m’écoutez, vous n’ayez fait de pieux pèlerinages à Notre-Dame de Bonne Garde.
Jadis, au soir de la première communion, les enfants aimaient a se rendre dans la chapelle de Bonne Garde et s’y consacraient ensemble à la Vierge Marie. C'était une touchante pensée : Marie n’est-elle pas, en effet, la meilleure gardienne de leur foi et de leur vertu ? Tous les hommes courent des dangers, tous ont besoin de se placer sous l’égide de Marie, et Marie les protège tous. N’est-il pas vrai cependant que la jeunesse est plus exposée ? Que la jeunesse a plus à craindre pour sa foi et pour sa vertu ? La jeunesse court plus de dangers, parce qu’elle est plus ignorante et qu’elle côtoie les abîmes avec une insouciance qui fait trembler ; la jeunesse court plus de dangers parce qu’elle est plus faible et qu‘elle n’a pas encore acquis les bonnes habitudes qui rendent la vertu plus facile, la résistance plus forte ; la jeunesse court plus de dangers parce qu’elle est l’avenir, l’espérance, et que l’Enfer, le monde, les méchants cherchent à l'accaparer et multiplient les pièges sous ses pas ; la jeunesse court plus de danger parce qu’elle est à l’âge où le sang bouillonne, où les passions s'allument, où le cœur et la chair tressaillent. La jeunesse, plus encore que l’âge mûr, a donc besoin d’être gardée par Marie.
Or Marie aime la jeunesse, et je ne crains pas de dire qu’il y a dans son cœur une place de prédilection pour les jeunes. Est-ce qu’une mère, qui aime tous ses enfants, ne montre pas cependant une sollicitude plus empressée pour les dernier-nés, parce qu’ils sont plus faibles, parce qu’ils ont davantage besoin de ses bras ? Ainsi Marie. Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que Jésus a voulu cela. Pourquoi, lorsque du haut de sa croix il lui a donné tous les hommes pour enfants, les lui a-t-il confiés dans la personne de saint Jean, le plus jeune des apôtres, sinon parce qu’il voulait ainsi désigner principalement les jeunes a sa tendresse de mère ?
L’Eglise sait cela, les mères aussi : de là tant de petits enfants voués à la sainte Vierge ; de là les consécrations au soir de la première communion ; de là les congrégations de jeunes gens et de jeunes filles, rangées sous la bannière de Marie... Donc, vous qui êtes jeunes, confiez-vous à Notre Dame de Bonne Garde ; vous qui avez des enfants et qui redoutez pour eux l’âge des tempêtes, confiez les à Notre Dame de Bonne Garde.
Je remarque aussi dans l'histoire de notre modeste sanctuaire qu’on venait y demander à Marie sa protection contre la mort subite et, par là-même, la grâce d’une mort chrétienne ; que beaucoup de marins s’y rendaient de Rezé et des rives de la Loire pour réclamer son secours dans la tempête ou la remercier de son assistance.
Comme je comprends cette prière ! N’est-il pas vrai que si Marie nous garde, ce doit être surtout à l’heure de la mort. Avant de remonter au ciel, Jésus disait à son Père : « Ceux que vous m‘avez donnés, je les ai gardés, et aucun d’eux ne s’est perdu, si ce n’est le fils de perdition, afin que l'Ecriture fût accomplie ». Le désir de Marie, c’est de répéter à Jésus la même parole : « Ceux que vous m’avez donnés, je les ai gardés et aucun d'eux ne s’est perdu ». Aussi comme elle veille sur ses enfants ! C’est surtout a la mort qu'ils risquent de se perdre ; c’est surtout à la mort qu’ils ont besoin d’être gardés. Voilà pourquoi nous lui disons chaque jour : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ».
Répétons souvent cette prière et ne manquons pas de nous recommander, en ce moment qui décidera de notre éternité, à Notre Dame de Bonne Garde.
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